Mes recherches ou remarques nouvelles, tracées, je l’avoue d’avance, avec peu d’art et de méthode, sur les causes de cette dégénération rapide, ne sont pas conjecturales, ni bornées au temps que j’ai vécu. J’ai consulté, outre les lumières de la plus longue expérience de mes doyens d’âge, les différents genres de traditions historiques, les écrits authentiques et les mémoires secrets, les anecdotes et même les arts et leurs productions ; j’y ai observé les hommes et le cours de leurs vertus, de leurs vices, de leur langage, de leurs actions, les variations des principes et de l’esprit des sociétés ou des cercles et coteries, en un mot, le mouvement de l’opinion et des mœurs. […] La violence ou l’énergie déplacée, les contre-temps, les doubles ententes, le vague, les traits envenimés, les tableaux et les tours ingénieux, les attraits licencieux, l’éclat, la coquetterie, si je puis parler ainsi, en un mot, l’art séduisant des critiques du théâtre dont la malignité est en effet le moyen ordinaire, souvent le principe, depuis long-temps a produit cet effet, en attirant et captivant la foule qu’il a agitée à l’excès et égarée. […] C’est en vertu d’une mission aussi naturelle, et pour une fin aussi légitime que je vais émettre quelques autres conceptions modérément et sans fougue, au risque, à présent, me plaçant entre deux extrêmes d’ancienne date, qui ont chacun de nombreux et chauds partisans dont je blâme franchement les excès contraires, d’être qualifié à la fois de fanatique et d’impie, d’ennemi et d’esclave de l’art dramatique.
« Les Jeux Scéniques apportèrent sur le Théâtre de Rome environ quatre cents ans après sa fondation des danses bouffonnes, au son de la Voix et des Instruments, mais sans réciter aucun vers ni représenter les actions par aucun art réglé de gesticulations ingénieuses. Ensuite les jeunes gens y introduisirent des railleries en Vers assez mal faits, et accompagnés d'une Danse composée de mouvements assez malhonnêtes, et enfin y employant des Acteurs du Pays, au lieu que l'on avait accoutumé jusque là de les emprunter de l'Etrurie, ils formèrent les Satires avec plus de règle, tant pour la Poésie que pour la Danse, et qui n'étaient que Mimes imparfaits ou bouffonneries, mais avec peu d'art en la composition des Vers », dont ils n'avaient rien appris des Grecs, parmi lesquels Sophron s'était rendu célèbre dès cents ans auparavant, par les Mimes qu'il avait composés pour hommes et pour femmes ; et cette Poésie s'acheva si lentement que durant plus de six-vingts ans, depuis cette institution des Jeux Scéniques, on ne parle d'aucun Poète Romain. Mais enfin Andronicus donna publiquement dans Rome des Fables qu'il jouait lui-même, et dont ces vieilles Satires lui prestèrent le fondement et l'invention ; et je ne vois pas pourquoi l'on a voulu deviner que ce fussent des Tragédies et des Comédies, car il est certain que ce n'en pouvait pas être ; c'étaient des Mimes, ou de petites Fables qu'il mettait en Vers, comme les Fableaux de nos vieux Poètes français, et qu'il dansait lui-même en sautant, chantant et touchant quelque instrument ; comme tous les autres Poètes de son temps, selon mêmes les termes de Tite-Live ; mais j'estime qu'il les fit avec plus d'art, et qu'il se rendit si célèbre qu'il en fut nommé l'Auteur ou le premier. […] dit que l'art de bouffonner ayant pris la forme des Satires, Andronicus le fit passer des Satires aux Fables, pour plaire aux Spectateurs.