Il en est des Etats comme des Particuliers : ils succomberont infailliblement, si l’amour du plaisir éteint celui du devoir. […] La Bruyere, dont les sentimens ont été reconnus si orthodoxes par son fameux Chapitre contre les Esprits forts, ne peut dissimuler que les Personnes pieuses ne connoissent qu’un seul péché au monde, qui est l’amour. […] Ne voudra-t-on jamais se persuader que l’Amour, au Théâtre, n’est représenté qu’avec les nuances convenables !
Les pieces qu’on représente réveillent sans cesse à l’Actrice l’idée de son amant : comme elles roulent toutes sur l’amour, on en sent plus vivement l’impression ; on s’applique ce qu’on chante, on déclame, on substitue l’amant à l’Acteur ; on se voit en lui, on lui parle ; on entre dans le sentiment du rôle qu’on joue, on le réalise en soi-même, on en réussit mieux, & on le fait mieux passer dans l’ame des spectateurs. […] Tu fais la sévère à ton amant, écrit une Actrice à sa compagne ; mais son amour est-il d’une trempe à résister à l’ennui des refus ? […] Il est vrai que par ordre du Prélat un Grand Vicaire ad hoc examine toutes les scènes d’opéra qu’on y chante, & pour écarter les mauvaises pensées a grand soin de substituer les mots d’ami & d’amitié aux termes profanes d’amant & d’amour, souvent, il est vrai, aux dépens de la mesure & de la rime, mais au grand profit des bonnes mœurs.