Si la comédie d’aujourd’hui purifie l’amour sensuel, en le faisant aboutir au mariage. […] On répond que pour prévenir le péché, le théâtre purifie l’amour ; la scène toujours honnête dans l’état où elle paraît aujourd’hui, ôte à cette passion ce qu’elle a de grossier et d’illicite : et ce n’est après tout qu’une innocente inclination pour la beauté, qui se termine au nœud conjugal. […] Car encore que vous ôtiez en apparence à l’amour profane ce grossier et cet illicite dont on aurait honte, il en est inséparable sur le théâtre. […] La passion ne saisit que son propre objet : la sensualité est seule excitée, et s’il ne fallait que le saint nom du mariage pour mettre à couvert les démonstrations de l’amour conjugal, Isaac et Rébecca n’auraient pas caché leurs jeux innocents et les témoignages mutuels de leurs pudiques tendressesd. […] Que ce soit ou de plus loin ou de plus près, il n’importe ; c’est toujours là que l’on tend : par la pente du cœur humain à la corruption, on commence par se livrer aux impressions de l’amour sensuel : le remède des réflexions ou du mariage vient trop tard : déjà le faible du cœur est attaqué s’il n’est vaincu, et l’union conjugale trop grave et trop sérieuse pour passionner un spectateur qui ne cherche que le plaisir, n’est que par façon et pour la forme dans la comédie.
Ainsi, la constance, l’amour de la justice deviennent insensiblement des qualités haïssables, des vices que l’on décrie. […] Ne voilà-t-il pas une tragédie qui remplit bien son objet, et qui apprend bien aux spectateurs à surmonter les faiblesses de l’amour ! […] « Qu’on nous peigne l’amour comme on voudra, il séduit, ou ce n’est pas lui. […] Personne ne se croit obligé d’être un héros, et c’est ainsi qu’admirant l’amour honnête, on se livre à l’amour criminel. […] Le devoir et la vertu sont dans vos pièces de malheureuses victimes que vous parez de quelques fleurs pour faire à l’amour un sacrifice plus éclatant.