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46. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — QUATRIEME PARTIE. — Tragédies à corriger. » pp. 180-233

Les Auteurs sont donc convaincus d’avoir abandonné ce principe : et quoique je ne l’adopte pas moi-même, je ne cesse pas d’être en droit de faire cette remarque ; puisque ce principe leur paraît essentiel, pendant qu’il me paraît peu exact : car il est incontestable que dans leurs Pièces Œdipe est innocent de tout point ; et que tout parricide et incestueux qu’il est, il n’a rien fait qui mérite qu’on le punisse. […] Dans la Tragédie de Pénélope le Poète abandonne la nature, altère l’histoire, et fait violence à la raison. […] Je changerais donc entièrement le caractère de Créuse : loin de la faire amoureuse de Jason, ce serait une fille modeste, soumise aux volontés de son père : tout au plus, je lui donnerais de l’ambition et de la vanité ; et ce serait par ces motifs qu’elle consentirait à devenir la femme d’un Héros tel que Jason ; non sans de grandes agitations, par la crainte que ce même Héros ne vint à l’abandonner un jour comme il abandonnait Médée ; enfin je lui mettrais à la bouche mille traits contre la cruauté des hommes de son temps, qui, après avoir abusé de la simplicité et de la bonne foi des filles, ont recours au divorce pour les quitter et les rendre malheureuses à jamais.

47. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE III. Est-il à propos que les jeunes gens aillent à la Comédie ? » pp. 55-83

Serait-ce bien connaître la jeunesse et sa fragilité, ces cœurs tous neufs et leur sensibilité, ces esprits naissants et leur vivacité, ces caractères peu solides et leur légèreté, cet amour du plaisir et sa violence, que d'abandonner des barques si faibles à une mer si orageuse ? […]  » On peut laisser la jeunesse lire toute sorte de livres, fréquenter toute sorte de compagnies, voir les plus mauvais exemples, entendre les plus mauvais discours, regarder les objets les plus séduisants, si on leur ouvre la porte des spectacles, où se trouvent tous ces dangers à la fois, c’est-à-dire qu'il faut abandonner l'éducation de la jeunesse, la livrer à elle-même, et la laisser perdre. […] Un nom à soutenir, une charge à remplir, un emploi à occuper, un métier à apprendre, réveillent l'attention des parents sur les garçons : une fille bornée à de petites fonctions, qui exigent peu de connaissances, est abandonnée à elle-même ; sa vie désoccupée se passe presque toute dans l'oisiveté ; la toilette, l'amusement, la promenade, les visites, laissent à peine un moment à un travail des mains, qui ne diffère presque pas de l'oisiveté. […] Mais, sans abandonner son ouvrage, elle se déguisa ce que son expérience lui apprenait ; elle demanda à Racine un poème moral dialogué, dont l'amour fût banni. […] On exécuta, il est vrai, ce qu'on avait annoncé, les frais en étaient faits ; mais peu à peu on abandonna ce qu'on avait connu si dangereux.

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