/ 466
164. (1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien troisieme. Le danger des Bals & Comedies découvert par l’Auteur des Sermons sur tous les sujets de la morale Chrétienne de la Compagnie de Jesus. » pp. 26-56

Cette demande, étoit sans doute bien juste ; & si rien ne nous est plus cher dans la vie, que nos yeux, je ne vois pas ce que cet homme, dans l’état où il étoit reduit, pouvoit demander qui lui fût plus necessaire, Domine ut videam . […] C’est pourquoy j’ay ajoûté, eû égard à nôtre foiblesse & à nôtre experience ; parce que quoyque la corruption du cœur soit commune à tous les hommes, & que le panchant soit une des suites du peché avec lequel nous naissons tous ; ce panchant neanmoins n’est pas également violent dans tous les hommes, & cette foiblesse n’est pas également à craindre dans tout âge, dans tout sexe, & dans toutes sortes d’états ; ainsi ceux à qui une funeste experience n’a que trop appris, qu’ils ne se trouvent jamais dans ces assemblées libres & enjoüées, à ces bals, qui ne sont faits que pour entretenir la galanterie, a ces balets & à ces danses, où l’on ne s’étudie qu’à exprimer par geste, la passion dont on est possedé, ceux qui écoutent avec un singulier plaisir ces airs languissans & passionnez, ces concerts de voix & d’instrumens, où tout ce que la musique a de plus animé, porte jusqu’au cœur les sentimens les plus tendres ; ceux qui sont charmez de ces comedies, où des hommes & des femmes paroissent sur un Theâtre, pour exprimer les plus naturellement & le plus vivement qu’il leur est possible, la plus dangereuse de toutes les passions ; ces personnes, dis-je, me demandent, s’il y a peché grief de voir & d’entendre ce qui excite, & ce qui allume cette passion, à quoy elles n’ont que trop de panchant ; n’est-ce pas demander s’il y a du peché à chercher l’occasion du peché, & à s’exposer au danger de le commettre ? […] Vous me direz qu’au Baptême on n’a renoncé qu’à l’affection & à l’attachement qu’on pourroit avoir aux pompes & aux vanitez du monde ; parce que s’en separer absolument, c’est un état de perfection à quoy Dieu n’oblige pas toutes sortes de personnes : cela est vray ; mais c’est un précepte de s’en separer du moins de cœur & de volonté, d’estime & de desir ; or dites moy, si vous ne voyez point de danger d’y attacher vôtre affection, en y assistant si volontiers, & en y prenant tant de plaisir ? […] (ce qu’on ne peut douter qui ne soit en état de damnation, aprés l’oracle de la verité même qui nous en assure,) sinon aimer les joyes du monde, l’éclat, la pompe, la vanité, & les divertissemens mondains ? […] Ne me dites point, que vôtre âge, vôtre profession & vôtre état vous mettent à couvert de ce danger ; car cela même est le plus dangereux ecueïl où vous puissiez donner, de croire contre le sentiment de tous les Saints, & contre l’experience de tous les hommes, que vous n’avez rien à craindre des surprises d’une passion, que les Solitaires mêmes, aprés avoir blanchi dans les austeritez de la penitence, ont crû si redoutable, & qui n’ont pû trouver d’autre moyen de s’en défendre, que la fuite des occasions, & des objets capables de l’exciter.

165. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre IX. Sentiments de S. Cyprien et de quelques autres Pères. » pp. 175-201

Qu’on consulte sa conscience et son état, on ne fera rien que de convenable. […] Et tandis que la malignité n’épargne aucun état, tout le monde court à cette école de libertinage. […] A Mayence, à Marseille, à Cologne, à Trèves, les spectacles n’ont cessé que depuis l’invasion des barbares, et ils n’ont cessé dans les autres villes que par la misère des peuples, qui les met hors d’état d’en faire les frais. […] Il s’en faut bien que ce ne soient que des fautes légères ; le théâtre fait commettre les plus grands péchés : « Quidquid immunditiarum est, exercetur in theatris ; ibi universa damonum monstra. » C’est une espèce d’hydre, où les têtes de tous les vices sont toujours renaissantes : « Sicut anguinum monstrum quod multiplicabat occisio. » C’est l’état où les spectacles ont réduit toutes les Gaules ; la frivolité, le luxe, l’impureté règnent partout ; vieillards et enfants, grands et petits, tout est confondu par le crime : « Consimilibus vitiis Gallia civitates conciderunt. » Dieu, pour nous punir, ou plutôt pour nous corriger, nous fait subir en public et en particulier des châtiments rigoureux. […] Personne sans doute ne voudrait imiter les cruautés et les débauches de ce Prince ; mais on n’imite que trop son goût et ses profusions pour les Comédiens : magnificence honteuse, qui prostitue son bien à des gens indignes : « Cœca et contemptibile magnificentia gratiam Histrionibus prostituunt. » Nous avons vu quelquefois des Comédiens plus honnêtes que les autres, si l’on peut appeler honnête un état qui toujours couvert d’infamie, est indigne d’un homme libre : « Hominis liberis indignum indubitanter turpe. » On trouve de ces pièces comiques dans Ménandre, Plaute, Térence, etc.

/ 466