Peut-être avez-vous oublié en écrivant votre lettre que la Comédie n’a point d’autre fin que d’inspirer des passions aux spectateurs, et que les passions dans le sentiment même des Philosophes Païens, sont les maladies, et les poisons des âmes. […] Ce discours vous devrait flatter bien sensiblement puisqu’il est tout contraire à celui qui vous a si rudement choqué : Mais si je ne me trompe, il vous déplaît encore plus que tout ce qu’a pu dire l’Auteur des lettres, et peut-être voudriez-vous à présent ne vous être pas piqué si mal à propos de ce qu’il a dit que les Poètes de Théâtre sont des empoisonneurs d’âmes. […] L’un ôte tout le poison que les Païens ont mis dans leurs Comédiesad, l’autre en compose de nouvelles et tâche d’y mettre de nouveaux poisons, l’un enfin fait un sacrifice à Dieu en travaillant utilement pour le bien de l’Etat et de l’Eglise, et l’autre fait un sacrifice au Démon (comme dit saint Augustinae) en lui donnant des armes pour perdre les âmes. […] [NDE] « Un faiseur de romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d’une infinité d’homicides spirituels, ou qu’il a causés en effet ou qu’il a pu causer par ses écrits pernicieux. » écrit Nicole dans la première des Visionnaires.
Mais indépendamment de ces raisons générales de sagesse, ceux-mêmesj qui voudraient le plus accorder à tout le monde la lecture des Ecritures, doivent convenir qu’elle n’est pas faite pour le théâtre ; que c’est la défigurer, l’avilir, la déshonorer ; que bien loin d’en faire la nourriture de l’âme fidèle, on en fait l’amusement de la frivolité, souvent du vice et de l’impiété ; qu’au lieu de servir à la sanctification des fêtes, elle en devient la profanation ; que les Pères, en conseillant cette lecture aux âmes bien disposées, n’ont jamais entendu qu’on dût la livrer au parterre, la couper en actes, la cisailler en scènes, la travestir en comédies, la faire jouer par des hommes et des femmes sans mœurs, avec des habits, des gestes, des discours pleins de mollesse et de dissolution. […] Non : on lira par curiosité, pour comparer l’ouvrage du Poète avec celui de Dieu ; la sécheresse de celui-ci auprès de la pompe du drame, ne sera plus qu’une narration insipide ; comment y trouver ce goût, cette onction céleste dont se nourrit l’âme sainte ? […] Dieu ne se communique qu’aux âmes simples qui l’adorent en esprit et en vérité, l’homme animal n’y saurait rien comprendre : « Animalis homo non percipit ea quæ Dei sunt. » Les spectateurs méritent-ils mieux de voir ouvrir les sceaux de ce livre adorable ?