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28. (1781) Réflexions sur les dangers des spectacles pp. 364-386

Mais que ce public déploie à la vue du plus révoltant spectacle qui fut jamais, tous les ressorts de l’admiration, qu’il éclate en applaudissemens, qu’il exalte, qu’il préconise, et les victimes et ceux qui les vendent et ceux qui les immolent ; qu’il se nourrisse les yeux et le cœur, en voyant la première innocence s’instruire dans les vices de tous les âges, en parler le langage, en rendre les transports, en figurer les opérations, avec ce fatal genre d’éloquence qui exprime plus qu’il ne dit, qui parle à tous les sens à la fois, qui agite le cœur à mesure qu’il fascine l’intelligence ; qu’un spectacle de cette nature soit d’un goût et d’une approbation générale ; voilà (je défie les Taïtiens d’aller au-delà) le terme, le non plus outre de la corruption. […] Que diroit ce philosophe, si reparoissant parmi nous, dans ce siècle paradoxal, il voyoit cette foule impénétrable de tous les âges, sexes, conditions, groupée comme une masse immobile, se repaître dans une espèce de ravissement, d’un spectacle où ce qu’il y a de plus précieux à l’humanité, à la raison, au Christianisme, l’innocence du premier âge est sacrifiée au triomphe de tous les vices ; où l’existence même physique de ces tendres rejettons de notre espèce, je veux dire, les premiers efforts de la croissance, les principes d’une bonne constitution, la liberté et la gaieté du cœur, sont étouffés dans la fange d’une éducation monstrueuse, dans l’exercice et l’expression de tous les désordres qui troublent l’harmonie de la santé ? […] C’étoit chez vous un crime odieux à la société, toujours sûr de la vengeance des dieux, d’initier le premier âge à la pratique du mal. […] Mais si ces deux inconciliables ennemis ne peuvent faire de conquête qu’aux dépens l’un de l’autre ; si leur gloire simultanée est un monstre dans l’ordre des choses possibles ; que deviendra, à moins d’une révolution imprévue et subite, cette religion antique qui a couvert le globe de ses branches et de ses fruits, qu’un philosophe, qui ne l’aimoit pas, a nommée le foyer de toutes les vertus, la philosophie de tous les âges, la base des mœurs publiques ; le ressort le plus puissant qui soit dans la main des législateurs, plus fort que l’intérêt, plus universel que l’honneur, plus actif que l’amour de la patrie ; le garant le plus sûr que les rois puissent avoir de la fidélité de leurs peuples et les peuples de la justice de leurs rois ; la consolation des malheureux, le pacte de Dieu avec les hommes, et pour employer une image d’Homère, la chaîne d’or qui suspend la terre au trône de l’éternel. […] Une jeunesse vermeille et vigoureuse est devenue une espèce de phénomène dans l’ordre de la nature vivante ; des teints pâles et livides, une marche chancelante, des regards hébétés et languissans, voilà ce que présente l’âge de la croissance et de l’énergie vitale….

29. (1822) De l’influence des théâtres « [De l’influence des théâtres] » pp. 1-30

Les Théâtres, depuis ceux du premier ordre jusqu’aux tréteaux de la foire, (C’est ainsi que s’appelaient, il y a quarante ans, les entreprises Nicolet, Audinot et Sallé, privilégiésb, obligés d’avoir spectacle aux enclos, connus sous les noms d’Abbaye Saint-Germain, des Foires Saint-Laurent et Saint-Ovide.) ne sauraient être trop censurés, tant les actions dramatiques, qu’on y représente chaque jour, ont d’influence sur toutes les classes et particulièrement sur la plus nombreuse, qui vient y chercher le délassement de ses travaux, plaisir toujours moins coûteux que ces orgies, qui laissent après elles des suites fâcheuses, mais qui n’est pas non plus sans danger pour tous les âges, et surtout pour les esprits faciles à s’ouvrir aux pernicieuses impressions d’une morale, parfois voisine de la dépravation. […] Un garçon et une fille, fruits de leur hymen, montrèrent, dès leur bas âge, un goût décidé pour le travail. […] souvent pour des riens ; mais beaucoup de nos jeunes gens se croiraient perdus de réputation, si deux ou trois aventures de ce genre ne donnaient à leurs vingt ans une malheureuse célébrité, qui fait d’un étourdi, que l’âge pouvait ramener, un mauvais sujet consommé. […] m’écriai-je, voilà qui me rappelle mon jeune âge ; une noce à fracas chez le traiteur Mauduit71, ou bien un enterrement aux flambeaux dans le cimetière de la paroisse72 ; insensé ! […] Et que le théâtre, épuré par les soins d’une équité incorruptible, devienne une école publique, où tous les âges puissent, sans rougir, puiser des leçons de morale, et s’amuser sans blesser la pudeur.

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