Noms immortels que la postérité révère, que les Corneille, les Racine, les Voltaire ont fait revivre sur la Scène, animez mon ame échauffée d’un zèle respectueux pour vos vertus ?
N’est-ce donc rien pour les Spectateurs que de former ces assemblées où se réunit tout ce qu’il y a de plus léger, de plus mondain, de plus oisif, de plus irrégulier dans l’un & l’autre séxe ; ces assemblées où dominent le luxe des modes, la vanité de la parure, le désir de voir & d’être vû ; ces assemblées enfin où le vice paroît à visage découvert, où la vertu n’entre pas sans scrupule & sans péril, & d’où elle ne sort point sans atteinte !
On révère sans doute la vertu, & cependant, dans nos amusemens, dans nos usages, elle trouve des écueils à chaque pas !
Les premières, et qui furent introduites de bonne heure en ces divertissements furent les Fables Atellanes, ainsi nommées de la Ville d'Atelle dans la Campanie, qui fut toujours la Province des délices et des voluptés d'Italie, et d'où elles furent transportées à Rome ; Elles étaient comme des Satires agréables, sans aigreur et sans turpitude, et que la vertu Romaine avait accompagnées de bienséance et de modestie, et dont les Acteurs étaient en bien plus grande estime que les Scéniques et Histrions, et jouissaient même de quelques privilèges particuliers, entre autres de sortir du Théâtre avec les habits dont ils s'étaient servis dans leurs représentations ; ce qu'à parler franchement je ne saurais bien comprendre, quoique les Auteurs en fassent grand bruit ; car si l'on entend qu'ils sortaient ainsi de la Scène où ils avaient paru, je ne vois pas quel était leur avantage, ne croyant pas que les autres Histrions y reprissent leurs vêtements ordinaires avant que de disparaître aux yeux du peuple ; et si l'on veut dire qu'ils pouvaient même sortir de ce grand lieu que l'on nommait Théâtre, et aller à travers la Ville jusques dans leur logis, avec les ornements qu'ils avaient portés en jouant leurs Fables, je ne connais point quelle était l'excellence de ce privilège ; car c'était les exposer en mascarades publics aux petits enfants et aux grands idiots, qui n'étaient pas plus sages, à mon avis, dans la Ville de Rome, que dans celle de Paris ; et qui sans doute les auraient suivis avec beaucoup de bruit et de tumulte.
Sa mere, bonne par caractere, respectable par ses vertus, n’avoit fait mourir personne, avoit fait du bien à tout le monde, même à ses ennemis. […] La Cour qui profite des foiblesses aussi-bien que des vertus des héros, la chargea de négocier la paix. […] La vue du tombeau de son oncle, dont la fin tragique lui avoit fait verser tant de larmes, lui représentoit vivement la vanité du monde, & les exemples de toutes les vertus dans sa veuve touchoient infiniment son cœur. […] Il est rare en effet que les fruits du vice soient des modeles de vertu ; le sang qui coule dans leurs veines se sent de son origine, le ruisseau ressemble à sa source. […] Qui peut mieux aprécier les spectacles à la balance de la religion & de la vertu qu’un grand Prince qui en avoit été éperduement épris, & qui réunissoit tant de connoissances acquises à ses connoissances naturelles ?
libertin décidé, dont la punition théâtrale ramène moins à la vertu, que sa conduite n’inspire le vice par les couleurs qu’il lui prête. […] Les caractères sont si chargés, qu’ils n’offrent que des vertus au-dessus de la force humaine, ou des vices rares à trouver. […] L’amour au Théâtre est toujours heureux, du moins dans les Comédies ; il y est peint comme un sentiment naturel, souvent comme une vertu. […] On voit partout la vertu et le vice assez également compensés chez les hommes comme chez les femmes ; on voit les devoirs du Christianisme également remplis et violés. […] La vertu naît souvent de la difficulté de commettre le crime.
Ils étouffent des remords trop fondés par leur exemple, qui sera d’autant plus contagieux que leur vertu sera regardée dans le monde comme plus pure, contre l’ordre exprès de J.
Il faut toujours que les règles de la véritable vertu soient méprisées par quelque endroit pour donner au spectateur le plaisir qu’il cherche.
Parce que l’exemple d’un homme réglé, qu’on verrait au spectacle, autoriserait une infinité de personnes d’une vertu plus que médiocre, à y assister.
Abaillard avance qu’Héloïse qui faisoit le bel esprit, & avoit lu quelques poëtes, récita à haute voix, pendant la cérémonie de sa profession, quelques vers de Lucain, sur la mort de Pompée, dont elle faisoit l’application à ses amours, à ses malheurs, à sa profession forcée, qu’elle faisoit par désespoir ; c’est donner une bien mauvaise idée de sa vertu, de la prudence, de la décence de son amant ; mais l’écrivain de la lettre à Philinte en donne-t-il une bien avantageuse de lui-même, en rapportant la traduction de ces vers, pris de la tragédie de Corneille, sur la mort de Pompée. […] On a voulu donner un air d’importance à cet événement méprisable, pour avoir occasion d’exposer les tableaux les plus obscenes, d’autoriser le vice, de décrier la vertu, de décréditer le Clergé, par l’exemple des gens à qui on ne donne du mérite que pour relever l’Apologie des passions, & en illustrer la licence. […] 16, rapporte ce trait : nous avons besoin de veiller à toute heure, pour avancés que nous soyons dans la perfection, d’autant que nos passions renaissent, même quelquefois après avoir vécu long-tems en réligion, & avoir fait un grand progrès dans la vertu : comme il arriva à Silvain, Réligieux de Saint Pacôme, dans le monde il étoit comédien de profession, & s’étant converti & fait Réligieux, il passa plusieurs années dans une mortification exemplaire, sans qu’on lui vit jamais faire aucun acte de son premier métier ; vingt ans après il pensa pouvoir faire quelque badinerie, sous prétexte de récréer ses Freres, croyant que ses passions fussent tellement amorties, & qu’elles n’eussent plus le pouvoir de le faire passer au-delà d’une simple récréation ; mas le pauvre homme fut bien trompé, car la passion de la joie se réveilla tellement, que des badineries, il passa aux dissolutions, de sorte qu’on résolut de le chasser ; ce que l’on eût fait, sans un des Réligieux qui demanda grace, & se rendit sa caution, promettant qu’il se corrigeroit, ce qu’il fit, & veçut depuis très-saintement : Naturam expelles furcâ tamen usque recurret. […] Des nouveautés si contraires aux mœurs antiques, & à l’acienne Réligion, ont rémué les esprits, & fait dans la Ville une espece de schisme, le cri de la foi s’est fait entendre, la vertu à pris l’allarme, les vieillards, les gens sages, les gens de bien ont condamné le théatre ; les jeunes gens, les scenomanes, les merveilleux, les femmes galantes, ceux qui se piquent d’être le monde, ont pris hautement sa défense.
Dans les derniers spectacles de celle dite Saint-Germain, les trois pièces qui figuraient le plus souvent ensemble sur l’affiche (mais beaucoup moins souvent que la Petite Sœur, le Mariage Enfantin, le Comédien d’Étampes, sur celle du Gymnase), étaient d’abord : ce bon Roi, dont le règne exemplaire lui valut le surnom de père du peuple32, qui faisait applaudir à ses vertus, précédé ou suivi de Cartouche 33, et des Amours de Montmartre 34. […] Je m’éloignai en déplorant les suites d’une manie qui ne peut que devenir funeste aux familles, aux manufactures, en fortifiant dans la classe ouvrière un goût innocent dans son principe, instructif même pour ceux qui savent en mettre à profit la morale, mais qui finira par élever dans chaque faubourg des temples à la paresse et à la dépravation, si l’autorité ne se hâte d’arrêter ce torrent destructeur, qui menace d’entraîner dans son cours l’espérance de l’industrie nationale, le palladium, des saines doctrines, et jusqu’au moindre germe de toutes les vertus sociales. […] Je l’avouerai, j’ai souvent mangé à la table des grands, mais jamais d’aussi bon cœur ; le proverbe qui dit : faites de nécessité vertu, n’est pas exact ; j’aimerais mieux, répugnance et scrupule cèdent à la nécessité. […] Mais aussi quelle gloire pour l’homme passible, dont la justice déjouerait toutes les manœuvres de l’intrigue, veillerait à ce que la classe comédienne, dégradée par des actions viles et méprisables d’une partie de ses membres, tienne enfin dans la société, le rang que ses vertus lui assignent !
Vous ne vous étonnerez pas de cette sévérité, mes Frères, lorsque vous aurez appris ; Premièrement, que les Spectacles sont les pompes mêmes du monde, et les œuvres du Démon, auxquels vous avez solennellement renoncé dans votre Baptême : Secondement, qu’ils sont les plus terribles écueils pour l’innocence, et pour la vertu. […] N’est-ce pas aux Spectacles que toutes les vertus se cachent, que tous les vices se déploient, que la vengeance prend le nom de magnanimité, l’ambition celui d’héroïsme, l’orgueil celui d’élévation, l’impudicité celui de sentiment ? […] Rien n’y sert qu’à la ruine des Chrétiens, et la vertu même n’y est représentée que d’une manière à la rendre ridicule : aussi voyons-nous qu’il n’y a point d’examen de conscience où l’on ne mette au nombre des actions contraires à la pureté, l’assistance aux Spectacles ; aussi voyons-nous que tous les Confesseurs qui remplissent les devoirs de leur ministère, et qui ne délient les pécheurs que lorsqu’il faut les délier, refusent la grâce de l’absolution à tous ceux qui fréquentent les Théâtres. […] ne frissonnez vous pas, mes Frères, à ce terme de damnation, et regarderez-vous encore le Théâtre comme une école de sagesse et de vertu ?
Qu’on nous trace de semblables modèles, pour nous consoler de l’existence des Méchans ; qu’on nous peigne du moins quelquefois la vertu, dans ces états inconnus qu’il est inutile de tourner en ridicule, puisque ceux qu’on pourrait corriger par-la, sont rarement au nombre des Spectateurs. […] Représentez-nous des femmes sans modestie, sans vertu, sans pudeur, dont les regards hardis font baisser la vue aux hommes ; qui ne rougissent de rien, ne voient de mal à rien, méconnaissent ou méprisent tous les devoirs de leur sexe : ces originaux-là sont chez vous, il vous est permis de vous en emparer : mais laissez nos Paysans ; ou du-moins ne prenez que ceux de Passy, de Chaillot, de Versailles & de Nanterre, que vous avez corrompus.
Un frere peut ceder un trône à son frere, c’est un effort de vertu ; mais céder une femme qu’on aime, quel crime ! […] Un grand cœur cede un trône, & le cede avec gloire : Cet effort de vertu couronne sa mémoire. […] Toutes les femmes qui font soupirer pour elles un Heros, méritent leurs vœux par leurs excellentes qualités ; Andromaque, Junie, Iphigénie, Bérénice ; (je renvoye à ce que j’ai observé sur le caractere de Bérénice, Tom. 1. p. 542) Titus lui doit sa gloire dans les armes, & toutes sa vertus ; c’est-elle qui l’a rendu un Prince bienfaisant, elle fait le bonheur de sa vie : mais il ne s’agit plus de vivre, il faut regner : il la quitte, quand il est Empereur.
Les Grecs croyaient fermement qu’elle inspirait toutes les vertus civiles & morales. […] Voici comme il s’èxprime : « L’harmonie n’est pas seulement un simple agrément que la Nature a mis dans la voix de l’homme pour persuader & pour inspirer le plaisir ; mais dans les instrumens, mêmes inanimés, c’est un moyen merveilleux pour inspirer le courage & pour émouvoir les passions. » Polybe35 dit, que les Peuples d’Arcadie n’étaient doux, humains, n’aimaient la Religion & toutes les Vertus, que parce qu’ils aimaient la musique : il soutient encore, que les Peuples de Cynèthe ne se portèrent à toutes sortes de crimes, que parce qu’ils renoncèrent à la musique qu’ils avaient chérie autrefois. […] Ils soutenaient qu’elle amolissait la vertu & énervait le courage des hommes. […] « Avec la douce voix & le venin emmiellé des chants, sons & accords voluptueux de ses instrumens, elle enflamme la luxure & les désirs déréglés, & ôte toute force & vertu à l’esprit, & le corrompt en toute lasciveté & délices ; elle pervertit les bonnes mœurs, incite impétueusement les cupidités & affections dèshonnêtes ». […] Il est vrai qu’on peut avoir une très-belle voix, & aimer la vertu.
Cependant, la vertu qui est la base de l’amitié ne s’acquiert-elle qu’aux dépens de la Religion et de la conscience ? […] la vertu dans la nécessité ? […] après quelque délibération simulée entre la vertu et le crime, se détermine avec beaucoup de franchise pour le dernier : « Le parti que doit prendre une femme qui a de l’honneur, c’est de déshonorer son mari. […] Hercule paraît dans une Machine, et fait connaître sa glorieuse destinée à Philoctète : il lui dit qu’elle est la récompense de la vertu et le prix du mérite ; et lui recommande d’être fidèle à remplir les devoirs de la Religion. […] Tout bien examiné : les Poèmes d’Eschyle et de Sophocle sont formés sur le plan de la vertu ; ces deux Tragiques savent allier l’innocence au plaisir, et tendent par le concert de l’utile et de l’agréable, à la perfection des mœurs.
Augustin, sont mêlés avec les honneurs des Dieux ; Ce sont des artifices que la vertu Romaine a été longtemps sans connaître, lesquels, combien qu’ils fussent recherchés pour le plaisir et délectation des hommes, et soient glissés par la corruption des mœurs, les Dieux ont requis, qu’on les fît en leur honneur ». […] Item « Il faut retirer de telles assemblées du peuple, un esprit jeune et tendre, et qui n’est pas encore bien assuré en la vertu. […] Augustin54, parlant des fausses louanges, qui sont rendues quelquefois au péché, « Donner, dit-il, de son bien aux joueurs de Théâtre, (vitium est immane) c’est un grand péché, non une vertu. […] Et finalement l’expérience a montré, que les peuples où cela a été reçu et commun, ont dégénéré de leur ancienne vertu, dès qu’ils se sont portés à ces spectacles. […] » D’ailleurs, ce n’est pas le fait des ivrognes et gourmands de faire des leçons de la sobriété ; et les hommes infâmes et fripons ne sont pas des précepteurs propres pour enseigner la probité, rappeler les hommes du vice à la vertu ; de la fureur à la raison ; de la cruauté à l’humanité.
Nos Spectacles , dit ce savant Magistrat, dans sa lettre à Louis Racine, dans leur état actuel, ne sont pas, à beaucoup près, des lieux surs pour la vertu ; & les Acteurs publics étant dans les liens de l’excommunication &c. […] Paul, que ces infamies ne doivent pas être nommées parmi les fidéles… Songez, si vous oserez soutenir à la face du Ciel, des piéces où la vertu & la piété sont toujours en crainte d’être violées… par les expressions les plus impudentes, à qui l’on ne donne que les enveloppes les plus minces. […] Où sous prétexte de représentations innocentes par elles-mêmes, on excite les passions les plus dangéreuses : on offense la vertu des uns, & l’on corrompt celle des autres. » Dans son Mandement cité pag. 15. […] « Le mal qu’on reproche au Théatre, dit-il, n’est pas seulement d’inspirer des passions criminelles ; mais de disposer l’ame à des sentimens trop tendres, qu’on satisfait ensuite aux dépens de la vertu ; je serois envieux de trouver quelqu’un, qui osât se vanter d’être sorti d’une représentation de Zaïre, bien prémuni contre l’amour. […] « Mes très chers freres , dit ce Cardinal, ne vous laissez pas séduire par ceux, qui, étant ignorans dans la science des vertus Chrétiennes, osent vous permettre la fréquentation des Théatres, & avancer que les écrits de Sts.
La plus jolie femme ferait peu d’impression sur les cœurs, si quelques vertus & de l’esprit n’achevaient d’embellir ses attraits.