Il semble qu’un tel renversement, loin de plaire, ne devrait jamais manquer de choquer la raison, et d’exciter l’indignation de ceux qui en sont les spectateurs. […] Car si le plaisir doit faire le fondement de la Comédie, il faudra bien à quelque prix que ce soit obtenir cette fin : dès là qu’un expédient, quelque illicite qu’il soit d’ailleurs y pourra contribuer, on ne le rejettera jamais : on étalera les plus scandaleuses expressions : on profanera les choses les plus saintes, on convertira en amusements dramatiques le plus graves objets de la Religion : comme si le mauvais penchant des Spectateurs devait être flatté par-dessus tout, leur folie entretenue, et leur Athéisme favorisé.
Un orchestre caché derriere le théatre joue tous les airs militaires propres aux évolutions & aux manœuvres de deux armées ; on bat la générale, la marche, le bouteselle, la charge ; on entend les tambours, les trompettes, le canon, la mousquéterie ; on croit entendre les cris des combattans, les gémissemens des blessés, la joie des vainqueurs, comme si on écoutoit à quelque distance du champ de bataille ; le bruit tantôt s’approche, tantôt s’éloigne, se renforce, se ralentit, se distingue, se confond ; &, quoique la scène soit vuide, jamais par l’adresse du musicien elle n’a été mieux remplie, jamais le spectateur n’a été plus occupé, plus agité, plus attendri, plus effrayé ; on fait parler le silence même & la solitude. […] Mais comment faire passer à des spectateurs qui ont les moindres notions, soit des usages, soit des opérations de la guerre, soit des convenances historiques, & de tout qu’on comprend en fait de comédie sous le nom de mœurs, soit de la bouillante vivacité de Henri IV, 1°. tout le temps qu’il perd dans le château de Lenoncourt, qu’il ne vouloit que reconnoître ; 2°. les amours romanesques dont on le rend témoin, & dont on veut qu’il s’occupe ; 3°. l’espece de conseil de guerre, qu’il tient d’abord tout seul, & ensuite avec Biron & d’Aumont ; 4°. le long dîné qu’il fait avec eux & le bon Roger ; 5°. les folies de ce dîné de guinguette, où on chante & fait chanter à Henri des chansons de cabaret ; 6°. l’incognito qu’on lui fait garder, tandis qu’on le décele deux ou trois fois en sa présence, dans un château ennemi ; 7°. le secret de Roger, qui l’a reconnu, dont on fait une finesse sans objet ; 8°. la conversion subite du Chevalier de Lenoncourt que rien ne prépare ; 9°. ce mêlange d’histoires & de traits particuliers de Henri, rassemblés comme dans un Ana ; 10°. la célébrité du combat & de la victoire, par le trop long intervalle entre le départ de Henri pour une bataille rangée, & son retour au château : on a eu la maladresse de parler de trois heures, tout cela est impossible ; 11°. […] Nous terminerons ces réflexions sur Henri IV. par deux portraits qui ne sont pas suspects, l’un de l’histoire du Cardinal de Bentivoglio, rapporté dans la vie de Madame de Longueville ; l’autre du Spectateur Anglois, tom.
C’est dommage pour les spectateurs : mais c’est l’avantage des acteurs, & si la distribution se fait autrement, le plaisir du spectateur peut faire à un jeune acteur un tort irréparable . […] Ainsi si les spectateurs doivent entrer dans les mêmes sentimens, pour bien goûter les plaisirs du spectacle, & se rendre mauvais pendant tout le temps qu’il dure, le même danger doit les faire trembler.
Tout ce que l’amour lui représente, elle croit le voir ; & tout ce qu’elle voit, elle le rend visible au Spectateur. […] Elles jettent l’effroi dans l’ame des Spectateurs, bien loin de l’amollir & de le corrompre, quand elles sont accompagnées d’ailleurs de ces grandes leçons qui annoncent au crime & aux foiblesses la punition qui les suit. […] Le mot sortez prononcé pour dernière réponse, par la Sultane à Bajazet, qu’attendent les muets armés du fatal cordon, sans que ce Prince en soit averti ; ce seul mot, dis-je, fait frissonner les spectateurs, instruits déjà que c’est un signal de mort.
Comment approuve-t-il contre l'intérêt de Dieu tant de superstitions, qu'il aime sans doute, puis qu'il s'en rende Spectateur ?
Car s'il n'y avait point de spectateurs, il n'y aurait point de Comédiens ni de Spectacles, et ainsi ceux qui les représentent et ceux qui les voient, s'exposent au feu éternel.
Autrefois les Comédiens n’étant pas si parfaits et excellents dans leur art, ils ne tenaient pas les yeux et les oreilles des spectateurs attachés, ce qui était cause qu’on se divertissait quelquefois à autre chose, mais la modestie est si grande à présent, et on est tellement ravi des bonnes pensées et de belles conceptions de la poésie que chacun se tient dans sa loge, comme des statues dans leur niches, et les Dames y sont si retenues, que c’est tout ce que peut faire le Gros-Guillaume que leur apprêter à rire.
Une Actrice est une poupée qui de la tête aux pieds, dans toutes les pièces de rapport de sa parure, son jargon, ses minauderies, etc. ne présente qu'un amas de colifichets, tout aussi frivoles qu'elle qui s'en applaudit, et le spectateur qui l'en admire : la futilité seule peut y attacher du mérite.
Je veux qu’en lui montrant des peintures on lui dise les raisons pour lesquelles un trait de plus ou de moins, telle ou telle attitude change si notablement les idées des spectateurs.
La scéne est plus mesurée aujourd’hui, les acteurs mieux élevés, le langage plus décent, les piéces plus régulieres ; mais le vice n’y perd rien, les mœurs des acteurs & des spectateurs ne sont pas moins corrompues. […] Ils mettent tout en œuvre pour y attirer des spectateurs ; on y tire des feux d’artifices, & des lotteries ; on y donne des bals & des concerts ; on y trouve de pantomimes, des marionettes, des sauteurs, des joueurs de gobelets, des danseurs de cordes, on sert à tout prix, des rafraîchissemens chauds, froids, secs & liquides ; les soires de Saint Germain & de Saint Laurent n’en approchent pas.
Le Mercure au même endroit fait l’extrait d’un nouveau livre, le Spectateur François. […] Les spectateurs ne sont pas moins aveuglés sur leur salut que les Troyens, qui donnent dans un piege si grossier, & reçoivent dans leur ville ce présent comique & funeste.
Ils mettent, pour ainsi dire, nuit & jour leur esprit dans le pressoir pour en exprimer, l’un en pensées, en sentimens, en rimes, en scènes, en actes, l’autre en habits, en coiffures, en couleur, en attitudes, tout ce qui peut réjouir le spectateur. […] Sur les pieces même qui sont restées au théatre, & qui reparoissent quelquefois quinze ou vingt ans après, l’Auteur a la glorieuse & consolante satisfaction de se dire : J’ai travaillé toute ma vie pour faire gagner de l’argent à une troupe de misérables corrupteurs du public, & à faire commettre bien des péchés à une troupe de spectateurs ; étoit-ce la peine de prendre la plume ?
Il sait que l’esprit va naturellement d’une idée qu’on lui présente à une autre qui a quelque ressemblance avec elle ; qu’il est aisé de faire l’application d’une Religion à l’autre, et que les spectateurs ne sont que trop disposés à la faire. […] Mais il prévient sur cela les Spectateurs et leur demande grâce ; parce que ce ne sont que des personnages comme détachés du corps de la pièce.
Quelle kirielle de couples amoureux on feroit, si on suivoit ainsi les Actrices & les spectatrices ! […] Tout l’or que le théâtre fait couler en France, en roulant des spectateurs aux Acteurs & Actrices, & de ceux-ci à l’Artisan & au Marchand, étoit dans le royaume.
Cet usage étoit établi à l’Opéra, mais à la Comédie on laissoit l’Acteur & le spectateur se reposer dans l’intervalle des actes. L’Acteur ne faisoit que distraire le Spectateur ; il falloit à l’acte suivant renouveller son attention.
La Doctrine de laquelle nous parlons, est inseparablement vnie à la Fable ; ne passe point du particulier au general ; entre dans l’esprit, sans dire son nom, & sans frapper à la porte : La leur au contraire se destache du corps de la Fable ; nâge au dessus du sujet, & ne se mesle point auec luy ; s’adresse au Peuple & aux Spectateurs ; & seroit bien faschée de n’estre pas reconnuë à l’instant mesme qu’elle se presente.
La plus dangereuse est la peinture à faux, dramatique, de l’homme et de la société, ou cette infidélité des tableaux vivants qui sont censés être ceux des mœurs ou de la vie commune de tel rang, de telle corporation, ou de tel âge ou bien de telles personnes que la malignité désigne, et qui vont être décriées, flétries, peut-être mises au désespoir ; il consiste aussi dans la solennité et l’éclat des représentations, avec tous les prestiges du théâtre ; c’est encore en réunissant la fiction à la vérité, en accumulant à plaisir les vices, en les combinant et faisant supposer une liaison naturelle entre eux ; c’est l’éternelle image des passions humaines les plus honteuses sous les traits sacrés de la vertu qu’enfin on ne croit plus voir nulle part qu’en apparence, que l’on méconnaît et décourage par trop de défiance, ou qu’on insulte par malignité ; enfin, c’est en créant ainsi et faisant agir avec toute l’énergie possible, sous les yeux de la multitude des personnages monstrueux qui servent d’excuse et d’encouragement aux méchants, qui font horreur aux bons et, comme je l’ai déjà dit, portent l’agitation dans les esprits faibles, l’inquiétude ou l’animosité dans les cœurs, exaltent la tête de tous, et vont de la scène publique provoquer la persécution, porter les désordres dans les scènes privées de la vie, où toutes les passions excitées imitent la hardiesse des auteurs, cherchent à réaliser leurs chimères jusques sur la vertu la plus pure : « Là de nos voluptés l’image la plus vive ; Frappe, enlève les sens, tient une âme captive ; Le jeu des passions saisit le spectateur ; Il aime, il hait, il pleure, et lui-même est acteur. » Voilà plus clairement comme il arrive que ces critiques vantées manquent leur but, sont de nul effet contre le vice audacieux, sur l’hypocrite impudent qui atteste Dieu et la religion en faisant bonne contenance au rang des victimes nombreuses des aggressions aveugles et des calomnies effrontées.
Le citoyen de Genève appelle de ces principes au témoignage des spectateurs.
de vrais contes de vieille, dont on amuse de vieux enfants, & la plupart des spectateurs, des vieux enfants, qui rient d’un conte de vieille ; pour peu qu’on ait l’usage du monde, la conversation aisée, le tâlent plus mince, ou plutôt l’instinct des singes, de contrefaire les gens, l’art de coudre des conversations qu’on fait venir, comme on veut, les comédies naissent sous la plume & sous les levres. […] Ils différent en bien de choses, la musique, les machines, les avantures, le stile se ressentent, comme dans tout le reste, des caractères des peuples ; mais ils sont très-semblables pour les mœurs des acteurs & des actrices ; pour le danger évident de la corruption des spectateurs, & la fureur de s’y aller plonger, dans l’ivresse de la volupté ; en quoi l’Italie & la France n’ont rien à se réprocher l’une & l’autre.