Le théatre est son palais ; les acteurs, les spectateurs forment sa cour. […] Mais, dit-on, un melange de décorations dévotes & de pieces galantes, des mysteres de l’Evangile & des Orgies de Paphos, des tourmens des Martyrs & des graces des Actrices, de Saints & de Déesses, feroit un spectacle monstrueux, aussi revoltant que ridicule ; il ne feroit dû goût ni des acteurs ni des spectateurs.
Il convient mieux à des Chrétiens, dit un Concile1 de Paris, en 829, de gémir sur leurs égaremens passés, que de courir après les bouffonneries, les discours insensés, les plaisanteries obscènes des Histrions ; le moindre effet que leur représentation produise, est d’amolir le courage pour la vertu, & d’écarter les Spectateurs de l’exactitude qu’ils devroient avoir, de remplir leur esprit de vanités frivoles, & de les livrer à des ris immoderés, si contraires aux loix de la modestie ; il n’est pas permis de se souiller par des Spectacles de cette nature, neque enim fas est hujusmodi Spectaculis fœdari.
Page 105 Le clergé, à des époques plus ou moins reculées, employait la religion, à l’exemple des païens, pour émouvoir puissamment leurs spectateurs.
A La Rochelle pendant la Mairie du Sieur des Herbiers, se représenta une Tragi-comédie tirée de l’histoire Romaine, dans le Collège où avaient été autrefois les Prêtres de Sainte Marguerite, où il y avait grand nombre de Spectateurs, et plusieurs Ministres, entre lesquels je reconnus le Sieur Salbert, La Chapelière, le Blanc, et Bonis.
Pour les pièces de Communauté ou de Collège, ce sont les spectateurs les plus bénévoles et les meilleurs acteurs.
Oreste n’a jamais joué ni chanté de pareil drame : « Troica non scripsit Orestes. » Néron porta la prodigalité jusqu’à faire couvrir de feuilles d’or tout le vaste théâtre de Pompée, édifice immense, qui contenait plus de quarante mille spectateurs, et à faire tendre sur tout cet espace des voiles teintes en pourpre, parsemées d’étoiles d’or, comme une espèce de ciel.
Là de nos voluptés, l’image la plus vive, Frappe, enlève les sens, tient une âme captive, Le jeu des passions saisit le spectateur, Il aime ce qu’il hait, et lui-même est Acteur ; D’un Héros soupirant là chacun prend la place, Et c’est dans tous les cœurs que la Scène se passe.
Il est certain que le Spectateur est plus-en état de faire attention à la beauté des Vers, dans la chaleur d’une prémière représentation, qu’à la marche & qu’aux règles générales du Drame entier.
Si nos premiers Poëtes eussent connu leur Art, ils eussent pensé tous, qu’un Poëme dont l’objet est d’exciter la plus grande émotion, ne devoit point prendre pour Passion ordinaire, celle qui ne cause ordinairement qu’une foible émotion : mais aucun de nos premiers Poëtes Tragiques n’avoit, comme je l’ai dit plus haut, étudié son Art : ils ne songeoient qu’à satisfaire le goût de leurs Spectateurs.
Si son jeu laisse le spectateur tranquille, on l’abandonne, on le méprise.
Tout concourt à fournir un fond inépuisable des reflexions toutes également criminelles, objéts corrupteurs ; recits pleins de tendresse, Poësies lascives, maximes d’amours ingenieusement exprimées, airs languissans, spectateurs repetant les plus malignes paroles, les appliquants ; Concerts harmonieux, voix penetrantes, danses passionées, actions animées, diaboliques enchantemens, & le Chef d’œuvre de l’enfer.
De braves militaires doivent-ils être spectateurs immobiles, d’horribles massacres dirigés par des moines et des jésuites, sans daigner s’interposer entre les assassins et les victimes ?
un spectateur y va-t-il par piété ?
et quelle troupe y viendrait, si ce goût et ces connaissances ne lui avaient préparé des spectateurs ?
Dans la lecture, l’impudicité, & l’impieté ne nous sollicitent qu’avec des forces languissantes, & sans action ; sur les theatres elles se servent de tous leurs artifices, de toute leur action, de toutes les machines qu’elles peuvent inventer pour nous attaquer ; les yeux, les démarches, les habits, les paroles, les gestes des Acteurs, leur silence mesme, aident ces ennemies à vaincre la vertu, elles en triomphent dans le moment mesme qu’elles les attaquent : les illuminations, la pompe, la joye, & les acclamations des spectateurs ne sont-elles pas en effet des especes de triomphes ? […] Ils ne manquent pas d’aposter des domestiques, des confidens, des Conseillers, qui semblent détourner les principaux personnages des crimes qu’ils sont disposez de commettre ; la passion est si forte qu’elle surmonte tous les obstacles, elle trouve des conseils & des secours pour se satisfaire, ou par adresse, ou par force ; ces passions violentes font sans doute quelque impression dans l’esprit des spectateurs ; elles leur apprennent à refuter les remontrances des amis & des parens, à s’opiniâtrer dans de méchans desseins, à trouver les moyens de les accomplir, & de se contenter.
La Comédie avoit été longue, les Acteurs étoient fatigués, les Spectateurs ennuyés, il falloit laisser tomber la toile. […] Il nous suffit d’avoir mis sous les yeux le ridicule de cette comédie, & de l’Actrice qui la jouoit, & la foiblesse des Spectateurs applaudissoient au risque de leur salut ; ils le sentoient bien, puisque les Évêques & le Parlement disoient publiquement quand la Reine enfanta cette doctrine risible : Voilà la première scène de la comédie, la Reine fait une Religion de femme, aussi riche en vanité que vide de modestie ; c’est une Actrice qui fait de l’Église un théatre.
Il a mieux réussi dans l’Amphitrion, qui est en vers irréguliers ; mais en général, jusques dans sa prose, il ne parle pas assez simplement ; d’ailleurs il outre les caracteres ; il a voulu par cette liberté plaire au Parterre, frapper les spectateurs les moins délicats, & rendre le ridicule plus sensible. […] Vainement en feroit-on la tantative ; la vanité des Auteurs, le libertinage & la frivolité des acteurs & des spectateurs auroit bien-tôt détruit cette innocence rustique, & fait rentrer le vice dans son empire.
κῶμος, c’est à dire en François, village, ou pour autant qu’elle ne fut pas si tôt reçue dedans la ville, ou pour autant que c’est plutôt aux villageois et rustiques d’être spectateurs de la Comédie, qu’aux gens de ville.