2. « De s'exposer sans raison, et pour son seul plaisir au péril de perdre la grace. […] Vouloir aller aux spectacles sans offenser Dieu, c'est vouloir se jeter dans le feu sans se brûler, ou se précipiter dans un abîme sans se perdre.
Expérience, confession même de ceux qui en ont fait les tristes épreuves, raison, tout concourt à établir cette vérité : et je vous demande en effet, mon cher Auditeur, vous à qui je parle, et qui avez dans vous-même votre conscience pour témoin de ce que je dis, n’est-il pas vrai qu’autant que vous vous êtes adonné à ces lectures, et qu’elles vous ont plu, vous avez insensiblement perdu le goût de la piété ; que votre cœur s’est refroidi pour Dieu, et que toute l’ardeur de votre dévotion s’est ralentie ? […] N’étoit-ce pas vouloir les perdre et vous perdre vous-mêmes avec le monde ? […] Cependant d’un excès on tombe dans un autre ; excès dans le temps que l’on perd au jeu, et excès dans la dépense qu’on y fait. […] Parce qu’il faudroit diminuer de son jeu, si l’on vouloit compter exactement avec des domestiques et les satisfaire, on reçoit leurs services, on les exige à la rigueur, et du reste on ne veut point entendre parler de récompenses ; c’est une matiere sur laquelle il ne leur est pas permis de s’expliquer, et un discours dont on se tient offensé ; des paroles, on leur en donnera libéralement ; des promesses, on leur en fera tant qu’ils en demanderont ; ils ne perdront rien dans l’avenir, mais à condition qu’ils perdront tout dans le présent, et que cet avenir à force de le prolonger ne viendra jamais : les affaires ne permettent pas encore de penser à eux, et cependant elles permettent de jouer. […] Or si c’est enfin votre pied, ne l’épargnez pas, parce qu’il vaut bien mieux perdre votre pied, votre main, votre œil, tout votre corps, que de vous mettre en danger de perdre votre ame ; Bonum tibi est.
La volupté perd tout, dit-il (C. 1.), elle a perdu le premier homme, et l’a fait chasser du Paradis terrestre ; elle a perdu la plupart des grands hommes, David en a éprouvé le fatal poison, ainsi que les vieillards qui attaquèrent Suzanne ; un regard le fit entrer dans leur cœur par les yeux, ils en devinrent adultères, calomniateurs, meurtriers. […] Non, les sacrilèges et la fureur d’Hérode ne furent pas si funestes à Jean que le poison de la danse : « Plus nocuisse saltationis illecebram, quam sacrilegi furoris amentiam. » Fuyez donc la danse, si vous voulez être chaste, au jugement même des sages païens ; elle ne peut être que le fruit de l’ivresse ou de la folie : « Juxta sapientiam sæcularem, saltationis temulentia auctor est aut dementia. » Voilà, mères Chrétiennes, de quoi vous devez garantir vos filles ; apprenez-leur la religion, et non la danse ; il n’appartient qu’à la fille d’une adultère d’être une danseuse : « Videtis quid docere, quid dedocere filias debeatis ; saltet sed adultera filia, quæ vero casta est, filias suas doceat castitatem, non saltationem. » Il cite une foule d’exemples de saintes Vierges qui ont mieux aimé souffrir la mort, et même se la donner, que de perdre la virginité.
Vous avez abandonné l’Eglise votre mère, méprisé les Prophètes, outragé votre Dieu, assisté aux danses du démon, écouté les plus mauvaises paroles, perdu un temps précieux, sans en rapporter aucun fruit spirituel ni temporel ; vous êtes déchiré de remords, couvert de honte, abattu de tristesse. […] Ces paroles dissolues, ces chants lascifs, ce son de voix séduisant, ce visage fardé, ces attitudes voluptueuses, ces instrumens de musique, cette harmonie, cette mélodie qui énerve l’ame, & par un goût de volupté prépare & livre les spectateurs aux pièges des Actrices, ne les perd-il pas tous (on diroit qu’il y avoit opéra à Constantinople) ? […] Autre préjudice à nos ames : l’inutilité de ces divertissemens, le temps qu’on y perd, les discours frivoles qui s’y tiennent. […] Vous ne sauriez trop gémir de tous ces désordres ; je vous en parle vivement, afin qu’enfonçant le fer plus profondément, je puisse plus parfaitement arracher de votre amé la pourriture qui la perd, & lui rendre la santé. […] Mais en fût-il, n’est-ce rien que le temps qu’on y perd, & le scandale qu’on y donne ?
Tout étoit tranquille, on n’y pensoit plus, lorsqu’en 1694, il parut une brochure anonyme, jettée comme un enfant perdu dans le public, où l’on faisoit l’appologie du théatre. […] Boursaut, qui, pour quelque gazette satyrique contre les Moines, avoit perdu une pension de la Cour, & s’étoit vu au moment d’être renfermé à la Bastille, craignit quelque disgrace, & pour lui même, & pour son fils. […] On parloit, on prêchoit en général sur les jeux & les divertissemens ; on recommandoit la modération, on faisoit craindre les excès & l’occasion du vice, on défendoit aux enfans, aux domestiques d’y aller perdre leur tems ; mais on se contentoit de les mépriser, sans daigner établir ou combattre leur légitimité. […] Qu’elle est injuste & de mauvaise humeur, l’expérience journaliere & constante, qui fait voir qu’on perd au théatre le peu de vertu qu’on y apporte, & qu’on tombe bientôt dans les plus grands désordres ? […] Que sert à l’homme de gagner tout un monde, s’il perd son ame ?
Evremond qui le perdit. […] Bouhours, Maniere de bien penser, qui d’ailleurs louoir le talent de Moliere, blâmoit avec raison les exagérations grossieres & gigantesques, communes dans ses pieces, par exemple, dans l’Avare qui a perdu sa cassette : Je n’en puis plus, je me meurs, je suis mort, le suis enterré, n’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter ; je veux faire pendre tout le monde, & me pendre moi-même après ; montre-moi ta troisieme main , &c. […] Elles se dissipent, perdent la pudeur, flattent leur vanité, & prennent les miseres de la passion pour la mesure de leurs grâces, s’aguerrissent avec le vice, se perdent en perdant les autres. […] Balaam les élut pour perdre les enfans d’Israël. […] Quelquefois plusieurs font une bande uniformement déguisés ; on y entre, on y court, on s’y parle, on s’y mêle, on y danse, on y saute sans ordre & sans suite ; on se trouve, on se perd, on s’égare, on se livre au premier venu, & on le quitte au hasard.
Quelques-uns même des plus célèbres, ont rompu les nœuds qui unissent cette action aux caractères, & leur Poëme n’y a rien perdu, comme nous l’avons remarqué à l’égard de Rodogune. […] Il est à la vérité une espéce de beau, au-de-là de laquelle l’esprit humain s’égare & se perd. […] Ici l’œil se perd dans la multitude des nuances.
Certes une fois, lorsque nous étions encore jeunes, et dans les études, nous contraignîmes un Philosophe fort modeste, et d’un jugement fort solide, d’aller au bal avec nous, lequel après avoir bien remarqué toutes les circonstances de cette assemblée, et des actions qui s’y faisaient, fut saisi d’étonnement, et nous dit sur le champ que c’était une invention du diable pour perdre les âmes, et pour corrompre les mœurs des fidèles. […] Ne jetez point vos yeux sur une femme parée, et ajustée, et ne les arrêtez point sur sa beauté ; parce que les attraits des femmes en ont perdu plusieurs, et la concupiscence s’allume comme un feu par les regards qu’on jette sur elles. » Ecclesiast. 9 . […] Il n’est pas à propos de nous en expliquer davantage, ni encore de nous étendre sur cet abus déplorable, qui n’est que trop connu, et qui fait gémir toutes les bonnes âmes ; je veux dire sur cette coutume malheureuse de perdre le temps le plus saint, et les jours qui sont consacrés à la piété dans les divertissements mondains, et profanes.
Le sexe même y perd sa douceur, sa pitié naturelle. […] Si Caton m’avait cru, plus juste en sa furie, Sur César expirant il eût perdu la vie. […] Dont le bras à toute heure armé pour me punir, Si je ne le perdais pourrait me prévenir. […] Je n’exagère pas en disant que dans les quatre pièces de Mademoiselle Barbier ces tristes mots, perdre le jour, répandre le sang, mort, mourir, tuer, expirer, etc. […] Et pour perdre un Tyran, c’est vertu que de feindre.
On perd de vûe cette régle dictée par la Nature, ne dire que ce qu’il faut, & de la manière qu’il le faut. […] Ce qu’on dit de trop sur l’un est perdu pour un autre.
.… Du Théâtre, elle s’est fait un Temple, que chaque Spectateur craint de profaner ; on n’entend plus l’aigre sifflement de l’envie, & l’incommode trépignement de la cabale : le Public, sur son compte, pense comme moi, & craint de rien perdre de ce qu’elle dit. […] C’est à vous, Madame, que je m’adresse, pour instruire madame D’Alzan de mes dispositions, & pour être dédommagée du cœur que je perds, & dont, autant que personne, j’ai connu le prix : daignez quelquefois permettre que je vous voye en secret ; j’ai besoin de l’exemple d’une vertu telle que la vôtre pour me soutenir dans la route où je veux marcher le reste de ma vie ; d’un œil sévère, toujours ouvert sur moi, qui me fasse trembler à la seule pensée de m’égarer.
Mais croyez-moi, ceux qui ont assez peu de conduite pour venir perdre au spectacle le temps qu’ils devraient donner à leurs affaires seraient gens à le perdre partout ailleurs d’une façon plus criminelle, si le spectacle leur était interdit. […] Il faudrait donc qu’un Entrepreneur de spectacle eût perdu le sens s’il ne s’assujettissait pas à l’heure où les occupations des principaux citoyens sont terminées. […] Maintenir et perfectionner le goût quand l’honnêteté est perdue, c’est rendre encore un service. Le goût peut subsister très bien avec l’honnêteté, et ne remplirait pas sa place ; mais, en supposant l’honnêteté perdue, c’est faire encore un très grand bien, que de nous conserver le goût. […] MM. de Voltaire et de Crébillon perdront-ils rien de leur réputation par les absurdes critiques que vous venez de faire de leurs ouvrages ?
Tout espérance paroît perdue, le Grand-Prêtre qui ne la perd jamais, se prépare à soutenir l’assaut, & lorsqu’il va partir avec le jeune Roi pour aller combattre, Abner envoyé par Athalie, vient lui offrir la paix à condition qu’on lui livrera l’Enfant & un Trésor dont on lui a donné connoissance. […] Est-il vrai-semblable que deux Princes se croyant toujours tous deux ce qu’ils ne sont pas, parce qu’ils ont été changés en Nourrice, s’aiment tendrement, lorsque leur naissance les oblige à se détester, & même à se perdre ? […] On prévoit, en voyant Britannicus imprudent, & toujours prêt à donner dans les piéges qu’on lui tend, qu’il sera la victime d’un Frere dissimulé : on prévoit qu’Agrippine par ses plaintes continuelles va perdre le peu de crédit qui lui reste. […] parce qu’il espere, A force d’attentats perdre tous ses remords. […] C’est le son de la voix que nous entendons qui nous fait impression, & non les paroles chantées dont nous perdons souvent une partie.
Benoit a donné une piece, où pour le triomphe de la probité, elle introduit un Avocat qui plaide contre sa maîtresse, & lui fait perdre un grand procès, qui l’a ruinée, & ensuite l’épouse pour la dédomager ; cet héroïsme romanesque est sans vraissemblance, il est impossible que dans le cours d’un procès un Avocat ne connoisse le nom & les qualités des parties, & ne s’apperçoive qu’il plaide contre sa maîtresse. […] Selon Plutarque, Apophtey, les Lacédémoniens avoient d’abord proscrit le théatre, & défendu les ouvrages d’Eschile, comme pernicieux ; quand ils les laisserent introduire, ils ne permirent pas aux femmes de s’y trouver ; ils perdirent bien-tôt la vertu, & leur en accorderent l’entrée. […] Cette passion passe de la capitale dans les provinces, le mal se glisse par-tout ; les gens dont l’état demande plus de gravité, ne sont pas plus sages que les autres : le Magistrat, l’Ecclésiastique, l’homme de guerre se disputent la gloire d’épuiser leur bourse, de perdre leur honneur, & d’altérer leur santé. […] Pierre pria Dieu de le faire abandonner du Demon, non pour le perdre ; mais pour le faire rentrer en lui-même, & désabuser le péuple, que ce nouveau spectacle étonnoit. […] Ne peut-on pas dire aussi, il faudroit fermer les yeux, & n’ouvrir que les oreilles ; l’un & l’autre est vrai, & faux à divers égards : le pas pantomime ne rend que la moitié de l’action ; on sent bien mieux quand on entend les paroles, si les gestes, les mouvements, l’attitude, les yeux, la phisionomie rendent la pensée & les sentiments ; combien de tableaux de nuance perdus ou incertains, si la parole ne donnne le mot de l’énigme, aussi le ton, l’inflexion de la voix, la lenteur & la rapidité de la diction ajoutent les traits les plus vifs, ce sont les couleurs de l’oreille, pour ainsi dire.
En vain parlera-t-on contre un goût dominant, la raison qui devroit en éloigner est celle qui y attire ; la femme a commencé à perdre l’homme, elle continue à perdre sa postérité. […] Il ne faut rien perdre de leurs graces. […] En est-il de plus dangereuse que de perdre quatre à cinq heures par jour, & presque la moitié de la vie, tout occupé de bagatelles & de galanteries ? […] vous verrez ces femmes, & votre cœur sera corrompu, vous serez comme un Pilote endormi qui en pleine mer a perdu le gouvernail : Amisso clavo in medio mari. […] Schajahan son successeur, aussi débauché que son pere, perdit son humeur guerriere, qui lui avoit acquis beaucoup de gloire, dans la musique, la danse, la comédie.
Voici une troisième sorte de violateurs et de pécheurs publics auxquels Messieurs les Juges devraient s’opposer, parce qu’il y va de la gloire de Dieu, de l’honneur de l’Eglise, et du bien des fidèles ; et ne le faisant pas, ils participent à tous les crimes qu’ils commettent et font commettre ; ce sont les Comédiens, Tabarins, Bateleurs et Vagabonds, lesquels autorisés par Messieurs les Magistrats, perdent une infinité d’âmes par leurs sales représentations et discours impudiques. […] Si je ne craignais point de faire trop de confusion à ces Bourgeoises, à ces Demoiselles et Dames qui ont tant d’inclination pour les spectacles, lesquelles plaignent bien moins vingt ou trente sols pour les Farceurs, qu’elles ne font un double qu’elles donnent assez rarement à un pauvre ; je leur ferais encore entendre saint Cyprien, lequel parlant des exercices des bateleurs, les nomme « un lieu infâme, publici pudoris lupanarium », où l’on perd la pudeur et la pudicité, « l’école et la maîtresse de toute impudicité » : Saint Augustin sur les Psaumes, parlant des spectacles, les appelle « les greniers de l’impudicité ». Après tous les sentiments de ces grands et saints personnages, dites-moi, je vous prie, Messieurs les Gentilshommes, dites-moi, je vous prie, Mesdames, Bourgeois, Bourgeoises, qui que vous soyez, n’aurez-vous point d’horreur désormais de passer les après-dînées entières dans ces assemblées si pernicieuses, pour y perdre votre argent, votre temps, la pureté de votre corps, et l’intégrité de vos mœurs ?
Nous avions espéré que ces plaisirs ayant perdu pour vous la grâce de la nouveauté ; et vous, ayant perdu le goût de ces plaisirs, vous n’abuseriez plus de notre silence.
La scéne est plus mesurée aujourd’hui, les acteurs mieux élevés, le langage plus décent, les piéces plus régulieres ; mais le vice n’y perd rien, les mœurs des acteurs & des spectateurs ne sont pas moins corrompues. […] Voici le témoignage de Voltaire, aussi grand amateur de la scéne dont il fait l’ornement, & panégyriste de ce luxe & de cette licence, qui a tout perdu, & perdu les Médicis même, dont la famille est éteinte, & les Etats ont passé à une famille étrangere, ce témoignage n’est pas suspect, le voici. […] Le théatre avoit déjà perdu Jean de Medicis, avant que ses intrigues l’eussent élevé au Pontificat. […] Autre portrait des Medicis, maison trop fameuse, qui dans le peu de tems qu’elle a regné a perdu par son luxe, son ambition, la politique, la réligion & les mœurs dans une grande partie de l’Europe Ch. […] Ce soupçon n’entra point dans les accusations sans nombre, qu’on lui fit pour le perdre.