Son principe, sa loi primitive, est de s’attâcher à faire passer devant nos yeux les Villageois & les mœurs des Artisans, dont nous n’avions qu’une faible idée. […] Les Anglais se contentent avec la lecture de leurs Romans, qui retracent d’après nature ce qui se passe chaque jour sous leurs yeux parmi le menu peuple, dans les Cabarets, dans les rues, &c. […] « L’Opéra, dit-il, est un assemblage bisare de Musique, où le Poète & le Musicien se gênent l’un & l’autre… L’Opéra occupe plus les yeux que l’esprit… les Opéras sont des sotises magnifiques, chargées de Musique, de machines, de décorations, mais toujours une sotise. » Le Lecteur est maintenant en état d’entendre ce que signifie Opéra-Bouffon.
Qu’on jette les yeux de toutes parts sur le monde dramatique, le même tourbillon l’entraîne dans le crime, comme celui du soleil entraîne les planettes. […] Jetez les yeux sur cette assemblée, où le hasard, l’amusement & le vice réunissent & confondent tous les états, tous les âges, tous les caractères. […] Entendez-vous la scène muette & si énergique des yeux languissamment mourans & noyés dans le plaisir, vivement animés & lançant mille feux ? […] Fermons les yeux aux nudités, aux parures, au fard, à l’affectation, à la mollesse, aux agaceries de toutes ces femmes, aussi Actrices par leur indécence que celles qui sur le théatre leur servent de modèles. […] La présence du Prince en impose, & ce n’est pas sous ses yeux qu’on oseroit s’émanciper.
Que si la Mère des vivants est tombée dans la mort du péché, pour n’avoir pas su garder ses yeux dans le Paradis terrestre, dit un grand Pape,Greg. l. 21. mor. c. 2. […] de détourner nos yeux d’une femme bien parée, et de ne pas regarder une fille en face, de peur que sa beauté ne nous soit un sujet de scandale et de chûte, comme cela est arrivé à plusieurs ;Ibidem. […] Il crie ; Si votre œil vous scandalise, arrachez-le, et jetez-le bien loin de vous. Et néanmoins un Chrétien, soit qu’il n’ajoute point de foi aux paroles de Jésus-Christ même, soit qu’il les méprise, n’apperçoit aucun beau visage, sur lequel il n’arrête ses yeux. […] Mes yeux, dit-il, jettent des torrents de larmes ; parce que, mon Dieu, je n’ai pas observé votre sainte Loi : « Exitus aquarum deduxerunt oculi mei ; quia non custodierunt legem tuam. » Au lieu donc de rire, ou de prendre plaisir à voir rire les autres, un véritable Pénitent n’est continuellement occupé que de la pensée de son malheur, et de la vue des peines qui lui sont préparées.
Le Poête a beau vouloir transporter les Spectateurs dans le lieu de l’action, ce que les yeux voient, devient à chaque instant ce que l’imagination se peint. […] La parole est souvent une expression faible & lente ; mais il faut bien se résoudre à faire passer par les oreilles, ce qu’on ne peut offrir aux yeux.
Ce sont des crimes aux yeux d’un Dieu jaloux, qui veut que son Epouse soit toute à lui ; son cœur en est blessé : Vulner asti cor meum in uno crine. […] Malheur à qui aime le monde, & ce qui est dans le monde : ce qui embellit aux yeux du monde, rend difforme aux yeux de Dieu. […] Qu’on ferme les yeux, si l’on est si foible, dira cette actrice ; faut-il que je ne porte pas des diamans, parce que des yeux malades ne peuvent en soutenir l’éclat ? […] Les gens de bien fermeront les yeux, sans doute, pour ne pas exposer leur innocence à un péril certain. […] Il ne faut qu’ouvrir les yeux, pour en être témoin, elles montent sur le théatre, & en font profession.
Je ne me vanterais point de m’être acquis ces applaudissements si l’exiguïté de ma taille m’eût permis de me consacrer au tragique ; mais comme le Public veut que ses yeux soient contents au spectacle autant que ses oreilles, j’ai cru devoir métamorphoser le Héros en Arlequin et devoir quitter le Diadème pour la calotte de Crispin. […] Ma confusion annonçait mon repentir, je cherchais des excuses que je ne pouvais trouver ; mon embarras et ma douleur se peignirent si bien dans mes yeux, que Madame D. en eut pitié ; elle eut la bonté de demander pardon pour moi et l’obtint : je crus alors que M. de Voltaire ne rejetterait pas le témoignage de mon repentir ; j’eus l’honneur de lui écrire : savez-vous quelle fut sa réponse à ma lettre ? […] Le Cicéron de Rome sauvée, si éloquent, si ferme, si grand dans ses démarches au goût de tout le monde, se serait-il métamorphosé à vos yeux seuls en « vil rhéteur » ? Et parce que Caton semble redouter la hardiesse réfléchie de Cicéron, confiant à César qui lui est suspect le salut de la République, sa prudence en aurait-elle fait à vos yeux un poltron et un « pédant » ? […] J’ai joué, comme je vous l’ai déjà dit, le rôle de Séide dans cette pièce ; M. de Voltaire avait lui-même composé notre Auditoire de gens qu’il avait prié d’apporter un œil connaisseur et critique sur la pièce et sur les Acteurs, plutôt que leurs dispositions à se laisser toucher par les beautés d’un Poème.
Tandis qu’il parlait, ses yeux ne m’abandonnaient plus. […] Nous entendons neuf heures. — Madame D’Alzan ne vient pas, disait à tout moment celui qui l’avait devant les yeux, & qui ne pouvait la connaître. […] Seule avec monsieur D’Alzan, j’ai baissé les yeux, j’ai prodigieusement rougi.
Le Préteur tarde trop à venir… chacun a les yeux continuellement attachés à l’urne : on dirait que les spectateurs s’y remuent avec les sorts…. […] Pourquoi les mêmes choses qui souillent l’homme par la langue, ne le souilleraient-elles point par les yeux, et par les oreilles : les oreilles, et les yeux étant comme les avenues de nôtre âme ? […] N’a-t-il pas reçu des yeux pour se les faire crever à force d’insultes ? […] Est-il facile d’apprendre les règles de la pudeur, pendant qu’on tient les yeux attachés aux infâmes postures d’un comédien ? […] Non, mes Frères, la foi nous les rend déjà présents ; et nous pouvons les imaginer, comme s’ils se passaient actuellement à nos yeux.
Moliere pour pouvoir jouer tout le genre humain, pour trouver le ridicule des choses les plus sérieuses, & pour l’exposer avec finesse & naïveté aux yeux du Public. […] Mille de ces beaux traits, aujourd’hui si vantés, Furent des sots esprits à nos yeux rebutés. […] Le même Auteur voyant Moliere au tombeau, dépouillé de tous les ornemens extérieurs dont l’éclat avoit éblouï les meilleurs yeux, durant qu’il paroissoit lui-même sur son Théâtre, remarqua plus facilement ce qui avoit tant imposé au monde, c’est-à-dire, ce caractére aisé & naturel, mais un peu trop populaire, trop bas, trop plaisant & trop bouffon. […] Rapin nous fait connoître qu’il est aussi dans le même sentiment, & il est allé même encore plus loin que ces deux Critiques, lors qu’il dit, qu’à son sens c’est le plus achevé & le plus singulier de tous les Ouvrages Comiques qui ayent jamais paru sur le Théâtre2 Nous avons vû la plus célébre des Piéces de Moliere ; mais ceux qui souhaiteront voir la plus scandaleuse, ou du moins la plus hardie, pourront jetter les yeux sur le Tartuffe, où il a prétendu comprendre dans la juridiction de son Théâtre le droit qu’on les Ministres de l’Eglise de reprendre les Hypocrites, & de déclamer contre la fausse dévotion.
» Saint Clément d’Alexandrie10 persuadé que l’amour se glisse dans le cœur par les yeux, parle avec force contre cet abus : Il reproche aux Chrétiens de quitter toute pudeur avec leurs habits, et de l’ensevelir dans les bains ; plus immodestes que les anciens Athlètes, qui du moins gardaient quelques bienséances. […] Atque veteres quidem Athletæ virum nudum ostendere erubescentes dum certamen peragebant accintis subligaculis servabant verecundiam : Istæ autem dum simul cum tunica pudorem exuerint, volunt quidem videri, pulchræ, similiter autemmalæ vel invitæ convincuntur.) » Les Vierges Chrétiennes ne rougissent pas de ce désordre : Saint Cyprien11 leur en fait voir l’énormité, avec cette sublime éloquence que la Religion seule peut inspirer : « Que dirai-je, des Vierges qui se vont laver dans les bains publics, et qui prostituent aux yeux lascifs, des corps consacrés à la pudeur ? […] Vos yeux ne sont point souillés d’un plaisir infâme, mais le plaisir que vous donnez aux autres, vous souille vous-même. […] » Que les Prédicateurs et les Théologiens, frappés de ces exemples, ne cessent point de crier contre les Spectacles, tandis que l’Eglise lance ses foudres contre les Comédiens ; qu’ils représentent le Théâtre, comme l’école de l’impureté, la nourriture des passions, l’assemblage des ruses du démon pour les réveiller, où les yeux sont environnés d’objets séducteurs, les oreilles ouvertes à des discours souvent obscènes et toujours profanes, qui infectent le cœur et l’esprit.
Ils veulent tout réformer, et sont si difformes, que les objets plus agréables sont des chimères à leurs yeux blessés. […] Mais si elle est selon Aristote un acte continuel, son être est en son action, et ne peut avoir autre repos que la joie qu’elle reçoit par les deux plus nobles et excellents messagers, qui sont les yeux et les oreilles; par l’œil elle juge les couleurs, par l’oreille les paroles. […] Non, je ne dois point rechercher loin de nous les ombres et les sépulcres, puisque nous en avons aujourd’hui dans notre France, en l’œil des cités, en la plus auguste ville de l’Europe, le corps, la lumière, et la vie de tous les plus rares et dignes Comiques du monde, en ceste troupe de Parnasse, nourrissons des Muses, Aigles de Jupiter, vrais enfants d’Apollon, race divine, interprètes des Dieux, qui ont gratifié Paris de leur présence : quelles louanges vous peut-on donner ? […] Pardonnez à l’insuffisance de mon esprit, belle âme, qui en la comparaison de chose incomparable, n’avez semblable que vous : La similitude des pierres précieuses vous offense, elles ont leur être en la terre, et votre origine est au ciel, si ce n’est de celles d’Egypte qui naissent au plus haut de l’Ether : Vous en avez le feu et l’éclair étincelant, et moi pour vous honorer j’en tiens la constance, qui m’a fait entreprendre cette matière qui est une pierre de prix : Voyez que dans ma main elle sera brute en la terre, sans être en œuvre ; donnez-lui sa vraie feuille, la chaleur et le teint selon l’aspect de votre Soleil : affinez son lustre pour la faire étinceler sans nuage, cendre, noirceur, paille, filandre, poudre qui puisse permettre à la lime de mordre ou d’altérer qu’elle ne perde sa couleur qu’en votre flamme, pour se changer, comme le mauvais Saphir en un bon diamant : Et au lieu que j’en fais une Charite sans grâce, relevez-le de celles que vous tenez qui vous font esclaver, dominer et triompher des âmes plus parfaites, pour ne parer vos trophées de dépouilles éteintes en ce combat qui est plus glorieux que ceux de Jupiter, d’Apollon, de Palémon, et d’Archémore : aussi en avez-vous un prix plus excellent que l’olivier, le pommier, l’ache, et le pin : car vous en rapportez les couronnes immortelles qui n’étaient dues qu’aux immortels : et décochant par paroles les sagettes des Muses, comme un second Anthée vous reprenez nouvelles forces, non pas en touchant la terre, mais en vous élevant au ciel, où vos propos nous ravissent, non sur les ailes d’or d’Euripide, mais sur les célestes de Platon, qui portent nos désirs jusques au lieu où la vertu fait sa demeure, nous rassasie du délicieux miel de Python, du nectar de Calliope, purifie nos oreilles, éclaire les yeux de notre esprit humecte nos âmes d’une rosée dont la douceur éteint toute amertume, et ne nous laisse que le regret de voir beaucoup d’hommes mal nésk, qui pour entendre la mélodie Phrygienne ne sont pas atteints d’une divine fureur : mais comme le Temple des Euménides en Athènes rendait frénétique celui qui n’y apportait le respect qui était dû, le vôtre a eu la même propriété : et ainsi que Lycaon fut changé en loup, vous les avez fait transformer en bêtes hurlantes.
Il me vient une pensée de l’accoutumer peu à peu à considérer les merveilles de la nature, de lui montrer tantôt comment l’œil est fait, tantôt comment 1’oreille est faite ; tantôt la fabrique du cœur, etc. […] Car en lui montrant, par exemple, les diverses humeurs de l’œil, on peut lui faire voir que les rayons en y entrant s’écartent, ou s’approchent ; et tracent ainsi des images grandes ou petites sur la rétine. […] Je veux qu’alors on lui fasse tout remarquer ; qu’à l’occasion d’une campagne qu’on voit semée de fleurs et entrecoupée d’arbres et de ruisseaux, on lui fasse entendre qu’un peu de matière poussée vers nos yeux, et qu’on appelle des rayons, peint tous ces divers objets sur notre nerf optique ; que les ébranlements divers de cette partie de l’œil sont suivis de diverses perceptions, par lesquelles nous découvrons la différence des objets, et leurs diverses distances. […] Car la guérison d’un aveugle ou d’un sourd ; la résurrection même d’un mort montre-t-elle plus de sagesse et de divinité que cette distribution de couleurs qui paraît dans un instant quand nous ouvrons les yeux sur l’idée que nous avons de l’espace, que cette succession et cette variété de sentiments, que nous éprouvons si propres à la conservation de la vie, et de la société civile, que cette Mécanique qui fait faire à de petits insectes des ouvrages réguliers, et travailler à tout ce qui est nécessaire pour leur conservation ?
les hommes ne méritent pas que Dieu jette les yeux sur eux, & c’est pour cela que quand il les regarde, c’est une grace. […] Des yeux aussi saints que ceux de Dieu peuvent-ils s’ouvrir sur des objets si profanes ? […] Tout ce qui peut surprendre les yeux, charmer les oreilles, salir l’imagination, gâter l’esprit, amollir le cœur, conspire dans les spectacles à la ruine de cette vertu. […] Je vous diray seulement, mes Freres, une réflexion que je fis, lorsque me préparant à cette action je jettay les yeux sur l’inscription de la Lettre de saint Cyprien. […] de détourner nos yeux de la vanité, Eccli.
Mademoiselle : Constance m’avait charmé ; mais Inès vient de faire couler mes larmes ; je l’ai vue des mêmes yeux que Dom Pèdre. […] Il ne pouvait se modérer, se contenir : il allait, venait ; il levait les yeux au ciel ; la joie brillait sur son visage : il s’écriait, Quel bonheur !
Ayant tous les jours de tels livres sous les yeux, et ces livres étant aussi infectés qu’ils le sont, il n’étoit pas naturellement possible que vous n’en prissiez le venin, et qu’ils ne vous communiquassent leur contagion. […] Ne condamnons point les choses dans la spéculation ; disons ce qui se pratique et ce qui se passe devant nos yeux. […] Si votre œil est pour vous un sujet de scandale, dit ce Sauveur des hommes, arrachez-le et ne délibérez point ; Si oculus tuus scandalisat te, erue eum. […] Pourquoi pensez-vous, Chrétiens, que le fils de Dieu se servît de cet exemple du pied, de l’œil, de la main ? […] Au milieu de tant d’objets différents qui tour à tour et comme par des évolutions réglées, passent sans cesse et repassent, de quoi les yeux sont-ils frappés, et à quoi se rendent-ils attentifs ?
Le premier objet est celui qui tombe sous les sens ; on est frappé d’étonnement dès que l’on ouvre un œil sur la beauté de l’Univers1. […] Si des choses ravissantes que l’Univers étale à nos yeux, l’on passe aux objets que la Religion nous présente, quoi de plus auguste1 & de plus sublime ! […] Le dernier avenement du Fils de Dieu est un nouveau Spectacle que Tertulien n’a pas oublié1, il met sous nos yeux la joie des esprits célestes, la gloire des Saints, la rage des Démons, la confusion des réprouvés. […] Cette double vie est tout ce que nous avons de plus précieux, le reste est un accessoire dont on pourroit absolument se passer ; cependant la profession que vous exercez vous fait perdre l’une & l’autre ; l’Excommunication est une mort spirituelle que vous ne pouvez éviter, la peine d’infamie vous fait mourir aux yeux des hommes, malgré les applaudissemens dont on vous berce, & la sorte de gloire qui vous couvre de ses aisles. […] Vos Adorateurs sont peut-être ce qu’il y a de plus brillant dans le Royaume ; mais aussi tout ce que la Religion & l’Etat ont de moins solide, la partie la moins saine & la moins utile en tout genre ; ce sont des génies frivoles à qui la passion fascine les yeux, & qui ne voyent aucun objet en son vrai point de vûe.
Tous les sentiers leurs paroissoient nouveaux ; tous les moyens étoient à leurs yeux, le fruit de leurs méditations & de leur recherche. […] Si un génie égal à M. de Voltaire eût fait dix ans avant lui, une Henriade ; si M. de Voltaire l’eût eue sans cesse sous les yeux, en composant la sienne, je suis persuadé que son Ouvrage eût été inférieur, non-seulement à la premiere Henriade, mais même à celle que nous admirons. […] Avant de s’informer du caractère & des mœurs d’Hercule, on jette les yeux sur ses exploits, parce qu’ils parlent aux yeux : son caractère ne se fait connoître qu’à l’esprit, qu’à la réflexion, qui ne travaillent que sur les mémoires que les premiers leur fournissent.
Quelque bien peint qu'il soit, on ne peut y fixer les regards sans peine, on en détourne les yeux. […] Le crime plaît aux yeux et au cœur. […] Son œil expirant : on dit des yeux mourans, mais non expirans. […] Reviennent à mes yeux se remontrer : revenir, remontrer ; ces deux retours sont-ils justes ? […] A tes yeux aveuglés ton jugement se cache : il est inutile de rien cacher aux aveugles ; cacher un jugement !