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39. (1675) Entretien sur les tragédies de ce temps pp. 1-152

Son Antigone aurait paru avec d’autres intrigues et d’autres passions que celles dont il l’a embellie. […] C’est parce que les Grecs ne s’attachaient qu’à ces grandes passions. […] Mais, excepté l’amour, il pourrait sentir les autres passions. […] On a tant de peine à trouver de nouveaux sujets, parce qu’on veut toujours les mêmes passions. […] [NDE] Arrêt du Parlement de 1548 interdisant les représentations des Mystères de la Passion.

40. (1675) Traité de la comédie « XI.  » p. 290

Les Comédies et les Romans n'excitent pas seulement les passions, mais elles enseignent aussi le langage des passions; c'est-à-dire l'art de s'en exprimer et de les faire paraître d'une manière agréable et ingénieuse, ce qui n'est pas un petit mal. Il y a bien des gens qui étouffent de mauvais desseins, parce qu'ils manquent d'adresse pour s'en expliquer: et il arrive aussi quelquefois que des personnes sans être touchées de passion, et voulant simplement faire paraître leur esprit, se trouvent ensuite insensiblement engagées dans les passions qu'elles ne faisaient au commencement que contrefaire.

41. (1772) Spectacles [article du Dictionnaire des sciences ecclésiastiques] « Spectacles. » pp. 150-153

C’est le langage même, c’est la peinture des passions, mais peinture fine, naïve, pathétique, animée, & dont les traits délicats n’en sont que plus dangereux. […] si on en ôtoit tout ce qu’elle offre de vicieux, il n’y auroit plus de spectateurs. »  Je n’ai jamais entendu , dit M. de Fontenelle à ce sujet, la purgation des passions par le moyen des passions mêmes. […] Nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mêlange de l’un & de l’autre ; & les hommages que nous rendons quelquefois à la raison, ne détruisent pas l’effet des passions que nous avons flattées. […] n’est-ce pas de ce qu’ils ont des passions plus fortes que celles qu’on y représente, & qu’ils sont si corrompus, que les spectacles ne trouvent plus rien à faire en eux ? […] Les passions humaines débitent sur le théâtre les maximes du démon.

42. (1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — XIX.  » pp. 475-477

Ce qui rend l'image des passions que les Comédies nous proposent plus dangereuse, c'est que les Poètes pour les rendre agréables sont obligés, non seulement de les représenter d'une manière fort vive, mais aussi de les dépouiller de ce qu'elles ont de plus horrible, et de les farder tellement par l'adresse de leur esprit, qu'au lieu d'attirer la haine et l'aversion des spectateurs, elles attirent au contraire leur affection; de sorte qu'une passion qui ne pourrait causer que de l'horreur, si elle était représentée telle qu'elle est, devient aimable par la manière ingénieuse dont elle est exprimée. […] Puissé-je de mes yeux voir tomber cette foudre, Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre; Voir le dernier Romain en son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » Si l'on dépouille l'image de cette passion de tout le fard que le Poète y prête, et qu'on la considère par la raison, on ne saurait rien s'imaginer de plus détestable que la furie de cette fille insensée, à qui une folle passion fait violer toutes les lois de la nature. […] On s'est servi à dessein de ces exemples, parce qu'ils sont moins dangereux à rapporter: mais il est vrai que les Poètes pratiquent cet artifice de farder les vices en des sujets beaucoup plus pernicieux que celui-là; et si l'on considère presque toutes les Comédies et tous les Romans, on n'y trouvera guère autre chose que des passions vicieuses embellies et colorées d'un certain fard, qui les rend agréables aux gens du monde.

43. (1675) Traité de la comédie « XIX.  » pp. 302-305

Ce qui rend encore plus dangereuse l'image des passions que les Comédies nous proposent, c'est que les Poètes pour les rendre agréables sont obligés, non seulement de les représenter d'une manière fort vive, mais aussi de les dépouiller de ce qu'elles ont de plus horrible, et de les farder tellement par l'adresse de leur esprit, qu'au lieu d'attirer la haine et l'aversion des spectateurs, elles attirent au contraire leur affection. De sorte qu'une passion qui ne pourrait causer que de l'horreur si elle était représentée telle qu'elle est, devient aimable par la manière ingénieuse dont elle est exprimée. […] Puis-je de mes yeux voir tomber cette foudre, Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre; Voir le dernier Romain en son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » Si l'on dépouille l'image de cette passion de tout le fard que le Poète y prête; et qu'on la considère par la raison, on ne saurait s'imaginer rien de plus détestable que la furie de cette fille insensée, à qui une folle passion fait violer toutes les lois de la nature. […] Et si l'on considère presque toutes les Comédies et tous les Romans, on n'y trouvera guère autre chose que des passions vicieuses embellies et colorées d'un certain fard qui les rend agréables aux gens du monde.

44. (1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — IV.  » p. 458

Or en excitant par les Comédies cette passion, on n'imprime pas en même temps l'amour de ce qui la règle: les spectateurs ne reçoivent l'impression que de la passion, et peu ou point de la règle de la passion: l'auteur l'arrête où il veut dans ses personnages par un trait de plume ; mais il ne l'arrête pas de même dans ceux en qui il l'excite. La représentation d'un amour légitime, et celle d'un amour illégitime font presque le même effet, et n'excitent qu'un même mouvement qui agit ensuite diversement selon les différentes dispositions qu'il rencontre ; et souvent même, la représentation d'une passion couverte de ce voile d'honneur est plus dangereuse, parce que l'esprit la regarde plus sûrement, qu'elle y est reçue avec moins d'horreur, et que le cœur s'y laisse aller avec moins de résistance.

45. (1675) Traité de la comédie « V.  » p. 279

Or en excitant cette passion par les Comédies, on n'imprime pas en même temps l'amour de ce qui la règle. Les spectateurs ne reçoivent que l'impression de la passion, et peu ou point de la règle de la passion. […] La représentation d'un amour légitime et celle d'un amour qui ne l'est pas font presque le même effet, et n'excitent qu'un même mouvement qui agit ensuite diversement selon les différentes dispositions qu'il rencontre : et souvent même, la représentation d'une passion couverte de ce voile d'honneur est plus dangereuse, parce que l'esprit la regarde avec moins de précaution, qu'elle y est reçue avec moins d'horreur, et que le cœur s'y laisse aller avec moins de résistance.

46. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre III. L’amour profane est la plus dangereuse de toutes les passions. » pp. 29-31

L’amour profane est la plus dangereuse de toutes les passions. […] Plus on est assuré du pouvoir de cette passion, plus on est obligé de le contredire ou de ne s’y prêter que selon les règles établies par la religion et les lois, en ne se permettant qu’une alliance légitime. […] Les plaintes qui échappent à ceux qui abusent des inclinations que la nature leur inspire pour le sexe, doivent confirmer tout homme sensé, qu’il n’est pas prudent de se faire un amusement de la passion de l’amour. […] Comment gouverner par prudence cette folle passion qui n’admet aucune mesure dans ses écarts. « Le comte de Bussy, cet ingénieux courtisan, nous dit que la passion de l’amour est la plus dangereuse de toutes les faiblesses, et qu’on revient plus aisément des sottises de l’esprit que de celles du cœur : en effet, le cœur s’attache, au lieu que l’esprit ne s’occupe point toujours des mêmes idées.

47. (1838) Principes de l’homme raisonnable sur les spectacles pp. 3-62

L’Evangile nous oblige de combattre et de mortifier nos passions : et rien ne les excite davantage, que la fréquentation des Spectacles. […] Le Théâtre, on le répète, excite les passions ; il en est l’école et comme le berceau. […] Nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mélange de l’un et de l’autre ; et les hommages que nous rendons quelquefois à la raison, ne détruisent pas l’effet des passions que nous avons flattées. […] C’est là qu’ils entendent tout ce qui peut exciter leur curiosité, développer les germes de leurs passions, et les familiariser avec le vice. […] A proprement parler, il n’y a point de passions légitimes, mais bien des sentiments légitimes.

48. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — SIXIEME PARTIE. — Comédies a corriger. » pp. 295-312

On y verrait dans Crémante et dans Ismène la punition que reçoivent et méritent ceux qui, dans un âge mûr, n’ont pas honte de s’abandonner aux passions de la jeunesse. […] Racine, est la Pièce la plus singulière que j’ai trouvée dans tous les Théâtres de l’Europe : il y corrige deux passions, qui à la vérité paraissent rarement dans le monde, mais qui ne sont jamais médiocres dans ceux qui s’y laissent entraîner. […] Il est cependant vrai qu’il se trouve aussi des Juges qui ont la fureur de juger : tant il est constant que la malice des hommes peut se faire une passion des choses même les plus sérieuses, et en apparence les moins satisfaisantes. […] Racine, avec tout l’art dont il était capable, a tourné ces deux passions en ridicule ; en forte que depuis Molière, j’ai peine à croire que le vrai style de la Comédie se soit conservé nulle part aussi bien que dans la Comédie des Plaideurs. […] Léandre aime Isabelle, fille de Chicaneau, et ne se flattant pas qu’en la demandant en mariage les deux pères puissent y consentir, puisque Dandin père de Léandre est si emporté par la passion de juger, et Chicaneau père d’Isabelle par la passion de plaider, il a recours à un déguisement pour faire signer à Chicaneau le Contrat de mariage, lui faisant à croire que c’est un papier de procédure.

49. (1658) L’agent de Dieu dans le monde « Des théâtres et des Romans. CHAPITRE XVIIII. » pp. 486-494

Mais parce que l’acteur a pour dessein principal d’exciter les passions ; de tous les sujets il choisit ceux où elles se portent le plus, il passe ainsi pour fort adroit à mouvoir les cœurs en leur représentant ce qu’ils aiment, comme à notre façon de parler, c’est faire du feu, qu’y mettre du bois, et c’est donner cours à l’eau, de lui préparer une pente. […] L’amour est une autre passion, la plus vive, la plus universelle dans tous les cœurs, et dont chacun fait gloire, d’être possédé par excellence. […] Là l’on fait la représentation de toutes les secrètes pratiques, des feintes, des adresses, des confidences qui trompent des yeux jaloux ; et la passion qui échappe à tous les liens, des lois, de la conscience, de l’honneur, qui l’emporte sur l’amour des frères, et le respect des parents, est hautement louée, comme une généreuse fidélité. […] Nous ne saurions plus douter que la foi Chrétienne ne soit extrêmement faible dans les cœurs, puis qu’on autorise avec tant de pompe, les passions et les désordres qu’elle condamne. […] Ce n’est pas là seulement avoir de l’amour par une surprise d’inclination, c’est aimer son amour, c’est l’agréer, c’est s’y complaire, par un jugement rassis et réfléchi, c’est accroître ses passions par celles des autres ; c’est par la vanité de ces entretiens, nourrir des feux qu’on devait éteindre par des larmes des pénitence.

50. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XXI. Si les Comédiens épurent les mœurs. Des bienséances qu’ils prétendent avoir introduites sur le Théatre » pp. 86-103

Nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mélange de l’un & de l’autre. Les hommages que nous rendons quelquefois à la vertu, ne détruisent pas les passions que nous avons flattées. […] Plus l’homme s’abandonne aux passions, plus elles lui semblent odieuses dans la représentation. […] Cette voix importune, étouffée par la fougue des passions, mais jamais anéantie, peut être regardée comme la premiere cause de la pudeur. […] Sous cette puissance plus aimable, plus indulgente pour les passions, le rafinement présente à l’homme ces passions sous des couleurs plus douces.

51. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XIV. La fréquentation des spectacles ne peut se concilier avec la vie et les sentiments d’un véritable chrétien. » pp. 118-132

n’est-ce pas là en un mot que le cœur, se voyant lui-même dans celui qui paraît épris d’un objet séduisant, devient aussitôt un acteur secret, qui, tandis qu’on joue une passion feinte, en éprouve lui-même une véritable ? […] N’admire-t-on pas un auteur, qui, employant toute la force de son génie à représenter quelque grande passion, sait vous amener insensiblement et par degrés jusqu’à exciter en vous cette passion qu’il a voulu dépeindre ? […] On suit comme des yeux les honteux progrès de sa passion ; on écoute de sa bouche ses criminels aveux, et les sens ne résistent pas à une amorce si dangereuse. […]   « Nous en avons un bel exemple dans Alipe, ami de saint Augustin : il avait autrefois passionnément aimé les spectacles, et saint Augustin l’avait guéri de cette passion. […] Il est donc manifeste que la représentation de ces passions agréables les excite naturellement, ne fût-ce qu’en nourrissant la concupiscence qui en est la source ; ce n’est pas tout, elle apprend encore à les satisfaire.

52. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE VII. Du Père Porée. » pp. 149-177

Ils ne faisoient jouer les passions que pour les guérir ; nous ne cherchons qu’à les animer. […] Dira-t-on que c’est pour la réprimer qu’on montre cette passion dangereuse, si agréable & si féroce ? […] quel air de tendresse & de passion ! […] s’y affectionne-t-on avec moins de passion ? […] est-ce à fuir, à combattre la passion ?

53. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VI. Des Ariettes, & des autres parties du Chant théâtral à une seule voix. » pp. 297-328

Ce qu’il lui prend en fantaisie d’appeller Air, doit renfermer une seule pensée, èxprimée avec briéveté, qui peigne plutôt la tendresse que toute autre passion. […] Mais comme cette mélodie dure trop long-tems, & qu’elle ne s’arrête pas toujours à peindre des passions, il est clair qu’elle détourne l’attention du Spectateur, & qu’elle l’oblige souvent à perdre de vue l’intrigue du Poème. […] Il faut qu’elle paraisse plutôt être faite pour èxprimer avec élégance un sentiment, ou quelque passion des Personnages du Drame, que pour faire briller les talens du Musicien. […] La mesure du Vers peut être variée lorsque l’ariette dépeint la colère, ou des passions qui agitent violemment. […] La raison de cette règle, c’est que souvent on n’entend pas bien les paroles modulées, & que par conséquent il est essentiel d’en donner une idée, ainsi que des passions qu’elles dépeignent.

54. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique — CHAPITRE IX. Défauts que les Etrangers ont coutume de reprocher à notre Tragédie. » pp. 231-259

Il est très attentif, dit Longin, à traiter d’une maniere Tragique ces deux Passions, la Fureur & l’Amour. […] A cette premiere réforme il en ajouta une seconde, il fit parler à cette Passion son véritable langage. […] L’Amour avoit toujours été nommé la belle Passion des ames ; la Théodore de Corneille, toute chrétienne qu’elle étoit, parloit   De ces impressions Que forment en naissant les belles Passions. Il falloit à cette passion sacrifier toutes les autres. […] Il osa faire plus, il osa comme Euripide εκτραγῳδῆσαι, traiter l’Amour d’une maniere tragique, & peindre dans Phedre vertueuse toute l’horreur d’une passion criminelle.

55. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre V. Le but des auteurs et des acteurs dramatiques est d’exciter toutes les passions, de rendre aimables et de faire aimer les plus criminelles. » pp. 51-75

Le but des auteurs et des acteurs dramatiques est d’exciter toutes les passions, de rendre aimables et de faire aimer les plus criminelles. […] Il finit par plaindre cet homme sensible qu’il méprisait, par s’intéresser à cette même passion dont il lui faisait un crime, par murmurer en secret du sacrifice qu’il est forcé d’en faire aux lois de la patrie. […] Une si douce image amollit insensiblement le cœur : on prend de la passion ce qui mène au plaisir, on en laisse ce qui tourmente. […] Et comment ne s’intéresserait-on pas pour une passion si séduisante, entre deux cœurs dont le caractère est déjà si intéressant par lui-même ? […] Les continuelles émotions qu’on y ressent nous enivrent, nous affaiblissent, nous rendent plus incapables de résister à nos passions, détruisent l’amour du travail, découragent l’industrie, inspirent le goût de subsister sans rien faire.

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