Ajoutez que ces Comédies se jouent aux flambeaux, et de soir, ce qui ne contribue pas peu à favoriser le vice, et à lui faire jeter dans l’âme de ceux qui y assistent, de très profondes racines : les impressions que ces œuvres de ténèbres, revêtues d’une fausse lumière, leur font, leur servent d’entretien tout le reste du jour, et forment les dernières pensées qu’ils ont dans leurs lits, qui sont des semences de péché, que le démon fait germer par ses illusions, et qu’il conduit jusques à son dernier effet, à la faveur de la concupiscence.
Je conviens en effet que si la diminution, le dégoût, le mépris de la chasteté, le goût, l’impression du vice, le moyen de tromper les surveillants, de faire réussir une intrigue, de satisfaire ses passions, sont les fruits qu’on se propose de tirer du théâtre, on a parfaitement réussi.
Le tableau de si hautes vertus, que relève encore la puissance du génie, laisse nécessairement une impression profonde dans l’âme du spectateur.
L’impression révoltante qu’elles font s’appelle du sublime. […] Tant, à compter les feuilles d’impression ; si peu, à peser la solidité des ouvrages : si bien, si on ne cherche qu’à s’amuser ; si mal, si on désire de s’instruire.
Pour donc contrecarrer cette mauvaise impression que Satan met dans les esprits, qu’on défend de jouer et de se recréer, à tous ceux qui entreprennent la vie dévote et vertueuse, et qui renonçant au Diabolique parti du monde, suivent celui de Dieu. […] car outre le mauvais exemple que vous donneriez à ceux qui vous verraient, qui n’eussent jamais cru cela d’une personne qui fait profession d’une vertu et dévotion particulière, et qui voulant par conscience s’en retirer, s’y porteraient sans scrupule, estimant licite tout ce que vous faites ; outre, dis-je, ce mauvais exemple, vous n’en sortirez jamais sans quelque mauvaise impression, laquelle vous distraira en vos Oraisons, et insensiblement vous fera goûter les appas du monde, que vous faisiez profession de mépriser.
Et si l’auteur, d’ailleurs aussi excusable et aussi estimable qu’un autre, s’étant conformé à un ordre de choses, ou à un usage qu’il a trouvé établi et bien reçu, pour faire plus d’effet encore, pour nous causer une plus profonde impression et une plus grande colère contre ce grand méchant, ne l’a pas fait en même temps voleur, assassin, empoisonneur, c’est qu’il ne l’a pas voulu ; car ces défauts sont concevables aussi dans le cœur d’un tel homme, et leurs traits ne nuiraient pas beaucoup plus à la vraisemblance du tableau.
Je vois encore ici la marquise de Lambert favorable à ce frondeur déterminé : « On reçoit au théâtre de grandes leçons de vertu, & l’on en remporte l’impression du vice » : Telle femme y est entrée Pénélope, & en est sortie Hélène *.
Passons à l’Article suivant, où ce saint Docteur paraît si favorable à la Comédie, qu’il dit que l’office des Baladins, « qui a pour but de donner aux hommes de la récréation, n’est pas illicite par lui-même ; que ces sortes de gens ne sont point en état de péché, pourvu qu’il gardent la modération, et qu’ils n’emploient aucune parole ni aucune action qui ne soit permise. »l Je pourrais d’abord me servir de la réponse que l’Auteur a apportée pour se délivrer de l’autorité de Salvien, qui disait qu’on ne pouvait pas se ressouvenir de ce qu’on avait vu à la Comédie, sans en ressentir des impressions de mort dans l’âme : qu’apparemment ce saint homme n’en parlait pas par experience, et qu’il n’allait pas aux Spectacles dont il portait un pareil jugement. […] « O Philotée, ces impertinentes récréations sont ordinairement dangereuses ; elles dissipent l’esprit de devotion, allanguissent les forces, refroidissent la charité, et réveillent en l’âme mille sortes de mauvaises affections. » Ensuite pour empêcher les fâcheuses impressions, qu’il prétend avec raison demeurer dans l’âme après ces sortes de plaisirs, il veut qu’aussitôt que l’on en est sorti, on s’entretienne dans les considérations suivantes. […] Si un cœur jeune et tendre a resisté à un tel objet jusqu’à n’en avoir pas reçu la moindre impression, il ne peut presque plus tenir : quand ensuite on voit paraître un désert affreux avec des rochers menaçants le Ciel, et au milieu un jeune homme, qui croyant n’être point aimé ; s’abandonne au désespoir ; et aprés la description vive et pathétique de la plus forte passion que l’on puisse s’imaginer, ne délibere plus que sur le genre de mort qu’il choisira.
Les songes, il est vrai, ne sont pas des actions libres, puisque l’homme est alors plongé dans le sommeil, & par conséquent ils ne sont pas des péchés par eux-mêmes ; mais comme l’esprit s’occupe ordinairement dans le sommeil, des mêmes objets dont il s’occupoit pendant le jour ; les songes sont communément le portrait du cœur, & le fruit des passions, ils les entretiennent même, & il n’est pas rare qu’on se les rappelle pendant le jour, & qu’on se plaise dans l’impression voluptueuse qu’ils ont pu faire ; ils peuvent donc être volontaires dans leur principe, quand on s’est volontairement occupé de l’objet criminel qui les a produit, ou dans leurs suites, lorsqu’on se rappelle volontairement, pour goûter encore les plaisirs criminels qu’ils ont fait goûter en dormant, les songes font alors un très-grand mal ; les rêves sont des peintres qui copient les originaux, les multiplient, les embellissent, les rendent plus piquants ; source féconde de péché, que la peinture & la sculpture ouvrent sans cesse.
Les incidens y sont marqués avec de fortes touches afin qu’ils fassent sur les Spectateurs la même impression que sur le Personnage qui les éprouve.
Les paroles de l'Evangile sont-elles une plus vive impression sur les cœurs que celles des Théâtres ?
Il disait, que lorsqu’elles sont trop multipliées, trop détachées, quoique excellentes en elles-mêmes, elles donnent aux Personnages un air pédant & raisonneur ; que la manière des grands hommes, était de faire résulter la moralité de l’action ; & que c’était la seule bonne, parce qu’elle était la seule qui fît une véritable impression. […] Que ce tableau doit faire d’heureuses impressions ! […] Pour qu’une Pièce tragique ou comique fît une impression utile, autant que profonde, il faudrait, sans doute qu’elle fût unique. […] La route que l’on prend au Théâtre Français est bien opposée : il semble qu’on ne redoute rien tant que de faire des impressions durables : au lieu de sérieuser nos mœurs, on les frivolise de plus-en-plus : à la suite de Mahomet, ou de l’Ecole-des-Mères, on donne la Coupe-enchantée.
Delaharpe en a fait dans le Mercure une critique amere en ennemi, & il faut convenir que si on avoit fait un choix, & supprimé tour ce qui n’étoit pas fait pour l’impression, l’édition eût été bien moins volumineuse : mais tout est cher aux amis, il faut leur pardonner.
L’impression lui découvre son erreur, il n’a plus qu’un profond mépris pour l’Auteur, qui ne doit sa gloire momentanée qu’à l’illusion du Spectacle, & qu’à l’habileté du Comédien.
L’Amour avoit toujours été nommé la belle Passion des ames ; la Théodore de Corneille, toute chrétienne qu’elle étoit, parloit De ces impressions Que forment en naissant les belles Passions.
Ces dernières nous émeuvent d’ordinaire tout autrement, parce qu’elles sont prises sur notre air et sur notre tour ; que les personnes qu’elles nous représentent sont faites comme celles avec qui nous vivons, et que presque tout ce que nous y voyons, ou nous prépare à recevoir les impressions de quelque chose de semblable que nous trouverons bientôt, ou renouvelle celles que nous avons déjà reçues.
Dans le Cid on parle d’un parricide commis, en ces termes : « Enfin n’attendez pas de mon affection, Un lâche repentir d’une belle action, Je la ferais encore, si j’avais à la faire. » Et la Fille du Père assassiné, loue l’assassin, « Tu n’a fait le devoir que d’un homme de bien. » On y trouve des Leçons de vengeance d’un Père à son Fils : « Va contre un arrogant éprouver ton courage, Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage, Meurs, ou tue. » Dans Polyeucte cette Pièce prétendue sainte, on voit une Fille qui parle d’un Amant que ses parents ne voulaient pas qu’elle épousât : « Il possédait mon cœur, mes désirs, ma pensée, Je ne lui cachais point combien j’étais blessée, Nous soupirions ensemble et pleurions nos malheurs, Mais au lieu d’espérance il n’avait que des pleurs. » On dit qu’on a combattu le faux dévot dans le Tartuffe ; cependant après qu’on a détrompé Orgon, on le fait ainsi parler contre tous les gens de bien : « C’en est fait, je renonce à tous ces gens de bien, J’en aurai désormais un horreur effroyable, Et m’en vais devenir pour eux pire qu’un diable. » Dans le Festin de Pierre, on expose les maximes les plus impies ; et le tonnerre qui écrase l’Impie, fait moins d’impression sur les méchants qui assistent à cette malheureuse Représentation, que les maximes détestables qu’on lui entend débiter, n’en font sur leurs esprits.