Et puis, qui ne voit que la différence des fortunes, après que le frein a été rompu et le pas franchi, a dû produire les mêmes effets que la différence des rangs, et que la fille d’un riche négociant, par exemple, qui épouse un petit commis sans fortune, peut se croire aussi bien fondée que la pauvre de Sotenville à mépriser son mari et à fouler aux pieds les engagements qu’elle a pris avec lui, lorsqu’il vient à lui plaire moins qu’un amant ? […] En effet, les vieux, et une bonne partie même des hommes entre deux âges, que ces tableaux de honte et de déshonneur n’ont guères moins intimidés, se rappelant ou se formant des raisons de croire qu’on n’était pas encore parfaitement à l’abri d’inquiétude avec des femmes plus âgées, ont fui le mariage, n’ont plus voulu prendre que des engagements clandestins ou privés et conditionnels, faciles à rompre ; c’est-à-dire, qu’ils ont vécu en concubinage avec celles qui leur plaisaient, tant qu’elles se comportaient à leur gré. […] Cependant, à Dieu ne plaise que la manifestation de cette erreur si bien accréditée, et généralement autorisée, renouvelle les chagrins de l’auteur spirituel qui a publié cette dernière satire et à qui l’on a fait payer trop cher l’omission de déclarer qu’il avait emprunté d’un moine, comme il est arrivé autrefois et comme il arrive encore tous les jours aux auteurs de faire des emprunts à d’autres.
Le don de plaire en est un lorsqu’on en abuse ; il attaque la raison & l’honneur ; ce qu’on obtient dans l’ivresse de la passion, est un larcin, &c. […] Les Journaux ont fait l’éloge de ce livre ; il le mérite, il y a des sentimens nobles, de grands principes, une bonne morale, une politesse convenable ; il y a regne un ton de décence qui plaît.
Si la Pièce est sage, instructive, comme le Misanthrope, le Menteur &c. en elle-même, elle doit corriger, épurer les mœurs : Si l’Acteur, si l’Actrice ont un autre but que de seconder le but du Drame ; si l’envie de plaire, de séduire leur fait chercher à réveiller dans les sens une volupté dangereuse ; si leur conduite expose à la dérision les maximes que le Poète met dans leur bouche, c’est alors l’Histrionisme qui devient contraire aux mœurs ; c’est lui qui ne peut manquer de vicier & d’anéantir l’effet naturel qui devait suivre le Drame ; non que ce soit un inconvénient réel, que la plupart des Spectateurs se trouvent attirés aux représentations dramatiques par le plaisir que donne le jeu de tel Acteur ou de telle Actrice ; cet attrait non-seulement augmente leur nombre, mais contribue infiniment à leur faire goûter la morale & les leçons : cependant s’il est nécessaire que l’attente ne soit pas trompée, & qu’on trouve ce genre de plaisir à nos Théâtres, il est clair en même-temps qu’une Pièce est bien imparfaite, & loin du but où doit tendre la bonne Comédie, lorsque son Auteur, sacrifiant le principal à l’accessoire, n’a cherché qu’à donner le plaisir résultant de la Représentation : la Pièce est dangereuse, lorsqu’elle nous divertit par des scélératesses* dans le Drame ; elle est inadmissible, lorsqu’elle ne plaît que par la volupté qu’y réveillent à chaque mot les mines provoquantes de l’Actrice, ou le jeu libre & sémillant de l’Acteur.
On ne prétend pas dire qu’il faille exciter le peuple à se livrer malgré lui à l’étude des sciences ; mais il faut lui laisser la liberté de s’instruire, lui en faciliter les moyens plutôt que d’y mettre des entraves, et de pousser la petitesse jusqu’à persécuter cette précieuse et utile méthode de l’enseignement mutuel, que les aveugles partisans des jacobinières de Montrouge et de Saint-Acheul a, persécutent pour plaire à la puissance jésuitique. […] Tous les courtisans, pour plaire à leur maître, confiaient également la direction de leur conscience à des jésuites.
La Comédie n’est-elle pas une occasion prochaine de manquer à tous ces enseignements salutaires, quand on y trouve tout ce qui peut plaire aux yeux, charmer les oreilles, toucher le cœur ? […] Si une passion ne passait point les règles de la Loi de Dieu, elle ne serait pas bonne pour le Théâtre : il faut pour qu’elle plaise qu’on y voie succomber la raison ; ce qui suffit pour la rendre mauvaise : Et si cela se représente en public comme la Comédie est toujours publique, il y entre du scandale ; et c’est ce que saint Thomas n’approuva jamais, puisqu’il condamne dans les divertissements toutes les paroles et les actions mauvaises, et capables de nuire. […] « Plût à Dieu que je fusse semblable à une colombe légère,Carm. 6. […] Mais de plus, le métier de Comedien n’est pas tel, quoiqu’on en dise, qu’un homme se puisse partager entre Dieu et soi-même ; en sorte qu’il se retrouve quand il lui plaît, et ramasse à propos toute l’application de son esprit pour les affaires de son salut, et la fréquentation des Sacrements : Ce métier demande son homme tout entier, s’il y veut réussir : il ne lui reste guère de temps pour penser à des affaires plus sérieuses ; et quand il est sur le Théâtre, on ne voit que la moindre partie de ses travaux. […] Ce n’est pas pour autoriser le jeu de hasard, que je parle de la sorte : À Dieu ne plaise que je veuille autoriser ce que l’Église a condamné ; mais je prétends que si on fait plus de quartier à ceux qui commettent cette espece de péché, ceux qui tombent dans un autre, n’ont pas droit de se plaindre quand on les traite selon les règles de la justice.
Aristote dit : Que le seul but du Poëme Dramatique est de plaire au spectateur.
Toute une petite ville est mise en train pour jouer la farce du gouvernement chimérique donné à l’écuyer, à qui l’on fait toutes sortes d’insultes : cent & cent autres personnes, dans le cours de cette histoire insensée, entretiennent les rêveries de ce malheureux, pour le baffouer, & renouvellent les combats des gladiateurs, où les romains se divertissoient aux dépens des hommes, comme ils venoient de faire au théatre Le cirque est un théatre, le théatre est un cirque, où l’homme est le jouet de l’homme ; dans l’un aux dépens de la vie, dans l’autre aux dépens de l’honneur : la brutalité a enfanté l’un & l’autre, y conduit & s’y plaît.
Les Poètes du nouveau Spectacle ne doivent pas craindre de prendre des personnages trop vils : plus ils iront chercher dans l’obscurité les Hèros de leurs Drames, plus ils seront certains de nous plaire.
Au reste, malgré que nous ne nous piquions guères de travailler le Dialogue avec soin, nous nous plaisons à le placer par-tout.
Il est des Autheurs des Comedies d’aujourd’hui, comme il a été de tout tems ; ils ont souvent recours à des saletés, parce qu’ils ne sçauroient plaire autrement : car comme l’interieur de la plûpart de ceux, qui s’y trouvent aujourd’hui, est aussi sensuel que dans les siécles de ces Peres, aussi voit-on, qu’aujourd’hui les Autheurs de ces piéces viennent à ce qu’ils ont de commun avec leur auditoire, & qu’ils en flattent la sensualité par des discours, qui passent d’ordinaire sous le titre d’expressions vives, parce que ces expressions allument un feu dangereux, & qui ne peut jamais être assez amorti.
Ils savaient trop, que qui veut plaire, le veut à quelque prix que ce soit : de deux sortes de pièces de théâtre, dont les unes sont graves, mais passionnées, et les autres simplement plaisantes ou même bouffonnes, il n’y en a point qu’on ait trouvé dignes des chrétiens, et on a cru qu’il serait plus court de les rejeter tout à fait, que de se travailler vainement à les réduire contre leur nature aux règles sévères de la vertu.
Cette critique peu équitable n’a pas laissé de plaire au Public, et de réjouir beaucoup nos beaux esprits avides de toute censure juste ou injuste.
Les Poètes et les Comédiens diront que ces Comédies ne se jouent pas souvent, et que s’il en échappe quelques-unes, c’est pour plaire au peuple qui les demande, et que pour eux ils aimeraient mieux tirer du profit des Pièces sérieuses quand elles sont en crédit, afin de se conserver en honneur et en estime, et qu’on n’eût plus rien à leur reprocher.
Pourquoi, peuvent-ils dire, faut-il que tout ce qu’on expose sur les Théatres, ait pour pouvoir plaire à la multitude, un air de débauche & de libertinage ? […] Voilà pourquoi ses Sermons imprimés plairont toujours. […] Tous ses Drames respirent l’obscénité qu’il prétendoit favoriser impunément pour plaire à la multitude. […] Néanmoins il eut pendant plusieurs années la foiblesse de vouloir plaire aux personnes futiles. […] … … … … … C’est par elle qu’on plaît, & qu’on peut long-temps plaire.
Hercule, pour plaire à Omphale, dépouille la peau de lion, & s’habille en petit maître ; il fit plus, il s’habilla en femme, se mêla avec les femmes de la Princesse, prit la quenouille & le fuseau, & fila avec elles, fort mal-adroitement à la vérité, le fuseau est bien différent de la massue qu’il avoit accoutumé de porter, mais plus malheureusement encore pour sa gloire. […] Une Actrice de l’Opéra, de quatorze à quinze ans, plut si fort à M. le Dauphin, fils de Louis XIV, qu’il en voulut faire sa maîtresse ; on lui en fit la proposition, accompagnée d’un riche présent ; elle refusa l’un & l’autre. […] Les femmes dans tous les temps, comme les Comédiens, n’ont cherché qu’à plaire, à exciter les mêmes passions, produire les mêmes tentations, par les mêmes moyens.
J’ai déjà donné l’éxemple d’un enfant qui, à mesure qu’il se développe crie & s’agite, & se plaît à former un certain bruit avec tout ce qui lui tombe sous la main. […] Ce Poète était riche, contre l’ordinaire des gens de Lettres ; il se plaisait à dépenser son bien en grand Seigneur. […] En cherchant à diminuer la trop bonne opinion que nous avons de cet art célèbre, je rends au Spectacle moderne un service èssentiel ; j’engage peut être le Public à faire ce raisonnement : si la musique est quelquefois méprisable, le nouveau Théâtre nous plaît donc parce qu’il possède de vraies beautés.