Cinquièmement, supposé, dit encore Tertullien, qu’il y ait dans les Spectacles quelque chose d’honnête, de généreux, etc. les Chrétiens ne les doivent regarder que comme un miel enluminé dont ils ne peuvent goûter sans danger de se donner la mort : « Je22 veux, dit-il, que dans ces Spectacles tout y soit honnête ou généreux, néanmoins ne laissez pas de considérer ce qui s’y passe comme des rayons de miel tirés d’un vase envenimé, et que l’amour du plaisir n’ait pas tant de pouvoir sur vous que la crainte qu’il y a dans sa douceur. […] Chrysostome 33 expliquant ces paroles du Chapitre onzième de saint Matthieu : « Celui qui voyant une femme, concevra un mauvais désir envers elle, a déjà commis le péché dans son cœur » ; ce Père parle du danger qu’il y a d’assister à la Comédie, par rapport aux femmes qui paraissent sur le Théâtre. « Si une femme négligemment parée, dit-il, qui passe par hasard par la place publique blesse souvent par la seule vue de son visage celui qui la regarde avec trop de curiosité ; ceux qui vont aux Spectacles et non par hasard, mais de propos délibéré et avec tant d’ardeur qu’ils passent un temps considérable à regarder des femmes infâmes, auront-ils l’impudence de dire qu’ils ne les voient pas pour les désirer, lorsque leurs paroles dissolues et lascives, leurs voix et leurs chants impudiques, les portent à la volupté ? […] La seconde, quand il y aurait quelque chose de libre dans le corps de la Pièce, ou dans ce qui la finit, cela ne pourrait rendre la Comédie mauvaise, que par rapport à ceux à qui elle serait une occasion prochaine de péché, et non pas à l’égard de ceux qui vont à la Comédie, sans en recevoir aucune impression, ni sans en remporter aucune mauvaise idée, et qui par conséquent sont hors de danger de péché. […] Et quand il parle des bals et des danses dans la pratique, 3e Partie, Chapitre 33, il dit que « c’est une chose dangereuse ; et selon l’ordinaire, façon avec laquelle cet exercice se fait, il est fort penchant et incliné du côté du mal, et par conséquent plein de danger et de péril » : ce sont les paroles de ce saint Evêque, que l’on peut appliquer à plus forte raison à la Comédie.
On les montra en public pour garantir du danger de les voir en secret, & elles perdirent leur pouvoir.
Nous nous servirons pour cet effet de l’épée spirituelle que le Seigneur nous a mise entre les mains, & qui n’est autre que la parole de Dieu, pour retrancher de semblables abus, si pernicieux aux ames, & dont l’Écriture nous fait assez connoître le danger, quand elle nous avertit, par la bouche du Sage, de ne pas fréquenter une femme qui se plait à danser & à chanter, Eccli.
En supposant d’ailleurs que le vin fasse éclater les mauvais desseins qu’un méchant couvait à jeun, il faut donc regarder comme un malheur qu’il se soit enivré, car il aurait peut-être toujours couvé, dans son sang-froid, un projet funeste dont l’exécution lui aurait paru dangereuse, tant qu’elle n’aurait pas pu être accompagnée de certaines circonstances que sa prudence lui faisait juger nécessaires, au lieu que l’ivresse l’aveuglant sur les dangers de l’entreprise, sa témérité lui fait tenter avec succès ce qu’un homme à jeun n’aurait pas osé tenter.
Quoiqu’il en soit, le penchant au vice est plus ancien encore, aussi-bien que la loi qui ordonne de fuir le danger. […] Les Livres sapientiaux, les Prophètes n’en ont fait mention que pour en faire éviter le danger.
Il est vrai que ces pieux personnages qui ont voulu changer les temples et les mosquées en Eglises, ont mis à leur théâtre dévot des conditions qui ne s’observent guère, et qui en écartant le danger affadissent le sel du spectacle. […] Il s’étend beaucoup sur la gravité convenable au chant de l’Eglise, la manière respectueuse dont on doit l’exécuter, et les dangers d’une musique molle, efféminée, trop vive et légère, ordinaire à la musique profane, qu’il traite de nouvelle, c’est-à-dire peu connue de son temps.
» Que diraient enfin tous les Spectateurs, si on leur remontrait qu’étant Chrétiens, ils ne peuvent assister à la Comédie, à moins qu’ils ne puissent offrir à Jésus-Christ cette action, et se rendre témoignage qu’ils n’y viennent qu’en son esprit, pour son amour et pour sa gloire ; si on leur représentait que celui qui aime le danger, périra dans le danger ; que le jour terrible viendra comme un voleur qui marche sans bruit, ou comme un père de famille qui veut surprendre ses domestiques.
Il faudroit donc, pour bien rencontrer cet ordre, donner les rôles mauvais aux enfans vertueux, qui résisteroient au danger, & les bons aux méchans, qu’ils corrigeroient : ils ont besoin de prendre une autre tournure, & repaîtrir leur caractere . […] Proscrire ces dangers, supprimer ces exercices. […] Ainsi si les spectateurs doivent entrer dans les mêmes sentimens, pour bien goûter les plaisirs du spectacle, & se rendre mauvais pendant tout le temps qu’il dure, le même danger doit les faire trembler.
On pourroit entrer plus avant dans cette discussion ; quoiqu’après tout, les raisonnemens les plus longs n’aboutiroient guère qu’à ce que je viens d’observer, soit sur le danger des Spectacles, en suivant l’avis de ceux qui les condamnent, soit sur les précautions qui peuvent garantir de ce danger, en préférant l’opinion contraire. […] Un auteur en qui la fougue de l’âge, l’ivresse du succès, l’illusion des plaisirs, n’avoient point étouffé les sentimens de Religion & de piété qu’il tenoit de ses premiers maîtres, a dû sans doute, quand ces mêmes sentimens eurent repris dans son cœur la place qu’ils y avoient autrefois occupée, témoigner de vifs regrets d’avoir non-seulement travaillé pour le Théatre, mais d’en avoir augmenté même la séduction & le danger par quelques unes de ses Tragédies.
Elle fit revenir malgré lui sur la scène le pieux Racine, que la religion & la vertu en avoient arraché, & revivre les talens séduisans & les coupables écrits dont il avoit connu le danger & la gloire funeste qu’il arrosoit de ses larmes, & rallumer les feux demi-éteints de Louis XIV pour des jeux que, par un pareil motif, il avoit cru devoir s’interdire, & se reprochoit d’avoir trop aimé.
Je parlerai ailleurs de ce qui le concerne : il me suffira de faire remarquer ici, combien il est mal adroit dans une Comédie, quelque soit son genre, de mettre un des personnages en danger de mort.
« Mais si dans un autre temps je vais dans le Cirque, serai-je en danger de m'infecter d'une si grande impiété ?
De pareils dangers, sans doute, nous menacent encore ; mais on sait, il est vrai, que la justice et la modération du souverain pontife actuel, ainsi que nous l’avons déjà dit, éloignent pour longtemps de semblables catastrophes ; cependant, puisque l’expérience nous a démontré qu’elles avaient eu lieu dans un temps, la prudence doit nous commander de prendre des mesures, pour empêcher qu’elles ne puissent renaître à une autre époque.
Tout cela signifie qu’il n’y a que les Philosophes qui puissent lire sans danger les ouvrages qu’on appelle de bel esprit, les Poètes anciens et les modernes.
« Pense-t-on qu’au fond l’adroite parure de nos femmes ait moins son danger, qu’une nudité absolue, dont l’habitude tournerait bientôt les premiers effets en indifférence et peut-être en dégoût ?
or, de cet accord, résultera le surcroît du danger de la Représentation : le Spectateur, dont les passions seront exaltées en sortant de la Représentation, sera moins en état d’y résister : en augmentant le plaisir, vous aurez doublé les inconvéniens. […] Les Actrices de la première qualité joueront seules à la Cour, à cause des dangers & de l’incommodité que les Actrices du commun trouveraient à s’y rendre. […] On a tout dit sur les dangers du Théâtre : le sévère Nicole & M. […] L’on convient ici, que les dangers du Théâtre seront aussi réels, aussi grâves qu’il les a trouvés, tant que les Comédiens, avilis par la Religion & par les Loix, s’attireront néanmoins une sorte de culte public. […] Plus de passions, plus de dangers : les Actrices seront jeunes & belles ; mais leur nombre, la rareté des jours où elles paraîtront sur le Théâtre, le peu d’années qu’elles y resteront, le pouvoir d’y prétendre & de les épouser, ne donneront plus lieu qu’à l’amour honnête ; & le Sage de Genève convient qu’il est une vertu.