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182. (1731) Discours sur la comédie « TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS CE VOLUME. »

Augustin fait perdre à Alipe le goût du Théâtre, Alipe retourne au Théâtre 166. rejette les dons du Comte Boniface, 294 Aurèle (Marc) Empereur, tâche de diminuer la passion des Spectacles, 63 Aurélien Empereur, donne des Jeux Scéniques, 70 B Saint Basile appelle le Théâtre une école d’impureté, 159 Bayle dit que le Comique n’a point fait de mal à la galanterie, 29 Biel (Gabriel) veut qu’on refuse l’Eucharistie aux Histrions, 202 Boileau Despréaux, portrait qu’il fait de l’Opéra, 24 S. […] Preuves de son ignorance, 153 Caligula, sa passion pour les Spectacles, 56 Carin, dépense prodigieusement en des Jeux, 71. […] Sont-elles justifiées par la comparaison que les Pères en font avec les Jeux de dés ou de cartes, 288 Comédies saintes, leur commencement, 211. jouées au profit des Confrères de la Passion, 214. […] Démêlé des Confrères de la Passion avec Maître René Benoît, 217 Comédiens, les Empereurs permettent qu’on leur donne le Baptême dans une maladie dangereuse, 103. […] Tibère Empereur n’aimait point les Spectacles, 55 Tite fait bâtir un Théâtre, 60 Tolérance, beau principe de saint Augustin sur la tolérance des abus, 350 Trajan abolit les danseurs, selon Pline le Jeune ; mais il est contredit par Spartien, 61 Trèves puni pour la passion des Spectacles, 123 Troubadours, appelés aussi Ménétriers, leur occupation, 206. n’étaient point infâmes, 207.

183. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 10 « Réflexions sur le théâtre, vol 10 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE DIXIEME. —  CHAPITRE V. Tribunal des Comédiens. » pp. 128-140

Une vaste sale qui mugit, des Orateurs qui tiennent tout en suspens, rendent tout problématique, excitent toutes les passions ; enfin un morne silence, & un oracle qui se fait entendre ; il décida des biens de l’honneur de la vie. […] Une passion aveugle, une bassesse imbécile ont rendu arbitres ceux qui ne sont faits que pour obéir & exécuter, comme s’il appartenoit à des écoliers qu’un Régent fait déclamer, de prononcer sur sa composition ; comme s’il convenoit aux Maçons, aux Charpentiers, de donner des leçons à l’Ingénieur & à l’Architecte. […] Un homme dans la passion qui ne réfléchit point & fait taire sa raison, s’exprime plus vivement, plus fortement, plus pathétiquement qu’un homme d’esprit qui réfléchit le plus profondément : La colere suffit, & vaut un Appollon. Ce n’est même qu’en entrant dans la passion qu’un acteur peut bien rendre son rôle : Et où peut-il avoir pris son esprit, ces lumieres, ce goût épuré, ces sentimens nobles, cette bonne éducation qui forment l’homme de mérite. […] Qu’on ne prenne pas le change, l’accueil, les caresses dont on les comble, ne supposent point une vraie estime ; on ne fait pour eux que ce que ce libertinage fit toujours en faveur des objets, des complices, des proxénètes ou des flatteurs de la passion ; car elles sont plus prodiguées encore à ceux que leurs désordres en rendent plus indignes, leur orgueil va jusqu’à changer leur nom ; ils rejettent la dénomination de Troupe, qui leur fut toujours donnée, pour prendre celle de Compagnie : à ce nom avilissant, bien digne d’une profession si vile, ils en substituent un plus noble ; cet abus dangereux des termes annonce la décadence des Lettres, aussi-bien que celle des mœurs.

184. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE VIII. Sentimens de S. Chrysostome. » pp. 181-192

qu’il est méprisable dans ses passions ! […] Quand vous voyez ces spectacles, quand vous entendez ces airs lascifs, ces scènes amoureuses, quand vous voyez sous ce masque qui déguise les deux sexes, des hommes en femmes, ou des femmes en homme représenter leurs criminelles passions, qui est-ce qui au milieu de tant d’objets voluptueux peut demeurer chaste ? […] Quelle passion, dit-il, infame & ridicule ! […] On est bien plus heureux de ne pas les aimer ; il est bien plus doux de vaincre cette passion honteuse que de la satisfaire. […] L’homme sage au contraire, qui sait donner un frein à cette passion, & comme un athlète plein de courage sait la combattre & la vaincre, en ressent la plus pure joie.

185. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre VI. Des Sçènes. » pp. 257-276

Le Monologue est à peu près la même chose que l’à-parté, éxcepté qu’il lui est permis d’être beaucoup plus long ; dans l’un & dans l’autre, l’Acteur éxprime par des paroles les passions dont son ame est agitée. […] Un homme seul ne parle pas ordinairement tout haut comme un fou, il faut donc donner de grandes passions aux personnages qui découvrent leurs sentimens dans un Monologue : ils peuvent se plaindre, gémir, s’emporter, lorsqu’ils sont agités fortement ; parce qu’ils sont hors d’eux-mêmes, & qu’ils ne s’apperçoivent pas de leurs actions. Celui qui parle dans un Monologue, est supposé se rendre compte à soi-même ; & comme je l’ai déjà remarqué, ce n’est que la force de ses passions qui l’oblige de s’entretenir ainsi tout seul : on conçoit donc qu’il ne faut dans un Monologue que des sentimens. […] Quand les Monologues ne sont remplis que de passions, ils sont loin de n’être que des confidences, qu’on fait à ceux qui voient la représentation d’un Drame. […] Jean-baptiste, par Buchanan ; & de la Passion de notre Seigneur Jesus-Christ, par Heinsius.

186. (1836) De l’influence de la scène « De l’influence de la scène sur les mœurs en France » pp. 3-21

Mais son immense influence le soumettant à l’obsession de passions vives et ambitieuses, à la poursuite d’une autorité élective contre lesquelles les magistrats d’abord ne le défendirent pas, il fut enfin subjugué. […] le sacrifice de la plus impérieuse des passions que Sévère ? […] L’esprit de galanterie, introduit sur la scène, affaiblit le caractère des personnages, en lui donnant cette flexibilité qu’exclut le despotisme des grandes passions. […] Cette innovation, tempérant par le raisonnement l’emportement naturel des passions, leur donna un caractère nouveau. […] Si en développant aux yeux du peuple les suites funestes des passions, on ne l’en garantit pas par de saines maximes ; si en lui dévoilant le crime on ne l’exalte pas pour la vertu, la scène devient nécessairement vicieuse et corruptrice.

187. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XVI. Les pièces comiques et risibles rejetées par les principes du même Platon. » p. 64

D’ailleurs les pièces comiques étant occupées des folies et des passions de la jeunesse, il y avait une raison particulière de les rejeter ; « de peur, disait-il, qu’on ne tombât dans l’amour vulgaire »De Rep. 10. […] Enfin aucune représentation ne plaisait à ce philosophe, parce qu’il n’y en avait point « qui n’excitât ou la colère ou l’amour ou quelque autre passion » Ibid.

188. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE VIII. Sentiment de S. Thomas. » pp. 178-198

Qui chante, qui danse, qui peint la passion comme des Actrices ? […] Les livres, les tableaux n’en approchent pas ; c’est l’abrégé de la passion, l’élixir du vice, le crime même avec tout son poison, vivant & agissant, charmant tout : qui peut lui résister ? […] Et tout cela n’est point nécessaire, comme l’étude de la médecine ; tout cela ne se fait que par plaisir, pour favoriser les passions. […] L’air enjoué, le ton d’insinuation, la vivacité de la passion, le goût des spectateurs, la licence des Acteurs, l’immodestie des Actrices, le fonds du sujet, les épisodes, les intermèdes, &c. tout en fait un poison mortel. […] n’est-on pas duppe de sa passion, si on le pense ?

189. (1744) Dissertation épistolaire sur la Comedie « Dissertation Epistolaire sur la Comedie. — Reponse à la Lettre précedente. » pp. 19-42

Quelle esperance pourra avoir cette personne, que le raison de la celeste lumiere éclairera son esprit dans l’oraison, & que la dureté de son cœur sera amollie par l’operation du Saint Esprit, tandis qu’elle ne remporte de la Comedie qu’une tête pleine de douces & charmantes idées, remplie de toutes les passions folles & imaginaires, que la declamation d’un Comedien folâtre lui a pû représenter ? […] & violenti rapiunt illud , c’est à dire, qu’il faut se faire violence, contrarier sans cesse ses inclinations, mortifier les sens, son amour propre, dompter ses passions, porter chaque jour sa croix ; de forte, que la vie chrétienne, & qui méne au salut, doit être une vie mortifiée, contrarier aux inclinations & aux sens : cependant cette Demoiselle trop commode ne veut rien moins que se faire violence. […] C’est un Pere cruel, qui méne sa fille comme Darius fit aller autrefois son cher Daniel à la fosse des Lions : quel est son desespoir de porter lui-même sa fille au bucher pour qu’elle soit la victime de ses passions naissantes ? […] Après avoir vû cette passion si bien depeinte sur le Theatre avec toutes les couleurs de la parole, d’une expression douce, & de la declamation ; cette Fille commence à sortir de la sainte ignorance où elle éroit, & ce que la nature ne lui avoit pas encore appris, des Comediens & des Comediennes le lui apprennent comme les nouveaux maîtres de son prémier malheur, Ce métier apris à une si mechante école est secondé par les inclinations naturelles, & il ne laisse que les idées d’une douce passion ; ces idées lui reviennent souvent, & elles attaquent son innocence : il faut un miracle de la droite du Seigneur pour qu’il ne lui arrivent de grandes chûtes, qui, quoiqu’elles ne se commettent qu’interieurement, déviennent presque incurables, & entrainent la plûpart, qui les font, à la damnation éternelle. […] Qu’on abandonne donc dés à présent ce, dont on se repentira certainement à l’article de la mort, où l’on voit clairement toutes choses, & non plus par le faux jour de ses passions.

190. (1675) Traité de la comédie « XIV.  » pp. 294-295

Il est si vrai que la Comédie est presque toujours une représentation de passions vicieuses, que la plupart des vertus chrétiennes sont incapables de paraître sur le Théâtre. […] « Si mon âme à mes sens était abandonnée, Et se laissait conduire à ces impressions, Que forment en naissant les belles passions. » Et l'humilité de théâtre souffre qu'elle réponde de cette sorte en un autre endroit : « Cette haute puissance à ses vertus rendue, L'égale presque aux rois dont je suis descendue ; Et si Rome et le temps m'en ont ôté le rang, Il m'en demeure encor le courage et le sang.

191. (1756) Lettres sur les spectacles vol. 2 «  HISTOIRE. DES OUVRAGES. POUR ET CONTRE. LES THÉATRES PUBLICS. —  HISTOIRE. DES OUVRAGES. Pour & contre les Théatres Publics. » pp. 101-566

Notre Théatre ne se réformera pas non plus sur la passion de l’amour. […] On ne va aux Spectacles que pour y éprouver le sentiment des passions. […] En un mot, toutes les passions s’emparent du Théatre. […] Les passions humaines débitent sur le Théatre les maximes de tous les vices. […] Quel aliment aux passions, au moment qu’elles font plus d’efforts pour éclore !

192. (1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE IV. Du Clergé considéré comme protecteur et fondateur des Comédiens du troisième âge en France, et comme en ayant lui-même exercé la profession. » pp. 113-119

Ces comédiens du troisième âge furent, dans l’origine, des pèlerins de la Terre-Sainte, qui, à leur retour, chantaient par les rues des cantiques de leur composition, sur la passion de Jésus-Christ, sur les prodiges opérés au saint sépulcre et ailleurs, et en général sur les choses extraordinaires et merveilleuses dont ils prétendaient avoir été témoins pendant le cours de leurs longs voyages, et dont ils offraient la représentation sur des espèces de tableaux. […] Après avoir acquis une sorte de célébrité et beaucoup de crédit à la cour et parmi le peuple, nos pèlerins parvinrent à s’ériger en société, sous le titre de confrères de la passion de Notre-Seigneur, et ils obtinrent non seulement l’approbation et la protection de l’autorité temporelle, mais encore la bienveillance et l’appui spécial du clergé séculier et régulier. […] En effet, des prêtres, au mépris de la discipline ecclésiastique, non seulement assistaient aux spectacles mondains donnés par les confrères de la passion, qui, après leurs comédies saintes, mettaient toujours quelques farces profanes, mais encore ils avaient eux-mêmes rempli des rôles et ouvert leurs églises pour ces sortes de représentations.

193. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre onzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre II. Autres Anecdotes du Théatre. » pp. 43-70

Sa belle ame qui étoit faite pour la pratiquer, fut si frappée de ces discours, qu’il retira ses pieces, & renonça au théatre, que l’étourderie & les passions de la jeunesse lui avoient fait d’abord trop goûter, pour s’adonner à l’étude de la sagesse ; il ne permit, non plus qu’Aristote dans sa République, aucune représentation théatrale, parce qu’il n’en est aucune qui n’excite quelque passion, colere, vengeance, ambition, amour ; l’action suit de près les discours & la représentation, on se laisse aisément gagner lorsqu’on aime de voir & d’entendre. Tout ce qui n’a pour objet que le plaisir, est très-dangereux, il ne pouvoit souffrir qu’à la faveur du théatre, les passions eussent le fatal privilége de parler plus haut que les loix. […] La passion pour les actrices est une maladie épidémique que communique le théatre, on ne peut l’éviter que par la fuite ; quiconque hante les coulices n’est pas moins exposé que celui qui vit dans une infirmerie de pestiferés. […] On a toujours fait dire à Aristote, que le but de la tragédie est d’employer la terreur & la pitié, pour purger les passions ; doctrine que Corneille ne comprenoit pas, M. Mout, Anglois, fin du théatre, prouve qu’on s’est trompé, le mot d’aristote ne signifie pas ce que nous entendons par passion, mais infortune, calamité, ce qu’il justifie par d’autres passages.

194. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre IX. Sentiments de S. Cyprien et de quelques autres Pères. » pp. 175-201

» Ils émeuvent les sens, flattent les passions, ébranlent la plus grande vertu. […] comme s’il y avait une grande différence entre satisfaire sa passion en public au spectacle, ou en particulier dans sa maison ? […] Celui qui a une passion violente pour le théâtre, est un insensé et un débauché, « insanus ac perditus ». Fuyez cette malheureuse passion, il est plus facile de la prévenir que de l’arracher quand elle a jeté de profondes racines, ce qui paraît quelquefois impossible, « etiam impossibile videtur ». […] Voilà un digne retour pour sa passion et sa mort : « Præclaram passionis ejus vicissitudinem ! 

195. (1825) Des comédiens et du clergé « Table des matières, contenues dans ce volume. » pp. 409-427

Comediens, chez les Grecs et les Romains, pag. 1 ; en France, pag. 63 ; prennent leur origine dans les confrères de la Passion de N.S.J.C., société de pèlerins qui s’était réunie pour jouer les saints mystères, pag. 85 ; obtiennent en 1402 des lettres patentes de Charles VI, pag. 90 ; et de François 1er en 1518, pag. 94 ; sont obligés par arrêt du parlement de Paris, de 1548, de ne plus établir leurs comédies que sur des sujets profanes, pag. 101 ; succèdent entièrement aux confrères de la Passion, pag. 103 ; obtiennent des privilèges, p. 107 ; leurs pièces soumises aux procureurs du roi, pag. 108 ; ils sont admis au Louvre et protégés du roi Louis XIV, pag. 112 ; la législation change en leur faveur, pag. 114 ; jouissaient à l’exclusion des autres classes du privilège de conserver leur noblesse, pag. 116 ; leurs droits comme citoyens dans l’Etat, pag. 125 ; leur profession étant instituée et protégée par les lois civiles et les diplômes du prince, ils n’en sont plus comptables au clergé, pag. 131 ; l’abjuration que le clergé exige de leur profession, ainsi que le refus de sépulture, qu’il leur fait à leur décès, sont des délits que les procureurs du Roi doivent poursuivre devant les tribunaux, pag. 134 et 282 ; ils font l’aumône aux cordeliers, aux capucins, aux augustins, qui la leur demandent par placet, et qui promettent de prier Dieu pour leur chère compagnie, pag. 175 ; les comédiens n’étant pas excommuniés dénoncés, le clergé ne peut leur faire l’application des anathèmes, pag. 182 ; saints et saintes honorés par l’Eglise romaine, et qui ont été comediens, pag. 193 ; piété et bienfaisance de Beauchâteau comédien, pag. 365*. Conciles d’Elvire et d’Arles qui excommunient les histrions, pantomimes, gens de cirque, farceurs et bateleurs, pag. 66, 127 : Confreres de la passion, comédiens du troisième âge, voyez pèlerins. […] Pelerins, revenant de la Palestine, se constituent en confrérie de la Passion de N.S.J.C. […] Prince des sots et ses sujets, sorte de farceurs, associés aux confrères de la Passion, pag. 97.

196. (1697) Histoire de la Comédie et de l’Opéra « HISTOIRE ET ABREGE DES OUVRAGES LATIN, ITALIEN ET FRANCAIS, POUR ET CONTRE LA COMÉDIE ET L’OPERA — CONCLUSION » pp. 113-114

Il faut conclure nécessairement de tous les principes si solidement prouvés dans tous les Ouvrages dont j’ai fait l’Abrégé dans celui-ci, que les Comédies seront toujours défendues tant que les hommes et les femmes s’entretiendront d’amour et des autres passions sur le Théâtre, et que les Chrétiens n’y pourront aller sans péché, à cause du danger qu’il y a d’exciter ou de réveiller leurs passions, à cause du mauvais exemple, à cause qu’ils contribuent à l’excommunication des Comédiens qui exposent leur salut pour divertir leurs Spectateurs.

197. (1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — XIV.  » p. 469

Il est si vrai que la Comédie est presque toujours une représentation de passions vicieuses que la plupart des vertus chrétiennes sont incapables de paraître sur le Théâtre. […] Il faut que la dévotion de ces Saints de Théâtre soit toujours un peu galante: c'est pourquoi la disposition au Martyre n'empêche pas la Théodore de M. de Corneille de parler en ces termes: « Si mon âme à mes sens était abandonnée, Et se laissait conduire à ces impressions Que forment en naissant les belles passions. » Et l'humilité de théâtre souffre qu'elle réponde de cette sorte en un autre endroit : « Cette haute puissance à ses vertus rendue, L'égale presque aux rois dont je suis descendue ; Et si Rome et le temps m'en ont ôté le rang, Il m'en demeure encor le courage et le sang.

198. (1756) Lettres sur les spectacles vol. 2 «  HISTOIRE. DES OUVRAGES. POUR ET CONTRE. LES THÉATRES PUBLICS. — NOTICES. PRÉLIMINAIRES. » pp. 2-100

Que devenoit la pureté de la morale au milieu de cette confusion de passions ? […] Or, est-il utile en bonne morale d’allumer ainsi les passions par amusement, & seulement pour le plaisir de les allumer ?  […] On les aime à cause des passions qu’elles peignent, & de l’émotion qu’elles excitent. […] La Passion, &c. […] C’est en effet toujours la passion de l’amour qui est l’ame de toutes nos Pieces de Théatre.

199. (1782) Le Pour et Contre des Spectacles « Seconde lettre contre les spectacles. » pp. 60-145

Il faudra donc que nous passions pour honnêtes, les impiétés & les infamies, dont sont pleines les Comédies de Moliere ? […] Qu’ils nous ont appris à ne plus rougir des passions de l’amour &c. […] Je n’ai jamais, dit il à ce sujet, je n’ai jamais entendu la purgation des passions, par le moyen des passions mèmes. […] Vart, autre Apologiste des Théatres, notre Théatre ne se reformera pas sur la passion de l’amour. […] Leurs passions ne s’éveilleront-elles pas assez d’elles-mêmes ?

200. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre VII. De la Diction. De la Poësie dans la Tragédie. » pp. 122-130

Les passions ne sont qu’ébauchées, & c’est tout ce qu’on peut faire, quand l’esprit parle au lieu du sentiment & du goût. […] Le spectateur n’est point agité des violentes secousses que les passions bien maniées produisent. […] « Dans les bons Auteurs, tout parle tout agit ; mais c’est, dit le pere Brumoy, plus l’action & le sentiment que le discours, au lieu que nos jeunes Poétes donnent souvent dans le discours & les paroles, pour suppléer au Spectacle & à la passion. » Ce n’est que de sens froid qu’on applaudit à la beauté des vers dans un Spectacle.

201. (1758) Lettre de J. J. Rousseau à M. D’Alembert « JEAN-JACQUES ROUSSEAU. CITOYEN DE GENÈVE, A Monsieur D’ALEMBERT. » pp. 1-264

Un Peuple féroce et bouillant veut du sang, des combats, des passions atroces. […] La Tragédie prétend bien que toutes les passions dont elle fait des tableaux nous émeuvent, mais elle ne veut pas toujours que notre affection soit la même que celle du personnage tourmenté par une passion. […] Ainsi le Théâtre purge les passions qu’on n’a pas, et fomente celles qu’on a. […] Est-ce ainsi qu’on nous rend suspecte une passion qui perd tant de gens bien nés ? […] Si l’ivresse a ses fureurs, quelle passion n’a pas les siennes ?

202. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Sixième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 40-72

Celles qui ont cultivé l’esprit plus que le corps, ont préféré les Spectacles où on voit les ressources du génie & les ressorts des passions. […] » Dans les Spectacles où l’âme fait ses preuves, il n’est pas possible qu’il y ait autre chose qu’imitation, parce que le dessein seul d’être vu contredit la réalité des passions : un homme qui ne se met en colère, que pour paraître fâché, n’a que l’image de la colère ; ainsi toute passion, dès qu’elle n’est que pour le Spectacle, est nécessairement passion imitée, feinte, contrefaite : & comme les opérations de l’esprit sont intimement liées avec celles du cœur, en pareil cas, elles sont de même que celles du cœur, feintes & artificielles. […] » Les derniers Spectacles sont sans doute les plus dignes de nous, quoique les autres soient une passion qui remue l’âme & la tient occupée. […] L’Histoire Romaine est encore remplie de faits qui prouvent la passion démesurée du Peuple pour les Spectacles, & que les Princes & les Particuliers fesaient des frais immenses pour la contenter. […] Un pareil dessein, s’il était exécuté, mettrait le comble au mal ; puisqu’un Peuple corrompu, au lieu des amusemens où les passions sont quelquefois chatouillées, excitées, réveillées, chercherait des divertissemens où il pût les assouvir.

203. (1666) Réponse à la lettre adressée à l'auteur des Hérésies Imaginaires « Ce I. avril 1666. » pp. 1-12

Croyez-vous que la lecture de leurs ouvrages soit fort propre à faire mourir en nous le vieil homme, à éteindre les passions, et à les soumettre à la raison ? […] Desmarets, ni sur l’exemple de M. le Maître, que ceux de Port-Royal ne jugent que selon leurs passions et leurs intérêts. […] Vous vous êtes souvenu qu’on avait dit quelque part, que « le soin qu’on prend de couvrir des passions d’un voile d’honnêteté ne sert qu’à les rendre plus dangereuses »j  ; et sans savoir trop bien ce que cela signifie, vous avez cru que vous vous sauveriez par là, comme si, en retranchant les libertés des comédies de Térence, on avait rendu les passions qui y sont représentées plus dangereuses en les couvrant d’un voile d’honnêteté. […] Couvrir les passions d’un voile d’honnêteté, ce n’est pas ôter d’un livre ce qu’il y a d’impur et de déshonnête. […] Mais d’ailleurs ce n’est pas par ces passions couvertes et déguisées que Térence est dangereux, surtout dans les comédies qu’on a traduites, il y a des délicatesses admirables, mais elles ne sont pas de ce genre-là, et dès qu’on en a retranché ce qu’il y a de trop libre, il n’est plus capable de nuire.

204. (1824) Du danger des spectacles « DU DANGER DES SPECTACLES. » pp. 4-28

Quant à la boisson, au jeu et au spectacle, outre qu’ils ont une influence pernicieuse et corrompent la jeunesse, il faudrait encore les éviter, n’eussent-ils d’autre défaut que de faire perdre beaucoup de temps, d’habituer les hommes à l’oisiveté et aux pensées frivoles, et d’allumer les passions, non seulement dans le moment même où l’on se livre à ces plaisirs funestes, mais longtemps encore après qu’on les a goûtés. […] C’est une peinture si naturelle et si délicate des passions, qu’elle les anime et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l’amour, principalement lorsqu’on se représente qu’il est chaste et fort honnête ; car, plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont capables d’en être touchées. […] Si donc nous trouvons du plaisir dans des discours impurs, dans d’impudiques amours, dans des passions violentes, dans des maximes d’immoralité, il n’en faut point douter, c’est qu’il y a quelque chose dans notre nature qui répond à tous ces principes de vice. […] Les passions extravagantes des amants que des obstacles séparent, l’expression désordonnée de l’amoureux délire des héros, les joies et les tourments de l’amour, les descriptions enflammées et les actions immorales, les amoureux transports des acteurs, toutes choses qui entrent pour beaucoup dans la composition de nos tragédies les plus sages et les plus décentes, tout cela, je le demande, est-il compatible avec une religion qui fait une obligation de la pureté du cœur ? […] Nous devons empêcher qu’elle ne se laisse guider par son imagination et ses passions ; nous devons enfin jeter dans son cœur des semences de modestie, d’humilité, de modération, et lui inspirer, de bonne heure, du respect pour la piété et la vertu.

205. (1823) Instruction sur les spectacles « Table des chapitres. » pp. 187-188

L’amour profane est la plus dangereuse de toutes les passions. 29 Chap.  […] Le but des auteurs et des acteurs dramatiques est d’exciter toutes les passions, de rendre aimables et de faire aimer les plus criminelles. 51 Chap. 

206. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre II. Le métier de comédien est mauvais par lui-même, et rend infâmes ceux qui l’exercent. » pp. 15-28

« Quiconque monte sur le théâtre est infâme. » Pour peu qu’on ait de bon sens, on reconnaîtra facilement qu’il est impossible de concilier le métier de comédien avec les devoirs du christianisme : car, « lorsqu’un comédien veut jouer une passion, dit Bossuet1, il faut qu’il la joue le plus naturellement qu’il lui est possible ; il faut qu’il rappelle autant qu’il est en lui celles qu’il a ressenties, et que, s’il était chrétien, il aurait tellement noyées dans les larmes de la pénitence, qu’elles ne reviendraient jamais à son esprit, ou n’y reviendraient qu’avec horreur. […] Il faut donc que ceux qui représentent la passion d’amour en soient touchés pendant qu’ils la représentent. […] Est-il possible qu’elle n’y laisse pas une grande disposition à se livrer à cette passion qu’on a bien voulu ressentir ? Quand on pense que les comédiens passent leur vie toute entière à apprendre en particulier, ou à répéter entre eux, ou à représenter devant les spectateurs, l’image de quelque vice, et qu’ils sont obligés d’exciter en eux des passions vicieuses, on ne peut s’empêcher de reconnaître que la comédie est par sa nature même une école et un exercice du vice, et qu’il est impossible d’allier ce métier avec la pureté de la religion ; que c’est un métier profane et indigne d’un chrétien. […] Ces hommes si bien parés, si bien exercés au ton de la galanterie et aux accents de la passion, n’abuseront-ils jamais de cet art pour séduire les jeunes personnes ?

207. (1775) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-septieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — [Introduction] » pp. 2-9

Ce Poete, quoique poïen, avoue de bonne foi qu’il ne suit pas les lumieres de sa conscience ; mais qu’entraîné par la passion, le mauvais exemple, il a la foiblesse de faire ce que lui-même condamne. […] Les grands poëtes ont acquis l’immortalité, non en excitant les passions, mais en les réprimant, en corrigeant le vice & inspirant la vertu, sic honor & nomen divinis vatibus atque carminibus venit . […] Il y a quelque chose d’énigmatique dans sa conduite : il a loué Moliere à l’excès, & l’a amerement critiqué ; il le craignoit pendant sa vie, & lui rend justice aprês sa mort ; il veut qu’on excite les passions sur la scène, singulierement l’amour, & il en déplore les effets ; il copie & embellit Horace, il est plus indulgent que lui ; il blâme la galanterie de Quinault, & applaudit à celle de Racine, qui est encore plus dangereuse ; il réconcili Racine avec Arnaud, avec qui ses travaux d’amatiques l’avoient brouillé, & il donne soigneusement les regles de cet art pernicieux. […] C’est la marche de toutes les passions : le plus libertin, le plus emporté, le plus avare rend en secret justice au vice & à la vertu, & se condamne lui-même : il ne faut que le livrer à sa propre conscience ; & c’est l’arrêt que Dieu lui sera prononcer malgré lui éternellement par sa propre bouche.

208. (1664) Traité contre les danses et les comédies « Chapitre X. Que c’est une chose vicieuse et un dérèglement manifeste de danser fréquemment. » pp. 37-40

Quoiqu’il soit permis de prendre quelque recréation après le travail, et de donner quelque relâche à son esprit après les occupations sérieuses ; si on excède néanmoins dans le divertissement, soit pour la manière d’en user, soit pour le temps qu’on y emploie, ce n’est plus une recréation honnête ; mais une pure sensualité, et on n’agit pas en homme raisonnable : mais on se laisse conduire aux passions de la chair, et aux instincts de la nature, comme les bêtes. […] Que ceux qui dansent ainsi fréquemment, par le plaisir qu’ils prennent à danser, s’attachent avec tant de passion à cet exercice, qu’ils tombent presque toujours dans quelque faute, qui les rend coupables de péché mortel.

209. (1667) Traité de la comédie « Préface » pp. 452-454

Ceux qui étaient possédés de la passion du Théâtre reconnaissaient au moins qu'ils ne suivaient pas en cela les règles de la religion chrétienne. […] On tâche donc de faire en sorte que la conscience s'accommode avec la passion et ne la vienne point inquiéter par ses importuns remords.

210. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme. — Chapitre III. Autre continuation des Mêlanges. » pp. 45-87

Nous ressemblons, p. 165, à des instrumens de musique dont les passions sont les cordes. […] La conspiration est mutuelle, elle est agréable à tous les musiciens ; l’acteur doit être le premier monté, sentir les passions qu’il représente, pour les inspirer. […] Aucun passion n’exerce un plus severe despotisme sur ses esclaves ; les tributs n’adoucissent point son empire : plus on lui accorde plus elle exige. […] Sa vive imagination prodiguoit dans sa douce ivresse Des beautés sans correction, Qui choquoient un peu la justesse, Mais respiroient la passion. […] C’est une équivoque ; ce ne sont pas là des passions, ce sont des vertus ; une passion est un mouvement violent, désordonné pour un mauvais objet ; il n’en est aucun de ces caracteres qu’il soit utile d’allumer.

211. (1731) Discours sur la comédie « MANDEMENT DE MONSEIGNEUR L’EVEQUE DE NIMES, CONTRE LES SPECTACLES. » pp. 352-360

Mes très chers Frères, Nous voyons avec douleur depuis quelque temps, l’affection et l’empressement que vous avez pour les Spectacles, que nous avons si souvent déclarés contraires à l’esprit du Christianisme, pernicieux aux bonnes mœurs, et féconds en mauvais exemples, où sous prétexte de représentations et de musiques innocentes par elles-mêmes, on excite les passions les plus dangereuses, et par des récits profanes et des manières indécentes, on offense la vertu des uns, et l’on corrompt celle des autres. […] Vous alliez avec joie vous divertir des passions d’autrui, et nourrir peut-être les vôtres. […] Convient-il, Mes très chers Frères, d’étaler sur des Théâtres un attirail de vanité, d’y jouer des scènes divertissantes, et d’y remplir l’esprit et le cœur des peuples de frivoles et ridicules passions, dans des conjonctures où chaque Citoyen doit prier pour son Prince ; où le Roi s’humiliant le premier lui-même sous la main toute puissante de Dieu, implore ses anciennes miséricordes, et touché d’une guerre que la justice et la Religion l’obligent de soutenir, met tout son Royaume en prière, et fait passer de son cœur Royal dans celui de tous ses sujets, son humble confiance en Dieu, et sa charité pour son peuple.

212. (1774) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre seizieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre VII. Autre suite de diversités curieuses. » pp. 173-202

La passion a déjà saisi son objct & commis le péché, sans attendre un remede qui vient après coup, & ne fait aucune impression, & n’arrête pas un penchant qu’elle a mis dans son parti. […] Elles se dissipent, perdent la pudeur, flattent leur vanité, & prennent les miseres de la passion pour la mesure de leurs grâces, s’aguerrissent avec le vice, se perdent en perdant les autres. […] Les femmes allument le feu des passions au cœur des hommes, comme les renards de Samson embraserent les bleds des Philistins. […] L’acteur ne peint la passion que pour l’exciter dans le spectateur. 2.° Crime ; il n’est pas permis d’exciter les passions dans les autres. […] Les passions sont les maladies de l’ame, elles conduisent à la mort éternelle.

213. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « X. Différence des périls qu’on cherche et de ceux qu’on ne peut éviter. » pp. 44-45

On ne peut, continue-t-il, faire un pas, lire un livre, entrer dans une Eglise, enfin vivre dans le monde, sans rencontrer mille choses capables d’exciter les passions. » Sans doute, la conséquence est fort bonne : tout est plein d’inévitables dangers ; donc il en faut augmenter le nombre. […] Tous les objets qui se présentent à nos yeux peuvent exciter nos passions : donc on peut se préparer des objets exquis et recherchés avec soin, pour les exciter et les rendre plus agréables en les déguisant : on peut conseiller de tels périls ; et les comédies qui en sont d’autant plus remplies qu’elles sont mieux composées et mieux jouées, ne doivent pas être mises « parmi ces mauvais entretiens, par lesquels les bonnes mœurs sont corrompues ».

214. (1675) Traité de la comédie « I. » pp. 272-274

Ceux qui étaient possédés de la passion du théâtre, reconnaissaient au moins qu'ils ne suivaient pas en cela les règles de la religion chrétienne. […] On a donc tâché de faire en sorte que la conscience s'accommodât avec la passion, et ne la vînt point inquiéter par ses importuns remords.

215. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre VIII.  » pp. 195-221

On a voulu donner un air d’importance à cet événement méprisable, pour avoir occasion d’exposer les tableaux les plus obscenes, d’autoriser le vice, de décrier la vertu, de décréditer le Clergé, par l’exemple des gens à qui on ne donne du mérite que pour relever l’Apologie des passions, & en illustrer la licence. […]  16, rapporte ce trait : nous avons besoin de veiller à toute heure, pour avancés que nous soyons dans la perfection, d’autant que nos passions renaissent, même quelquefois après avoir vécu long-tems en réligion, & avoir fait un grand progrès dans la vertu : comme il arriva à Silvain, Réligieux de Saint Pacôme, dans le monde il étoit comédien de profession, & s’étant converti & fait Réligieux, il passa plusieurs années dans une mortification exemplaire, sans qu’on lui vit jamais faire aucun acte de son premier métier ; vingt ans après il pensa pouvoir faire quelque badinerie, sous prétexte de récréer ses Freres, croyant que ses passions fussent tellement amorties, & qu’elles n’eussent plus le pouvoir de le faire passer au-delà d’une simple récréation ; mas le pauvre homme fut bien trompé, car la passion de la joie se réveilla tellement, que des badineries, il passa aux dissolutions, de sorte qu’on résolut de le chasser ; ce que l’on eût fait, sans un des Réligieux qui demanda grace, & se rendit sa caution, promettant qu’il se corrigeroit, ce qu’il fit, & veçut depuis très-saintement : Naturam expelles furcâ tamen usque recurret. […] Les loix défendent les-injures, les libelles diffamatoires, le théatre y donne encore un plus beau jour, & met en jeu toutes les passions. […] Les passions exagerent tout en bien & en mal, les passions de tous les tems se répetent, & le monde est son propre écho. […] Spectacle dangereux, objet d’une passion excessive récusation à Cahors, l’oracle de Saint François de Sales.

216. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quatorzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littérairesn sur le théatre. — Chapitre IIbis. Autre suite du Fard. » pp. 61-89

Une femme se farde par legereté, par ignorance, pour suivre la mode, pour obéir à son mari, à son pere, sa faute peut être legere ; mais se farder pour plaire aux hommes, leur inspirer des passions, & satisfaire la sienne, n’est ce qu’un péché véniel ? […] Il ne peut être approuvé que dans un Serrail, où l’unique loi est d’allumer & d’entretenir les passions sensuelles d’un homme livré à la débauche, ou dans le monde & sur le théatre, où par une sorte de Serrail ouvert au public, & plus criminel que celui de Constantinople, on allume & on entretient par toute sorte de moyens les passions de tous les libertins. […] Les Juives n’étoient pas les seules ; les femmes de toutes les nations orientales, Médes, Perses, Indiens, avoient la même passion. […] sans doute ; ridicule des sentimens, des démarches, de la passion, de l’affectation, du train, de la disarrerie, des ornemens, de la jalousie, du mépris des autres, de l’amour de soi-même. […] Quelle apothéose que les passions qu’allument ses charmes & sa parure !

217. (1687) Instruction chrétienne pour l’éducation des filles « CHAPITRE XIII. Des jeux, des spectacles, et des bals, qui sont défendus aux Filles Chrétiennes. » pp. 274-320

De là vient qu’ils s’élèvent contre ceux qui leur représentent leurs vices et leurs passions injustes, ils les fuient, ils les évitent, et ne les peuvent supporter de peur que la vérité connue, ne les force d’abandonner ce qu’ils aiment. […] C’est néanmoins celle où vous êtes réduite, et ce qui rend votre condition encore plus misérable, c’est que si vous surmontez aujourd’hui votre passion, elle se révoltera demain ; et vous aurez autant de peine à vaincre cette nouvelle attaque, que la première. […] Tous ses travaux, ses fatigues, ses persécutions, ses combats et sa sainteté, ne le peuvent pas délivrer des violences, que cette cruelle passion exerce contre lui, elle ne lui donne ni trêve ni repos, il se jette à deux genoux, il crie miséricordeS. […] Comment voulez-vous que ces personnes, qui la composent, qui ont la même passion infiniment plus vive et plus ardente, dont le corps est nourri si délicatement, vêtu avec tant de mollesse, et de luxe, assiégées de jeunes gens, qui abandonnent tous leur sens, pour en boire le poison avec plus de liberté, qui jettent mille regards malhonnêtes, leurs yeux étant comme des canaux voluptueux par où passe l’amour, et comme les ambassadeurs de cette infâme passion, qui ont des entretiens pleins de tendresse, et souvent pleins de dissolutions : quand il ne se passerait point autre chose, pouvez-vous dire en bonne foi, que les uns et les autres sont chastes ? […] Ce regard éveilla sa passion, le feu s’augmenta, il vit cette femme, elle lui plut, il en fut charmé, il avala le poison, et le vainqueur de Goliath devint en un moment la conquête de Bersabée, sur quoi S.

218. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 1 « CHAPITRE V. Des Pièces tirées de l’Ecriture sainte. » pp. 96-119

n’y mêle-t-on, ni épisode, ni passion, ni intrigue, ni dénouement ? […] N’avez-vous, Seigneur, daigné parler aux hommes que pour être, comme dans votre passion, traité en Roi de théâtre, couvert d’un manteau de pourpre, un roseau à la main, une couronne d’épines sur la tête ? […] que Judith était belle et parée, Esther tendre et insinuante, Bethzabée immodeste et fragile, la femme de Putiphar impudente et infidèle ; ils admirent la fierté d’Assuérus, l’ambition d’Absalon, les intrigues d’Architopel, en un mot tout ce qui est capable de nourrir la passion : tout le reste leur paraît vide ; à peine l’ennui laisse-t-il tomber un regard distrait sur ce qui porte à la piété, un œil de mépris sur ce qui combat la passion. […] de Passion. […] Ce Comédien fait plus que Balaam, il mène ces femmes Madianites, les conseille, les anime, nourrit leurs passions, les offre au parterre.

219. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XV. La tragédie ancienne, quoique plus grave que la nôtre, condamnée par les principes de ce philosophe.  » pp. 61-63

Par ce moyen il poussait la démonstration jusqu’au premier principe, et ôtait à la comédie tout ce qui en fait le plaisir, c’est-à-dire, le jeu des passions. […] Les anciens du moins étaient bien éloignés de cette erreur, et ils renvoyaient à la comédie une passion qui ne pouvait soutenir la sublimité et la grandeur du tragique : et toutefois ce tragique si sérieux parmi eux, était rejeté par leurs philosophes.

220. (1770) Des Spectacles [Code de la religion et des mœurs, II] « Titre XXVIII. Des Spectacles. » pp. 368-381

Le Parlement de Paris permit, par Arrêt du 9 Novembre 1543, aux Confrères de la Passiona (c’étoient nos premiers Comédiens) de s’établir dans l’ancien Hôtel des Ducs de Bourgogne qu’ils avoient acheté, & d’y avoir un théâtre, à condition de n’y jouer que des sujets profanes, licites & honnêtes, & leur fit de très-expresses défenses d’y représenter aucun mystère de la Passion, ni autres mystères sacrés. […] Les Comédiens Italiens jouissoient autrefois du privilége exclusif de jouer pendant la semaine du Carême, dite de la Passion. […] L’on est tout étonné d’apprendre, dit l’Auteur du Dictionnaire du Droit Canonique, que nos Comédiens François d’aujourd’hui n’ont succédé qu’à des farceurs, qui au commencement du dernier siècle représentoient toujours des scènes pieuses, telles que la passion de Jesus-Christ, sa naissance, &c. « On voit encore aujourd’hui au lieu même où subsiste la Comédie Italienne, au-dessus de la porte qui donne dans la rue Françoise, les attributs de la Passion représentés en relief ; emblême, dit Villaret, de la piété des premiers Instituteurs de ce théâtre. Cette maison appartient aux anciens Confrères de la Passion ».

221. (1777) Des divertissements du Carnaval « Des divertissements du Carnaval. » pp. 92-109

Quel mal il y a de passer une partie du jour au jeu, presque toute la nuit au bal ; ne repaître ses yeux que d’objets lascifs et séduisants ; ne reconnaître d’autre Dieu que le plaisir, ni d’autre maître que la passion ; se confondre dans un tas de libertins, les sens sans retenue, le cœur sans garde, l’esprit sans modération ; être de toutes les parties de divertissements, éternellement avec tout ce qu’il y a de moins régulier et de plus dissolu dans une ville : car de quels autres sujets pendant le carnaval peuvent être composées ces assemblées si libres, et la plupart nocturnes ? […] Le temps du carnaval sera donc le temps qu’on se livrera à toutes les passions, le temps qu’on s’exposera sans crainte à mille périls, le temps qu’on sacrifiera publiquement à tous les vices. […] On aime le jeu, on se plaît au bal, tout ce qui vient troubler cette passion est regardé comme ennemi de notre repos. […] Toute erreur qui nourrit et qui flatte la passion, a des charmes. […] Dites-leur que le bal est défendu parce qu’il est presque toujours l’écueil de l’innocence, le tombeau de la pudeur, le théâtre de toutes les vanités mondaines, et le triomphe de toutes les passions : que c’est un assemblage de tous les dangers du salut, et un précis vif et piquant de toutes les tentations : que tout y est écueil : que tout y est poison : danses, instruments, objets, entretiens, assemblée, tout y concourt à étouffer les sentiments de piété, à séduire et l’esprit et le cœur : que rien n’est plus opposé que le bal à l’esprit du Christianisme : avec quel mépris serez-vous écouté !

222. (1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE V. De la protection spéciale sanctionnée par le Pape, accordée aux Comédiens du troisième âge, par l’autorité spirituelle, et par l’autorité temporelle. » pp. 120-129

Malheureusement le clergé catholique, dans ces temps d’ignorance et de fanatisme, se compromettait en exerçant la profession d’acteur, ou, si on veut, l’art du comédien : et cet art se trouvait avili même par les pèlerins et les confrères de la passion, qui, indépendamment de leurs comédies pieuses, y joignaient des farces obscènes. […] On observera cependant qu’à l’époque à laquelle les pèlerins et les confrères de la Passion s’emparèrent de la scène théâtrale, de concert, pour ainsi dire, avec des ecclésiastiques, les comédiens cessèrent véritablement d’être anathématisés, et par conséquent c’est de cette époque que les acteurs n’encouraient plus l’excommunication à raison de leur profession. […] Or, on trouve ici la preuve, s’il était nécessaire, qu’il y avait des prêtres comédiens, et de l’autre, que les pèlerins et les confrères de la Passion, malgré les abus qu’ils introduisirent dans leurs comédies, ne pouvaient pas être excommuniés ; en effet, ils étaient trop bien protégés par le clergé lui-même : mais d’un autre côté, ils devaient être réformés et régularisés dans leur conduite, et c’est ce qui a été effectivement opéré par les gouvernements et sanctionné par le pape.

223. (1675) Traité de la dévotion « Chapitre III. De la trop grande sensibilité aux plaisirs de la terre ; troisième source de l’indévotion. » pp. 58-65

On a beau dire en faveur du Théâtre qu’on l’a rendu chaste, et que l’on y entend plus de leçons de vertu, que l’on n’y voit d’exemples de vices, on dira si l’on veut que les passions n’y paraissent animées que pour la défense de l’honneur, et que l’on n’y produit pas d’autres sentiments que ceux de la générosité. […] J’en dis de même de la vertu : il n’est pas honnête de se plaire à la voir ou jouée ou outragée sur un théâtre : Mais sans tout cela, ces spectacles sont absolument incompatibles avec la dévotion, parce qu’ils remplissent l’âme de vaines passions, et nous avons besoin d’une âme libre. […] Son âme est agitée en même temps de mille passions, de craintes, de désirs, et d’espérances, et son cœur est mis entièrement hors de son assiette.

224. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 2 « Chapitre I. Convient-il que les Magistrats aillent à la Comédie ? » pp. 8-25

Débarrassés de la gênante décence de leur profession, n’étant point connus, et se flattant de ne pas l’être, ils s’y permettent impunément tout ce que la passion inspire, que le théâtre enseigne, que la mauvaise compagnie applaudit, que l’incognito autorise. […] Ils ne sont guère moins déplacés à la comédie : mêmes objets, mêmes passions, même danger. […] Toutes ces passions sont peintes sur le visage, et exprimées avec une éloquence qui n’en est que plus vive pour être muette. […] N’ont-ils pas, comme tout le monde, des passions et des faiblesses ? […] C’est une fatalité que les amateurs et défenseurs du théâtre se soient toujours distingués par quelque erreur, quelque travers ou quelque libertinage, et le plus souvent par tous les trois ; et sans aller plus loin, leur passion même et leur apologie sont à la fois un libertinage, une erreur et une folie.

225. (1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien quatrieme. Sur la vanité & le danger des Bals, & des Danses en particulier, Tiré de la Bibliotheque des Predicateurs, composé par le Reverend Pere Vincent Houdry de la Compagnie de Jesus. » pp. 57-66

Ce qu’on en rapporte est la perte de l’innocence, une mauvaise impression, que les passions, qu’on a naîvement representées, & les personnes, qu’on a vûës peuvent faire. […] quoi, vous avez trouvé le secret d’imposer silence à vos passions, & de joüir d’une paix profonde, lors même que vous êtes environné de ce qui peut le plus les irriter ? […] vous trouverez ce méme reproche dans toutes les ames un peu timorées : & si vous voulez le demander à toutes celles, qui ont autrefois été dans le monde, & qui s’en sont retirées ou d’effet, où d’affection seulement, elles vous diront, que dans les confessions generales, qu’elles ont faites, elles se sont accusées, & repenties d’avoir été autrefois au bal : demandez à ces danseurs, quand ils sont à l’article de la mort, où l’on voit alors clairement toutes choses, & non plus par le faux jour de nos passions, s’il ne se repentent pas, & s’il ne craignent pas d’en rendre compte au jugement de Dieu ; vous-mêmes ne vous en accusez vous pas au tribunal de penitence, ne pouvant étouffer le reproche de vôtre conscience, qui vous en reprend ? […] Dites aux personnes mondaines, que le bal est defendu, parce qu’il est presque toûjours l’écueil de l’innocence, le tombeau de la pudeur, le theatre de toutes les vanitez mondaines, & le triomphe de toutes les passions : que c’est un assemblage de tous les dangers du salut : que tout y est écueil, que tout y est poison : danses, instrumens, objets, entretiens, assemblées ; que tout y concourt à étouffer les sentimens de pieté, à seduire & l’esprit, & le cœur : que rien n’est plus opposé que le bal à l’esprit du christianisme : avec quel mépris serez-vous écouté ?

226. (1744) Dissertation épistolaire sur la Comedie « Dissertation Epistolaire sur la Comedie. — Reponse à la Lettre d’une Dame de la Ville de *** au sujet de la Comedie. » pp. 6-15

Mais ce ne fut pas cette intention des Idolatres, qui excita ici le zele de Salvien : il parla aux Chrêtiens, qui rapporterent ces spectacles à l’honneur de Jesus-Christ, bien loin qu’ils voulussent faire des sacrifices à Neptune, à Venus, ou à leurs passions. […] Clement, à cause, qu’ils étoient capables de fomenter les passions. […] Il y eût du peril, qu’on fomentât une passion, dont le cœur de l’homme n’est que trop susceptible : & ce danger suffisoit, qu’ils s’y opposassent de tout leur zele. […] On n’y voit les Comediens & les Comediennes monter sur le Theatre, que pour y parler d’intrigues de mariage & d’amourétes, & representer les passions les plus dangereuses.

227. (1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — V. La Comédie donne des leçons de l’amour impur. » pp. 9-11

 » En vain lui diroit on que la réprésentation de ces passions trop amies de la corruption du cœur ne les excite qu’indirectement ; il prétend que le soutenir, c’est combattre les régles des grands maîtres. « Le premier principe, ajoûte-t-il ; sur lequel agissent les Poëtes tragiques & comiques, c’est qu’il faut intéresser le Spectateur ; & si l’Auteur ou l’Acteur d’une Tragédie ne sait pas l’émouvoir & le transporter de la passion qu’il veut exprimer, où tombe-t-il ?

228. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre troisiéme. — Chapitre V. Il n’est point de Drame sans Mœurs. » pp. 139-141

On entend par Mœurs, les passions, les caractères, la façon d’agir. […] Il suit à la lettre le précepte d’Aristote qui dit ; « La seconde chose qu’il y a à observer dans les mœurs, c’est qu’elles soient convenables7. » Les passions des Héros de la Tragédie ont une certaine convenance ensemble ; elles se rapportent également au Prince & à son Confident.

229. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XIV. Réponse a l’objection qu’il faut trouver du relâchement à l’esprit humain : que celui qu’on lui veut donner par la représentation des passions est réprouvé même par les philosophes : beaux principes de Platon. » pp. 58-60

Réponse a l’objection qu’il faut trouver du relâchement à l’esprit humain : que celui qu’on lui veut donner par la représentation des passions est réprouvé même par les philosophes : beaux principes de Platon. […] La raison de ce philosophe était qu’en contrefaisant ou en imitant quelque chose, on en prenait l’esprit et le naturel : on devenait esclave avec un esclave ; vicieux avec un homme vicieux ; et surtout, en représentant les passions, il fallait former au-dedans celles dont on voulait porter au dehors l’expression et le caractère.

230. (1804) De l’influence du théâtre « DE L’INFLUENCE DE LA CHAIRE, DU THEATRE ET DU BARREAU, DANS LA SOCIETE CIVILE, » pp. 1-167

Nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mélange de l’un et de l’autre, et les hommages que nous rendons quelquefois à la raison, ne détruisent point l’effet des passions que nous avons flattées. […] C’est ainsi que presque partout le théâtre altère les idées justes, apprend à braver les convenances sociales, à tout sacrifier à nos passions. […] Mais, dit-on, quel inconvénient y a-t-il qu’ils entendent parler de la passion de l’amour ? […] Mais on peut juger du délire des Romains et de leur passion pour tout ce qui tenait au théâtre par ce qu’en rapporte l’histoire. […] Ils se contentent de persuader par l’entremise des passions.

231. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  RECAPITULATION. » pp. 382-390

Quand je lis dans Homere les fureurs d’Achile, comme je lis tranquillement, j’ai le tems de réflechir, & de le condamner ; mais un Spectateur n’a pas le tems de réfléchir, & un habile Comédien le pénetre malgré lui, de tout ce qu’il prononce,   Le jeu des Passions saisit le Spectateur, Il aime, il hait, il craint, & lui-même est Acteur. […] Ils connoissoient aussi bien que nous la passion de l’Amour, & du tems de leurs grands Poëtes, brilloit la fameuse Aspasie, qui par sa beauté & son esprit captivoit Pericles, & que Socrate lui-même alloit voir. […] Athalie nous coute des larmes, nous tient dans la Crainte & dans la Pitié, & en même tems dans l’admiration, puisque le caractere du Grand-Prêtre est d’autant plus admirable, qu’il est très-opposé aux caracteres que demande la Tragédie ; elle veut des hommes qui s’abandonnent à la tempeste des Passions, & celui-ci est toujours dans le calme.

232. (1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE VI. Ericie, ou les Vestales. » pp. 138-159

Cyr on ne l’est point après douze, afin que le cœur innocent ne pût être suspect de quelque passion. […] Comment pouvoit-elle avant dix ans avoir formé une passion si violente, & voulu se marier avec Olvide ? […] Vous, Seigneur, qui toujours à mes désirs contraire (à ses passions), avez fait en tout temps disparoître le père, vous enfin par qui seul j’ai connu le malheur. Calomnies, puisqu’à la passion près qu’il a combattue, c’étoit un bon père qui l’avoit bien élevée, & même bien placée, puisque l’état de Vestale étoit l’état le plus doux & le plus brillant de Rome. […] La sainteté de cet état n’est donc qu’une illusion, une erreur : le monde est bien plus heureux & plus saint, l’empire des passions est bien plus désirable.

233. (1764) De l’Imitation théatrale ; essai tiré des dialogues de Platon : par M. J. J. Rousseau, de Genéve pp. -47

Ce qui le trouble & l’agite, c’est la douleur & la passion ; ce qui l’arrête & le contient, c’est la raison & la loi ; & dans ces mouvemens opposés, sa volonté se déclare toujours pour la derniere. […] L’homme ferme, prudent, toujours semblable à lui-même, n’est pas si facile à imiter ; &, quand il le seroit, l’imitation, moins variée, n’en seroit pas si agréable au Vulgaire ; il s’intéresseroit difficilement à une image qui n’est pas la sienne, & dans laquelle il ne reconnoîtroit ni ses mœurs, ni ses passions : jamais le cœur humain ne s’identifie avec des objets qu’il sent lui être absolument étrangers. […] Cette habitude de soumettre à leurs passions les gens qu’on nous fait aimer, altère & change tellement nos jugemens sur les choses louables, que nous nous accoutumons à honorer la foiblesse d’ame sous le nom de sensibilité, & à traiter d’hommes durs & sans sentimens ceux en qui la sévérité du devoir l’emporte, en toute occasion, sur les affections naturelles. […] J’en dis autant de l’amour, de la colère, & de toutes les autres passions, auxquelles devenant de jour en jour plus sensibles par amusement & par jeu, nous perdons toute force pour leur résister, quand elles nous assaillent tout de bon. […] Mais songez toujours que les Hymnes en l’honneur des Dieux, & les louanges des grands hommes, sont la seule espèce de Poësie qu’il faut admettre dans la République ; & que, si l’on y souffre une fois cette Muse imitative qui nous charme & nous trompe par la douceur de ses accens, bientôt les actions des hommes n’auront plus pour objet, ni la loi, ni les choses bonnes & belles, mais la douleur & la volupté : les passions excitées domineront au lieu de la raison.

234. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre IV.  » pp. 97-128

Donner des rendez-vous aux passions, & en allumer tous les feux ? […] Condé fut admiré dans la retraite ; mais un feu dévorant, qui en avoit fait dans sa jeunesse un Héros impétueux, & plein de passion, (l’héroïsme & les passions sont-ils bien d’accord ?) […] C’est une passion qui en surmonte une autre, ou plutôt la suspend. […] (Ils furent le germe de bien d’autres passions que la molesse & le théatre entretinrent.) […] C’étoit une déclaration de sa passion, & un eloge de sa vertu.

235. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quatorzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littérairesn sur le théatre. — Chapitre I. De la Pudeur. » pp. 4-35

mais la passion aveugle se porte à elle-même le coup mortel. […] Il la donne pour un rafinement de la passion, un assaisonnement de la volupté. […] C’est la suite inévitable de cette folle passion. […] Chaque passion a de même ses préludes & son langage ; chaque vice a ses couleurs & son cortege. […] Elles se parent de tout ce qu’elles ont de plus précieux, elles vont être immolées par la passion.

236. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE VI. Suite de la Danse. » pp. 140-167

Indépendamment du trouble qu’excitent les passions, la seule agitation des organes y met obstacle. […] Car peut-on se dissimuler que par-tout où règnent les excès, les passions, les impuretés, ce ne soit le temple & la fête du démon ? […] Les Saints font de la danse une image plus affreuse, ils disent qu’elle tourne en dérision la passion de Jesus-Christ. […] Mais pour tout autre qui n’a pas ce vil & mécanique intérêt, ce qu’il fait au-delà d’un amusement, d’un instant, ne peut être dicté que par la passion ou la folie. […] Trop heureux encore, si des passions, des vices, des péchés innombrables n’y apportoient une folie bien plus déplorable, dont on gémira éternellement !

237. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XIX. Autre principe de Platon sur cette matière. » pp. 69-71

C'est encore un nouveau motif à ce philosophe pour bannir de sa République les poètes comiques, tragiques, épiques, sans épargner ce divin Homère, comme ils l’appelaient, dont les sentences paraissaient alors inspirées : cependant Platon les chassait tous, à cause que ne songeant qu’à plaire, ils étalent également les bonnes et les mauvaises maximes ; et que sans se soucier de la vérité qui est simple et une, ils ne travaillent qu’à flatter le goût et la passion dont la nature est compliquée et variable. […] ou qu’on intéresse les hommes dans des passions qu’il veut éteindre?

238. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XXVIII. Doctrine de l’écriture et de l’église sur le jeûne. » pp. 98-101

Les saints pères expliquent aussi que c’est pour cette raison, qu’approchant le temps de sa passion, et dans le dessein de s’y préparer, on célébrait le jeûne le plus solennel, qui est celui du carême. Pendant ce temps consacré à la pénitence et à la mémoire de la passion de Jésus-Christ, toutes les réjouissances sont interdites : de tout temps on s’est abstenu d’y célébrer des mariagesConc.

239. (1709) Mandement de M. L’Evêque de Nîmes contre les Spectacles pp. 3-8

Nous voyons avec douleur depuis quelque temps, l’affection et l’empressement que vous avez pour les Spectacles, que nous avons souvent déclarés contraires à l’esprit du Christianisme, pernicieux aux bonnes mœurs, et féconds en mauvais exemples, où, sous prétexte de représentations et de musiques innocentes par elles-mêmes, on excite les passions les plus dangereuses ; et par des récits profanes et des manières indécentes, on offense la vertu des uns, et l’on corrompt celle des autres. […] Vous alliez avec joie vous divertir des passions d’autrui, et nourrir peut-être les vôtres. […] Convient-il, Mes très-chers Frères, d’étaler sur des théâtres un attirail de vanité; d’y jouer des Scènes divertissantes, et d’y remplir l’esprit et le cœur des peuples de frivoles et ridicules passions, dans des conjoncturesh où chaque citoyen doit prier pour son Prince j ; où le Roi s’humiliant le premier lui-même sous la main toute-puissante de Dieu, implore ses anciennes miséricordes ; et touchék d’une guerre que la justice et la Religion l’obligent de soutenir, met tout son Royaume en prière Prières ordonnées partout.

240. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XII. De la Déclamation Théatrale des Anciens. » pp. 336-381

Il dit encore que la Nature donne à chaque Passion son visage, son ton, & son geste, omnis motus animi suum quemdam à naturâ habet vultum, & sonum & gestum. […] Auroient-ils voulu que ce Vers eût été chanté, c’est-à-dire mis sur des tons que la Nature n’inspire point, puisque dans les Passions elle ne nous fait jamais chanter ? […] Afin, dit-il, que Niobé paroisse triste, Médée furieuse, Ajax étonné, les Comédiens prennent des masques convenables aux Passions qu’ils ont à imiter : Artifices pronuntiandi à Personis quoque affectus mutuantur. […] Tout bon Déclamateur entre dans l’enthousiasme, & saisi des Passions qu’il imite, prend les tons qu’elles lui inspirent. […] Les Romains qui n’eurent jamais pour la Musique la même Passion que les Grecs, eurent enfin comme eux, une grande attention à l’harmonie de leur Langue.

241. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 1 « CHAPITRE VII. De l’idolâtrie du Théâtre. » pp. 143-158

L’idolâtrie des passions dont ce paganisme grossier n’était que l’appui et l’enveloppe, ne s’est pas moins emparée du théâtre. […] Les dix cornes sont les passions, qui toutes y sont excitées. […] Il se forma des troupes de Comédiens qui pour se donner un air de piété, se nommaient les Confrères de la Passion. […] Le spectacle, d’abord grossier et sans règle, devint régulier, poli, agréable, et mérita d’être adopté par les passions d’un goût plus délicat : il devint l’hôtel de la comédie. […] On en rougit ; mais au lieu de supprimer le mauvais, et de ne conserver que ce qu’il y avait encore de pieux, on fit tout le contraire, on supprima tout ce reste de religion qui embarrassait la passion, et on mit le vice à son aise.

242. (1760) Lettre d’un curé à M. M[armontel] « letter » pp. 3-38

Mais ce qui me surprit le plus, ce fut la façon dont vous vous expliquiez aussi, à l’occasion du Cid, sur le duel, ce monstre que les Lois et le bon sens auraient depuis longtemps étouffé, si les passions des hommes n’étaient souvent plus fortes que le bon sens et les Lois. […] Il élevait un Théâtre, mais moral : un Théâtre qui tournât au profit du cœur et de l’esprit ; qui formât des Citoyens, des Pères et des Mères de famille, des Enfants et des Sujets dociles ; qui ne respirât que l’honneur et la probité ; qui rectifiât les fausses idées et les remplaçât par de plus justes ; qui mît un frein aux passions et apprît à les régler ; qui fût ennemi déclaré du vice et épargnât le vicieux : persécuteur infatigable de tout ce qui conduit au détriment de la Société : protecteur zélé de ce qui en serre les liens ; qui montrât le crime et le vice dans toute leur difformité, et la vertu dans tout son lustre : en un mot, qui ne proposât que de bons exemples, et couvrît de confusion les mauvais. […] Or considérons l’origine de ce débordement de mœurs, et nous en verrons une des principales sources dans ces Assemblées séduisantes où tout se réunit pour corrompre le cœur, et jeter un ridicule sur tout ce qui tend à en modérer les passions. […] Si je cite pour le prouver un exemple tiré d’un âge qui n’est pas bien éloigné de l’enfance, souvenons-nous qu’il est des enfants à tout âge, surtout quant à la violence des passions. […] Ne serait-ce pas encore une nouvelle preuve que nous ne cherchons, n’aimons, ne suivons de Spectacles que ceux qui flattent nos passions les plus répréhensibles, et vers lesquelles nous avons plus de pente ; qui les entretiennent ces passions, qui les échauffent, qui les animent ; dégoûtés de ceux qui nous apprendraient à les calmer, à en tirer un parti raisonnable ou à les vaincre : en un mot, que tout Théâtre où l’on se proposera de redresser les mœurs, restera désert, et que les chambrées, pour me servir du terme consacré que vous m’avez appris, ne seront bonnes qu’autant qu’on aura employé plus d’art pour les renverser de fond en comble ?

243. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — SIXIEME PARTIE. — Comédies à rejeter. » pp. 313-318

L’ECOLE DES FEMMES, Cette Comédie est le contrepied de la précédente : dans l’Ecole des Maris c’est l’esprit qui sert la passion, et dans l’Ecole des Femmes c’est la passion qui donne de l’esprit : l’une et l’autre de ces Pièces semblent être imaginées tout exprès pour gâter le cœur et pervertir l’innocence de la jeunesse la mieux élevée ; les filles d’esprit et les innocentes y trouvent également des leçons très dangereuses sur un point qui ne devrait jamais être traité devant les jeunes gens, et moins encore sur le Théâtre que partout ailleurs.

244. (1775) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-septieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre II. L’Arétin, le Tasse, l’Arioste. » pp. 38-79

Il a compose quelques tragédies pieuses, entre autres la Passion de Jesus-Christ. […] On reconnoît l’arrondissement des parties, le relief des paroles, les profils des passions, &c. […] On fait sa cour à un protecteur, on satyrise ses ennemis, on loue sa maîtresse, on exhale sa passion. […] Mais par malheur les passions y étoient mal déguisées : peut-être même ne voulut-il pas les déguiser. […] On répondit, on répliqua, les passions firent des livres.

245. (1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE III. Des Comédies de ce temps, si elles sont moins mauvaises et moins condamnables que celles du temps passé. » pp. 55-81

Mais passons et disons qu’une Comédie ne doit pas être appelée épurée et honnête, pour n’avoir pas de ces ordures grossières que des oreilles un peu chastes ne peuvent souffrir ; quand d’ailleurs elle est remplie d’autres passions spirituelles, qui déplaisent autant à Dieu, qui est un pur esprit, que ce vice grossier qui tire son origine de la boue de notre corruption. Ces passions spirituelles dont je parle ici, sont l’ambition, la jalousie, la colère, l’envie, la vengeance, et autres semblables qui font le sel et l’assaisonnement des pièces de Théâtre. […] Il est vrai que cette grande circonspection, dont usent les Comédiens, ne paraît qu’en ce qui regarde la passion de l’amour. […] Et pour ce qui regarde l’amour, un des plus malicieux artifices du démon, est de faire représenter ce qui se passe dans le commerce d’une passion illégitime, sous le prétexte d’un mariage espéré, afin que les compliments étudiés qui se font, les messages, les Lettres pleines de douceurs et de tendresses qui s’écrivent, soient moins suspectes à des âmes simples et sans expérience. […] Les Comédiens ne représentaient autrefois dans Paris que des Histoires Saintes, telles que sont, par exemple, la Passion, les Actes des Apôtres, et autres semblables : C’est pourquoi on les appelait les Frères de la Passion ; et l’on en voit encore à présent les armes gravées sur la porte de l’Hôtel de Bourgogne.

246. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 2 « Chapitre III. Jurisprudence du Royaume. » pp. 51-74

Les sujets sont tous des crimes et des passions, des satires, des bouffonneries, des friponneries, des enchantements. […] Il est très faux qu’il soit utile au public de rassembler les citoyens au spectacle ; ils n’y voient que les excès, les intrigues, le succès des passions ; il n’y forment que des parties de débauche, des sociétés de vice, des liaisons de crime. […] et ceux qui dans ces lieux publics vont satisfaire leurs passions, sont-ils moins coupables ? […] 2.° Les Confrères de la Passion ont été authentiquement établis et ont régné plusieurs siècles. […] Les nouvelles troupes se sont rendu justice, et n’ont jamais prétendu succéder aux Confrères de la Passion.

247. (1823) Instruction sur les spectacles « Conclusion. » pp. 195-203

La pudeur, l’innocence, la piété et la justice, n’y paraissent que pour essuyer le mépris des spectateurs : aussi les personnes foncièrement vertueuses et de bonne foi les regardent-elles comme une école d’impureté, comme le foyer de toutes les passions et le centre de tous les scandales qui ravagent la société. […] Les comédiennes, montées sur le théâtre à la place des passions, en secouant les torches de l’impureté sur les spectateurs, en feraient jaillir sur votre cœur des étincelles que vous ne pourriez pas facilement éteindre. […] Laissez les hommes malfaisants et les femmes perdues chercher au théâtre un aliment proportionné à la corruption de leur cœur, la sûreté publique y gagnera peut-être ; mais vous, fuyez des plaisirs auxquels vous ne pouvez vous livrer sans danger, et qui vous rendraient moins fort pour résister aux attaques des passions.

248. (1666) Lettre à l’auteur des Hérésies Imaginaires et des deux Visionnaires « [Chapitre 2] » pp. 1-7

Notre siècle qui ne croit pas être obligé de suivre votre jugement en toutes choses, nous donne tous les jours les marques de l’estime qu’il fait de ces sortes d’Ouvrages dont vous parlez avec tant de mépris, et malgré toutes ces maximes sévères que toujours quelque passion vous inspire, il ose prendre la liberté de considérer toutes les personnes en qui l’on voit luire quelques étincelles du feu qui échauffa autrefois ces grands Génies de l’Antiquité. […] Saint Grégoire de Nazianze n’a pas fait de difficulté de mettre la passion de Notre Seigneur en Tragédief. […] Mais vous dites aussi que le soin qu’on prend de « couvrir les passions d’un voile d’honnêteté » ne sert qu’à les rendre plus dangereuses. […] [NDE] Le Christ souffrant ou la Passion du Christ, drame attribué à l’époque à saint Grégoire de Nazianze.

249. (1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — 2. SIECLE. » pp. 81-106

Quelque bon et modéré que soit l'usage que les hommes peuvent faire des Spectacles, selon leur dignité, selon leur âge, ou même selon la condition de leur nature, néanmoins leur esprit n'est point si insensible qu'il ne soit agité de quelque passion secrète: nul ne reçoit de plaisir sans affection; et il n'y a point d'affection qui ne soit accompagnée de ces circonstances, qui l'excitent: Que si quelqu'un assiste à la Comédie sans affection et sans plaisir, il ne laisse pas d'être coupable du péché de vanité, allant en un lieu où il ne profite de rien; Or j'estime que la vanité ou l'occupation en des choses inutiles est un péché dont nous devons nous éloigner: Mais d'ailleurs celui qui assiste à la Comédie, ne se condamne-t-il pas lui-même, puis qu'en ce qu'il ne voudrait pas être semblable à ces Acteurs, il confesse qu'il les déteste: Quant à nous, il ne nous suffit pas de ne commettre rien de semblable; mais nous sommes encore obligés de ne point favoriser de notre consentement, et de notre approbation ceux qui commettent ces crimes: si vous voyez un larron, dit le Roi Prophète, Ps. 49. v. 18. […] Si les Tragédies et les Comédies sont des représentations de crimes et de passions déréglées, elles sont sanglantes, lascives, impies, et d'une dépense désordonnée, car la représentation d'un crime énorme, ou d'une chose honteuse n'est point meilleure que ce qu'elle représente: Comme il n'est point permis d'approuver un crime dans l'action qui le commet, il n'est pas aussi permis de l'approuver dans les paroles qui nous le font connaître. […] Mais il n'y a rien de plus scandaleux dans tous les Spectacles, que de voir avec quel soin, et avec quel agreement les hommes et les femmes y sont parés; l'expression de leurs sentiments conformes ou différents pour approuver ou pour désapprouver les choses dont ils s'entretiennent, ne sert qu'à exciter dans leurs cœurs des passions déréglées: Enfin nul ne va à la Comédie qu'à dessein de voir, et d'y être vu: Comment un homme se représentera-t-il les exclamations d'un Prophète, en même temps qu'il sent frapper ses oreilles par les cris d'un Acteur de Tragédie ? […] à Dieu ne plaise que ses serviteurs se laissent emporter à une telle passion, pour un plaisir pernicieux; car n'est-ce pas un aveuglement étrange de quitter l'Eglise de Dieu pour courir à celle du Diable ? […] C'est donc avec raison que nous qui faisons profession des bonnes mœurs, et de la pudeur, nous nous abstenons de vos voluptés, de vos pompes, et de vos Spectacles, comme de choses mauvaises, et consacrées à de fausses divinités, dont nous savons la naissance et l'origine, et nous les condamnons comme des corrupteurs agréables : Car qui n'a horreur dans la course des Chariots, de voir la folie de tout un Peuple qui se querelle: Qui ne s'étonne de voir dans les Jeux des Gladiateurs, l'art de tuer les hommes : La fureur n'est pas moindre au Théâtre ; mais l'infamie y est plus grande : car un Acteur y représente les adultères, où il les récite : Et un Comédien lascif émeut les passions des autres, en feignant d'en avoir lui-même.

250. (1690) Entretien sur ce qui forme l’honnête homme et le vrai savant « VII. ENTRETIEN. » pp. 193-227

Et que pensez-vous de ceux qui peignent les passions, et qui expriment les beaux sentiments ? […] Un homme en qui la raison est la supérieure, qui sait le jeu des passions et de l’imagination, peut sans se gâter voir les farces et les spectacles ; et même il en sera si peu touché, qu’après les avoir vus une fois, ce lui serait une fatigue de les voir de nouveau. […] Si l’on rencontre de la fable ou de la superstition, on lui montrera l’aveuglement horrible des Païens qui faisaient des divinités des objets de leurs passions, et qui se familiarisaient avec le crime par l’exemple des Dieux de leur façon : on lui fera reconnaître en même temps la grandeur des miséricordes de Dieu sur nous, qui nous a montré la voie de la Justice et la manière de l’adorer, pendant que tant de Nations demeurent dans les ténèbres, et sont abandonnés à leurs imaginations. […] Ceux-ci dans leur superstition craignaient leurs faux Dieux ; et cette crainte mettait des bornes à leurs passions. […] Je veux que lorsqu’il aura entendu quelque Concert, on lui dise pourquoi tel ton charme l’oreille, et un autre la choque ; comment il se peut faire qu’un Musicien entre cent voix qui frappent en même temps le tambour de son oreille, distingue exactement celle qui a fait un faux ton, lui qui ne sait pas seulement s’il a un tambour dans l’oreille : de même comment il arrive que nous entendons divers sons à la fois ; et que nous soyons agités de diverses passions, qui s’expriment sur notre visage par rapport à tout cela.

251. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE IV. De la Médisance. » pp. 80-99

C’est même un trait de libertinage, & un outrage fait au Roi, de présenter sur un théatre l’idée qu’on ne pourroit trop oublier de sa passion criminelle pour Madame de Montespan. […] On a beau masquer les gens sous des noms de Sganarelle, de Crispin, de Lucille, comme on cache les passions honteuses sous des termes équivoques d’amour & de galanterie, ce qu’on appelle fierement réforme ; personne n’est la duppe de ce masque de verre. […] Ils en firent le théatre des passions & de la médisance : grands & petits, Magistrats & peuple, sages & foux, tout fut noté par nom & surnom, & cruellement déchiré. […] il entretient, il augmente cette passion dominante. […] La passion est également dans ceux qui l’écoutent, dans ceux qui débitent la médisance, & l’aliment & l’instrument de la méchanceté : Mors & vita in manibus linguæ.

252. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique — CHAPITRE II. Histoire de la Poësie Dramatique chez les Grecs. » pp. 17-48

Ils remarquerent le plaisir que nous cause l’imitation de nos vices & de nos vertus, de nos Passions bonnes ou mauvaises. Comme il y a des Passions, qui quoique condamnables, telles que l’Ambition, la Haine, la Vengeance, paroissent nobles, parce que pour se soutenir dans leur violence, elles ont besoin de la force de l’ame ; il y aussi des Passions, comme l’avarice, l’yvrognerie, &c. qui paroissant des foiblesses de l’ame, sont basses & méprisables. […] Quand ce partage essentiel eut été fait, les Poëtes crurent ne devoir chercher les exemples des Passions réservées pour-la Comédie, que parmi les hommes du commun : non que les Rois & les Héros en soient exempts, mais parce qu’ils cachent leurs foiblesses aux yeux du Public, ne voulant y paroître que pour inspirer l’admiration ou le respect. Les Poëtes chercherent les exemples des Passions réservées à la Tragédie parmi les Rois & les Héros, non seulement parce que leurs Passions ayant des suites que n’ont pas celles des Particuliers, causent le bonheur ou le malheur des Peuples, & les révolutions des Etats ; mais parce que les exemples frappent bien davantage, quand ils sont pris parmi ceux dont on craint le pouvoir, dont on respecte la dignité, ou dont on admire les grandes qualités. […] Tous les malheurs qui depuis la guerre du Peloponese arriverent à ce Peuple si spirituel, si amateur de tous les beaux Arts, & si propre a y exceller, font voir combien peut devenir funeste la passion demesurée de ces Amusemens dont on ne doit être, comme disoit Agesilas, ni trop, ni trop peu curieux.

253. (1758) Lettre à M. Rousseau pp. 1-42

Relisez l’histoire ; vous y lirez cent mille traits de passion. […] Vous me direz que la passion qui est dans ces lettres ne fut point sentie, et n’est qu’un monument de l’artifice de l’imagination ? […] Car vous ne pouvez disconvenir qu’il ne faille un génie tout particulier pour rendre avec beaucoup de passion un sentiment qui n’existe nullement dans le cœur. […] La fougue et l’imbécillité de l’enfance avaient fait la résolution des uns ; le désespoir des passions avait fait la vocation des autres. […] Quelle vérité il y avait mis, quelle expression, quelle noblesse, quelle passion !

254. (1694) Lettre d’un théologien « Lettre d'un théologien » pp. 1-62

où les passions ne soient dans tout leur éclat ? […] Quelle différence n’y a-t-il point d’une action et d’une parole qui peuvent par hasard exciter les passions, ou bien qui les excitent en effet ? […] On ne peut faire un pas, lire un Livre, entrer dans une Eglise, enfin vivre dans le monde, sans rencontrer mille choses capables d’exciter les passions. Faut-il que parce qu’une femme est belle, elle n’aille jamais à l’Eglise, de peur d’y exciter la passion d’un Libertin ? […] Telles sont les paroles de passions dont on se sert dans la Comédie : leur nature n’étant pas de les exciter, malheur à celui qui s’en sert pour un si mauvais usage.

255. (1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — 5. SIECLE. » pp. 147-179

J'avais en même temps une passion violente pour les Spectacles du Théâtre, qui étaient pleins des images de mes misères, et des flammes amoureuses qui entretenaient le feu qui me dévorait: mais quel est ce motif qui fait que les hommes y courent avec tant d'ardeur, et qu'ils veulent ressentir de la tristesse en regardant des choses funestes et tragiques qu'ils ne voudraient pas néanmoins souffrir ? […] Vous savez aussi bien que moi ce que l'Ecriture dit de ces sortes de personnes auxquelles le monde donne d'ordinaire des applaudissements et des louanges: On loue le pécheur de ses passions, et on bénit le méchant à cause de ses méchancetés. […] Un bon Chrétien ne veut point aller aux Spectacles, et en cela même qu'il réprime sa passion, et qu'il ne va pas au Théâtre, Il crie après Jésus-Christ, et le prie de le guérir: Cependant il y en a d'autres qui y courent ; mais ce sont peut-être des Païens, ou des Juifs. […] Que si cela paraît difficile et fâcheux à quel quelques-uns, il vous sera facile de le faire si vous fuyez les Théâtres, et le Cirque; ces Lieux infâmes qui perdent tout le monde, ou plutôt les Villes ou ces Spectacles sont représentés, et particulièrement les personnes qui se laissent emporter à la passion de ces honteux divertissements. […] Celui qui a une passion violente pont les Spectacles du Théâtre, ne sera pas moins transporté pour l'amour infâme.

256. (1640) Lettre apologétique pp. 2-42

Lettre apologétique ou défense contre le Libelle du Père Augustin L’Approbation que la Comédie reçoit des plus célèbres esprits de ce siècle, lui sert d’un puissant avantage, pour se défendre contre le Père Augustin, qui non content de la faire l’objet de sa passion, tâche de la rendre odieuse, par la force de ses calomnies, et priver un chacun du plus agréable divertissement, qui sonta entre les exercices de l’esprit. […] Mais si nous considérons en quel point est aujourd’hui la Comédie, nous trouverons qu’elle n’a aucune marque de l’antiquité, et ceux qui la professent, témoignent par la probité de leur vie, et par la représentation de leurs actions, qu’elle est entièrement dépouillée de toutes les qualités, qui pouvaient la noter d’infamie, et son mérite, l’ayant montée au plus haut degré de sa perfection, s’est mise dans une telle considération, auprès des Rois et des Princes, qu’elle leur tient lieu d’une sérieuse occupation ; Aussi se fait-elle avec tant de modestie, par l’innocence de ses poèmes, qu’elle dépite l’envie d’en offenser la réputation ; Je dirai de plus qu’elle est tellement Civile en ses diversités, qu’elle contraint les plus Religieux de lui donner des louanges, et chacun confesse que la force de ses charmes est si grande, qu’il faut être privé de sens commun pour en choquer la bonne odeurk ; Si l’on regarde le nombre de ses qualités, on verra, que c’est le tableau des plus agréables passions, la parfaite image de la vie humaine, la vraie histoire parlante, la pure philosophie visible, l’entretien des bons esprits, le trône de la vertu, l’exemple de l’inconstance des choses, l’ennemie de l’ignorance, le modèle de l’Orateur, le raccourci de l’éloquence, le Cabinet des plus riches pensées, le trésor de la moralité, le miroir de la justice, le magasin de la fable ; bref j’en dis peu pour n’en pouvoir dire assez, et j’ai de trop faibles Eloges, pour la moindre de ses parties : Et quoique ce Pédant l’attaque par les plus rudes invectives de sa haine, elle est un puissant rocher, contre l’orage de ses malédictions, une tour, pour résister aux écueils de sa médisance, une muraille de bronze contre ses calomnies, un boulevard pour s’opposer à ses accusations, un bouclier contre ses impostures, un rempart capable de dissiper la foudre de passion, elle est enfin à l’épreuve de ses machines, et conservera sa renommée malgré l’effort de ses intentions. […] Saint Hilaire parlant de ceux qui ont l’administration de la chaire, dit qu’ils ne doivent nullement prostituer l’autorité de leur vocation, à l’extravagance de leur passion ; d’autant que comme dit Saint Jérôme, « Correctio lenis hominem suaviter instruit, nimis aspera vero deteriorem facit », le pécheur ne se convertit que par la voix de la douceur, et que le piquer par paroles scandaleuses, c’est le pousser dans le crime plus avant. […] Paul, qui attirait un chacun par l’humilité de son exemple, et que n’étant pas si violent en ses prédications, il pût nous inspirer de salutaires pensées, ceux qui comme lui font profession de la vie privée, doivent être d’une qualité tempérée, modeste, courtoise, humble, affable, débonnaire, et non d’une humeur vicieuse, aigre, bouillante et prompte, afin que le tempérament de leur ardeur, n’excite leur passion au-delà de leur devoir. […] Amant où sa plume n’ait tiré quelque trait d’invective, pour forger des armes contre les plaisirs de la vie ; Et immoler la Comédie sur l’autel de sa passion.

257. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE IV. Traité de la Danse de Cahusac. » pp. 76-104

Le théatre est un enfer, il le mérite, & y conduit ; les flammes de la passion, en brûlant les cœurs, allument celles de l’abyme. […] Il est une ressemblance plus déplorable, le désordre qui y règne, les crimes qui s’y commettent, la liberté, ou plutôt la licence de faire sous le masque tout ce que la passion inspire. […] Tous les Dieux & Déesses étoient danseurs, & aimoient éperdument la danse ; toute l’idolâtrie n’est que le culte des passions sous le nom bizarre des Dieux & Déesses de la fable, qui n’ont été que des débauchés & des femmes de mauvaise vie, que l’on a eu la folie de diviniser. […] Point d’erreurs qui plaisent plus au démon, père de l’idolâtrie, que ce qui favorise les passions & multiplie les péchés. […] Malgré tous les avantages, toutes les qualités, toute l’efficacité de ces remèdes aux maladies de l’ame, que de passions contraires, dit-il, embarrassent l’ame, que d’ennemis domestiques l’assiegent !

258. (1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — XIII. La Comédie considérée dans les Acteurs. » pp. 26-29

Que faut-il qu’il fasse pour jouer naturellement une passion, & pour l’exciter dans les spectateurs ? […] La Comédie n’est donc autre chose qu’une école, qu’un éxercice de vices, puisqu’elle oblige nécessairement ses Acteurs à réveiller sans cesse des passions vicieuses.

259. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VIII. Que le Compositeur doit chercher à peindre. » pp. 340-344

Mais, insistera-t-on, la musique instrumentale copie les passions, c’est pour cela qu’elle est jointe au Poème lyrique ; voilà ce qui l’élève, la distingue. […] Loin d’avoir de tels objets à peindre dans l’Ouverture des Pièces du nouveau genre, rien ne se présente à l’enthousiasme du Compositeur ; il ne peut annoncer que les mêmes passions, que des intérêts aussi faibles les uns que les autres.

260. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XXV. Quatrième, cinquième et sixième réflexion : passage exprès de Saint Thomas, et conciliation de ses sentiments. » pp. 88-92

Pour donc prouver quelque chose, et pour satisfaire à la première condition, d’abord il faudrait montrer, ou qu’il ne soit pas nuisible d’exciter les passions les plus dangereuses, ce qui est absurde ; ou qu’elles ne soient pas excitées par les délectables représentations qu’on en fait dans les comédies, ce qui répugne à l’expérience et à la fin même de ces représentations comme on a vu ; ou enfin que Saint Thomas ait été assez peu habile pour ne sentir pas qu’il n’y a rien de plus contagieux pour exciter les passions, particulièrement celle de l’amour, que les discours passionnés : ce qui serait la dernière des absurdités, et la plus aisée à convaincrez par les paroles de ce saint, si la chose pouvait recevoir le moindre doute.

261. (1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — 3. SIECLE. » pp. 107-119

Ils émeuvent les sens, ils flattent les passions, ils abattent la plus forte vertu: Ces corrupteurs agréables ne manquent pas d'approbateurs, qui leur servent à insinuer plus doucement leur poison dans les cœurs de ceux qui les écoutent. […] Un véritable Chrétien a bien d'autres divertissements plus relevés que ceux-là, s'il a de la passion pour les véritables et utiles plaisirs. […] Si vous vous plaisez donc aux chants et aux vers ; prenez plaisir à chanter, et à entendre chanter les louanges de Dieu : Le véritable plaisir est celui qui est accompagné de la vertu, c'est un plaisir qui n'est point périssable, et passager comme les autres que recherchent ceux qui suivent les passions de leur corps, ainsi que les animaux ; mais il est continuel, et toujours agréable.

262. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE IX. Sentiments de Tertullien. » pp. 180-200

Partout où il y a du plaisir se glisse la passion qui le goûte, et la vivacité de l'affection qui la rend piquante. […] Toutes ces passions sont-elles compatibles avec les mœurs chrétiennes ? […] Sans la passion ces jeux seraient insipides ; alors même leur inutilité serait une faute dont un Chrétien est bien éloigné. […] Le Théâtre purge-t-il les passions ? […] Suite des effets des passions ?

263. (1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — XVII. On y risque tout par une seule assistance. » pp. 40-44

Il est évident qu’il n’y a pas le même degré de passion pour le Théatre. […] Ainsi j’y serai comme n’y étant point, & par ce moyen je me mettrai tout à la fois au-dessus de la violence que vous me faites, & de la passion qui vous posséde.

264. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE V. Du Mensonge. » pp. 100-113

Augustin, qui dans les trois livres qu’il a écrits contre le mensonge, démontre que tout mensonge, même le plus léger, est un péché, ne doit pas être plus favorable à l’art de mentir & de parer le mensonge des couleurs de la vérité, non plus qu’à la passion aveugle qui se plaît à se repaître de la fausseté. […] Le talent d’Acteur n’exige pas moins ce caractère double, pour jouer si fréquemment, si aisément, si naturellement, toute sorte de rôles, & tendre comme vraies & profondément senties toute sorte de passions factices. […] C’est un Caméléon, un Protée, qui prend toute sorte de couleurs, de formes, de passions, de vices, de vertus. […] la passion, la vanité, la frivolité en ont formé les liens. […] Dans les principes, c’est la haine, la malignité, l’envie, l’ambition, l’impureté, & toutes les passions qui font la guerre à la vérité ; dans les effets, par le scandale qu’il donne, le tort qu’il fait, selon les circonstances & les personnes ; dans les espèces, joyeux quand il amuse, officieux quand il sert, pernicieux quand il nuit, soit par des paroles, soit par des actions, par des signes trompeurs.

265. (1632) Les Leçons exemplaires de M.I.P.C.E. « Livre III, Leçon X. LA COMEDIENNE CONVERTIE. » pp. 461-479

La Compagnie qui sert maintenant le Roi en cette sorte d’exercice c’est des plus excellentes que l’on ait vues il y ad longtemps : mais entre tous les personnages ceux qui emportent le prix pour représenter naïvement les passions humaines et les impriment dans les spectateurs émouvante à la joie, à la tristesse, à la colère, au regret, à l’amour comme il leur plaît jusques à tirer des larmes des yeux les plus arides, et à ébranler les courages les plus fermes et les plus constants, il n'y en a point qui égalent une jeune fille appelée Rosoria de l’âge de dix-sept ou dix-huit ans et un jeune homme Toledan appelé Fadrique âgé de vingt-quatre ou vingt-cinq. […] Ils sont deux ou trois en cette compagnie de représentants qui la désirent pour femme avec des passions désespérées mais elle n’en veut aucun pour mari, son intention a toujours été d’être Religieuse et rien ne l’a pu détourner de ce dessein. […] Un des plus grands plaisirs de la Scène c’est quand il arrive par le cours de l’action que quelqu’un de ceux qui l’aiment doit être son mari, car alors sans feinte, sans masque et sans déguisement ils la courtisent sur le théâtre et font voir clairement avec combien de passion ils adorent cette beauté, et elle relevant son teintg et baissant ses yeux augmente sa beauté par sa pudeur et sa modestie : et en même temps elle est aimée de tous les spectateurs comme une vivante image de vertu. […] Mais cette nuit ils ont surmonté l’attente de tout le monde, car elle a représenté dignement la constance de Sainte Cécile et au martyre et en la Virginité, et Fadrique a si ardemment reçu en soi les passions de Valérien que vous eussiez dit que le feu sortait par sa bouche, et un de ses rivaux a aussi fait le personnage de Tiburce avec tant d’art qu’il n’y a eu aucun des assistants qui n’ait senti des transports et des affections incroyables pour la foi et pour l’honnêteté.

266. (1772) Réflexions sur le théâtre, vol 9 « Réflexions sur le théâtre, vol 9 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE NEUVIEME. — CHAPITRE III. L’Esprit de Moliere. » pp. 72-106

Si on pouvoit la voir & entendre le ton des passions, on rendroit parfaitement tous les caractères. […] Toutes les passions ont la même fécondité ; l’amour, l’ambition, l’orgueil, la jalousie, la malignité, suffisent, & valent des Appollons. Toutes les passions sont vives, éloquentes ; elles donnent une expression, une action à tout. Il n’est point de plus habile peintre, sur-tout les passions malignes dont le pinceau est trempé dans le fiel. […] Louis XIV, qui pendant 70 ans donna le ton à la nation, la monta sur le ton de l’enthousiasme pour l’homme qui savoit le mieux le divertir, & flatter ses passions, dans un âge & dans une crise qui lui assuroit son suffrage & celui de sa Cour.

267. (1855) Discours sur le théatre, prononcé dans l’assemblée publique de l’Académie de Pau, où se trouvoient les Députés des Etats du Béarn et les Dames de la ville pp. 1532-1553

Partout même dénoûment, un mariage ; même intrigue, une passion traversée, conduite par un fourbe ; mêmes personnages, amoureux, confidents, jaloux, valets, servantes. […] La poésie et surtout le théâtre prend toujours la teinte des passions régnantes. […] Il est d’autant plus à craindre dans les monarchies, que les autres passions forcément endormies, laissent un plus libre cours à celle-ci. […] Dans leurs passions traversées, toute leur ressource est de mourir ; et pourvu que ce soit avec un regard ou un soupir de leur maîtresse, ils ont dit et fait une merveille. […] Cela n’est pas toujours, car on déchire souvent un bon prince, un père sage, un mari fidèle dont tout le crime est de s’opposer à une folle passion.

268. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre premier. De la Musique. » pp. 125-183

S’ils ont quelque rapport avec nos passions, il est bien indirect. […] C’est lui-même qu’elle anime ; il lui suffit de le faire s’èxprimer au naturel, tantôt avec véhémence, tantôt avec lenteur, selon les passions qui l’agitent. […] Socrate & Pythagore nous èxhortent à l’apprendre pendant notre jeunesse pour nous servir de correctif contre les passions. […] Pithagore composait des chants & des airs pour appaiser les passions violentes qui troublent les sens, comme un Médecin compose une potion cordiale pour la guérison d’un malade. […] Je dirai seulement, que Diogène le cynique se moquait des Musiciens de son tems, qui avaient, selon lui, plus soin d’accorder leurs instrumens que leurs passions.

269. (1715) La critique du théâtre anglais « CHAPITRE II. L’Impiété du Théâtre Anglais. » pp. 93-168

 » Telles sont les actions de grâces que rendent à Dieu nos Dramatiques ; telle est la nature de leur piété, qu’une passion brutale en est la matière. […] Dryden avait tant de passion pour nous traduire Juvénal, ne devait-il pas du moins en colorer un peu la pensée ? […] N’envions pas la destinée de ces sortes de martyrs de leur passion : ils n’en seront pas quittes pour y avoir follement sacrifié leur vie, comme il arrive en tant de rencontres. […]  » Avilir le Ciel jusqu’à le comparer à l’objet d’une infâme passion ! […] « Je sens, dit-il, la passion naître en moi par l’inspiration d’en haut.

270. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quatorzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littérairesn sur le théatre. — Chapitre IV [III]. La Grange & Destouches. » pp. 90-114

On a de la peine à croire qu’un versificateur si médiocre dans le tragique, où l’on sait jouer les mêmes rôles aux passions, ait pu enfanter un ouvrage si parfait. […] Il aimoit la comédie avec passion. […] Cette passion violente, qui renferme toutes les autres passions, l’emporta sur le bien de l’Etat, sur l’intérêt de sa famille, sur sa propre fortune. […] Mais elle blesse les mœurs, elle encourage les vieux & les jeunes à satisfaire leurs passions, & leur en offre un moyen ; n’a-t-elle pas droit à la préférence ? […] Il falloit qu’il se fit violence pour prêter des passions vives à ses personnages.

271. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quatorzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littérairesn sur le théatre. — Chapitre V [IV]. De la Chaussure du Théâtre. » pp. 115-141

Rhodope se baignoit dans le Nil, elle avoit laissé sans précaution & sans modestie ses habits sur le rivage, un Aigle ayant vu ses souliers mignons se prit pour eux d’une belle passion, fondit sur eux, & en enleva un avec son bec crochu. […] La galanterie & la passion sont inséparables, l’un est le thermometre de l’autre. […] Le rafinement de la passion, selon S. […] On pouvoit lire leur passion à chaque pas. […] tant nous devons être en garde contre une passion dangéreuse qui tourne tout en poison : Sandalia Judith rapuerunt oculos ejus.

272. (1694) Lettre d’un Docteur de Sorbonne à une personne de Qualité, sur le sujet de la Comédie « letter » pp. 3-127

La Comédie d’aujourd’hui n’est autre chose qu’un Spectacle pompeux disposé pour le plaisir, où des Acteurs et des Actrices paraissent avec des ajustements mondains et peu modestes, où l’on chante et où l’on danse, où l’on exprime les sentiments tantôt d’une manière tendre et tantôt d’une manière fougueuse, suivant les passions différentes qui les animent, où les passions se poussent d’ordinaire à l’excès, et que l’on tâche néanmoins quelquefois de déguiser sous les livrées de la vertu. […] Quelle différence n’y a-t-il pas entre des actions et des paroles qui peuvent par hasard exciter les passions, et celles qui les excitent en effet ? Les dernières sont absolument défendues et criminelles ; mais pour les premières, telles que sont les Comédies d’aujourd’hui, qui n’excitent les passions que par hasard, il n’y aurait rien de plus outré et de plus injuste que de les condamner, autrement il ne faudrait pas qu’une belle femme allât à l’Eglise, de peur d’y exciter la passion d’un libertin : il ne faudrait pas lire les Histoires, parce qu’elles se servent de paroles qui expriment les passions, et qu’elles rapportent des actions éclatantes dont elles ont été la cause. […] Et ainsi ce n’est point un hasard que les Comédies excitent les passions, comme l’assure notre Docteur, mais ce serait un miracle si elles ne les excitaient pas. […] Mais ce n’est pourtant pas par accident ni par hasard que les Comédies excitent les passions ; ce n’est pas par une occasion prise, ainsi que parle le Docteur, mais par une occasion bien donnée et bien préparée ; puisque les Comédies avec tous leurs accompagnements, ne tendent qu’à donner du plaisir et à remuer agréablement les passions.

273. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [M] » pp. 426-430

Je ne le pense pas, quoique l’inhumanité n’ait malheureusement que des branches trop étendues : mais je crois, avec l’Auteur des Réflexions sur la Poésie & la Peinture, que le plaisir dont il s’agit ici, est l’effet de l’attrait de l’émotion qui nous fait courir par instinct après les objets capables d’exciter nos passions, quoique ces objets fassent sur nous des impressions fâcheuses. Cette émotion, qui s’excite machinalement, quand nous voyons nos pareils dans le péril, est une passion, dont les mouvemens remuent l’âme, la tiennent occupée, & cette passion a des charmes, malgré les idées tristes & importunes qui l’environnent.

274. (1697) Lettre à Mme la Marquise de B. « A MADAME LA MARQUISE DE B… » pp. 302-316

Non que je m’arrête à ces Parallèles que l’on fait courir, où la passion dérobe toujours quelque chose à la Justice : si Corneille trouve moins de Gens qui l’imitent que Racine, c’est peut-être qu’on s’y attache avec moins de soin ; et si j’avais l’Eloge de Racine à faire, les efforts que l’on fait pour l’imiter, ne serait pas le plus méchant endroit que j’y pûsse mettre. […] L’Histoire, où tant de fois pour remplir mes projets J’ai trouvé de grands Noms, et pris d’heureux Sujets, Comme Andromaque, Oédipe, Iphigenie, Horace, Où chaque Passion parle avec tant de grâce : L’Histoire, où des Héros les Exploits éclatants Savent se garantir des Insultes du Temps, Si souvent dépouillée en faveur de la Scène N’offre plus à mes yeux d’Action qui surprenne. […] Ces crimes dont jadis a frémi la Nature Ne souillèrent jamais une Terre si pure : Si quelques Passions y règnent tour à tour, C’est celle de la Gloire, et celle de l’Amour Quitte la ruse Grecque, et la fierté Romaine, Choisis quelque grand Nom sur les bords de la Seine.

275. (1710) Instructions sur divers sujets de morale « INSTRUCTION II. Sur les Spectacles. — CHAPITRE IV. Détail des péchés qu'on commet en allant aux Spectacles. Réponse à ceux qui demandent s'il y a péché mortel, et si tous ceux qui y vont, sont également coupables. » pp. 76-81

4. « Par la complaisance qu'on a pour tous ces airs languissants et amoureux quand on serait même exempt de passion. […] Il en abandonne quelques-uns à leurs passions, et c'est par un juste jugement.

276. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-huitieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre III. Suite de Mêlanges. » pp. 84-120

Défaut trop commun chez les peintres, les sculpteurs, les imprimeurs-libraires, soit parce que ces ouvrages flattent leurs passions, soit parce qu’ils se débitent mieux, & sont mieux payés que les autres. […] Il y a une infinité d’airs & de danses qui lui sont analogues, qui caractérisent les passions & les états : ils en portent le nom, l’Arléquine, la Matelotte, la Paysanne, la Badine, le Réveil-matin, &c. […] L’ancien paganisme enfanta des dieux abominables qu’on eût punis ici-bas comme des scélérats, & qui n’offroient pour bonheur suprême que des passions à contenter & des forfaits à commettre. […] Ces héros modernes ne valent pas mieux ; ils sont aussi vicieux, plus irréligieux, & le Christanisme dont ils font profession, les rend bien plus criminels & plus scandaleux, pour des Chrétiens qui lisent ou voient représenter leurs passions. […] Son ami surpris qu’un si grand homme, dans un moment où il ne doit s’occuper que de sa gloire, s’abandonne à une si folle passion.

277. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre VI. De la Poésie de style. Si elle fait seule la destinée des Poëmes. » pp. 94-121

Le plan, l’économie, les caractères, les mœurs, les passions, appartiennent aux premieres. […] Nous convenons qu’il a de grandes beautés ; mais les situations, les sentimens, les passions, & cette extremité où est Chiméne, de venger la mort de son pére, sur son amant, ne sont-ils pas aussi admirables que le style ? […] C’est que les défauts qui s’y remarquent sont oubliés, dès que l’ame s’est ouverte à la chaleur du sentiment, au pathétique des passions. […] D’ailleurs, on préfére avec raison une école qui joint le jeu des passions, à un beau coloris, à celle dont le mérite est tout entier dans les couleurs locales.

278. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XVIII. Prétention des Comédiens au titre d’homme à talens, mal fondée. » pp. 19-44

Rome devoit-elle accorder tant d’estime à des gens qui poussoient l’adulation jusqu’à se prostituer publiquement pour servir ses passions ? […] Ceux-là relevoient l’éclat des mœurs, en lui opposant les tristes effets d’une passion brutale. […] Aux considérations générales sur la comédie, le Législateur en ajouta de particuliéres aux Actrices ; parce que l’amour qu’elles inspiroient, n’avoit pas des suites moins funestes que la passion pour le Théatre, & qu’il n’étoit pas moins nécessaire de réprimer l’un que l’autre. […] Nos passions s’éteignent moins par ce qu’elles enlévent à notre fortune, que par ce qu’elles coûtent à notre amour propre.

279. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE VIII. » pp. 131-157

si les Dieux, dit-il1, avoient eu une volonté mal-faisante pour les hommes, quel don plus conforme à ce dessein auroient-ils pû leur faire, que celui d’une foule de passions, l’injustice, l’intempérance, la luxure, dont la raison n’eut pas été la maîtresse ? […] Le véritable honneur m’attire bien moins sur ses pas que la passion des femmes & la soif des richesses. […] Il ne conseille pas d’y souffrir la jeunesse1, quoiqu’on ne jouât pas de son tems des rolles de galanterie ; mais c’est que les passions de trahison & de vengeance pouvoient faire impression sur l’esprit des jeunes gens. Platon, le maître d’Aristote, est bien plus rigoureux, il a banni tout-à-fait le Théâtre de sa république : nous ne recevons, dit-il2, ni la Tragédie ni la Comédie en notre Ville, ce genre de poësie voluptueuse est capable de corrompre les gens de bien, par ce que n’excitant que la colere ou l’amour, ou quelqu’autre passion qu’elle arrose les mauvaises herbes qu’il falloit laisser entierement secher*.

280. (1715) La critique du théâtre anglais « CHAPITRE I. L’obscénité du Théâtre Anglais dans le langage. » pp. 1-92

Lorsque Phèdre est possédée d’une honteuse passion elle n’oublie rien pour la cacher : elle est aussi retenue et aussi chaste dans son langage que la plus vertueuse Matrone de la Grèce. Il est vrai que l’effort de sa honte et de sa passion tout ensemble, que la crainte de satisfaire son penchant, et l’embarras en même temps de s’en défaire la réduisent à l’extravagance. […] Phèdre à la vérité déclare ouvertement sa passion, elle en avoue la violence, et est bien moins sage dans Sénèque que dans Euripide. […] Sophocle mêle au récit de la mort d’Hémon celui de la passion de ce jeune Prince, qu’il orne de tout le merveilleux et de tout le pathétique de la Poésie. […] En un mot, le bon sens succombe souvent en lui à la passion pour le burlesque, et lorsque l’esprit brille davantage dans ses Comédies,Ran.

281. (1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE VII. De la Dévotion des Comédiens. » pp. 160-179

Le don de plaire en est un lorsqu’on en abuse ; il attaque la raison & l’honneur ; ce qu’on obtient dans l’ivresse de la passion, est un larcin, &c. […] Plusieurs la recherchoient avec des passions désespérées, sans compter une foule d’amans de tout état, depuis le plus grand Seigneur, qui ont été jusqu’à la folie & à la rage. […] Les héros de la morale naturelle n’ont jamais eu qu’une vertu apparente, dont les passions étoient le principe & le ressort. […] Ce qui n’est qu’un goût & un ton pour bien des gens, peut être une passion dans un jeune homme sans expérience. […] Attentive aux progrès de votre passion, j’eus recours aux manèges, à l’intrigue, à l’hypocrisie, & vous amenai au point de vous avilir jusqu’à vouloir m’épouser publiquement : noirceur horrible, contre laquelle l’autorité devroit sévir.

282. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE V. Du principal motif de la Réformation du Théâtre. » pp. 49-58

C’est là qu’ils entendent parler de toutes sortes de matières, qui peuvent ou exciter leur curiosité, ou développer les germes de leurs passions ; et c’est là que, dans un âge encore si tendre et si susceptible des impressions du vice, ils commencent à le connaître et à se familiariser avec lui. […] Je ne parlerai point des Scènes d’amour qui, peut-être, leur apprendront, pour la première fois et toujours trop tôt, à connaître cette passion ; car, quand même il serait vrai de dire que, tôt ou tard, il faut bien qu’ils la connaissent, (ce que je suis très éloigné de croire) il n’y aurait pas pour cela moins d’inconvénient et, si je l’ose dire, moins de cruauté à leur donner, sur une matière si délicate, des leçons prématurées et du moins infiniment dangereuses, et à leur faire courir le risque de perdre leur innocence, avant même qu’ils sachent quel est son prix, et combien cette perte est affreuse et irréparable.

283. (1778) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre vingtieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre premier. Remarques Littéraires. » pp. 11-51

Ils étalent les passions des grands ; Moliere appelle les passions les plus variées de la vie commune : Thalie n’est plus jalouse de Melpomene. […] Elle s’éveille, & leur fait confidence de sa passion. […] On a voulu justifier la désobéissance d’un fils, à qui son pere déclare qu’il n’approuve pas un mariage mal assorti, qu’une aveugle passion veut faire, qui lui promet son héritage, s’il abandonne son actrice, le menace de le déshériter s’il désobéit, lui fait promettre d’éteindre sa folle passion. […] la passion va toujours son train, le mariage s’accomplit, le pere est forcé d’y souscrire. […] Dans l’ivresse, les hommes ont la folie de renforcer le vent, par la fadeur des leurs éloges, l’excès de leurs hommages, & l’enthousiasme de leur passion.

284. (1760) Lettre à M. Fréron pp. 3-54

Il me fallut toute la passion que j’avais pour le Théâtre, pour que ces premières épreuves et un accident terrible qui m’arriva ne m’en dégoutassent pas pour jamais. […] Quel héroïsme ne faut-il pas pour immoler toutes ses passions à la pureté que l’Eglise exige. […] Vous n’avouerez donc pas, me dira-t on, qu’on peint sur le Théâtre la passion de l’amour comme une vertu et que par conséquent, loin d’apprendre à régler cette passion, on l’encourage par des peintures agréables et flatteuses, ce qui est absolument contraire à la Religion. […] C’est la seule passion que sa bonté autorise. […] Une dernière objection plus grave que toutes les autres, c’est que la Profession de Comédien, m’a-t-on dit, met trop souvent l’amour propre en mouvement et qu’il est impossible d’y réussir, à ce qu’on croit, si cette passion ne domine dans la cœur.

285. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Seconde partie « Causes de la décadence du goût sur le théatre. — Chapitre XXII. De l’usage du Théatre relativement au Comédien. » pp. 104-121

Si l’Acteur joue, il est à son rôle ; le desir de le bien rendre est en lui la passion dominante. […] Dans les passions les plus connues nous nous proposons tous à-peu-près la même fin. […] Il leur faut des efforts continuels pour remplir leur mémoire d’idées qui n’ont qu’une fin unique ; pour emprunter des situations toutes contraires à celles de leur ame ; enfin pour paroître embrasés du feu des passions au milieu de l’insensibilité, & de la langueur.

286. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre IV. Des Personnages. » pp. 239-251

Il faut varier les Passions qu’on met en jeu. […] Enfin, les personnages de nos Tragédies sont toujours amoureux, parce que l’amour est une des passions qui nous animent le plus fortement. […] Il faudrait qu’il eut soin de ne faire rencontre qu’une seule fois ses amans ensemble, & que même les circonstances les empêchassent de se parler de leur passion.

287. (1664) Traité contre les danses et les comédies « Chapitre XVI. Des périls auxquels on s’expose en allant au bal. » pp. 97-118

Enfin, on s’assemble pour ce divertissement après le repas, et le mouvement du corps qui est déjà échauffé, ne peut servir qu’à exciter davantage sa chaleur, et par conséquent à la disposer aux passions les plus dangereuses. […] Et on ne doit pas excepter dans cette occasion les personnes grossières et de la campagne, à cause de leur simplicité ; parce que encore bien qu’il semble d’une part qu’elles ne pussent pas être si sujettes à cette sorte de péchés que ceux qui vivent dans les villes, et principalement ceux qui y mènent une vie oiseuse et faineante ; Il est pourtant assuré de l’autre, que leurs passions naturelles sont plus facilement émus, aussi bien que dans les animaux privés de raison, à la présence des objets qui les peuvent exciter. […] Mais que dirons-nous de ceux qui ne vont au bal que pour contenter les passions déréglées de leur cœur, afin d’y voir les personnes pour lesquelles ils ont de l’attachement, et afin d’avoir la liberté de s’entretenir avec elles, de les cajoler, et de leur communiquer leurs mauvais sentiments ?

288. (1825) Des Comédiens et du Clergé « article » pp. 60-68

Isolés dans les premiers temps, ces pèlerins reconnurent qu’ils pouvaient avoir beaucoup plus de succès en réunissant leurs efforts et en se distribuant les divers personnages qui figuraient dans leurs complaintes : de là, les Confrères de la Passion, institués par lettres patentes, en 1402, pour représenter à Paris des comédies pieuses. […] Par malheur, on prit goût à la farce, et d’accessoire elle devint bientôt le principal : comme elle offrait une fidèle et naïve image des désordres du temps, elle ne pouvait être très pure et devait quelquefois causer du scandale : c’est ce qui détermina, en 1546, les révérends Pères de la Trinité à expulser de leur maison les confrères de la Passion, qui y avaient eu jusque là leur théâtre. […] Vers le milieu du dix-septième siècle même, des comédiens de province, qui fondèrent le théâtre du Marais où furent représentées les pièces de Jodelle, de Garnier et enfin de Corneille, se virent tenus à payer par chaque représentation un écu tournois aux Confrères de la Passion.

289. (1731) Discours sur la comédie « SECOND DISCOURS » pp. 33-303

Ce grand Prince les aimait avec passion, et Suétone dit qu’il ne dissimulait pas cette faiblesse. […] Ambroise, afin que si les jeux ne pouvaient être abolis, ils ne servissent pas néanmoins à profaner l’état d’un Chrétien, bien éloigné de porter le monde à perdre le temps, à exciter des passions dangereuses, et à nourrir dans le cœur des passions qu’il faudrait étouffer. […] Cet amour expose à des chutes ; et ces chutes même irritent le plaisir et la passion. […] C’est peut-être que la Comédie trouve en vous des passions plus fortes que celles qu’elle représente. […] Alipe frappé des acclamations du peuple, ouvrit ses yeux et reprit sa première passion pour les spectacles.

290. (1667) Lettre sur la Comédie de l'Imposteur « Lettre sur la Comédie de l’Imposteur » pp. 1-124

Enfin elle fait son message, et il le reçoit avec une joie qui le décontenance, et le jette un peu hors de son rôle : et c’est ici où l’on voit représentée mieux que nulle part ailleurs, la force de l’amour, et les grands et les beaux jeux que cette passion peut faire par les effets involontaires qu’il produit dans l’âme de toutes la plus concertée. […] Il conserve pourtant encore quelque jugement, comme il est impossible à un homme fort sensé de passer tout à fait d’une extrémité à l’autre ; et par un mélange admirable de passion et de défiance, il lui demande, après beaucoup de paroles, des assurances « réelles » et des faveurs pour gages de la vérité de ses paroles. […] Ce fut pour toutes ces raisons que nos pères, dont la simplicité avait autant de rapport avec l’Évangile, que notre raffinement en est éloigné, voulant profiter à l’édification du peuple de son inclination naturelle pour les spectacles, instituèrent premièrement la comédie pour représenter la Passion du Sauveur du monde, et semblables sujets pieux. […] Que le sentiment du Ridicule soit le plus froid de tous, il paraît bien, parce que c’est un pur jugement plaisant et enjoué d’une chose proposée : or il n’est rien de plus sérieux que tout ce qui a quelque teinture de passion ; donc il n’y a rien de plus opposé au sentiment passionné d’une joie amoureuse, que le plaisir spirituel que donne le Ridicule. […] Or pouvait-on combattre cette opinion perverse plus fortement, qu’en découvrant la turpitude naturelle de ces bas attachements, et faisant voir par les seules lumières de la Nature, comme dans cette Comédie, que non seulement cette passion est criminelle, injuste et déraisonnable, mais même qu’elle l’est extrêmement, puisque c’est jusques à en paraître ridicule ?

291. (1804) De l’influence du théâtre « PREFACE. » pp. -

En l’examinant donc sous son véritable point de vue, j’ai établi qu’elle était d’un grand secours pour consolider le bonheur public sous ce triple rapport, en ce que, en tempérant à l’égard des peuples l’autorité souveraine, elle la leur rendait respectable et chère ; en enchaînant l’injustice des passions, elle maintenait l’harmonie sociale ; en offrant aux malheureux de véritables consolations, et leur aidant à supporter les peines de la vie, elle conservait à l’Etat des Citoyens utiles. […] En considérant la noblesse et la grandeur des fonctions de ses orateurs, en remontant à l’origine des grandes associations politiques, où ils ont toujours joui d’une haute considération, j’ai commencé par combattre cet injuste préjugé qui les range dans la classe de ces hommes dangereux, qui ne sont que les aveugles instruments des passions des autres.

292. (1767) Réflexions sur le théâtre, vol 6 « Réflexions sur le théâtre, vol 6 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SIXIÈME. — CHAPITRE II. Théatres de Société. » pp. 30-56

Une mère honnête ne les donneroit pas à lire à sa fille ; elle la voit sur son théatre, apprendre par cœur, exercer avec soin, réciter avec passion, les mêmes Contes tournés d’une maniere plus licencieuse que dans l’original ; elle y applaudit, elle les verra bien-tôt réaliser. […] La passion peut s’y donner le plus libre essor, on y réunit le double péché d’Acteur & de spectateur, on fait tous les frais de l’entreprise, on en est l’auteur, on s’en rend le complice, n’en sera-t-on pas la victime ? […] Les femmes même y mettoient le comble par la débauche qui en faisoit leurs maîtres ; les plus qualifiées les entretenoient publiquement, ne connoissoient ni retenue ni bienséance ; leur passion étoit fi folle, qu’elles alloient dans leurs loges caresser leurs habits & leurs masques. […] Est-il bien vrai qu’aucun rendez-vous n’y attire, qu’on n’espère point d’y trouver l’objet de sa passion ou d’y faire des conquêtes, qu’on ne prétend point y étaler ses charmes, s’y lier avec des gens de plaisir, y former des parties ? […] Vous étalez vos passions aux yeux de votre famille, comme sur un théatre où vous êtes l’Acteur de la piece, vos discours licencieux, vos emportemens, vos intrigues, vos désordres ; Auteur & Acteur, quelle comédie vous y jouez, & plus vivement que sur la scène !

293. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE III. Réformation de l’Abbé de Blesplas. » pp. 55-81

Il dit au commencement de cette Lettre Académique : Je ne souhaite pas qu’on perfectionne les spectacles, où sont représentées toutes les passions pour les allumer. […] On n’y va que pour satisfaire sa passion. […] & n’y a-t-il pas d’autres passions ? […] Tandis que le génie de nos Ecrivains sera forcé de ne faire le choix qu’entre les passions. Il faut bien choisir quelque passion pour la traiter & la combattre, & personne n’empêche un Auteur de prendre une action vertueuse pour le sujet de ses pieces.

294. (1774) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre seizieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre II. Charles IV & Charles V. » pp. 38-59

Pour fournir à tant de folles dépenses, il ruina son peuple, il occasionna des guerres qui, pendant plus de quarante ans, désolerent tout son pays, & au milieu de ces horreurs, malgré l’invasion de la Lorraine, dans le temps qu’elle étoit le théatre de la guerre, qu’on y exerçoit des cruautés inouies, que les peuples & lui même étoient errans & fugitifs, dans le temps qu’on négotioit pour son rétablissement, au lieu de s’occuper de ces objets importans, & de pleurer sur tant de maux dont il est cause, dominé par ses passions, il donna des fêtes, des bals, des carrousels, des mascarades, des comédies, des tournois à Selle Dessanglée, au risque de tomber à chaque pas de cheval. […] La passion du Duc pour les spectacles étoit si connue à la Cour de France, que toutes les fois qu’il y vint négocier quelque affaire, ce qui arriva souvent, on ne crut pas trouver des meilleurs moyens pour le gagner, ou pour lui marquer sa satisfaction, après le traité, que de lui donner la comédie. […] Le Confident devint infidele, & fut épris d’une belle passion pour la Napolitaine qu’il retrouva à Madrid, que le Duc inconstant & dégoûté lui abandonna. […] Au milieu de l’esprit du monde qui regne dans cet ouvrage, on voit de grandes vérités & de sages leçons sur les mœurs, confirmées par l’expérience ; il la doit à ses malheurs qui le font rentrer en lui-même, & arracher le voile que la passion a mis sur ses yeux. […] En entrant dans le monde, n’ayant encore aucune idée du vice ni éprouvé des passions, il fut mené à la comédie, & fut frappé de la beauté & des graces d’une Actrice qui dans la tragédie du Cyd jouoit le rôle de Chimene ; il en devint amoureux, & fut entraîné par la passion.

295. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre prémier. Le sujet. » pp. 160-182

Puisque les principales Passions des humains restent toujours au même dégré, il est clair qu’une fois qu’on les aura mises sur la Scène, on ne pourra plus y faire paraitre que des Passions du second ou du troisième Ordre : ce n’est point un peu de couleur, une ombre plus ou moins forte ajoutée à un Tableau qui lui prête le mérite de la nouveauté. […] La Tragédie serait dans une aussi grande disette de sujets, s’il n’était permis d’y employer souvent les mêmes Passions. […] On n’apréhende point d’être mis au rang des plagiaires, quand on donne au Hèros d’une Pièce nouvelle, les mêmes passions qui ont déja servi de matière à cent Tragédies : il suffit que le Héros qu’on fait agir soit d’un pays éloigné du Prince dont il imite les mœurs, & qu’il s’exprime différemment.

296. (1603) La première atteinte contre ceux qui accusent les comédies « LA PREMIÈRE ATTEINTE CONTRE CEUX QUI ACCUSENT LES COMÉDIES » pp. 1-24

Il est donc par l’esprit, la plus excellente créature ; pour le corps, la plus infirme ; en l’un impassible, en l’autre sujet à toutes sortes d’accidents : étant composé d’âme et de corps, il doit avoir la contemplation et l’action, tant pour s’acquitter de ce qu’il doit à Dieu, qu’à son prochain et à soi-même, qui ne se peut dépouiller des passions étant homme, mais il les doit régler pour être sage. […] Ces passe-temps ont toujours été si agréables aux peuples, que Juvenal les recommande, disant « Ils désirent deux choses avec passion, le pain et les jeux ». […] Grégoire de Nazianzej moine et Evêque, une des lumières de l’Eglise, appelé Théologien pour son savoir, a composé la Passion de notre Seigneur en vers grecs Iambiques très élégants. […] La prudence guide vos discours, et la sagesse qui reluit en vos actions, a satisfait nos désirs, et surmonté les espérances que la gloire du passé nous faisait attendre à l’avenir, de cette rare Isabelle, honneur de son sexe, regret des siècles passés, gloire du présent, envie des futurs, ornement de la terre, Merveille du ciel, miracle de nature, Temple sacré : qui ouvrant ses lèvres de roses nous fait voir les images de l’âme, la douce prison des nôtres, les liens de nos esprits, où elle inspire les passions qu’elle désire : Mais quels sont ses désirs ?

297. (1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « MANDEMENT  du Chapitre d’Auxerre, Touchant la Comédie. » pp. 51-58

Ils prouveront que le but de cet art funeste est de faire naître & d’émouvoir les passions dans les ames innocentes ; & d’excuser le crime dans ceux qui y sont livrés : en un mot d’autoriser, & même de canoniser tout ce qui est condamné par l’Evangile. […] Ils feront voir que les spectateurs ne s’y intéressent qu’autant qu’ils ressentent & qu’ils éprouvent en quelque sorte les passions criminelles qui leur sont représentées.

298. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre prémier. De la Comédie-Bourgeoise, ou Comique-Larmoyant. » pp. 6-13

Une Pièce est du haut-comique quand son principal Personnage a des passions qui ont quelques choses de relevés, comme celles du Misantrope, du Glorieux. […] Lorsque nous sommes témoins de quelque événement, nous ressentons ou de la joye ou de la tristesse : il est rare que ce qui nous affecte nous inspire tout à la fois des passions contraires, comme le sont celles que la Comédie-Bourgeoise veut éxciter dans notre ame.

299. (1695) Preface [Judith, tragedie] pp. -

Où peut-on trouver une plus violente opposition d’intérêts et de devoirs, et un plus grand contraste de sentiments et de passions ? […] Veut-on consacrer le Théâtre aux matières profanes, aux événements les plus horribles, aux parricides, aux empoisonnements, aux passions outrées, aux amours incestueuses.

300. (1661) Le monarque ou les devoirs du souverain « SIXIEME DISCOURS. Si le Prince peut apprendre les Arts Libéraux, comme la Peinture, la Musique, et l’Astrologie. » pp. 195-201

La Musique prétend être plus spirituelle que la Peinture, et elle présume par cette raison qu’un Prince ne la doit pas mépriser : Car elle ne flatte pas seulement l’oreille, qui est le plus délicat de tous les sens ; mais elle calme les passions aussi bien que l’éloquence, et elle se vante que par la Lyre de David elle a charmé des Rois et chassé des Démons. […] Le Souverain doit avoir plus de soin d’accorder ses intérêts avec son devoir, et ses passions avec sa raison, que sa voix avec son Luth.

301. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre V.  » pp. 129-160

Son style n’étoit pas moins théatral, que sa chevelure ; selon lui la passion est une tragédie, la mort de Jesus-Christ un événement tragique, ses souffrances des scénes pathétiques, le Calvaire un théatre ; Pilate, Hérode, Caïphe des acteurs. […] Le grand principe de nos jours est d’éloigner les enfans du vice en le leur rendant familier, & en inspirant le goût de la volupté, en guerir la passion ; & nos sages y applaudissent. […] plutôt Moliere a corrompu les mœurs, allumé les passions, nourri les vices, donné de fausses couleurs au désordre, des excuses au libertinage, du ridicule à la vertu. […] Les amours ont le caractère de leurs passions : cela suffit, l’ame n’en a jamais presque d’autre ; cette assertion n’est que l’excuse & la fanfaronade de la sterilité des auteurs. […] Une passion ou un vice quel qu’il soit, qui dévélope les graces de la beauté, la tendresse des sentimens se fait toujours pardonner ; celui qui les cache, ou en écarte l’idée, ne peut réussir.

302. (1758) Sermon sur les divertissements du monde « SERMON. POUR. LE TROISIEME DIMANCHE. APRÈS PAQUES. Sur les Divertissements du monde. » pp. 52-97

je l’ai dit ; quelques mondains, c’est-à-dire un certain nombre de gens libertins, amateurs d’eux-mêmes, et idolâtres de leurs plaisirs ; de gens sans étude, sans connoissance, sans attention à leur salut ; de femmes vaines, dont toute la science se réduit à une parure, dont tout le desir est de paroître et de se faire remarquer, dont tout le soin est de charmer le temps et de se tenir en garde contre l’ennui qui les surprend, dès que l’amusement leur manque et qu’elles sont hors de la bagatelle ; mais, ce qu’il y a souvent de plus déplorable, dont la passion cherche à se nourrir et à s’allumer, lorsqu’il faudroit tout mettre en œuvre pour l’amortir et pour l’éteindre. […] une histoire, disons mieux, une fable proposée sous la forme d’histoire, où l’amour est traité par art et par regles ; où la passion dominante et le ressort de toutes les autres passions, c’est l’amour ; où l’on affecte d’exprimer toutes les foiblesses, tous les transports, toutes les extravagances de l’amour ; où l’on ne voit que maximes d’amour, que protestations d’amour, qu’artifices et ruses d’amour ; où il n’y a point d’intérêt qui ne soit immolé à l’amour, fût-ce l’intérêt le plus cher selon les vues humaines, qui est celui de la gloire ; où la gloire même, la belle gloire, est de sacrifier tout à l’amour ; où un homme infatué ne se gouverne plus que par l’amour, tellement que l’amour est toute son occupation, toute sa vie, tout son objet, sa fin, sa béatitude, son Dieu. […] Principe de mille malheurs, et passion que je ne puis trop fortement combattre, puisqu’elle est la source de tant de désordres. […] Je dis avec la paix du cœur, parce que vous jouerez sans passion, parce que vous jouerez dans l’ordre, et que vous réduirez votre jeu à être pour vous ce qu’il doit être, je veux dire, une courte distraction, et non une continuelle occupation ; parce que vous prendrez votre jeu assez pour vous délasser, et trop peu pour vous fatiguer ; enfin parce que vous n’aurez point dans votre jeu le ver intérieur de la conscience, qui vous reproche la perte du temps qui s’y consume et l’inutilité de votre vie. […] Voilà donc ce que le monde appelle divertissement ; mais ce que j’appelle moi passion et une des plus tyranniques et des plus criminelles passions.

303. (1684) Sixiéme discours. Des Comedies [Discours sur les sujets les plus ordinaires du monde. Premiere partie] « Sixiéme Discours. Des Comedies. » pp. 279-325

Il a le contentement d’y considerer les tableaux de ses inclinations, les images des desirs, de l’amour, de la joye, de la haine, & des autres passions : les applications de tous ces mouvemens à des sujets differens, un mélange si bien disposé, qu’il laisse de la passion pour le retour des mouvemens que les Acteurs suspendent pour un temps, afin de recréer par la nouveauté de ceux qu’ils font paroistre. […] Quelques-unes de ces Pieces sont des copies animées de l’innocence & de la sainteté ; quelques-unes sont des tableaux vivants des passions les plus noires & les plus criminelles ; quelques-unes tiennent le milieu de ces extremitez, & sont des images éloquentes des vertus, & des vices. […] Quand nous remarquerions quelques passions criminelles dans les plus religieuses Comedies, elles n’y paroissent que dans un état qui en fait concevoir de l’horreur : & elles ne sont non plus contraires au respect que nous devons à ces images parlantes, que les bourreaux qui dans un tableau font mourir Jesus-Christ, ou les Saints, ne sont pas opposez à la veneration que nous devons à cette representation de la Passion de Jesus-Christ, & du martyre des Saints. […] Ils ne manquent pas d’aposter des domestiques, des confidens, des Conseillers, qui semblent détourner les principaux personnages des crimes qu’ils sont disposez de commettre ; la passion est si forte qu’elle surmonte tous les obstacles, elle trouve des conseils & des secours pour se satisfaire, ou par adresse, ou par force ; ces passions violentes font sans doute quelque impression dans l’esprit des spectateurs ; elles leur apprennent à refuter les remontrances des amis & des parens, à s’opiniâtrer dans de méchans desseins, à trouver les moyens de les accomplir, & de se contenter. […] Il ne faut pas faire le tort à un homme si éclairé de croire qu’il condamnast toutes les passions, & qu’il jugeast que ce fussent autant de crimes.

304. (1742) VIII. Conférence. De la Comédie, contraire aux promesses du Batême [Conférences théologiques et morales, IV] « X. Conference sur les sacremens. » pp. 223-247

Mais quand ce saint Docteur parle de la comédie, telle que les Conciles & les Peres l’ont condamnée, & qu’on la représente aujourd’hui, je veux dire de ces piéces comiques & bouffonnes qu’on joue sur le théatre, où par mille artifices séduisans on excite les passions les plus déreglées, il la condamne formellement aussi. […] Des spectacles de cette nature, qui ne sont que sur des matiéres impures & induisantes au péché, ne peuvent sans péché être regardés avec attention, & souvent on s’y donne avec tant de passion, que cela va jusqu’au péché mortel. » S. […] Nos ennemis domestiques, c’est nous-mêmes, c’est notre chair & nos passions qui nous font donner en mille égarement, quand on veut les contenter ; voilà nos ennemis visibles qu’il nous est assez facile de bien connoître. […] Votre second ennemi visible, c’est votre propre chair & la violence de vos passions, qui par la seule témérité à vous exposer comme par autant d’armes que vous leur fournissez contre vous-mêmes, triompheront tôt ou tard de votre cœur. […] Comme un salpêtre qui prend feu à la moindre étincelle, elle se porte avec ardeur à des désordres quelle n’entend qualifier que d’agréable servitude, que d’aimables chaînes, que de doux martyre ; & le démon, comme un troisiéme ennemi, le plus artificieux de tous, ne tarde guéres à achever par ses secrets enchantement ce que le monde, la chair & les passions lui ont préparé de victoires.

305. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre I. Des Parfums. » pp. 7-32

Aucun sans doute ; les odeurs comme les saveurs sont par elles-mêmes des choses indifférentes, utiles même puisqu’elles enseignent à l’homme à faire le discernement des alimens avant d’en faire usage ; mais l’excès & la passion est répréhensible, & même dangereux dans les odeurs comme dans tout le reste. […] La passion pour les odeurs est criminelle aussi, c’est une espèce d’ivresse ; c’est ce que peignoit Catulle par ces paroles : cette odeur est si agréable que pour la mieux sentir, vous prierez les Dieux de vous faire tous nez, quod cum olfacies, Deos rogabis totum ut te faciunt fabulle nasum . […] Aujourd’hui ces jeux sont inconnus, tout est tourné du côté de la volupté ; le théatre a dénaturé les divertissemens, il les a transformé en galanterie : ce sont des danses voluptueuses, de la musique luxurieuse, des décorations licencieuses, des Actrices venales, des Acteurs libertins, des intrigues, des nudités, des parfums, le luxe, le faste, les amusemens publics tous concentrés dans la scène ne sont plus que l’aliment des passions, du champ de Mars, Thalie en a fait un Temple de Venus. […] Toute l’antiquité a cru, dit-il, & l’expérience le démontre, que la passion pour les odeurs & les parfums, est une marque évidente de libertinage qui rend très-suspect, mollitiæ & petulantiæ studium signatur unguentis & odoribus hoc crimine suspecti suns omnes qui odoramentis indulgent . […] On ne finit point, il semble qu’on veuille s’engloutir dans les odeurs, s’incorporer les parfums ; la passion ne connoît point des bornes, elle se perd dans le vin, dans les viandes, dans les odeurs pour s’abîmer dans la volupté.

306. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE VI. De l’indécence du Théatre. » pp. 114-137

Sans être grossierement licentieux, comme les Italiens, les deux Foires, les Boulevards & les Farces, cinq spectacles notoirement & unanimement reconnus mauvais, l’Opéra n’est rempli que de galanterie & de principes de vice, peintures agréables de l’amour, exhortations à la tendresse, justification de la passion, mépris de l’innocence & de la modestie. […] La passion des François y passe pour une véritable folie. […] Et je ne doute pas que leur décence n’ait contribué à les faire tomber : on n’aime que ce qui peint naturellement & fait saisir vivement l’objet des passions criminelles, suit leur marche, excite leurs sentimens, en fait goûter le plaisir, en assure les progrès, aiguise leurs traits émoussés par la satiété, en un mot, allume, ranime, entretient les ardeurs de la concupiscence & le foyer du péché. […] Par-tout même indécence, passions de toute espèce, galanterie voilée, équivoques dans les discours, juremens, nudités, fard, masque, mélange des sexes, caractere des spectateurs, même danger pour la vertu, même anathème de l’Église. […] Ils ne cherchent qu’à séduire, ils se vendent au public, ne disent & ne font rien que pour inspirer les passions, & rassembler avec la plus grande licence & avec le plus dangereux artifice, dans leurs paroles, leurs parures, leurs gestes, leurs attitudes, leur conduite, tous les objets, tous les pieges, toutes les leçons, tous les moyens les plus propres à nourrir tous les vices & détruire toutes les vertus.

307. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 1 « CHAPITRE VI. De la Religion sur le Théâtre. » pp. 120-142

Il suffirait de nourrir les passions, et surtout l’impureté, pour détruire la religion dans les cœurs. […] Pour concilier, s’il était possible, la passion et la loi, il faut ériger la passion en vertu, et faire disparaître les vertus véritables, pour laisser sur l’autel la seule idole du plaisir. […] « Il faudra que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière. […] De là on passe aux objets des passions, on tient aux femmes le même langage, on a pour son plaisir, son trésor, les mêmes sentiments, et ce n’est plus un jeu, ce sont les vraies Divinités du cœur. […] Cela fit un si mauvais effet, que le Cardinal Richelieu ne le put jamais approuver. 2.° Qu’il prenne garde de n’y pas mêler des galanteries et d’y faire paraître des passions qui donnent de mauvaises idées aux spectateurs, et les portent à des pensées vicieuses.

308. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Christine de Suede. » pp. 111-153

Ni le Saint ni le Philosophe ne descendent du trône pour courir le monde en avanturier qui écoute toutes les passions, qui joue toutes sortes de rôles, qui se moque des loix de la décence, ne donne aucune marque de piété, quitta-t-il l’empire du monde, ne grossira jamais la liste des Héros & des Saints ; les éloges dont on comble son libertinage ne peuvent que couvrir de honte ses flatteurs, & la vanité de se faire un mérite d’une démarche forcée, ne peut que couvrir de ridicule celui qui veut prendre l’univers pour dupe. […] Les passions au théatre rendent presque l’homme machine ; c’est un coup d’œil amusant de voir les attitudes, les gestes, les physionomies des Spectateurs pendant la représentation plus variées, plus naturelles, plus expressives que ceux des Acteurs même, si l’on pouvoit peindre tous ces objets innombrables, ce seroit un traité complet de pantomime : si on pouvoit pénétrer dans l’intérieur, que ne verroit-on pas ? […] Ses deux successeurs Charles X & Charles XII plus guerriers que savans s’embarrassèrent peu d’Apollon & des Muses ; ce climat est peu fait pour elles, les eaux de l’hypocrene y seroient glacées neuf ou dix mois de l’année, il n’y est resté qu’à Stocholm, encore même Thalie y est-elle fort mal servie, il est vrai qu’elle favorise les passions, & que les passions sont de tous les climats : un édifice même gothique bâti sur le fondement du vice peut prétendre à l’immortalité. […] Mais le mariage est un joug, & Christine n’en vouloit pas ; le Palatin est un homme sérieux qui n’aime pas le libertinage du théatre, & qui la gêneroit dans ses passions, & Christine n’aime qu’un amant qui l’adore & lui laisse une entière liberté, elle ne veut pas se donner un maître, & les États ne veulent point une Actrice sur le trône, la liberté vaut mieux qu’une royauté esclave. […] Cette barbarie & la passion qui en furent le principe, ternirent sa philosophie , dit Voltaire, toutes ces belles qualités fussent-elles aussi réelles qu’elle sont fausses ou superficielles, sont dégradées par cette horreur ; elle eût été punie en Angleterre & par-tout ailleurs, la France ferma les yeux sur cet attentat contre l’autorité du Roi, le droit des nations & de l’humanité .

309. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-neuvieme. — Chapitre V. Autres Mêlanges. » pp. 121-140

Dans le fond on ne veut que tire & satisfaire sa passion. […] Il fait entrer Enée & Didon dans une grotte pour y commettre le crime : ils en sortent se tenant par la main avec la satisfaction la plus marquée de deux amans qui viennent de satisfaire leur passion, le tout accompagné de la musique la plus douce & la plus voluptueuse, de la fête la plus brillante, des paroles les plus expressives, pour célébrer leur amour terminé par un mariage. […] Portrait ingénieux & vrai du caractere des spectateurs, dont les plus réguliers en apparence ne cherchent qu’à satisfaire leur passion, lors même qu’ils blament la licence. […] A qui ne donne point à réver un scandale si indécent, & de qui n’allume-t-il pas les passions ? […] Presque toutes ses pieces sont le fruit de quelque passion, il n’y en a pas purement de génie : à quelques farces près, qui ne l’auroient pas immortalisé, on peut dire de son Théatre en général, la colere suffit, & vaut un Apollon .

310. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 1 « CHAPITRE II. Des Spectacles des Communautés Religieuses. » pp. 28-47

Ces pièces mutilées, ces acteurs si bizarrement vêtus, ce mélange de gravité et de bouffonnerie, formaient un spectacle plus grotesque que le théâtre de la foire ; c’étaient de vrais jeux d’enfants, dont le ridicule faisait le mérite, et écartait tout danger et toute idée de passion. Mais toutes ces précautions faisaient évidemment sentir combien on jugeait redoutable le spectacle tel qu’il est, abandonné à la licence des acteurs et des passions. […] Maunoir, Jésuite, célèbres Missionnaires de Bretagne, rapportent certaines processions, où d’espace en espace on représentait au naturel quelqu’un des événements de la passion de Jésus-Christ. […]  28.) rapporte que les Jésuites ayant remarqué dans la jeunesse Indienne une adresse singulière à imiter et à contrefaire tout ce qu’ils voyaient, se servirent de ce moyen pour leur faire goûter les mystères de la religion, ils dressèrent des théâtres et composèrent des pièces sur la vie, la passion, la mort de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge (dans le goût sans doute de celles que donnaient alors à Paris les Confrères de la Passion, dont peut-être ils avaient eu connaissance en Europe), qu’ils firent apprendre aux Indiens, et les leur firent représenter.

311. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre VI. Du Cardinal Mazarin. » pp. 89-108

L’on a rassemblé à l’opéra tout ce qu’il y a de plus capable de flatter les passions ; la vue, par des décorations superbes ; l’oreille, par une musique harmonieuse ; le cœur, par les vers et les chants les plus tendres. Les danses animent aux plaisirs les plus séduisants ; quoique d’une manière différente, les mêmes objets toujours également flatteurs, produisent le même effet, ils inspirent toutes les passions. […] Un nommé Rinouci ou Rinoucini, Musicien et Poète, s’était pris à Florence d’une belle passion pour cette Princesse, et se flattait d’en être aimé. […] Mais la passion aveugle les meilleurs cœurs. […] Je sais bien que Melpomène n’avait point alors tous les atours dont à su la parer Racine, ni le Clergé petit-maître toutes les grâces que répand sur leur tête la main d’un habile baigneur ; mais je ne sais par quelle fatalité le théâtre et l’Eglise, la comédie et la sagesse, les airs d’un actrice et les affaires de l’Etat, ne furent jamais d’intelligence, quoiqu’une mauvaise politique ou des passions criminelles aient souvent essayé de les réunir.

312. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VI. Des Actes ou des divisions nécessaires au Poème dramatique. » pp. 90-106

On me dira, que les passions qui sont l’ame du tragique, ne pourraient faire leur éffet si la Pièce était trop concise ; on m’objectera que le Spectateur n’aurait pas le tems de s’intéresser en faveur du Hèros des Drames trop-tôt terminés. […] Elles nous intéressent malgré leur stile affecté : le Poème est pourtant bien court, & les passions se trouvent furieusement jettées les unes sur les autres. […] Les ouvrages burlesques, remplis de petites passions, doivent être serrés & concis : les hommes ne sauraient rire qu’un instant.

313. (1731) Discours sur la comédie « PREFACE » pp. -

Cependant quand on fait attention au mal que l’Église aperçoit dans les spectacles, aux soins qu’elle prend d’éloigner ses enfants de tout ce qui peut nourrir des passions dangereuses, et à la condescendance qu’elle doit avoir pour les Chrétiens faibles, qui ne peuvent rompre leurs chaînes, et qui peut-être ne les sentent pas ; on voit alors que l’Eglise doit tolérer ceux qui vont aux spectacles, se contenter de punir les principaux Acteurs, et faire toujours exhorter les Fidèles à fuir les spectacles jusqu’à ce qu’ils soient désertés. […] Car lorsqu’elles s’exposent ainsi nues à la vue des hommes, ne fomentent-elles pas les passions déshonnêtes ? […] » Que les Prédicateurs et les Théologiens, frappés de ces exemples, ne cessent point de crier contre les Spectacles, tandis que l’Eglise lance ses foudres contre les Comédiens ; qu’ils représentent le Théâtre, comme l’école de l’impureté, la nourriture des passions, l’assemblage des ruses du démon pour les réveiller, où les yeux sont environnés d’objets séducteurs, les oreilles ouvertes à des discours souvent obscènes et toujours profanes, qui infectent le cœur et l’esprit.

314. (1758) P.A. Laval comédien à M. Rousseau « P.A. LAVAL A M.J.J. ROUSSEAU, CITOYEN DE GENÈVE. » pp. 3-189

« La Scene, comme vous le dites sort bien, est un tableau des passions humaines dont l’original est dans tous les cœurs. Mais, ajoutez-vous, si le Peintre n’avoit soin de flatter ces passions, les Spectateurs seroient bientôt rebutés, et; ne voudroient plus se voir sous un aspect qui les fit mépriser d’eux-mêmes. » Appellez-vous flatter les passions que de fixer l’attention du Spectateur en l’intéressant ? […] Est-ce exciter les passions que de les montrer sous un point de vue où elles sont toujours odieuses, dès qu’elles sont criminelles ? […] Est-il possible que vous vous déterminiez à sacrifier la vérité à la passion ? […] Ce sont là les passions qu’il veut purger en nous par l’exemple d’Œdipe.

315. (1819) La Criticomanie, (scénique), dernière cause de la décadence de la religion et des mœurs. Tome II « Post-scriptum. » pp. 201-216

En attendant ce nouvel exemple d’un malfaiteur hypocrite appréhendé personnellement, démasqué et puni, je crois bon de donner l’extrait suivant d’une ancienne plainte, dans l’espoir de la faire concourir avec tant d’autres plus récentes du même genre, à rappeler et rétablir enfin, d’une manière stable, la sécurité et le bonheur dans une grande division de la société, dans toutes les administrations nationales, côté du domaine de la patrie, où une portion considérable de citoyens honnêtes et utiles, dont la plupart, pères de famille, végètent dans la plus grande anxiété, sont toujours dévorés d’inquiétudes, étant les éternels jouets du caprice et de toutes les passions des méchants qui les entourent. […] La société veut qu’à l’âge de raison tous ses membres jouissent de leurs droits en toute plénitude, ou ne soient soumis qu’à l’empire des lois générales et positives qui la régissent ; c’est pourquoi, se défiant de la perfection de celles de la nature, voulant prévenir ses injustices ou ses erreurs, et l’amour, la tendresse paternelle, les affections intimes et cordiales d’un père pour son enfant ; les gages qu’il lui en a donnés depuis son berceau, ne paraissant pas encore à sa sollicitude des garanties suffisantes, l’enfant étant parvenu à cet âge, elle l’affranchit du pouvoir paternel, pour le mettre à l’abri de ses abus ; elle lui assure soigneusement ce que son père lui doit ; et ici, par une inconséquence trop peu sentie, elle l’abandonne et le laisse à la merci du pouvoir et des passions d’un inconnu, ou d’un étranger de fait plus puissant sur lui que son père même, avec lequel il n’a que de froids rapports, et dont rien ne lui garantit la bienveillance, ni même la justice.. !

316. (1541) Affaire du Parlement de Paris « Procès-verbal de l’action intentée devant le Parlement de Paris par le procureur général du Roi aux “maîtres entrepreneurs” du Mystère des Actes des Apôtres et du Mystère du Vieil Testament (8-12 décembre 1541) » pp. 80-82

Et, pour le fait,r dit que, depuis trois ou quatre ans en ças, les maîtres de la Passion ont entrepris de faire jouer et représenter le Mystère de la Passion, quit a été fait. […] Est que, le Roi ayant vu jouer quelque fois le Mystère de la Passion y a deux ans, et pour le rapport qui lui a été fait de l’exécution du Mystère des Actes des Apôtres, et averti qu’il ferait bon voir la représentation de l’Ancien Testament bg, un nommé Le Royer s’était retiré vers lui et lui aurait donné à entendre que, sous son bon plaisir, il entreprendrait volontiers faire représenter cet Ancien Testament par mystère, à quoi volontiers le Roi avait incliné tellement qu’il avait permis audit Le Royer faire représenter ledit Ancien Testament par mystère et, à cette fin, lui avait fait expédier ses lettres patentes adressantesbh au Prévôt de Paris, juge ordinaire. […] Car ne s’est point trouvé qu’il y ait eu de scandales ni mauvaises assemblées aux Mystères de la Passion et Actes des Apôtres. […] Runnalls (« La Confrérie de la Passion et les Mystères.

317. (1671) Lettre d’un ecclésiastique à un de ses Amis « letter » pp. 472-482

Mais que ces Histoires soient feintes ou véritables, il est constant que les Auteurs de ces pièces ne cherchent pas, comme les Historiographes, à faire connaître la vérité, mais ils ne songent qu’à mettre devant les yeux des spectateurs ce qui peut plus agréablement occuper leur esprit, flatter plus doucement leurs sens, et émouvoir plus fortement leurs passions, et ils étudient tellement à cela, qu’ils n’épargnent rien de ce qui peut y contribuer, préférant le plus souvent le mensonge à la vérité. […] Il n’y a artifice dans la Rhétorique, ni licence dans la Poésie, dont ils ne se servent pour exprimer les passions des personnages  qu’ils font parler, et pour les faire paraître dans la dernière extrémité. S’il faut montrer de l’amour, ou de la haine : de l’espérance ou du désespoir : de la joie, ou de la tristesse : ils recueillent ce qu’il y a de plus emporté dans les Auteurs les plus lascifs et les plus éloquents, et y ajoutant ce que leur invention leur peut fournir, vous diriez que vous voyez et que vous entendez parler ces démons qu’adoraient les Païens sous les noms des Dieux de l’Amour ou de la Fureur ; et des autres passions dont ils voulaient autoriser le dérèglement. […] Dans le 17. il appelle le Théâtre le consistoire de l’impudicité ; et les Tragédies et les Comédies les mères des crimes et des passions dérèglées.

318. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre II. Est-il du bien de l’Etat que les Militaires aillent à la Comédie ? » pp. 20-34

Par là, disent les maîtres de l’art, on purge les passions. […] En vain, Prince, prétendez-vous accabler ce peuple par la force de vos armes, et par les superstitieuses malédictions d’un Prophète, forcé à se démentir, et à changer en bénédictions les anathèmes que vous vouliez lui faire lancer ; pour vaincre sûrement vos ennemis, rendez-les voluptueux, envoyez dans leur camp des femmes Madianites, belles, parées, faciles, séduisantes (des Comédiennes) ; que par leur chant, leur danse, leurs fêtes, leurs jeux, (les spectacles), elles excitent les passions et fassent pécher Israël, la victoire est à vous : « Balaam docebat Balac mittere scandalum in Israel. » (Apoc. […] Que sont nos spectacles, que la représentation des anciennes histoires et des passions humaines ? […] Le théâtre est le tableau du monde : nos Comédiens sont les hommes et les femmes de tous les temps, de tous les pays, de toutes les passions, de tous les crimes.

319. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre IV. Le Peuple doit-il aller à la Comédie ? » pp. 60-74

Et on ne compte pas des milliers d’acteurs et d’amateurs qui passent une partie de leur vie à sentir, à goûter, à peindre, à inspirer les passions ! […] N’est-ce pas le théâtre qui remplit leur imagination, qui exerce leur veine, pique leur émulation, répand leur gloire, nourrit leurs passions, perpétue leur inutilité par la sienne ? […] Un bel esprit dramatique est un Poète affamé qui attend une portion d’une représentation pour avoir du pain, ou un libertin qui satisfait par le portrait du vice son cœur dépravé, comme un Peintre, qui peint des nudités, pour débiter sa marchandise ou repaître sa passion. […] Je conviens en effet que si la diminution, le dégoût, le mépris de la chasteté, le goût, l’impression du vice, le moyen de tromper les surveillants, de faire réussir une intrigue, de satisfaire ses passions, sont les fruits qu’on se propose de tirer du théâtre, on a parfaitement réussi.

320. (1819) La Criticomanie, (scénique), dernière cause de la décadence de la religion et des mœurs. Tome II « Résumé et moyens de réformation. » pp. 105-200

A toutes les raisons données à l’appui de mon opinion, je puis en ajouter encore une plus décisive ; celle que toutes les vertus qui ont été mises notamment sous la sauvegarde et protection de l’art dramatique, ont été les plus persécutées, et ont le plus perdu ; je n’en vois pas une clairement qui y ait gagné, et je vois très-bien, au contraire, que les plus ingénieusement défendues, que les mieux prêchées ou vengées sur la scène, sont les plus généralement abandonnées dans le monde ; je vois qu’on n’a fait qu’aiguiser les traits de toutes les passions contre elles, ou contre ceux qui les pratiquaient. […] On voit assez où la peinture de ce caractère nous mènerait aussi ; on voit de quelle autre fermentation des esprits et des passions le ridicule qu’on en tirerait serait la cause, et quelles en seraient les fâcheuses conséquences, surtout en temps de guerre ! et l’on doit sentir parfaitement enfin que, dans tous les intérêts, il est temps de mettre quelque frein à toutes ces mascarades des vices déguisés en vertus, courant les théâtres pour se faire voir et bafouer par le peuple convoqué ad se invicem castigandum ridendo  ; et ce peuple érigé en tribunal de mœurs, je développe l’observation que j’en ai faite, est rassemblé confusément et en toutes dispositions, c’est-à-dire comprenant avec leurs passions, leurs goûts, leurs vices, leurs préjugés différents, leurs opinions, leurs systèmes et préventions diverses, tous les rangs, tous les états, tous les âges, les deux sexes, les amis, les ennemis, les parents, les enfants, les régnicoles, les étrangers, les clercs et les laïcs, les disciples de toutes les religions, pour les mettre alternativement aux prises ensemble, ou pour livrer ceux-ci à la risée de ceux-là, et vice versâ, afin de les corriger tous, les uns par les autres au moyen d’impressions ou mouvements intérieurs si divers, si brouillés, et du conflit bizarre de tant d’éléments contraires ; c’est presque à dire, afin de les entre-choquer de telle manière que le monde moral sorte tout façonné de ce nouveau chaos, ainsi que Descartes fait sortir le monde physique de ses tourbillons. D’où il arrive que la risée des grands corrige les petits, et que la risée des petits corrige les grands ; c’est-à-dire que les seigneurs, les milords, les barons et baronnets, les ducs, les comtes, corrigent leurs tailleurs, leurs bottiers, leurs perruquiers, leurs valets, et en reçoivent la correction, avec mesure et une égale impartialité ; et que les duchesses, les marquises, les comtesses, corrigent en riant leurs femmes, leurs marchandes de modes et leurs blanchisseuses, qui les corrigent à leur tour en riant et se moquant d’elles aussi judicieusement ; d’où il arrive que les sots corrigent les gens d’esprit ; que des Anglois corrigent sans passion des Français, et réciproquement ; que l’impie, que l’athée corrigent les croyants, que des Turcs corrigent des chrétiens, et, comme je l’ai déja exprimé, que des jeunes gens corrigent des vieillards, en se moquant d’eux, que des supérieurs, soit magistrats, juges, soit instituteurs, pères et mères de famille, sont corrigés par la moquerie de subordonnés, ou d’écoliers et d’enfants qui sont encore sous leur pouvoir, et qui saisissent avidement ces occasions de se venger impunément de ceux qui les régentent et les répriment ou contrarient habituellement. […] En voilà assez pour faire remarquer que la précaution obligée de généraliser est illusoire, que les critiques faites sous cette forme sont pires que si elles étaient, personnelles, puisqu’elles le deviennent multipliées au gré des passions, et qu’elles ont par conséquent tous les inconvénients dont celui qui donne aux auteurs le privilége d’attaquer et flétrir impunément qui bon leur semble n’est pas le moins grand.

321. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre III.  » pp. 68-96

Elles lui expliquent les diverses façons d’aimer en usage chez tous les peuples ; leur goût, leurs rafinemens, les nuances de leurs passions. […] Il est difficile que si les acteurs & les actrices n’apportent point ces passions sur la scene, ils ne les y prennent ; leurs rôles-même les sont naître. […] Les infirmités, les passions, les chagrins y feront encore bien du ravage, un tems viendra que vous ne pourrez plus soutenir la vue de votre miroir, tant vous vous y verrez défigurée. […] Les compagnies du grand monde ne sont que des théatres ; les habits, les dorures des décorations ; les femmes qui y brillent, des actrices qui jouent, en masque, tous les rôles de la coquetterie & de la passion, jusques tous le vermillon de la pruderie, derriere les barrieres de la fierté, & avec les amorces du réfus, & le vernis de l’honneur. […] Il est de même des simples qui allument, & d’autres qui amortissent les feux infames de l’impudicité : Ulysse, en grand medecin, fut modérer ses passions.

322. (1834) Discours sur les plaisirs populaires « Discours sur les plaisirs populaires, les bals et les spectacles » pp. 1-33

Jésus-Christ n’est point venu bouleverser la société, mais la régénérer : ce n’est point en aggravant le fardeau de la loi de Moïse qu’il a voulu faire venir les hommes à lui : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, qui êtes chargés, je vous soulagerai. » Ce n’est point en changeant les habitudes des hommes, en rompant les liens qui les unissent mutuellement ; ce n’est point en les détournant des devoirs de citoyens ou même de sujets, qu’il a prétendu établir sa morale sainte, et faire de tous les hommes un peuple de frères : « Prenez, a-t-il dit, mon joug sur vous, et apprenez que je suis doux et modeste de cœur. » Ce n’est point par des craintes et des menaces, qui paralyseraient les hommes dans toutes leurs actions et qui tendraient à détourner toutes leurs pensées des choses de la terre pour les concentrer sur l’avenir qu’il promet à ceux qui suivront exactement ses préceptes, qu’il a voulu faire triompher sa doctrine divine, car il ajoute : « Et vous trouverez le repos de vos âmes. » Il n’a point exigé de ses disciples et de ceux qui seraient amenés à lui la renonciation aux plaisirs et aux jouissances que la bonté du créateur a attachées à l’humanité en compensation des maux naturels et physiques qui l’affligent, encore moins qu’ils se soumissent volontairement à des combats continuels contre leurs désirs, et même contre les passions qui sont l’âme de la société, et qu’ils cherchassent à amortir ces passions par des jeûnes, des privations, des tortures, car il dit en terminant : « Mon joug est doux, mon fardeau est léger. » Comment se fait-il, mes frères, que la loi nouvelle, douce, tolérante, consolante comme son divin auteur, soit devenue une religion n’imposant que de tristes devoirs, contrariant tous les sentiments de la nature, faisant, pour ainsi dire, haïr la vie et les moyens de la conserver ; religion toujours austère, toujours menaçante, toujours effrayante, et dont le joug serait cruel et le fardeau accablant, insupportable ? […] Chez ceux qui lui étaient restés fidèles ou qui sont revenus à lui, l’enthousiasme avait remplacé toutes les passions humaines, et leur foi, portée jusqu’au fanatisme, leur a fait forcer les conséquences des instructions du maître. […] Pourquoi ce sang répandu sur la croix pour nos péchés, si la satisfaction de nos besoins physiques, si nos fonctions intellectuelles, si l’entraînement des passions qui constituent notre être peuvent à chaque instant nous faire tomber dans le péché, et nous précipiter dans l’abîme ? […] Celui-ci n’attend pas le jour que Dieu a consacré au repos, à la distraction, aux plaisirs, pour se livrer à son ignoble passion ; plaignons-le, ne songeons point à le corriger, car il est incorrigible ; et appelons sur lui la miséricorde du Tout-Puissant. […] Dans la tragédie, les peuples apprennent à connaître et à juger les passions des hommes élevés, pour ainsi dire, au-dessus de l’humanité, que les lois ne peuvent atteindre, et qui, le plus souvent, se livrent à ces passions avec d’autant plus d’abandon et de fureur, qu’ils ne sont retenus par aucun frein et qu’ils y sont excités, poussés par de vils courtisans qui, comme le dit Phèdre dans son désespoir : …« Par de lâches adresses Des princes malheureux nourrissent les faiblesses, Les poussent au penchant où leur cœur est enclin, Et leur osent du crime aplanir le chemin.

323. (1666) Dissertation sur la condemnation des théâtres « Disseration sur la Condemnation, des Théâtres. — Chapitre XII. Que la représentation des Comédies et Tragédies ne doit point être condamnée tant qu'elle sera modeste et honnête. » pp. 237-250

Quand on renouvela ce divertissement dans l'Europe, il commença par des Satires aigres et mordantes qui tirèrent bientôt après elles le libertinage, et cela fut corrigé par les Histoires Saintes que l'on y fit représenter ; et les personnes de piété en prenaient tant de soin, que l'on forma cette Confrérie de la Passion, qui possède encore l'Hôtel de Bourgogne, où l'on représentait des Histoires Saintes ; et où maintenant on en représente encore de toutes sortes. […] Et bien qu'à l'égard de la vie civile, ils n'aient point d'occupation sérieuse, ils en peuvent avoir de bonnes à leur égard et devant Dieu, comme faire des prières, retenir leurs passions, régler leurs œuvres, et donner aux pauvres.

324. (1771) Sermons sur l’Avent pp. 103-172

Si ce n’est donc pas, absolument parlant, estre idolâtre, que de fréquenter les spectacles ; c’est du moins flatter, c’est pallier l’idolâtrie, que de conserver tant de passion pour un reste profane de la plus mortelle ennemie de la Religion. […] Mais quel cœur n’est point agité dans les spectacles par le tumulte des passions ? […] Quelqu’un d’entre eux estant allé à Rome, & voyant avec quelle passion les Romains y accouroient, demanda gravement, si ces gens-la estoient mariez, & s’ils avoient des enfants ? […] Ils prétendent, que les voix & les instruments qui animent & qui embellissent des paroles tendres & équivoques, excitent les passions, & font perdre à l’ame toute sa force. […] Ce que l’on y peut faire de mieux, c’est de guérir une passion par une autre.

325. (1674) Le Theâtre François pp. -284

S’il a esté permis d’exposer au public en deux differens tableaux le caractere des passions & leur droit vsage, il me le sera sans doute aussi de les reduire en vn seul, & de faire voir que la Comedie qui est vne peinture viuante de toutes les passions, est aussi vne école seuere pour les tenir en bride, & leur prescrire de justes bornes qu’elles n’ozeroient passer. […] La morale Chrestienne ne pretend pas de depouiller l’homme de ses passions, elle entreprend seulement de les regler, & de luy en montrer le droit vsage. […] Le pinceau nous represente vne passion d’amour, de colere, de vengeance aussi fortement que la plume du Poëte & que la voix de l’Acteur. […] L’autre a vne adresse particuliere à toucher les passions tendres, & se montre admirable dans vne declaration d’amour. […] Les Cinq Passions.

326. (1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien cinquieme. Le danger de la Comedie en particulier, decouvert par le R. P. F. Guilloré de la Compagnie de Jesus. » pp. 67-79

Les matieres, qui s’y traitent, ne sont ordinairement, que d’amour, & de ses intrigues, car le theatre ne plairoit plus, si cette passion n’en faisoit l’ame : L’expression, qu’on en fait, est par la declamation la plus douce, la plus animée, & la plus transportée : L’ajustement d’une Comedienne n’a rien, qui ne respire je ne sçay quoy d’impur, par la nudité de sa gorge, par son geste mol, & affecté, & par son action effeminée. […] Comment donc une personne qui frequente le theatre, sera-t’elle capable d’aucun sentiment Chrétien, ne raportant de-là, qu’une tête pleine d’idées douces & charmantes, & de toutes les passions folles & imaginaires, que la declamation d’une Comedien luy a pû presenter. […] Et aprés tout cela, n’est-il pas étonnant, que pour se jetter dans le danger de son salut, que pour perdre souvent son innocence, que pour pecher souvent mortellement, l’on aille à la comedie avec autant de chaleur & de passion, qu’aux plus fameux Predicateurs ; qu’on y trouve même plus de goût, & que l’on coure comme au feu, à la nouveauté de quelque piece ?

327. (1666) Seconde Lettre de Mr Racine aux deux apologistes des Hérésies Imaginaires « De Paris ce 10. Mai 1666. » pp. 193-204

. — Ce n’est pas que vous demeuriez toujours dans les bornes de votre partage, il prend quelquefois envie au plaisant de se fâcher, et au mélancolique de s’égayer, car sans compter la manière ingénieuse dont il nous peint ces Romains qu’on voyait « à la tête d’une armée et à la queue d’une charrue », il me dit assez galamment, « que si je veux me servir de l’autorité de Saint Grégoire en faveur de la Tragédie, il faut me résoudre à être toute ma vie le Poète de la passion ». […] Cicéron n’est pas moins nécessaire que lui, il est plus en usage dans les Collèges, il est assurément moins dangereux, car quand vous nous dites qu’on ne trouve point dans Térence ces passions couvertes que vous craignez tant, il faut bien que vous n’ayez jamais lu la première et la cinquième Scènes de l’Andrienne, et tant d’autres endroits des Comédies que l’on a traduites, vous y auriez vu ces passions naïvement exprimées, ou plutôt il faut que vous ne les ayez lues que dans le Français et en ce cas j’avoue que vous les avez pu lire sans danger.

328. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE VIII. Comédie du Tartuffe. » pp. 161-179

Tout cela ne caractérise point l’hypocrisie de la dévotion : combien de flatteurs, de gens d’intrigue, de frippons de toute espèce, qui sans être dévots, ni s’en dire, mais plûtôt en affectant l’irréligion & le libettinage, & flattant des passions honteuses, non seulement acceptent ce que peu de gens refuseroient, mais extorquent, par toute sorte de voies, des mariages, des donations, des successions, volent même ceux qu’ils ont trompés ! […] Tartuffe débite ses sentimens, fait des propositions, des caresses, des entreprises infames, montre les désirs, les passions, les transports les plus criminels, auxquels, après quelque minauderie, qui attise encore le feu, la femme acquiesce en entier, & le conduit enfin au moment de l’exécution. […] ) avoit-il tort de dire : Pour avancer qu’aujourd’hui la comédie n’a rien de contraire aux bonnes mœurs, il faut donc que nous passions pour honnêtes les impiétés & les infamies dont sont pleines les comédies de Moliere, qui remplit tous les théatres des plus grossieres équivoque dont on ait jamais souillé les oreilles des Chrétiens. […] L’inévitable nécessité de la passion dans les gens les plus pieux, à cause de la foiblesse humaine & de la délectation supérieure du plaisir : Mon sein n’enferme point un cœur qui soit de pierre. […] Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut, Vous croyant un obstacle à faire mon salut ; Mais cette passion peut n’être point coupable, Et je puis l’ajuster avecque la pudeur.

329. (1776) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre dix-huitieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre II. Madame de Longueville. » pp. 40-83

Il ne fut pas si tranquille sur la passion du Prince de Marcillac : il en prévit les suites, & n’eut pas tort. […] Telle fut la source de ses foiblesses & de ses malheurs : elle fut la premiere, & rendit tout ce qui lui étoit dévoué, la victime des passions les plus propres à la dégrader. […] Les sentimens de respect & de passion que je conserve pour Votre Altesse. La passion d’un Evêque pour une Princesse est-elle bien canonique ? […] Heureux qui, comme elle, a le temps & la grace de réparer des jours malheureux, qui ont été le regne de la vanité & de toutes les passions.

330. (1671) La défense du traité du Prince de Conti pp. -

Ils tâchent ainsi d’allier la Comédie avec la Religion ; l’impureté avec les bonnes mœurs ; le dérèglement des passions avec le repos de la conscience ; l’esprit du monde avec l’esprit de dévotion : ou plutôt ils détruisent la Vertu, pour mettre les vains divertissements en sa place. […] Qu’ils ne doivent point se laisser emporter aux passions de vengeance, et de colère, même dans la punition des coupablesIdem, livre 8, épitre 51, livre 7, indict. 2, épitre 126. […] D’où il s’ensuit par une conséquence nécessaire, qui détruit celle de la Dissertation, que les Comédies de ce temps doivent être condamnées par cette même raison qu’elles ne servent qu’à faire vivre les passions et corrompre les bonnes mœurs. […] , des Dieux comme étant sujets aux passions ; En effet nous ne savons que trop leurs convoitises, leurs tristesses, et leurs fureurs. […] Aussi les autres sont dépravés et vicieux qui les souhaitent et les cherchent avec une ardeur, et une passion déréglée.

331. (1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — XXIII.  »

Ainsi le besoin que l'on a de se délasser quelquefois, ne peut pas excuser ceux qui prennent la Comédie pour divertissement; puisqu'elle imprime, comme nous avons dit, des qualités venimeuses dans l'esprit, qu'elle excite les passions, et dérègle toute l'âme.

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