Dans une petite brochure intitulée, Etrennes fourrées ou pelisses simpatiques, un Etranger qui alla à la comédie en hiver, prétend deviner les humeurs, les inclinations, les caracteres des gens qui sont dans les loges, par les diverses fourures qu’ils portent. […] Ils faisoient porter les statues & les portraits souvent très-ridicules de leurs ancêtres, ce qui étoit une vraie farce, avec un Crieux qui en les montrant avec une longue baguette crioit comme un Charlatan, un homme qui montre la curiosité, c’est un tel qui a fait tel exploit. […] Les spectacles, qui suivent aussi les progrès du luxe & de la misere, se multiplient de même en raison de l’excès où ils sont portés l’un & l’autre. […] Coste dans ses notes ajoute cette reflexion : Montagne a beau montrer aux François la foiblesse & le faux des jugemens qu’ils portent sur les modes ; leur imbécilité subsiste dans le même dégré de force. […] 55 Montagne parle au long du luxe des odeurs, portés aussi à l’excès.
Ces objets n’excitent dans l’ame que des mouvemens doux & tranquilles qui ne portent à aucun péché, & ne favorisent aucune passion, ils invitent même à louer, à aimer, à admirer un Dieu dont ils peignent les perfections, mais les beautés théatrales, vanités des vanités, pompe du monde, attraits de la chair, cette musique efféminée, ces paroles tendres, ces intrigues galantés, ces nudités, ces gestes, ce fard, ce luxe ne viennent que du vice, ne portent qu’au vice, n’entretiennent que les passions les plus criminelles, & ne peuvent que conduire au dernier crime. […] Enfin il traite fort au long tous les péchés d’impureté, & puis, dit-il, les fards bravetés & ornemens lubriques sollicitent au crime comme de l’huile jetée au feu ; il ne faut douter que toutes ces choses ne soient fort déplaisantes à Dieu & contraires au commandement, à l’honnêteté & modestie chrétienne ; que les femmes, dit Saint Pierre, s’acoutrent en habit honnête & avec modestie, non en tresses en or, en perles, en vêtement somptueux ; quand elles viennent à l’Église qu’elles ayent la tête couverte, rien ne manifeste plus le cœur d’une femme que l’ornement d’icelle, on peut y voir au moins comme en miroir & lire comme en un livre, les habits comme la bouche parlent de l’abondance du cœur ; les femmes sont meurtrières d’ames quand elles viennent à l’Église elles ouvrent leurs coffres & arches (boëte) pour mettre l’or & montrer & porter tout ce qu’elles ont de beau & de brave, comme si c’étoient des Merciers qui y apportassent leurs merceries à la foire ; on diroit qu’elles veulent se moquer de Dieu, & lui reprocher sa pauvreté & misère. […] En ramassant quelques mots qu’elle a lu ou entendu dire, & c’est déjà ne savoir ce qu’on dit que d’entreprendre d’en parler ; ce n’est que sur ce ton cavalier qu’elle parle de religion ; car celui de la piété détoneroit infiniment ; ce n’est pas aux genoux d’Orphise, de Félicie qu’Oraphante & Telamon en porteront l’esprit & les sentimens, & entretiendront le langage ; mais pour que la conversation amuse leurs maîtresses, ils lanceront des traits contre l’Église, & leurs belles aussi dévotes qu’eux les payeront de leurs faveurs en revanche. […] Hébreu, Grec, Latin, Allemand, on ne voit rien de si ridicule dans aucune langue ; on ne le connoît qu’en France, soit qu’on y croye les complimens sans conséquence, & un verbiage frivole qui semble tout dire, & ne dit rien comme ils le font en effet sur-tout en galanterie, soit que l’entousiasme pour les femmes y soit porté à l’excès & à une sorte d’adoration ; l’usage a consacré ces termes, ils sont devenus de style ; c’est le protocole de Cithère, platitude puérile, plus basse que respectueuse de se mettre à genoux devant les femmes, qui ne convient qu’envers Dieu & à un criminel qui demande grâce : cette attitude a un autre principe, c’est pour les contempler à son aise, & être à portée de prendre avec elle des licences ; les femmes sont communément assises, il faut se baisser pour les mieux voir, prendre & recevoir avec plus de facilité des libertés indécentes dont elles peuvent moins se débarrasser.
Vn essain de flatteurs perfides, mais charmans, Qui sans vouloir aimer portent le nom d’amans, Brillent dans le balcon & volent au-tour d’elle. […] Ayant reçu, dit-il, la supplication des filles de joie de la grande Abbaye de Toulouse, qui se plaignent que les Magistrats les gênoient en les obligeant de porter des cordons & chapperons, ce qui les empêchoit de se vêtir à leur plaisir, & leur attire plusieurs injures, il leur octroie, & à celles qui leur succéderont en ladite Abbaye, la permission de porter telles robes & chaperons qu’il leur plaira. […] Qu’on vienne déclamer contre lui ; les anathèmes de l’Eglise, on les méprise ; les alarmes de la pudeur, on s’en joue ; barbarie chez les Grecs, qui en excluoient les femmes ; mysantropie chez les Romains, qui le couvroient d’infamie ; bizarrerie gothique parmi nous, qui laissons subsister les loix civiles & canoniques portées contre les Comédiens, & en faisons nos amis, nos modelles, nos oracles. […] Elles sont infiniment susceptibles de tendresse, & portées à la passion : tout ici respire la licence, en offre les objets, en découvre les moyens, en inspire les sentimens, en lève les obstacles, en ôte la honte ; & ce qui les enchante, c’est que jetant un voile transparent sur le crime, on y familiarise en le déguisant, on soulage la pudeur en l’affoiblissant, on les flatte d’assez de vertu pour en éviter la grossiereté, d’assez de bonheur pour sauver les apparences, & d’assez d’indulgence dans le monde pour n’en être pas moins estimées ; leurs exploits font bien-tôt voir de quels lauriers méritent de ceindre leur front des guerrieres si bien exercées.
Vous portez votre ennemi au milieu de vous : tenez une conduite qui vous réponde de vous-même. […] Jamais Casuiste ne porta la rigueur si loin. […] Mais les coups qu’ils portent au cœur ne sont pas moins rapides, ni les blessures moins profondes. […] On défendoit aux anciens athlètes de porter des habits, pour éviter toute supercherie, & ne rien laisser qu’à la vigueur & à l’adresse : l’artifice & le grand avantage des nouveaux athletes est de s’en dépouiller, contre toutes les loix qui le leur défendent. […] Elles vous font aujourd’hui des amans, elles vous feront un jour des bourreaux, lorsque damnés avec vous, & par vous, ils vous reprocheront à jamais les coups mortels que vous portâtes à leurs ames, & que transportés de rage ils vous maudiront, vous déchireront, vous fouleront aux pieds, & que ces mêmes membres, ce même corps qui ont été l’instrument de la lubricité & le théatre du scandale, deviendront le théatre & l’instrument du supplice : Per quæ peccavit, per hæc punietur.
C’étoit mal connoître ce Seigneur, qui étoit la vertu, la probité, la sagesse même : J’avoue, dit-il, que vous êtes belle, Monsieur ou Mademoiselle, car je ne sais comment vous appeler ; mais n’avez-vous pas honte de porter un pareil habit, & de faire la femme, puisque vous êtes assez heureux pour ne l’être pas ? […] Il n’est pas permis aux masques de porter l’épée, crainte des accidens ; mais le masque est par-tout sacré, personne ne peut l’insulter ni le refuser ; il entre par-tout, il est bien accueilli. […] Les Dames s’y rendent parées de leur mieux, les Messieurs y font de belles cavalcades au-tour des carrosses, & on voit arriver quantité d’hommes à pied déguisés en pâtissier ou en berger, qui portent chacun un fenetra sur la tête. […] Les déguisemens portés si loin sont rares ; mais on en voit beaucoup qui en approchent dans les commerces de débauche qu’on a intérêt de cacher. […] Le goût du masque est porté si loin, que dans la plupart des pieces comiques il y a quelque déguisement entre Acteurs qui fait le nœud ou le dénouement de l’intrigue ; c’est un amant déguisé en Valet, en Soubrette, en Paysan, en Peintre, en Médecin, en Musicien, en Danseur ; un Valet déguisé en Marquis, en Usurier, un Etranger, en Sergent, en Docteur ; une Soubrette déguisée en Vieille, en Baronne, en Marchande, en coquette, &c.
On trouve dans tous les temps & tous les pays une foule d’ordonnances, de règlemens, d’arrêts, de canons portés pour le contenir, qui tous n’ont abouti qu’à retrancher pendant quelque temps les grossieretés outrées, à élaguer quelque branche de cet arbre pourri, mais à laisser subsister la racine, le tronc, les principales branches, ce qui n’a servi, comme dans les ardins où l’on a soin d’émonder les arbres, qu’à le mieux nourrir, à le rendre plus touffu, & lui faire porter plus de mauvais fruits. […] Jamais peuple ne l’a plus méprisé ; il a porté des loix qui subsistent encore pour déclarer les Comédiens infames, & Laberius, Chevalier Romain, se crut déshonoré pour avoir été forcé d’y monter une fois. […] Toutes les vertus sur le théatre seroient portées au plus haut degré de considération, de gloire, & presque d’enthousiasme. […] Quel renversement de mœurs, quel scandale, quel coup mortel porté au bien public !
Vous n’avez peut-être pas commis les crimes qu’on représente ; mais vous avez vu ce qu’il ne faut pas commettre, et c’est par la vue de la volupté qu’on vous conduit à l’idolâtrie et au vice : « Oculos per libidinem ducit. » Vous venez de recevoir le Saint-Esprit ou l’Eucharistie, et vous le portez au théâtre parmi les femmes débauchées ! […] Un Chrétien doit garder soigneusement ses yeux et ses oreilles ; nous nous accoutumons bientôt au crime que nous entendons : « Oculi et aures custodiendæ ; scito assuescimus in scelera quæ audimus. » L’homme, trop porté au vice, est si facile à tomber ; que deviendra-t-il, s’il y est poussé par l’exemple ? […] C’est que le vice a toujours eu les mêmes torts, employé les mêmes prétextes, et porté aux mœurs et à la religion les mêmes atteintes. […] Et peut-être contribua-t-il à faire porter par l’Empereur l’édit fameux de leur abolition. […] Grégoire de Nazianze, et Eusèbe : Il y a des villes où sans jamais se lasser on ne s’occupe, du matin au soir, qu’à repaître ses yeux des spectacles des Comédiens, à entendre et à chanter des vers galants, des chansons licencieuses, qui portent à toute sorte d’impureté : « Quæ multam in animis libidinem pariunt. » Bien des gens sont assez aveugles pour croire ces peuples heureux, parce que négligeant leurs affaires et les travaux nécessaires à la vie, ils passent leur temps dans le plaisir et l’oisiveté : « Per inertiam et voluptatem vitæ tempus traducunt. » Peuvent-ils ignorer que le théâtre est une école publique de libertinage ?
C’est être trop sourd à la vérité de ne sentir pas, que leurs raisons portent plus loin.
« On rendra compte à Dieu de toute parole oiseuse : id est, verbum joculatorium per quod volunt inde placere aliis : de omni verbo otioso, etc. » Il compte donc manifestement ces trois choses parmi les vices, tria vitia, et reconnaît un vice ou une malice particulière dans les paroles, « par lesquelles on veut plaire aux autres » et les faire rire, distincte de celle des paroles qui portent au mal ; ce qui bannit manifestement la bouffonnerie, ou pour parler plus précisément la plaisanterie, du milieu des chrétiens, comme une action légère, indécente, en tout cas oisive selon Saint Thomas, et indigne de la gravité des mœurs chrétiennes.
.), est remplie de tant de licence, que du style comique fait pour délecter & corriger les mauvaises mœurs par la moquerie, elle passe dans celui de la bouffonnerie, de l’impudicité & de l’impudence, & ces farces exécrables dont la France fait un dessert de cigue après la piece sérieuse, mériteroient une sévere punition des Magistrats, parce que les mauvais propos que l’on y tient corrompent les mœurs, apprennent au peuple des mots de gueule, des traits de gausserie, des quolibets sales, & le portent à l’imitation des sottises & des fripponneries qu’il voit représenter. […] Campistron expira suffoqué de colère contre des porteurs qui à cause de son énorme grosseur refusoient de le porter. […] Le Prince descend du carrosse, & marche à pied ; les Princesses, qui étoient incommodées, furent tirées du carrosse, assises sur des carreaux de velours à crépines d’or, & portées sur les bras de plusieurs Pénitens vigoureux, ayant l’Aumônier de la Confrairie au milieu d’eux, qui terminoit la marche de la procession. […] Dans le voyage, qui se faisoit aux dépens de la ville, l’Abbé, accompagné des Echevins en robe, faisoit porter un étendart aux armes de l’Abbaye ; les tambours, les trompettes, les hérauts d’armes le précédoient, &c.
S’il n’y avoit jamais eu d’autre comédie, l’Eglise n’auroit jamais porté des censures. […] Personne n’a porté l’irréligion jusqu’à faire de la comédie une partie du cérémonial & du culte public, ou si dans quelques Eglises on a eu l’imbécillité de le défigurer par un si profane mélange, on l’a appelé la fête des foux : nom très-convenable, qui en donne l’idée qu’on doit en avoir, & que tout le monde en avoit. […] Thomas ajoute que si on y représente des choses indécentes ou capables de porter au péché, turpium vel ad peccatum provocantium, on pèche en les regardant avec plaisir ; ce plaisir & ce goût peuvent être si grands, que le péché sera mortel : Tanta potest exhiberi libido ut sit mortale. […] Chrysostome, dont nous avons ailleurs rapporté la doctrine, qui parlant du théatre de son temps d’Antioche & de Constantinople, assure qu’il n’est propre qu’à porter à l’impureté & au crime : Adulteros & inverecundos constituunt tales inspectiones.
Afin que nous expliquions ce point avec plus de clarté, il faut aller jusques au fondement, et supposer ce principe qui est incontestable, qu’on ne peut se mettre dans le danger de pécher sans faire tort à sa conscience, et qu’on est indispensablement obligé de fuir toutes les occasions qui peuvent porter au mal. […] Quel jugement porterons-nous encore de ceux qui ne font le bal, et n’assemblent du monde que dans ces intentions, soit qu’ils se regardent eux-mêmes, soit qu’ils veuillent par ce moyen satisfaire aux inclinations de quelque personne qu’ils considèrent, ou qu’ils aiment ?
Le comique en est commun avec bien d’autres Princes, qui ont porté aussi-loin Pivresse de la fortune. […] Elle en fut si allarmée qu’elle porta un édit sanglant contre les libelles diffamatoires. […] C’étoit un objet de sa vanité, pour porter celui qui lui sieroit le mieux. […] Elle voulut les porter au festin & au bal. […] Cet homme la porta toujours à son cou, & s’en faisoit gloire comme d’un Ordre de Chevalerie de la Reine.
Le goût du Théatre est, à la vérité, porté parmi nous jusqu’à la phrénesie.
Le souvenir seul d’avoir été son ennemi, & d’avoir porté le joug du démon, le fait frémir.