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76. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE VI. » pp. 98-114

L’amour profane passe-t-il en votre esprit pour une passion honnête ? […] Ecoutez Messala parlant à Tite, dans Racine, Eh bien, l’ambition, l’amour & ses fureurs, Sont-ce des passions indignes des grands cœurs ? […] Toute la Scene roule ordinairement sur une intrigue amoureuse : le Héros s’expose aux plus grands dangers pour la faire réussir, & quand l’obstacle ne céde point à la passion, il se livre au désespoir, la mort qu’il se donne est le dénouement de la Tragédie. […] L’orgueil est pareillement canonisé sur le Théâtre, c’est la source du vrai courage, la passion qui fait les Héros ; ceux-ci lui doivent l’élevation de leurs sentimens, en elle seule ils puisent la vraie grandeur. […] Telle est la Théodore de Corneille : Si mon ame à mes sens étoit abandonnée Et se laissoit conduire à ces impressions Que forment en naissant les belles passions.

77. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VIII. Réfléxions sur le plaisir qu’on ressent à la représentation d’un Poème comique, & sur la douleur qui déchire l’ame des Spectateurs d’un Drame sérieux. » pp. 113-123

Les Personnages qu’on y voit agir sont factices, il est vrai ; mais leurs ridicules & leurs passions se trouvent dans la plus-part des hommes ; l’on ne saurait donc manquer d’être frappé d’un tableau qui peint au naturel nos erreurs & nos travers. […] Les passions, les intérêts qu’elle traite, ne sont point non plus trop relevés, & peuvent s’appliquer à chaque particulier, quel que soit son rang, & la médiocrité de sa fortune. […] C’est que les passions employées dans une Tragédie sont directement les mêmes que celles que ressentent tous les hommes ; mais on les présente avec plus d’appareil, & les suites en sont plus importantes. L’ambition, l’orgueil, l’amour, la haîne, la fureur, qui agitent les Rois, déchirent pareillement l’ame du dernier Citoyen ; mais les transports où le livrent ces diverses passions ne sont point si terribles & n’éxcitent point tant la curiosité publique. […] Le Spectateur contemple avec éffroi ses passions dans l’âme des Princes de la terre ; il voit en grand les malheurs qu’elles occasionnent parmi le Peuple.

78. (1710) Instructions sur divers sujets de morale « INSTRUCTION II. Sur les Spectacles. — CHAPITRE III. Qu'une Mère est très coupable de mener sa fille aux Spectacles. Que c'est une erreur de croire que la Comédie soit destinée à corriger les mauvaises mœurs. Que rien au contraire n'est plus propre à les corrompre. » pp. 65-75

Il y a du mal de l'accoutumer à ouvrir son cœur à des plaisirs dont les impressions font d'ordinaire des plaies profondes et durables ; et de lui former l'esprit à des intrigues où tout est passion. […] Vous êtes donc bien éloigné de croire que la comédie soit destinée à corriger les passions, et les mauvaises mœurs ? […] Tout au plus elle corrige une passion par une autre. […] Mieux le Poète réussit à imprimer une image de grandeur, et de générosité aux passions de ses Heros, plus il s'insinue vivement dans le cœur de ses Spectateurs. […] Il dit que dans sa jeunesse, il avait une passion emportée pour les spectacles du Théâtre, dont les représentations étaient des expressions contagieuses de l'état de son âme.

79. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE II. De la Danse. » pp. 30-51

Si donc on l’emploie pour peindre, pour inspirer la passion, combien n’est-il pas dangereux ? […] Le grand art, le vrai succès, le chef-d’œuvre du théatre, est de transformer le spectateur en secret Acteur, qui joue au-dedans de lui-même les passions qu’il voit jouer. […] Le théatre connoît & a représenté cette fable, il en sent & fait sentir la vérité & la moralité ; que sera-ce des passions réelles, des traits de flamme, des mouvemens lascifs ? […] La danseuse, qui n’a autre chose à faire, est toute concentrée dans l’expression de la passion, le goût du crime & la vue de l’objet. […] La danse étoit formée de toutes les attitudes qui peuvent peindre la passion (la belle danse !).

80. (1707) Lettres sur la comédie « Réponse à la Lettre de Monsieur Despreaux. » pp. 276-292

Toutes ces fictions poétiques ne les touchent qu’en tant qu’ils sont moins guéris de leurs passions. […] Vous voulez qu’il y rectifie ses passions, qu’il y trouve le secret de les adoucir : et moi je n’estime pas que le Théâtre ait plus de privilège que les Bourdaloue et les Massillon. […] Cela paraît d’autant mieux, en ce que la Tragédie n’est jamais si parfaite, que lorsqu’elle peut arracher des larmes véritables, ou qu’elle renvoie le Spectateur comme tout engourdi des passions violentes qui viennent de l’émouvoir. […] J’avoue qu’un jeune homme qui l’observeraitg pourrait changer la thèse, et rendre le Spectateur plus susceptible de passion. […] [NDE] Il est l'auteur de la Satire nouvelle contre les femmes, imitée de Juvénal et des Satires nouvelles sur l'esclavage des passions et sur l'éducation des enfants (1698) d.

81. (1675) Traité de la comédie « XIII.  » p. 293

Toutes leurs pièces ne sont que de vives représentations des passions d'orgueil, d'ambition, de jalousie, de vengeance, et principalement de cette vertu Romaine, qui n'est autre chose qu'un furieux amour de soi-même. Plus ils colorent ces vices d'une image de grandeur et de générosité, plus ils les rendent dangereux et capables d'entrer dans les âmes les mieux nées ; et l'imitation de ces passions ne nous plaît que parce que le fond de notre corruption excite en même temps un mouvement tout semblable, qui nous transforme en quelque sorte, et nous fait entrer dans la passion qui nous est représentée.

82. (1774) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre seizieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre VI. Suites des diversites curieuses. » pp. 138-172

C’est, dit-on, pour combattre une passion par une autre passion : principe faux & pernicieux, comme nous l’avons dit ailleurs. […] On ne fait que rouler de passion en passion, & à la fin ceux qui le fréquentent les ont toutes. […] Toûtes les vertus qu’étale la scene sous l’appareil pompeux des grands mots, ne sont que des passions déguisées en vertus. […] Attribuer à la danse la peinture des actions, des passions humaines, c’est lui donner trop d’étendue, c’est du moins une équivoque. […] Les passions jouent toujours leur rôle, quoique différemment marquées.

83. (1752) Essai sur la comédie nouvelle « ESSAI SUR LA COMEDIE MODERNE. » pp. 1-160

Or, en excitant cette passion par les Comédies, on n’imprime pas en même temps l’amour de ce qui la règle. Les spectateurs ne reçoivent que l’impression de la passion, et peu ou point de la règle de la passion. […] Même passion, même timidité, mêmes moyens par conséquent à employer. […] Nicole, non seulement des passions dans les Comédies, mais il en faut de vives et de violentes. […] Il s’agit précisément d’un mariage dans cette petite Comédie ; mais la passion ne parle dans aucune de ses scènes.

84. (1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — XIII.  » p. 468

Toutes les pièces de M. de Corneille, qui est sans doute le plus honnête de tous les Poètes de Théâtre, ne sont que de vives représentations de passions d'orgueil, d'ambition, de jalousie, de vengeance, et principalement de cette vertu Romaine, qui n'est autre chose qu'un furieux amour de soi-même. Plus il colore ces vices d'une image de grandeur et de générosité, plus il les rend dangereux et capables d'entrer dans les âmes les mieux nées ; et l'imitation de ces passions ne nous plaît que parce que le fond de notre corruption excite en même temps un mouvement semblable, qui nous transforme en quelque sorte, et nous fait entrer dans la passion qui nous est représentée.

85. (1778) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre vingtieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — [Introduction] » pp. 2-10

Il n’y a gueres en effet que la passion qui puisse fournir tant de folies. […] Les chimeres, les passions amusent : les bons principes doivent faire pardonner ces égaremens, & assurer à la scène le beau titre d’école des mœurs, lors même qu’elle donne des leçons du vice. […] Toutes ces folies qui sont dans le caractere du héros de la Manche, nous font sentir les ravages que cause la représentation des vices & des passions dans le cœur des spectateurs, dont les sentimens leur sont analogues. C’est à peu près le même effet que dans D Quichotte : ces passions représentent, nourrissent, raniment, excitent des passions réelles ; ce sont deux cordes à l’unisson : les vibrations de l’une se repétent dans l’autre, & dans l’occasion font faire les mêmes extravagances & commettre les mêmes crimes. […] Sur-tout cette fatale passion de l’amour, qui regne sur le théatre, cette passion si naturelle, si commune, si violente ; quel désordre ne cause-t-elle pas, lorsqu’armée des attraits & de la parure des actrices, de la licence des discours & des gestes, d’une danse voluptueuse, des chants efféminés d’une société libertine, elle livrera les plus dangereux assauts ?

86. (1671) De la connaissance des bons livres « DE LA COMEDIE  » pp. 232-248

Leurs Poètes ont pensé avoir atteint au suprême degré de leur Art, d’avoir exprimé naïvement toutes les passions, et c’est où l’on trouve le plus de danger ; C’est comme les Peintres qui ayant employé tous leurs efforts à représenter des Nudités dans leurs Tableaux, sont condamnés par les personnes austères qui croient que de tels objets causent de mauvais désirs. Les Comédies où les passions sont si bien représentées, ont offensé tous les Dévots ; Selon leur opinion on y emploie des paroles trop tendres qui réveillent la passion d’amour dans les cœurs ; Il s’y trouve en quelques endroits des Discours véhéments qui excitent la colère pour des sujets qui ne le valent pas ; l’orgueil et l’ambition y ont leur place, pour nous apprendre à rechercher les faux biens du Monde, et à mépriser les vrais biens, qui sont ceux de la Vertu, et tous les biens entièrement spirituels. […] Il nous faut quelque modération pour ces beaux Ouvrages, et les rendre tels que nous les puissions voir sans scrupule : Il n’y a point d’apparence de condamner toutes les Comédies, non plus que tous les Romans, à cause seulement que les passions y sont trop bien représentées ; c’est-à-dire à cause que ces Pièces-là sont trop bonnes, et qu’on y voit des exemples naturels d’amour, d’ambition, d’avarice, de colère, de haine, et d’envie : Il ne faut donc pas aussi que l’on fasse aucune Histoire. Les Histoires les plus saintes décrivent toutes les passions et tous les crimes des hommes. […] C’est qu’on prenne garde à ne point marquer scandaleusement les mauvaises actions, à toucher les passions doucement, et à y donner une salutaire correction par des Remontrances faites à propos.

87. (1668) Les Comédies et les Tragédies corrompent les mœurs bien loin de les réformer. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics en augmente le danger. On ne peut assister au spectacle sans péril « Chapitre XI. La représentation qu’on fait des Comédies et des Tragédies sur les Théâtres publics, en augmente le danger. L’on ne peut assister aux spectacles sans péril. » pp. 191-200

Un Comédien lascif émeut les passions des autres, en feignant d’en avoir lui-même. « Enervisa histrio, amorem dum fingit, infligit. […] Comme la nature nous a faits les uns pour les autres, elle nous a liés par cette sympathie ou communication réciproque de nos passions ; de sorte qu’une personne vicieuse qui nous parle fortement, ne manque point de nous tourner l’esprit et le cœur comme le sien, et par consequent de nous infecter de son venin, à moins que nous nous tenions attachés à la vérité pour n’être pas ébranlés par ses paroles, et que nous n’excitions en nous-mêmes des passions opposées à celles qu’elle nous inspire. […]  » Et quoiqu’il n’ait pas coutume de parler à son désavantage, il avoue que les Spectacles faisaient de si grands changements dans son cœur, qu’il en retournait non seulement plus avare, plus ambitieux, plus amateur des plaisirs et du luxe : mais encore plus cruel et moins homme ; parce, dit-il, que j’ai été avec des hommes ; « Avarior redeo, ambitiosior, luxuriosior, imo vero crudelior et inhumanior, quia inter homines fui. » Que l’on prouve si on le veut, que les Comédies qui se jouent aujourd’hui ne peuvent causer que des passions innocentes, et des sentiments raisonnables, qu’on en conclue qu’il n’y a aucun danger, que ceux qui les représentent, nous communiquent les mouvements qu’ils expriment ; cela ne s’accorde point du tout avec l’expérience ; et s’il était ainsi, les gens du siècle pour qui elles sont faites, ne s’y divertiraient nullement. […] L’esprit se trouve encore à la Comédie après que l’on en est sorti, et comme il s’est accoutumé à des passions violentes, à voir des choses qui le remuent fortement, il devient insensible aux mouvements du S.

88. (1752) Lettre à Racine « Lettre à Racine —  LETTRE A M. RACINE, Sur le Théatre en général, & sur les Tragédies de son Père en particulier. » pp. 1-75

Quel enthousiasme de passion ! […] La vertu même autorise la passion mutuelle de ces jeunes amans. […] De semblables passions ne sont pas indignes de la Majesté du Cothurne. […] Des passions de Sultanes ne sont point des exemples d’héroïsme, ni de sagesse. […] Quel contraste de passions & d’interêts !

89. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 10 « Réflexions sur le théâtre, vol 10 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE DIXIEME. — CHAPITRE III. Extrait de quelques Livres.  » pp. 72-105

Roscius qui excelloit à représenter les passions lui formoit le geste la voix, le visage, aux passions qu’il vouloit exciter par les discours. […] Les Français dont les larmes couloient avec Bérénice, dédaignent aujourd’hui les passions douces & naturelles. […] Si la violence des passions entraîne, où est la liberté ? […] Quel levain de passion ! […] Il étoit l’unique pour donner de l’ame à la passion, & de l’agrément aux sons.

90. (1694) Sentiments de l’Eglise et des Pères « CHAPITRE II [bis]. De la Comédie considerée dans elle-même, et dans sa nature. » pp. 29-54

Hé quoi offencer Dieu en s’entretenant sans cesse de passions criminelles, et en travaillant à les exciter dans les autres, scandaliser l’Eglise, et procurer la damnation de ceux qui leur donnent le moyen de faire quelque figure dans le monde ? […] Car si c’est une fille ; n’est-ce pas offenser la pudeur du sexe, et blesser l’honneur de la virginité, rachetée du Sang de Jésus-Christ, que de voir sur un Théâtre une Chrétienne se produire, pour faire le personnage d’une femme passionnée, coquette, effrontée, emportée ou furieuse, selon les diverses passions qu’exige son rôlet. […] Car cet Arrêt ne leur peut servir (qu’en cas qu’ils règlent tellement les actions du Théâtre, qu’elles soient entièrement exemptes d’impureté) ce qui ne doit pas seulement s’entendre de l’amour impudique, mais aussi de toutes les autres passions qui souillent l’âme, et la rendent désagréable à Dieu. […] Un bon Acteur sait animer de telle sorte sa voix, et si bien ajuster ses paroles avec ses gestes et ses postures, que la passion qu’il représente fait d’ordinaire impression sur ceux qui l’écoutent, parce qu’il paraît ressentir lui-même cette passion, Et c’est ce qui les touche. […] C’est pourquoi Tertullien appelle les Comédiens, « Furiarum ministros et animarum inquietatores. » Quelque belle et bien entendue que soit une pièce, s’il n’y a pas de passions qui soient soutenues et poussées par de bons Acteurs, elle n’est point goûtée et elle échoue toujours.

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