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6. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre IV. Les spectacles inspirent l’amour profane. » pp. 32-50

La peinture des peines qui accompagnent les passions ne suffisent pas toujours pour faire éviter celles-ci. […] on ne règle pas après coup les mouvements du cœur sur les préceptes de la raison ; on n’attend pas les événements pour savoir quelle impression on doit recevoir des situations qui les amènent : car, si les poètes sont les maîtres des passions qu’ils traitent, ils ne le sont pas des passions qu’ils ont émues. […] Aussi le grand art des auteurs dramatiques est-il d’inspirer la passion de leur héros. […] Ils ont pu prescrire des bornes à la passion de leurs personnages, et pour cela ils n’ont eu besoin que d’un trait de plume ; mais ils n’ont pu en prescrire aux spectateurs, ni les empêcher de recevoir les impressions de l’amour, ni resserrer cette passion dans les bornes du devoir en la dirigeant vers un but honnête. […] Vous êtes revêtu d’une chair humaine qui s’allume plus aisément par la passion que le chaume desséché.

7. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE IV. Suite des effets des Passions. » pp. 84-107

Suite des effets des Passions. […] que le théâtre est le triomphe des passions. […] La passion, la passion, c'est le premier objet, la première, la seule Divinité. […] ce n'est point un objet réel, ni des passions réelles. […] Les passions théâtrales sont plus dangereuses que les autres.

8. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — CONCLUSION, de l’Ouvrage. » pp. 319-328

J’ai toujours pensé que le Théâtre était plus propre à exciter les passions qu’à les corriger, comme ses Protecteurs le prétendent. […] Les uns et les autres ont compris sans doute, que les Poètes dramatiques sont en possession d’inspirer dans le cœur des Spectateurs telles passions qu’il leur plaît : et que l’objet unique des Acteurs est de donner à l’impression de ces passions toute la force et toute la vivacité dont leur art est susceptible. Sans examiner s’il est utile ou dangereux d’agiter le cœur humain jusqu’à ce point, ni le risque évident que courent ceux qu’on fait subitement passer d’un état de tranquillité et de repos à celui d’inquiétude, de colère, ou de toute autre passion : sans, dis-je, examiner ces points, je me bornerai seulement à parler de la passion d’amour, que je vais comparer dans la Tragédie du Cid à toutes les autres impressions que cette même Pièce peut inspirer. […] La passion d’amour fait impression sur tous les hommes, et non seulement une impression vive, prompte et indélibérée, mais encore une impression durable et permanente, pendant que les autres passions ne font qu’une impression passagère, comme si la passion d’amour, plus homogène et naturelle à l’homme, tenait de plus près que toute autre à l’humanité. […] Je crois donc qu’il faut convenir que si le Théâtre excite toutes les passions, jamais, ou rarement du moins, il parvient à en déraciner quelqu’une ; et comme la passion de l’amour est la plus dangereuse, parce qu’elle est la plus séduisante, je crois qu’il est absolument nécessaire de réformer le Théâtre en ce point, comme je l’ai dit tant de fois, et comme je me flatte même de l’avoir prouvé.

9. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre V bis. Le caractère de la plus grande partie des spectateurs force les auteurs dramatiques à composer licencieusement, et les acteurs à y conformer leur jeu. » pp. 76-85

Ils flattent notre amour-propre en nous faisant voir des passions semblables aux nôtres ; et les portraits qu’ils nous en font nous plaisent encore plus que ceux de nos personnes : ces portraits deviennent souvent des modèles. En peignant les passions d’autrui, les auteurs dramatiques émeuvent tellement notre âme qu’ils font naître les nôtres, qu’ils les nourrissent, qu’ils les échauffent et qu’ils les rallument même lorsqu’elles sont éteintes. […] Non seulement les auteurs dramatiques mettent des passions dans leurs pièces ; mais ils y mettent encore des passions fort vives et violentes ; car les affections communes ne peuvent procurer aux spectateurs le plaisir qu’ils y cherchent. […] On sait, dit Nadal, qu’on ne peut faire réussir une pièce dramatique qu’en flattant les passions des cœurs corrompus. […] On veut être ému et touché par le spectacle ; la scène languit, si elle n’irrite quelques passions, et, quand les acteurs nous laissent immobiles, nous sommes indignés de ce qu’ils n’ont pas su troubler notre repos, ni blesser notre innocence.

10. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre XI. De l’amour & de ses impressions dans le Poéme Tragique. » pp. 165-178

Les mouvemens de cette passion molle leur sembloient peu dignes de la grandeur du Théatre. […] Ce n’est point aux doucereux transports d’une passion effeminée a remplir la scène, c’est aux emportemens de la colére & de la rage. […] Le jeu d’une passion théatrale consiste à se développer par un enchaînement d’impressions qui la menent insensiblement à son comble. […] Ils ont honte de ses transports, parce que la refléxion leur a présenté dans un grand jour le tableau des déreglemens de cette passion. […] Telle est la source où les anciens ont puisé ces intérêts, ces passions, qui emportent nos ames comme dans des tourbillons de feu.

11. (1757) Article dixiéme. Sur les Spectacles [Dictionnaire apostolique] « Article dixiéme. Sur les Spectacles. » pp. 584-662

Vous suivez, comme des yeux, les honteux progrès de sa passion. […] n’est-ce pas plutôt l’impression des passions que le spectateur reçoit, que les régles de ces mêmes passions ? […] le monde a-t-il rien nulle part de plus ébranlant pour le cœur, par le combat des passions qui en fait l’ame ? […] Et depuis ce temps, quel vice a-t-il corrigé dans vous, quelle vertu y a-t-il formée, quelle passion réprimée ? […] Sur-tout encore quand on vous sera remarquer la passion qui régle & conduit toutes les affaires.

12. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE II. Le Théâtre purge-t-il les passions ? » pp. 33-54

Le Théâtre purge-t-il les passions ? […] Veut-on dire que la tragédie détruise en entier les passions ? […] L'homme aura toujours des passions. […] Comme les passions seules fournissent les intrigues, les passions seules peuvent les bien rendre, et les voir jouer avec plaisir. Les passions sont l'âme du théâtre, dira-t-on qu'il les modère ?

13. (1754) La Comédie contraire aux principes de la morale chrétienne « La comédie contraire aux Principes de la Morale Chétienne. — VII. Le mariage dans les Comédies n’est que le voile de ce vice. » pp. 13-14

Le Théâtre dépouille ces passions de tous ce qu’elles ont de grossier ; il ne fait paroître que celles qui ont une fin honnête, & qui ont le mariage pour but. Tel est le dernier retranchement des deffenseurs de la passion de l’amour dans les Spectacles, mais il ne sera pas difficile de les y forcer. […] Des mariages où la passion ne domine pas, en sont bannis. […] On y cherche ces expressions tendres, ces intrigues ingénieuses, ce jeu des passions d’autant plus séduisant qu’il paroîtra plus épuré. On y cherche ces larmes qu’arrache l’image de ses passions si vivement réveillées ; toute cette illusion que S.

14. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique — CHAPITRE IV. La Tragédie est-elle utile ? Platon condamne toute Poesie qui excite les Passions. » pp. 63-130

Platon condamne toute Poesie qui excite les Passions. […] Que s’ils ne peuvent nous le prouver, ne ferons nous pas, ô mon Cher, ce que font les gens qui étant tombés dans de violentes passions, viennent à connoître le danger où ces passions les peuvent jetter ? […] Plutôt que de lui faire dire que la Tragédie purge les Passions qu’elle excite, M. […] La Tragédie excite la crainte & la pitié, pour purger en nous toutes nos Passions. […] A quelles Passions ?

15. (1777) Des Spectacles « Des Spectacles. » pp. 75-92

On veut être ému et touché par le spectacle ; la scène languit si elle n’irrite quelque passion : et quand les acteurs nous laissent immobiles, on est indigné de ce qu’ils n’ont pas su troubler notre repos, ni blesser notre innocence. […] Les spectacles profanes ne sont, à proprement parler, qu’une savante école de toutes les passions. […] Les sens ne sont-ils pas d’abord pris par ce fracas de décorations, de voix, d’instruments, de machines ; et les sens, d’intelligence avec les passions, peuvent-ils laisser l’âme tranquille ? […] Y est-on fort en garde contre les amorces de la passion ? […] Et certes, en quel part du monde les passions paraissent-elles dans un plus beau jour ?

16. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — SIXIEME PARTIE. — Comédies à conserver. » pp. 276-294

J’ai examiné un nombre considérable de Comédies dans le dessein de trouver un exemple de la façon dont il faut traiter la passion d’amour pour la rendre instructive. Le Misanthrope dont nous venons de parler, n’est pas une Pièce où cette passion paraisse avec les défauts contre lesquels je me suis si fort révolté ; les Amants de la Coquette aiment plutôt en petits Maîtres et en étourdis, qu’en hommes véritablement amoureux : Célimène fait son métier, et le Misanthrope, quoique passionné, traite l’amour suivant son caractère qui influe beaucoup sur sa passion, ce que le grand Molière n’a pas négligé en travaillant : je cherchais donc dans une Comédie un de ces excès de la passion d’amour qui portent les Amants à tout tenter pour se satisfaire : qui les rendent aveugles : en un mot un de ces excès qui font regarder les Amants comme des insensés, et qui leur attirent tout à la fois l’indignation et la compassion des Spectateurs, et je l’ai trouvé à la fin. […] Pour peu que l’on réfléchisse sur la Pièce du Chevalier joueur, on trouvera que la punition tombe également sur la passion du jeu et sur la passion d’amour. […] Lorsqu’on met sur le Théâtre la passion d’amour parvenue à de tels excès, c’est, à mon avis, une grande leçon pour les Spectateurs. […] Il n’a donc pas même le temps d’exprimer sa passion, ni Orphise de lui faire connaître si elle y est sensible.

17. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XVIII. Eprouver par soi-même si les spectacles sont dangereux, c’est vouloir tomber dans les dangers qu’ils offrent. » pp. 154-163

Toutes ces passions ne plaisent qu’autant qu’elles sont senties, et que le sentiment en a été plus vif et plus profond. […] « Tout ce qui est spectacle est passion ; les sentiments ordinaires et modérés ne frapperaient pas. […] Elle est flattée par tout ce qui flatte ses passions ; elle veut sentir ce qu’elle aime, et elle aime ce qu’elle veut sentir. […] Les maximes établies avec plus de soin sont les plus conformes aux passions, et par conséquent les plus fausses ; et, si un vice y est quelquefois condamné, c’est pour en justifier quelque autre plus éclatant et plus dangereux. […] « Il est vrai que peu de personnes connaissent tout le danger des passions, dont on n’est ému que parce qu’on les voit ; mais ces passions ne causent guère moins de désordres que les autres, et elles sont encore en cela plus dangereuses, que le plaisir qu’elles causent n’est point mêlé de ces peines et de ces chagrins qui suivent les autres passions et qui servent quelquefois à en corriger ; car ce qu’on voit dans autrui touche assez pour faire plaisir, mais ne touche pas assez pour tourmenter : c’est en cela que consiste le danger du théâtre.

18. (1705) Traité de la police « Chapitre III. Du Théâtre Français, son origine, et qu’il n’a été occupé pendant plus d’un siècle, qu’à la représentation de pièces spirituelles, sous le titre de Moralités. » pp. 437-438

premier essai se fit au Bourg de saint Maur ; ils prirent pour sujet la Passion de Notre-Seigneur ; cela parut nouveau : le Prévôt de Paris en fut averti, et il y pourvut par une Ordonnance du troisième Juin 1398. […] se pourvurent à la Cour, et pour s’y rendre plus favorables, ils érigèrent leur Société en Confrérie, sous le titre de la Passion de Notre-Seigneur. […] Lettres Patentes portant permission à une Compagnie établie à Paris, sous le titre de Confrères de la Passion de N.S. d’en représenter les mystères, et les vies des SS. en récits et personnages ; registrées au Châtelet, vol. 2. des Bannières, fol. 77. […] Le Parlement par Arrêt du dix-neuvième Novembre 1548. leur permit de s’y établir, à condition de n’y jouer que des sujets profanes, « licites et honnêtes, et leur fit de très-expresses défenses, d’y représenter aucun Mystère de la Passion, ni autres Mystères sacrés : il les confirma au surplus dans tous leurs privilèges, et fit défenses à tous autres qu’aux Confrères de la Passion, de jouer ni représenter aucuns jeux, tant dans la Ville, Faubourgs, que Banlieue de Paris, sinon sous le nom et au profit de la Confrérie. » Ce sont les termes de l’Arrêt. […] Lettres Patentes portant permission à une Compagnie établie à Paris, sous le titre de Confrères de la Passion de N.S. d’en représenter les mystères, et les vies des SS. en récits et personnages ; registrées au Châtelet, vol. 2. des Bannières, fol. 77.

19. (1707) Réflexions chrétiennes « Réfléxions chrétiennes, sur divers sujets. Où il est Traité. I. De la Sécurité. II. Du bien et du mal qu’il y a dans l’empressement avec lequel on recherche les Consolations. III. De l’usage que nous devons faire de notre temps. IV. Du bon et mauvais usage des Conversations. Par JEAN LA PLACETTE, Pasteur de l’Eglise de Copenhague. A AMSTERDAM, Chez PIERRE BRUNEL, Marchand. Libraire sur le Dam, à la Bible d’Or. M DCCVII — Chapitre XII. Du temps que l’on perd à la Comedie, et aux autres spectacles de même nature. » pp. 269-279

Les Pieces de theatre ne sont propres qu’à exciter, et qu’à fortifier les passions. […] C’est que plus les passions reviennent souvent, plus elles se rendent vives et indomptables. […] Par consequent plus une passion revient souvent, plus elle s’enracine dans l’ame, plus elle est violente et emportée, plus on y est assujetti. Ainsi les Pieces de theatre excitant les passions, elles font qu’on est moins en état de leur resister, qu’on ne seroit si on les privoit de ce secours. Ceci est d’autant plus considerable, qu’il n’y a presque point de passion qui ne paroisse sur le theatre.

20. (1667) Traité de la comédie et des spectacles « Traité de la comédie et des spectacles » pp. 1-50

Les différentes beautés des pièces consistent aujourd'hui aux diverses manières de traiter l'amour, soit qu'on le fasse servir à quelque autre passion, ou bien qu'on le représente comme la passion qui domine dans le cœur. […] Il les trouve sèches et insipides, au lieu qu'il court pour ainsi dire, au-devant de celles qui flattent ses passions et qui favorisent ses désirs. […] Le désir de plaire est ce qui conduit le premier, et le second est conduit par le plaisir d'y voir peintes des passions semblables aux siennes: car notre amour-propre est si délicat, que nous aimons à voir les portraits de nos passions aussi bien que ceux de nos personnes. […] Il faudrait un volume pour tous les exemples qu'on en pourrait donner presque dans toutes les pièces, comme il en faudrait un autre pour combattre cette passion autant qu'elle mérite de l'être. […] Voilà la Religion Chrétienne, voilà quelle doit être l'application de ceux qui la professent, voilà la doctrine de l'Apôtre saint Paul, ou plutôt celle du Saint-Esprit: et comme les exemples ont un grand pouvoir sur les hommes, dans le même temps que la Comédie nous propose ses héros livrés à leurs passions, la Religion nous propose Jésus-Christ souffrant, pour nous délivrer de nos passions.

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