Le sentiment qu’il nous dépeint ainsi, nous est aussi propre que notre existence, et ne nous étant pas possible de le haïr, n’est-il pas à craindre que nous ne nous accoutumions enfin aux vices sous lesquels on s’efforce de nous le montrer ?
Loin des vices qui nous irritent, on en parle avec moins d’indignation ; loin des maux qui nous touchent, le cœur en est moins ému.
Saint Cyrille Patriarche de Jerusalemc, saint Salvien Evêque de Marseilled & saint Isidore Evêque de Sevillee, parce que nous y avons renoncé dans le Baptême ; Lactance Firmienf, parce qu’étant des occasions de vices & ne servant qu’à corrompre les mœurs, elles sont non seulement inutiles pour nous conduire à la vie bienheureuse, mais elles sont même extrémement nuisibles ; saint Ambroiseg, parce qu’elles sont vaines ; saint Jerômeh, parce que nous ne devons pas mettre nostre joïe dans les plaisirs du monde. Saint Jean Chrysostome, parce qu’elles sont des obstacles à la conversion des ames & à leur salut ; saint Augustina, parce que c’est un crime énorme que de donner son bien aux Comédiens qui sont des gens infames, que plus un homme est vertueux & plus il doit s’éloigner du theâtre ; & que l’on n’eût jamais approuvé les Comédies & les crimes qu’elles representent sur le theâtre, si les mœurs des hommes qui estoient soüillez des mesmes vices ne l’eussent soufferte ; saint Isidore de Damiéteb, parce que les Comédies d’elles-mêmes & de leur nature, ne peuvent estre que pernicieuses & nuisibles ; saint Bernardc, parce qu’elles ne sont que vanité ; enfin Jean de Salisberi Evêque de Chartresd, parce qu’elles sont propres à entretenir les vices, & sur tout l’oisiveté, qui est l’ennemie de l’ame & qui la dépoüille de toutes ses inclinations vertueuses, & qu’en y assistant on participe aux crimes des Comédiens, à qui l’Eglise a interdit la sacrée Communion. […] Y-a-t-ïl une folie pareille à celle qui porte les hommes à s’habiller en femmes par un honteux déguisement, à défigurer leurs visages par des masques, qui sont capables de faire peur aux démons ; ou enfin à mettre impudemment son plaisir à chanter les loüanges des vices, avec des vers lâcifs, & avec des postures tout-à-fait ridicules & impertinentes ?
Le vice ne doit pourtant pas triompher de la vertu ; mais il faut que sa punition le touche faiblement, & qu’il se voye chatié d’un air enjoué comme dans le Joueur. […] Lorsque la Vertu est couronnée, il faut que ce soit après de grandes agitations ; nous éprouvons alors le même sentiment que l’on goûte quand un calme enchanteur succède à un orage affreux : de pareils dénouemens sont donc recevables, puisqu’ils nous causent la surprise & la terreur, en nous présentant le vice justement puni.
C’est, dit-il, le dernier excès de folie et de vice, qu’un honnête homme s’avise de danser, s’il n’est dans l’ivresse ou dans la démence : « Saltantem appellat Murenam Cato ; maledictum est, si vere objicitur, vehementis accusatoris ; si falso, maledici convitiatoris ; nemo enim saltat sobrius, nisi forte insanit. » Cet excès serait précédé de bien d’autres : eh qu’avez-vous à reprocher à Murena ? […] Quel respect, quelle estime peut avait le public pour un habitant de la scène, qui nécessairement en prend l’esprit et les allures, la dissipation et la malignité, la frivolité et les vices ?
Qu’il en use de même à l’égard de cette pernicieuse Sentence, où il a osé dire que la Comédie est « moins l’école du vice que de la vertu », page 33. […] Qu’il soit convaincu qu’appeler la Comédie moins une Ecole du vice que de la vertu ; c’est une proposition téméraire, scandaleuse et qui blesse les oreilles pieuses : Qu’il a insulté aux saints Décrets en déclarant que les Comédiens pouvaient en sûreté de conscience jouer tous les jours sans excepter les plus solennels, pourvu que quelques personnes voulussent avoir le plaisir de la Comédie.
L’Auteur du Fils Naturel, nous objectera-t-on, dit : « Qu’il y a dans la composition d’une Pièce Dramatique, une unité de discours qui correspond à une unité d’accens…… S’il en étoit autrement, il y auroit un vice ou dans le Poëme ou dans la représentation.
Dans ces pièces, ils y personnifiaient les vertus et les vices.
vice ne s’insinue guère en choquant l’honnêteté, mais en prenant son image ; et les mots sales sont plus contraires à la politesse qu’aux bonnes mœurs : voilà pourquoi les expressions sont toujours plus recherchées, et les oreilles plus scrupuleuses dans les pays les plus corrompus.
) que l’espoir ou la crainte des peines ou des plaisirs temporels, sont propres à former des hommes vertueux , l’ancien Venceslas récompensoit le vice & punissoit la vertu : le Moderne fera-til grace ce vice choquant ? […] ) le cinisme de la licence ombrager la tête de la galanterie de son pennage orgueilleux ; la hardiesse, mere du vice regner dans des yeux impudens, comme dans ceux des Bacchantes échevelées, quand un thyrse à la main, elles fouloient aux pieds les sages loix de la pudeur ; des demi-robes parsemées des couleurs de la débauche & semblables à celles des Filles de Sparte, quand presque nuës elles alloient disputer le prix des exercices gymmiques ; le feu des peintures dangereuses vomi par cent bouches impures, comme les flammes de l’Etna pour le malheur de ceux qui l’environnent ; une jeunesse novice portant d’une main la torche ardente de la passion aveugle, & de l’autre le frêle roseau de l’inexpérience, aller en foule porter dans le gouffre de la corruption les tendres fruits de l’éducation, les racines déliées de la vertu & les fleurs délicates de la santé . […] Qu’ils soient donc déracinés ces arbres maudits qui ne nous présentent qu’un fruit justement défendu, puisque le meilleur n’en vaut rien : oui, quand nous n’aurons plus à verser des larmes sur un faux Joas, nous n’en serons que plus disposés à nous laisser efficacement attendrir sur une infinité de véritables Lazares en faveur desquels de vils animaux semblent nous reprocher une insensibilité qu’ils n’ont pas : quand, à l’ombre de ces arbres de la science du mal, une Précieuse, un Petit-Maître n’apprendront plus à se corriger d’un ridicule, eux & deux mille avec eux, n’y apprendront plus à commettre tous les vices. […] nos plus austères anachorettes & toutes nos chastes colombes, faire une sainte violence au Ciel, & nous mériter de voir tarir jusques dans sa source ce débordement de vices !
La comédie leur offre l’image du monde, la peinture des vices, le désordre des passions, la corruption du cœur humain, le détail des ridicules. […] L’une les accoutume à parler aux grands, l’autre les familiarise avec les petits ; elle les exerce à corriger le vice par un bon mot, souvent plus efficace que les plus beaux sermons et les plus véhémentes plaidoiries.
Vincent de Paul) bâtissait des hôpitaux, fondait des séminaires, instituait une Congrégation de Missionnaires pour annoncer la parole de Dieu, une Congrégation de filles pour aller de toutes parts secourir les malades ; et un Cardinal de l’Eglise Romaine établissait une académie de Missionnaires du vice de l’un et de l’autre sexe : les Actrices de l’opéra et des Sœurs de la charité ; des Acteurs, et des Lazaristes ; des hôpitaux et des théâtres ; des sommes immenses répandues d’un côté pour soulager des pauvres, de l’autre pour payer des Musiciens et des Danseurs, etc. […] Quant à ce qu’on leur fait dire que le Prince n’a pas le même Evangile à suivre que les particuliers, que l’Eglise d’aujourd’hui n’est pas aussi sévère que celle des premiers siècles sur la condamnation du vice et les occasions du péché, c’est une morale de courtisan que la Sorbonne n’a jamais enseignée et autorisée par ses décisions.
Quoique ce dernier concile ne sévisse pas directement contre les comédiens, il suppose un vice dans leur profession, en tenant leurs spectacles pour un amusement incompatible avec le service divin.
Mais, sans me permettre l’apologie des uns, ou la censure des autres, je crois pouvoir dire que le plus sage parti est celui de purger le théâtre français des vices essentiels qu’on lui reproche, et qui, dans ces derniers temps surtout, n’ont que trop justifié les murmures de la vraie philosophie. […] Voici ce qu’il nous apprend lui-même du puissant effet de son art : « Nous ne nous proposons pas, dit-il, d’éclairer l’esprit sur le vice ou la vertu, en les peignant de leurs vraies couleurs. […] Rousseau va plus loin ; il soutient que le théâtre de notre premier comique est même une école de vices et de mauvaises mœurs. […] belle instruction que celle où les hommes faits ont bien de la peine à se garantir de la séduction du vice ! […] De manière que ce ne sont plus les hypocrites de la religion ou de la vertu, qu’il faudrait maintenant démasquer au théâtre, mais ceux du vice en crédit.