Il n’a jamais été ni à la Comédie, ni à l’Opéra : c’est ce qui lui donne l’avantage sur les Partisans du Théatre. […] Ce Poëte, qui, après Quinault, passe pour avoir le mieux saisi le véritable esprit de l’Opéra, nous a fait cet aveu dans son Discours sur la Tragédie de Romulus, qui fut représentée pour la premiere fois en 1722. « Nous ne nous proposons pas, dit-il, d’éclairer l’esprit sur le vice & la vertu, en les peignant de leurs vraies couleurs. […] Il ne prétend pas y pouvoir comprendre l’Opéra. […] Et, par ce prélude, il jugea des funestes impressions de tout le Spectacle de l’Opéra. […] Riccoboni a donc eu raison d’exclure l’Opéra de son plan de réformation.
C’est ainsi qu’on l’a toujours entendu à l’Opéra, & sur tous les théatres du monde, où les Dieux & les Déesses viennent figures ; & dans la vérité cette parure n’est point naturelle.
Ovide donne la même parure à Atis, héros fameux d’opéra, célebre dans l’empire amoureux, un colier de diamans, des cheveux en aîlerons, dégoûtant de myrthe : Et madidos myrrhâ curvum crinale capillos.
Elle se trahit à tout moment par ses ariettes galantes, par le détail de l’amour de Colin dans la romance, par ses allarmes sur le départ de son amant, l’éloge qu’elle en fait, l’embarras de ses réponses, le pardon qu’elle accorde à son amant, la conversation la plus tendre en duo, le duel à coups de poings qu’elle arrête, &c. tout ce manége de romans & d’opéra.
Cependant l’Opéra profitoit de ce désastre, on y venoit en foule, & la Comédie Françoise n’avoit que demi-chambrée.
L’amour pur, qui est à la pointe de l’esprit devant une gorge découverte, une Actrice parée, une danseuse de l’opéra ; un amour alambiqué dans les foyers, les coulisses, les cellules, les loges est un délire.
Il y a encore des opéra où ce costume indécent a été observé dans les fêtes des Dieux, & ce déguisement est familier sur le théatre.
Oui, mes Frères, ces divertissements que vous excusez, ou que vous regardez comme des objets indifférents, tant pour la Religion, que pour les mœurs ; ces Tragédies que vous allez entendre avec un enthousiasme que rien ne peut exprimer ; ces Opéra que vous trouvez si magnifiques et si merveilleux ; ces Comédies que vous appelez l’école du savoir-vivre et des bonnes mœurs, sont les pompes de Satan.
Troisièmement, si l’on doit dire la même chose de l’Opéra. […] A la troisième demande, on répond que l’Opéra est d’autant plus dangereux, qu’à la faveur de la Musique dont les tons sont recherchés et disposés exprès pour toucher, l’âme est bien plus susceptible des passions qu’on y veut exciter, et particulièrement de celle de l’amour, qui est le sujet le plus ordinaire de cette sorte de Comédie.
Il attribue, en passant, aux Acteurs de l’Opéra, un ressentiment un peu vif de l’ennui qu’ils lui ont causé. « Néron, chantant au théâtre, faisait égorger ceux qui s’endormaient… Nobles Acteurs de l’Opéra de Paris, ah ! […] [NDE] Mérope (1743) et L’Orphelin de la Chine (1755) sont de Voltaire, Iphigénie en Tauride est un opéra de Gluck (1779).
Ne soyez pas plus scrupuleux que le Pape Léon X qui n’a cessé d’encourager l’art Dramatique ; que le Cardinal de Richelieu qui l’a cultivé lui-même ; que le Cardinal Mazarin qui a présidé à la naissance de l’Opéra chez les François ; que le Cardinal Bibiéna qui a fait la première Comédie régulière écrite chez les Modernes ; que l’Archevêque Trissino à qui nous devons aussi le premier essai régulier dans l’art Tragique.
N’imputons point ces contradictions au Mercure, semblable à l’Imprimeur & au Colporteur, à celui qui cole les affiches aux carrefours, il débite ce qu’on lui donne ; c’est moins le Mercure de France que le Mercure de Cythère ; ce n’est d’abord jusqu’aux enigmes, c’est-à-dire, un grand tiers que contes, vers, chansons, de pures galanteries souvent licencieuses ; ensuite les spectacles, opéra, comédies, éloges des Actrices tiennent une autre bonne partie ; la Littérature, les Arts, les Académies, articles utiles sont ordinairement défigurés par le mêlange des futilités de la galanterie, en sorte que dans la somme totale, l’amour en occupe plus de la moitié.
L’Opéra, quoique doublement Académie de musique & de danse, a été peu flatté des offres de l’Académie de la langue.
Les spectacles sont devenus dès lors un besoin tel de la société, que, sous Louis XVI, des églises ont été ou commencées ou continuées sans que l’on soit parvenu à les terminer, tandis que la salle de l’Opéra, dévorée par un incendie, a dû être réédifiée dans l’espace de cinquante jours.