/ 357
23. (1758) Lettre à Monsieur Rousseau sur l'effet moral des théâtres « Lettre à Monsieur Rousseau sur l'effet moral des théâtres, ou sur les moyens de purger les passions, employés par les Poètes dramatiques. » pp. 3-30

Si vous ne leur demandez, comme je dois le croire, puisque j’écris à un Sage, que des efforts humains, je vous apprendrai, après l’avoir appris de Corneille, qui n’était pas un mauvais Philosophe, quoiqu’il fût un grand Poète, quels sont les moyens que l’art dramatique emploie pour purger les passions4. […] Quelle connaissance du cœur humain ne suppose pas l’admirable scène de ce vertueux Grec, entre Electre et Oreste son frère ? […] Mais quel plan pour l’utilité du genre humain ! […] … Je vois un Hercule, un fils de Jupiter, plus grand que ce Dieu lui-même, embrasé d’un feu cruel qu’il a cru légitime, sensible encore à l’amitié, se vaincre pour elle, triompher de l’Amour, comme il avait triomphé de la mort, et rendre croyables, par cet effort, tous les prodiges que la Fable attribue à ses forces plus qu’humaines. […] Que leur apprendraient de plus les plus profonds scrutateurs de l’âme humaine ?

24. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE III. De la Comédie. » pp. 92-118

Il n’est sûrement pas vrai que le plaisir du comique soit fondé « sur un vice du cœur humain »ck (sa malignité). […] Alceste n’est ni enragé ni assez discret, il hait cordialement le genre humain, mais sans s’armer d’un poignard contre le premier venu ou lui marquer comme Timon un figuier pour se pendredb : trop de complaisance dans le Philosophe Hollandais ne laisse plus voir dans son Misanthrope qu’un Spéculateur qui n’envisage rien qu’en général et que rien ne blesse assez dans chaque particulier pour l’engager à lui donner personnellement de bons conseils. […] Il s’agit d’examiner si Alceste est un galant homme tourné mal à propos en ridicule ; si la pièce, comme vous vous l’imaginez, est contraire aux bonnes mœurs ; si un homme qui dit durement son avis sur tout, qui ne s’embarrasse jamais de mortifier personne, qui prend le Dé à tous coups, et s’établit orgueilleusement le Juge et le Précepteur du genre humain, qui joint l’insolence à la brusquerie, n’est pas un homme vicieux et blâmable ; et si la probité est un titre qui exclue la politesse et la modestie. […] Vous voulez « que [le Misanthrope] s’emporte sur tous les désordres dont il n’est que le témoin […] ; mais qu’il soit froid sur celui qui s’adresse directement à lui »de  : mais cet homme-là ne serait plus Alceste, à l’emportement près ce serait Socrate ; or ce n’est pas Socrate que Molière a voulu peindre ; c’est Alceste, c’est le Misanthrope ; c’est un sage par amour-propre et un brutal par tempérament, c’est un orgueilleux fâché contre tout le genre humain de ce que tout le genre humain ne s’arrête pas à contempler sa sagesse. […] , p. 49 : « Tout en est mauvais et pernicieux, tout tire à conséquence pour les Spectateurs ; et le plaisir même du comique étant fondé sur un vice du cœur humain, c’est une suite de ce principe que plus la Comédie est agréable et parfaite, plus son effet est funeste aux mœurs […] » cl.

25. (1767) Essai sur les moyens de rendre la comédie utile aux mœurs « Essai sur les moyens de rendre la comédie utile aux mœurs — TROISIEME PARTIE. Des obstacles qui s’opposent parmi nous à la perfection de la Comédie. » pp. 57-75

En effet, qui est-ce qui a assez peu étudié l’histoire des passions humaines pour ne pas savoir qu’elles ont pris naissance avec l’homme, & qu’elles se sont perpétuées avec lui ; qu’elles sont aujourd’hui ce qu’elles étoient il y a mille ans ; que le tableau des mœurs de chaque siecle, & de chaque région de l’Univers se ressemble ? […] Il y a donc encore aujourd’hui comme autrefois des caracteres à peindre ; il y a donc encore aujourd’hui d’utiles leçons à donner au genre humain. […] Il faut qu’elle sonde le cœur humain jusque dans ses replis les plus ténébreux, & que là, comme dans leurs sources elle étudie ces passions, qui font tant de ravage dans la Société, & qu’employant tout son art à les peindre d’après nature, elle montre sur la scène l’homme tel qu’il est, malgré ses déguisemens apparens.

26. (1759) Lettre d’un ancien officier de la reine à tous les François sur les spectacles. Avec un Postcriptum à toutes les Nations pp. 3-84

Est-ce un esprit de fanatisme ou de révolte qui a placé cette maxime, le reste est des humains dans l’Encyclopédie à l’Article Fanatisme ? […] Qu’elle se taise donc cette raison humaine, (p. 4.) […] O abîme incompréhensible du cœur humain, pour qui est une même chose & le profane & le sacré ! […] Ici a murmuré un certain préjugé de Cour ; mais que ne peut-il être exterminé du milieu de nous, ce plus grand ennemi des Rois & de tout le genre humain ! […] Quel est donc ce prodige à forme humaine, qui n’est ni homme ni démon, puisqu’il n’a le ver rongeur ni de l’un ni de l’autre ?

27. (1590) De l’institution de la république « SIXIEME TITRE. Des Poètes, et de leurs vertus, item quels Poètes on peut lire et quels on doit rejeter des Théâtres. » pp. 117-127

et pour cette cause ne pouvants ouvertement ôter du cerveau des simples gens leurs vaines superstitions et rêveries, ils ornaient par vers tellement la vie des dieux, que cependant ils donnaient à connaître, qu’ils avaient été hommes, hantant et conversant parmi les mortels : de manière qu’ils n’estimaient rien en eux qui surpassât la nature humaine. C’est pourquoi ils les introduisent comme gens forts et vaillants, et qui secourent les humains en plusieurs choses : Quelquefois comme gens vilains et déshonnêtes, et du tout efféminés. […] Lorsqu’il pensait aux choses plus grandes, que ne sont communément les humains, et qu’il contemplait la nature des astres, il semblait lorsqu’il touchât de la tête au ciel : lorsqu’il combattait vaillamment contre les hommes, ou contre les bêtes cruelles et sauvages, adonc était il estimé preux et vaillant. […] lequel apporta maintes utilités aux humains, rédigea par ordre les mots, institua les Sacrifices et cérémonies, inventa plusieurs harmonies, enseigna aux Grecs les interprétations des mots, dont il est appelé Hermès, c’est-à-dire, interprète, et disent fabuleusement qu’il fut changé en une Planète. […] Car Poème [selon Possidonius] est une oraison faite avec mesure bien jointe, excédant la forme d’une oraison laborieuse, c’est-à-dire qui se fait en Prose, et Poésie est un poème significatif contenant l’imitation des choses divines et humaines.

28. (1760) Critique d’un livre contre les spectacles « REMARQUES. SUR LE LIVRE DE J.J. ROUSSEAU, CONTRE LES SPECTACLES. » pp. 21-65

« Tout en est mauvais et pernicieux (de la Comédie), tout tire à conséquence pour les Spectateurs ; et les plaisirs même du Comique étant fondés sur un vice du cœur humain, c’est une suite de ce principe, que plus la Comédie est agréable et parfaite, plus son effet est funeste aux mœurs. […] « A l’instant va s’élever contre moi cette Philosophie d’un jour, qui naît et meurt dans le coin d’une grande Ville, et veut étouffer de là le cri de la nature, et la voix unanime du genre humain. […] Que deviendrait l’espèce humaine, si l’ordre de l’attaque et de la défense était changé ? […] Rendre ridicule les vices et les défauts, ce qui est l’effet du Comique, c’est fortifier et rendre agréables les vices du cœur humain.

29. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique — CHAPITRE III. En quoi consiste le Plaisir de la Tragédie, & de la grande émotion que causoient les Tragédies Grecques. » pp. 49-62

Injustes & cruels, ils demandoient des victimes humaines, & cependant nulles plaintes contre ces Dieux dans les Tragédies ; les Malheureux ne se plaignent que de leur destinée : le Destin étoit supérieur aux Dieux mêmes. […] Bossuet, troublé par le sentiment de son crime, regardoit la Divinité comme ennemie, dont la haine implacable pour le Genre Humain, exigeoit des victimes humaines.

30. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE II. » pp. 18-28

Je reponds en général que la législation humaine suit la condition de l’homme : l’infaillibilité n’a jamais été promise aux puissances temporelles, comme à l’Eglise : quelquefois les Princes multiplient les impôts, font courber leurs Sujets sous un joug arbitraire, convertissent les Républiques en Monarchies, les Monarchies en Despotismes : les Dictateurs Romains se sont faits Empereurs, les Califes se sont érigés en tyrans, un sceptre de fer a plus d’une foi remplacé une domination raisonnable. C’est l’intérêt propre que l’on a préféré à celui de l’État ; ce motif plein de force sur l’esprit humain, étouffe les leçons de la justice & de l’honnêteté ; mais dans la défense des Spectacles, l’ambition ne se trouve nullement intéressée, la tolérance n’est pas une dérogation aux droits du Prince, le peuple songeroit moins à la révolte, seroit moins occupé d’intrigues & de cabales, s’il étoit amusé dans un Amphithéâtre.

31. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre prémier. De la Comédie-Bourgeoise, ou Comique-Larmoyant. » pp. 6-13

Je me crois autorisé maintenant à mal penser du cœur humain. […] (2) Cependant, disons en faveur des humains, qu’ils ne sont peut-être point si méchans que les Auteurs du Comique-Larmoyant, ou de la Comédie-Bourgeoise, les ont fait paraître aux yeux du Philosophe.

32. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « IV. S’il est vrai que la représentation des passions agréables ne les excite que par accident.  » pp. 10-18

Que s’il y a des histoires qui dégénérant de la dignité d’un si beau nom, entrent à l’exemple de la comédie dans le dessein d’émouvoir les passions flatteuses ; qui ne voit qu’il les faut ranger avec les romans et les autres livres corrupteurs de la vie humaine ? […] C’est pourquoi ces plaisirs languissent dans un âge plus avancé, dans une vie plus sérieuse : si ce n’est qu’on se transporte par un souvenir agréable dans ses jeunes ans, les plus beaux de la vie humaine à ne consulter que les sens, et qu’on en réveille l’ardeur qui n’est jamais tout à fait éteinte.

33. (1733) Traité contre les spectacles « TRAITÉ CONTRE LES SPECTACLES. » pp. 145-246

De là cette constance stoïque, qu’ils font paraître dans les tourments ; et qui est plutôt l’effet d’une prévoyance humaine, qu’une véritable soumission aux ordres du ciel. […] Ignorance humaine, combien fais-tu valoir tes vaines raisons ; surtout lorsqu’il s’agit de la perte de quelque plaisir ! […] Si nous sommes tels, qu’on nous suppose, prenons plaisir à nous repaître du sang humain. […] ce jour où tant de superbes et antiques monuments de l’orgueil humain seront anéantis, et toute la terre avec ses habitants sera consumée par un déluge de feu. […] Du reste, quels doivent être ces doux avantages que l’œil n’a point vus, et que l’oreille n’a point entendus, et que l’esprit humain n’a jamais pu comprendre ?

34. (1824) Du danger des spectacles « DU DANGER DES SPECTACLES. » pp. 4-28

Si nous n’avions pas au dedans de nous des dispositions naturelles de tendresse et de pitié, l’aspect du malheur ne saurait nous émouvoir ; de même, si nous n’avions pas intérieurement des semences actives des passions qui sont mises en jeu sur la scène, si nous n’avions pas les principes d’une corruption intérieure qui se trouve flattée par la représentation des égarements coupables du cœur humain, les plaisirs de la scène nous seraient aussi insignifiants que le serait un tableau pour un aveugle. […] Ajoutez que les représentations théâtrales offrent au monde des tableaux flatteurs et mensongers, et présentent, à la jeunesse surtout, une peinture attrayante du bonheur et de la vie humaine, peinture qui ne se réalise que rarement, ou même jamais. […] Tous les plaisirs, tout l’attrait que ces amusements frivoles peuvent présenter à leurs plus fougueux partisans, sont une triste compensation pour la corruption, l’extravagance et les maux sans nombre dont ils contribuent à propager les semences et à infecter la vie humaine. […] ce n’est pas dans ces amusements factices et dangereux que nous les rencontrerons ; c’est dans le spectacle et les scènes de la nature, dans ses admirables productions, dans les travaux utiles des arts, dans le tableau fidèle de la vie humaine, dans la peinture des objets intéressants, dans le charme des relations sociales et de la vie domestique, dans des actes de charité et de bienfaisance, enfin, dans le témoignage honorable et délicieux d’une conscience pure. […] Il est surtout un argument spécieux contre lequel ils doivent se tenir en garde : on leur dira qu’on peut profiter à l’école du théâtre, et y puiser des principes de religion et de morale ; on leur parlera encore du mérite littéraire et de la connaissance du cœur humain qu’on trouve dans plusieurs de ces œuvres dramatiques, comme si ces avantages devaient compenser les blessures profondes et souvent mortelles que font ces représentations dangereuses, à l’innocence, à la pureté et à la religion ; pour nous, convaincus que la corruption s’appelle toujours la corruption, et que ce serait acheter trop chèrement les plaisirs d’une composition savante, ainsi que l’élégance et le goût littéraire, que de l’acheter au prix de notre innocence, prenons la résolution ferme et invariable de combattre le mal, de quelque masque qu’il se couvre, de quelques formes attrayantes qu’il se revête.

35. (1725) Mr. de Moliere [article des Jugemens des savans] « Mr. de Moliere, » pp. 339-352

Moliere pour pouvoir jouer tout le genre humain, pour trouver le ridicule des choses les plus sérieuses, & pour l’exposer avec finesse & naïveté aux yeux du Public. […]   L’Homme ennemi du Genre Humain,   Le Campagnard qui tout admire   N’ont pas lû tes Ecrits en vain : Tous deux s’y sont instruits en ne pensant qu’à rire. […] L’autre, fougueux Marquis, lui déclarant la guerre, Vouloit vanger la Cour immolée au Parterre, Mais si-tôt que d’un trait de ses fatales mains La Parque l’eût rayé du nombre des Humains, On reconnut le prix de sa Muse éclipsée.

36. (1574) Epître de saint Cyprien contre les bateleurs et joueurs de farces « Epître de saint Cyprien contre les bateleurs et joueurs de farces. » pp. 423-426

Il n’y a théâtre humain tant beau et somptueux soit-il, qui puisse être égalé aux œuvres de Dieu. […] Une personne qui se connaîtra enfant de Dieu, jamais ne se donnera de merveilles des œuvres humaines : Et à la vérité, celui qui peut admirer autre chose que Dieu, se précipite du haut degré et sommet de sa noblesse. […] il contemplera les moissons venant du ciel, et non point des greniers humains : Josué 3. 16. […] Il n’y a théâtre humain tant beau et somptueux soit-il, qui puisse être égalé aux œuvres de Dieu.

/ 357