Ils blâment dans les jeux et dans les théâtres l’inutilité, la prodigieuse dissipation, le trouble, la commotion de l’esprit peu convenable à un chrétien, dont le cœur est le sanctuaire de la paix ; ils y blâment les passions excitées, la vanité, la parure, les grands ornements qu’ils mettent au rang des pompes que nous avons abjurées par le baptême, le désir de voir et d’être vu, la malheureuse rencontre des yeux qui se cherchent les uns les autres, la trop grande occupation à des choses vaines, les éclats de rire qui font oublier et la présence de Dieu et le compte qu’il lui faut rendre de ses moindres actions et de ses moindres paroles ; et enfin tout le sérieux de la vie chrétienne. […] Que si on veut pénétrer les principes de leur morale, quelle sévère condamnation n’y lira-t-on pas de l’esprit qui mène aux spectacles, où pour ne pas raconter ici tous les autres maux qui les accompagnent, l’on ne cherche qu’à s’étourdir et à s’oublier soi-même, pour calmer la persécution de cet inexorable ennui qui fait le fond de la vie humaine, depuis que l’homme a perdu le goût de Dieu ?
La tragédie a donc tort, et donne au genre humain de mauvais exemples lorsqu’elle introduit les hommes et même les héros ou affligés ou en colère, pour des biens ou des maux aussi vains que sont ceux de cette vie ; n’y ayant rien, poursuit-il, qui doive véritablement toucher les âmes dont la nature est immortelle, que ce qui les regarde dans tous leurs états, c’est-à-dire, dans tous les siècles qu’elles ont à parcourir. Voilà ce que dit celui qui n’avait pas ouï les saintes promesses de la vie future, et ne connaissait les biens éternels que par des soupçons ou par des idées confuses : et néanmoins il ne souffre pas que la tragédie fasse paraître les hommes « ou heureux ou malheureux » par des biens ou des maux sensibles : « Tout cela, dit-il, n’est que corruption »De Rep. lib. 10.
Felix, le plus ancien de nos Auteurs, « qui faisons profession d'une vie honnête, nous nous abstenons de vos Pompes, de vos Spectacles, et de tous les mauvais plaisirs que l'on prend, dont nous savons bien que l'origine est un effet de votre superstition, et que leurs agréments sont condamnables ; Car dans le Cirque qui peut souffrir la folie de tout un peuple qui se querelle ; dans les Gladiateurs le cruel art de tuer les hommes, dans les Jeux Scéniques une prodigieuse turpitude ? […] les Histrions ne gagnent pas seulement leur vie avec leurs mains, mais avec leurs corps, il fait bien connaître qu'il n'entend pas parler des Comédiens et des Tragédiens, qui agissent plus de la langue que de tout le reste de leurs personnes ; mais seulement des Mimes, Pantomimes, et autres Bateleurs de la Scène et du Théâtre, dont l'art était de s'expliquer bien plus par les postures que par le discours : et nous pouvons découvrir son sentiment, quand il écritDe Spect. […] parle que des Pantomimes qu'il ne reçoit à la pénitence qu'en changeant de vie.
Le caractere de son écuyer n’est pas moins faux : on le donne pour un homme sensé qui n’a jamais lu de livres de chevalerie, & ne peut par conséquent en être infatué, & qui cependant quitte maison, femme & enfans, pour courir avec un fou, qu’il connoît tel, sous l’espérance chimérique d’un gouvernement, & des aventures extravagantes où il n’y a que des coups à gagner, & en gagne en effet en abondance, aussi-bien que son maître : il est cent fois rompu & laisse pour mort, &, contre toutes les regles du moral & du physique, il est sur le champ ressuscité par miracle, & revient en extravagant s’exposer à de nouveaux coups, & mener la vie la plus misérable. […] Toute une petite ville est mise en train pour jouer la farce du gouvernement chimérique donné à l’écuyer, à qui l’on fait toutes sortes d’insultes : cent & cent autres personnes, dans le cours de cette histoire insensée, entretiennent les rêveries de ce malheureux, pour le baffouer, & renouvellent les combats des gladiateurs, où les romains se divertissoient aux dépens des hommes, comme ils venoient de faire au théatre Le cirque est un théatre, le théatre est un cirque, où l’homme est le jouet de l’homme ; dans l’un aux dépens de la vie, dans l’autre aux dépens de l’honneur : la brutalité a enfanté l’un & l’autre, y conduit & s’y plaît. […] La comédie doit être un tableau de la vie humaine, un exemple pour la conduite des mœurs, un image de la vérité ; je vois cependant qu’elle ne représente aujourd’hui que des extravagances, qu’elle propose & autorise de mauvaises actions, & qu’elle est presque toujours l’image d’une sale volupté. […] Tels sont la fuite des occasions du péché, la contagion des mauvais exemples, le poison d’une danse & d’une musique voluptueuses, les attraits séduisans des femmes étalés sur la scène, les traits perçans, des discours, des gestes, des intrigues galans, la licence des compagnies, les dangers d’une vie oisive, dissipée, frivole, tous ces traits épars dans une forêt, ou plutôt un labyrinthe d’extravagances, sont la condamnation évidente du théatre.
Après toutes ces considérations n'avouera-t-on pas que nous avons sujet de dire, qu’on ne peut point se trouver dans ces assemblées avec sûreté de conscience, et que le danger d’offenser Dieu y est évident, non seulement pour ceux qui mènent une vie plus libre, et suivant le cours du monde ; mais encore pour les plus chastes, et pour les mieux réglés ? […] C’est pour cela que David qui avait appris à se défier de soi-même, et à vivre dans une parfaite circonspection, par une expérience qui lui fit sentir pendant toute sa vie une continuelle confusion, et une perpétuelle douleur, disait à Dieu dans un de ses Psaumes, « Seigneur, prenez soin de mes yeux, et empêchez-les de voir la vanité », Ps 118 . […] N’est-ce pas une chose étonnante et digne de larmes, de voir que des Chrétiens qui sont obligés à une vie si pure et si sainte, se jettent eux-mêmes dans les lacets du diable et du monde, et s’exposent hardiment et sans aucune crainte dans les périls effroyables du péché, sans faire aucun cas, ni des avertissements du saint Esprit, ni de la gloire de Dieu, ni de leur propre salut ? […] Et on ne doit pas excepter dans cette occasion les personnes grossières et de la campagne, à cause de leur simplicité ; parce que encore bien qu’il semble d’une part qu’elles ne pussent pas être si sujettes à cette sorte de péchés que ceux qui vivent dans les villes, et principalement ceux qui y mènent une vie oiseuse et faineante ; Il est pourtant assuré de l’autre, que leurs passions naturelles sont plus facilement émus, aussi bien que dans les animaux privés de raison, à la présence des objets qui les peuvent exciter.
Je ne révendique que ce qui appartient au théatre dans la vie de ce fameux personnage. […] Partageons sa vie en différens drames, & chacun en divers actes. […] Un Roi de France fit autrefois jouer pendant trois jours la vie de Jeanne de Naples. […] Le Roi d’Espagne sauva la vie à la Princesse, l’amour fit grace au Comte. […] C’est le seul bien qui puisse faire ma félicité, après lequel je soupirerai toute ma vie.
La question qu’il propose dans l’article second est à savoir s’il y a des choses « plaisantes, joyeuses : ludicra, jocosa » : qu’on puisse admettre dans la vie humaine ; « tant en actions qu’en paroles, dictis seu factis » : en d’autres termes, s’il y a des jeux, des divertissements, des récréations innocentes : et il assure qu’il y en a, et même quelque vertu à bien user de ces jeux, ce qui n’est point révoqué en doute : et dans cet article il n’y a pas un seul mot de la comédie : mais il y parle en général des jeux nécessaires à la récréation de l’esprit, qu’il rapporte à une vertu qu’Aristote a nommée eutrapelia De mor. 4. 14. […] Quoi qu’il en soit, Saint Thomas s’objecte à lui-même, que dans cet art, quel qu’il soit et de quelque façon qu’on le tourne, on est dans l’excès du jeu, c’est-à-dire du divertissement, puisqu’on y passe la vie, et néanmoins la profession n’en est pas blâmable.
S’il se trouve parmi les spectateurs un malheureux réduit au désespoir, ou qui, au premier jour, se trouvera dans cette affreuse situation, n’est-il pas à craindre que l’exemple de tant de héros, qu’il a vus se délivrer de la vie, ne se retrace dans son imagination, et ne le porte à cette fatale extrémitéan », suivant cette maxime que Voltaire met dans la bouche de Mérope : « Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir, La vie est un opprobre et la mort un devoir. » an.
Les volages amateurs du monde qui ne vivent que de la vie des sens, et n’ont des yeux qu’à la tête le verront alors tel qu’il est, mais pour leur confusion et leur désespoir éternel, présentement ils substituent ses créatures en sa place, ils y cherchent cet agrément, cette joie, cette paix, ce repos qui ne se trouvent qu’en lui seul ils prétendent fixer leur mobilité, en un mot, ils ne conçoivent point d’autre réalité que celle d’une figure qui passe, et ils y rapportent tout comme à leur dernière fin ; quel abus, quelle impiété ! […] Ainsi il fait un exercice continuel d’ambition, de vanité, de fausse tendresse, de vengeance, tout est en combustion chez lui, sans qu’il en sente seulement la fumée parce qu’il en est dehors, l’appareil de son supplice y est tout dressé par le déchaînement des passions sans qu’il l’aperçoive, tout occupé qu’il est de ces aventures imaginaires qui font des plaies très réelles et très profondes dans son âme, il ne voit pas les précipices que ses ennemis lui creusent, et les chaînes qu’ils lui forgent, je pleurais, dit saint Augustin dans les Confessions, une Reine Didon qui s’était tuée par un violent transport de son amour, et je ne pleurais pas mon âme, ô mon Dieu, à qui je donnais la mort, en m’éloignant de vous sa vraie vie, par l’attachement déréglé à ces fictions dangereuses. […] Or si ceux qui marchent en la présence de Dieu dans une continuelle attention sur eux-mêmes, et s’engagent à une vie austère et solitaire, pour affaiblir ces ennemis domestiques ont encore des combats à soutenir dans lesquels ils reçoivent quelquefois des blessures, quelle est votre témérité, votre présomption, votre aveuglement ! […] Sainte Thérèse nous apprend dans l’histoire qu’elle a écrite elle-même de sa vie, que la lecture des comédies et des livres de chevalerie (que eût-ce été de la représentation effective) refroidit tellement en elle la piété et les bons sentiments dont le Seigneur l’avait prévenue, que sans une grâce spéciale elle se fût engagée dans la voie de perdition où marche le plus grand nombre des hommes. […] Si l’Eglise n’exerce pas la sévérité de ses censures sur ceux qui vont à la comédie, parce que le nombre de ces coupables est trop grand, elle exclut les comédiens à la vie et à la mort de la participation des Sacrements s’ils ne promettent sincèrement de renoncer à ce métier infâme, on les passe à la table de la communion comme des pécheurs publics s’ils sont assez hardis que de s’y présenter.
On y voit le mouvement de la charité chrétienne, qui oblige cet illustre Saint à exposer sa vie pour la défense de la pureté de cette Sainte, tellement obscurci par la passion feinte, que l’auteur met dans ses paroles et dans celles de la Sainte, qu’on ne sait non plus que les Acteurs qu’il introduit sur le Théâtre. […] ; enfin parce que l'état d’un Chrétien en cette vie est de fuir toutes sortes de plaisirs, et de faire consister toute sa joie dans les larmes de la pénitence, dans le pardon de ses péchés, dans la connaissance de la vérité, et dans le mépris même des plaisirs les plus innocents et les plus légitimes. […] Et ne reconnaît-on pas qu’ils ont changé de vie, et qu’ils sont pour ainsi dire, devenus Chrétiens une seconde fois, en ce qu’ils refusent de se trouver dans ces lieux, qu’ils ne savent que trop leur avoir été funestes ? […] Ce n’est point à l’esprit de ceux, qui sont appelés à une vie céleste, dont les noms sont déjà écrits dans cette éternelle cité, et qui font profession d’une milice toute spirituelle : mais c’est l’esprit de ceux qui combattent sous les enseignes du démon. […] Chrysostome, aussi bien que Tertullien, ne condamne pas seulement les comédies à cause de leur dissolution et de leur impureté, mais encore à cause qu’il n’est pas permis aux Chrétiens de passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices qui sont inséparables de ces spectacles ; qu’il les condamne, parce qu’on ne peut s’empêcher d’y donner de l’approbation et de l’applaudissement à des choses pour lesquelles les fidèles doivent avoir une souveraine horreur, et comme il ajoute en suite, « parce que ce sont ceux qui assistent à ces spectacles qui entretiennent la vie libertine de ceux qui les représentent, qui les animent par leurs ravissements, par leurs éclats et par leurs louanges, et qui travaillent en toute manière à embellir et à relever cet ouvrage du démon ».
Amour des richesses, concupiscence des yeux ; amour du plaisir, concupiscence de la chair ; orgueil de la vie, concupiscence de l’esprit : triste suite du péché originel, principe funeste du péché actuel & de la damnation. Cette fable est pleine de bonnes instructions, une tête de femme parée est une vraie tête de Meduse ; elle le deviendra un jour très réellement dans l’autre vie en punition des péchés qu’elle a fait commettre. […] Sans doute le fond de l’événement, l’entreprise, le courage, la fermeté d’une femme qui, pour délivrer sa patrie, s’expose à tout dans le camp ennemi afin de surpendre le Général, & lui ôter la vie, ont été inspirés de Dieu. […] Bacchus & Vénus sont très-unis : les petits soupers fins, la liberté, la gayeté des repas, les vins exquis rendent sa vie délicieuse, & resserrent de si beau nœuds. […] Les Prophetes en parlent souvent, & en font des reproches aux femmes galantes de leurs tems & aux idolâtres, & ne l’attribuent qu’aux femmes de mauvaise vie.
La valeur, la vie dure sont ordinaires chez les Princes Goths : celui-ci enchérit sur tous les autres. Jamais on ne vit de roi mépriser comme lui les commodités de la vie. […] Il y a dans sa vie de quoi faire un grand saint. […] Le Czar , ajoute Voltaire qui a aussi écrit la vie de ce Prince, avoit les mêmes sentimens sur la religion & sur la destinée ; mais il en parloit plus souvent & ouvertement, & avoit la supériorité de génie, l’étude de la philosophie & le don d’éloquence au-dessus de Charles, qui ne savoit que se battre (l’éloquence & l’étude du Czar étoient médiocres). […] Quel dommage que ces trois hommes qui ont tant travaillé pour la gloire, chacun dans son état, qui ont tant fait parler d’eux, & qui avoient chacun quelque chose de grand, après une vie si agitée & si laborieuse, soient enfin allés sans gloire dans une éternité de supplices !
Il le loue comme d’une des belles actions de sa vie, d’avoir chassé de son royaume tous les Histrions, moins dangereux alors, moins mauvais qu’ils ne le sont aujourd’hui, d’où naît un débordement de vices. […] Toutes les méthodes, les règles, les conduites de la vie chrétienne qui enseignent les pratiques de dévotions, les exercices spirituels, les moyens de faire des progrès, les facilités & les obstacles à la vertu, n’oublient point la fidélité à fuit tous ces objets dangereux. […] Pour les livres qui traitent des mystères sublimes de la contemplation & de la vie intérieure, toléreroient-ils des divertissemens criminels, eux qui pour faire mourir l’homme à lui-même, interdisent les plaisirs innocens, & font de la croix le bonheur & les délices de l’ame fidèle ? Ce n’est pas dans les Vies des Saints qu’on trouvera des amateurs du théatre ; ils furent tous ses ennemis, non-seulement ceux que l’amour de la solitude ensevelit dans les déserts, ceux que le zèle transporte au-delà des mers, ceux que la charité dévoue au service des pauvres, mais ceux même que leur état, leur grandeur ou leur dépendance tiennent enchaînés au milieu du monde, & qui versent des larmes sur les fleuves de Babylonne. […] Pour le Saint des Saints, dont la vie est notre modelle, la morale notre règle, les mérites notre espérance, trouvera-t-on rien dans son Evangile qui n’en soit la condamnation ?