Quand vers le milieu du dernier siécle, à la sollicitation d’un Ministre que la Pourpre Romaine n’empêchoit pas d’aimer le Théatre, fut levé le voile d’infamie qui l’avoit couvert jusqu’alors, ce fut sous la condition expresse qu’il ne s’y passeroit rien qui pût blesser l’honnêté publique, & qu’on n’y diroit pas même une parole à double entente . […] Et vous, Bourgeois, vous perdrez l’habitude de regarder avec mépris des hommes doublement respectables… Contenus d’abord par des Réglemens sages, protégés ensuite & même considérés dès qu’ils en seront dignes, enfin absolument placés sur la même ligne que les autres Citoyens , nos Villes auront bientôt l’avantage de posséder ce qu’on croit si rare, & qu’il ne l’est que par notre faute : une troupe de Comédiens estimables… Que sçai-je si ne craignant plus de vous deshonorer parmi nous, en vous livrant au théâtre , il ne vous prendra pas à tous envie d’y monter, d’y endosser un habit à la Romaine, (Encyclopédie, au mot Genève,) & d’y cultiver non seulement sans honte, mais même avec estime, le talent si agréable & si peu commun de nous divertir ?
Ainsi l’avoit prévu le plus sage des Romains.
Properce trouve ridicule qu’une vieille se farde ; vous vous moquez, de faire briller sur votre tête un éclat étranger : Ludis & externo tincta nidore caput ; chacun doit être content de ce qu’il a reçu de la nature ; chaque climat, chaque personne a sa couleur ; le teint d’une Flamande ne convient pas à une Romaine : Turpis Romanæ, Belgicus est color.
Allons plus loin, supposons cette prétendue expérience de ces braves cottemaillés qui peuvent tous les jours & les heures entieres repaître leurs yeux & leur cœur des charmes de toutes les passions, sans en être jamais effleurés ; je ne serois pas surpris qu’à force de fréquenter les spectacles, on s’y accoûtumât si bien que la satiété menât à l’insensibilité ; Mithridate, à force d’avoir pris du poison, ne pouvoit plus s’empoisonner ; un ivrogne à force de boire émousse son palais, & ne goûte plus les liqueurs les plus fortes ; un débauché, dégoûté, blasé, énervé, à force d’excès, devient insensible ; les Dames Romaines, malgré la douceur naturelle du sexe, à force de voir les Gladiateurs s’entretuer, voyoient sans émotion couler des ruisseaux de sang.
Ainsi c’est par son inspiration, dit saint Ambroise, que tant d’écrivains composent des Poésies lascives et criminelles, et que tant de personnes font métier de les répéter ; métier infâme, métier scandaleux, que les Romains eux-mêmes regardèrent avec indignation, et qui, malgré tous les éloges qu’on s’efforce de lui donner, n’est encore aux yeux de toute la Nation, qu’un objet de mépris et d’avilissement.
L es Grecs ont donné la naissance à ce nom ; & les Romains qui les ont suivis & imitez l’ont conservé, quoy qu’ils semblent s’en estre servy seulement dans vn sens particulier : Car par ce mot de Balismus, ils entendoient seulement une maniere de dance au bruit des Tambours. […] Il peut dans une nuit representer les plus beaux jours de quelques jeunes Amans : Etaler aux yeux les richesses des diverses saisons : Abreger & reduire à son poinct les diverses Monarchies du Monde : Representer & comprendre dans un mesme dessein les Assyriens & les Perses, les Grecs & les Romains, les Chinois & les Europeens.
Voyez dans ses pièces nationales, les Rois, les Princes, les Pairs du Royaume, les Prêtres, les Prélats de l’Eglise Romaine & ceux de l’Eglise Anglicane, introduite sur la scène, & pesés, pour ainsi dire, avec un esprit de liberté que le Philosophe David Hume est loin d’avoir égalé dans son histoire.
Les lois romaines punissaient un voisin qui ne garantissait pas le serf outrageusement traité par son maître ; les Egyptiens déclaraient coupables de mort un passant qui ne donnait point de secours à un autre, même inconnu, qui était assailli par des brigands ; et les plus honorés des Français seraient toujours si tranquilles spectateurs de l’oppression, de la ruine et des larmes de leurs malheureux con-citoyens, lorsqu’ils ont en leur pouvoir des moyens de les protéger et de leur épargner de si grands maux !
L’Eglise Romaine qui n’a jamais connu cette pratique de dévotion, est une misantrope.
Dacier dans ses notes s’est bien perfectionné ; tout ce qu’Ovide décrit n’est rien auprès de ce que savent aujourd’hui les Dames, & leurs femmes de chambres ; car il y avoit à Rome, comme il en formille en France, des Parfumeurs, Coëffeurs baigneurs, fardeurs en titre, & en jurande ; ceux de nos jours ont bien encheri sur l’art des Romains ; nous n’entrerons pas dans le détail de toutes ces recettes ; mais nous en extrairons quelques réflexions fort édifiantes, dans un poëte tel qu’Ovide, que l’expérience & la verité lui ont dictées.
Ces spectacles étoient nouveaux ; on n’en avoit point vus depuis les batailles navales que donnoient dans le Cirque les Empereurs Romains.
Les citoyens Romains n’en avoient point d’autres, & tous les Tartares n’existent que pour se battre.
Il est certain que les Romains n’aimoient point la danse, qu’elle ne fut en vogue que sous le regne des Empereurs, & que dans les beaux jours de la République toutes les personnes sages la regardoient comme une puérilité & une extravagance.