Ce grand Poète n’aurait jamais donné ni l’Œdipe ni l’Ajax, s’il n’eût consulté que le goût des Dames Athéniennes. […] , par laquelle on lui reprochait qu’il n’était pas le plus tempérant de tous les Poètes de la Grèce. Et ce Poète néanmoins semble avoir plus de modestie que nous….. […] Cela est permis aux Poètes, et quand même on ne voudrait pas se donner cette licence, n’y a-t-il pas une infinité d’Histoires Chrétiennes qui n’offrent que de beaux noms ? […] [NDE] Il se disait que les abeilles s’étaient arrêtées sur les lèvres du poète tragique lorsqu’il était au berceau, et un essaim d’abeilles fut gravé sur son tombeau.
On ignore l'origine de la tragédie, et on sait seulement que ça a été le poète Thespis qui a commencé à la mettre dans un ordre plus régulier, encore que la manière dont les acteurs se gâtaient le visage, pour leur tenir lieu de masques, dont on n'avait pas encore l'invention, nous montre, que le siècle, les Poètes et les spectateurs étaient fort grossiers. […] La Tragédie considérée par cet endroit ne paraît pas plus mauvaise que les paraboles des Hébreux, les hiéroglyphes des Égyptiens, et les Emblèmes; les tragédies même des premiers poètes sont toutes morales, et pleines de sentences ; et s'il y en a quelquefois qui soient contraires à la vérité, il s'en faut prendre à la morale des Païens, et non pas à la Tragédie, qui rapporte comme vertueux ce qui passait pour vertueux en son temps, quoiqu'il eût le vice général de toutes les vertus païennes. […] Cela n'est plus véritable, ni dans l'intention du poète, ni dans celle du spectateur. […] J'avoue que nonobstant tout cela elles sont tout à fait honnêtes, puisqu'il l'a plu ainsi au Poète. […] Les poètes se rendant d'abord esclaves de ces maximes pernicieuses, en composent tout le mérite de leurs Héros.
Nos Poètes s’écartent étrangement de ce but ; ou plutôt ils visent à toute autre chose dans leurs Pièces de Théâtre. […] Non : et je puis prouver combien ma plainte est juste par une simple exposition de la conduite de nos Poètes, eu égard aux mœurs et à la Religion. […] Je vais vérifier sensiblement tous ces chefs d’accusation contre nos Poètes ; et faire voir à la fois la nouveauté et le scandale de la pratique du Théâtre Anglais.
Ainsi les Poètes, qui pour leur plaire doivent s'accommoder à ces inclinations, sont obligés de faire en sorte que leurs pièces roulent toujours sur ces trois passions, et de les remplir ainsi d'amours, de sentiments d'orgueil, et des maximes de l'honneur humain. […] Et c'est de là que vient le plaisir que l'on prend à ces vers, qu'un grand Poète de ce temps met en la bouche d'un jeune homme après avoir tué en duel celui qui avait outragé son père. […] Mais on croit qu'il est permis aux Poètes de proposer les plus damnables maximes pourvu qu'elles soient conformes au caractère de leurs personnages.
On n’a pu imprimer qu’une petite partie des Piéces Dramatiques de ce Poëte, appellé par les Espagnols, un miracle de la Puissance Divine : & qui pourroit les lire toutes seroit un miracle de Patience. […] Vondel, le heros du Théâtre Hollandois, fut Poëte comme Shakespear, sans le secours d’aucune étude, & ignoroit le Latin quand il monta sur le Parnasse. […] Je ne vante point sa fécondité, parce qu’après avoir parlé de Lopes de Vega, on ne peut appeller fécond un Poëte de Théâtre qui n’a composé que huit cent Piéces. […] L’Académie contrainte d’obéir, sut habilement contenter le Ministre, & ménager le Poëte. […] Rinuccini, Poëte Musicien de Florence, ne fut pas non plus l’inventeur de l’Opera, puisque Muratori dans son Traité de la parfaite Poësie, nomme un Poëte Musicien de Modene, mort en 1605, qui après avoir le premier joint la Musique aux Piéces de Théâtre, mourut pour aller, comme il est dit dans son épitaphe, présider aux Concerts des Anges.
Une foule d’Ecrivains tant anciens que modernes donnent des notions certaines de la faiblesse des Poèmes dramatiques dans leur origine chez les différentes nations ; et par l’examen de ces Poèmes, qui, pour la plupart sont encore entre nos mains, nous sommes nous mêmes en état de juger de la lenteur des progrès qu’ont fait les Poètes avant que d’arriver au point de perfection où se trouve les Tragédies de Sophocle et d’Euripide. Si nous étions dans l’obscurité sur cet article, et qu’il prit envie à quelqu’un de soutenir que le Théâtre, dans ses commencements, a été tel que nous le voyons dans les deux Poètes qui viennent d’être nommés ; tout le monde se révolterait contre un sentiment si contraire à l’expérience, qui nous apprend que le pathétique et le sublime, tels qu’on les trouve dans Sophocle et dans Euripide, ne peuvent être des coups d’essai de l’esprit humain. […] Cependant dans ces premiers Poèmes dramatiques, ainsi que dans ces derniers, l’Auteur se proposait pour but principal de plaire à ses Spectateurs : car soit qu’il voulut les corriger, soit qu’il voulut simplement les amuser, il est certain qu’il ne pouvait réussir ni dans l’un ni dans l’autre de ces projets, qu’en faisant sur leurs esprits une impression, qui leur rendit aimables ou ses leçons ou ses jeux ; si quelques Poètes n’ont pû arriver à ce but ce n’est point la faute du Théâtre, mais uniquement de l’Auteur ou de l’Acteur, comme on va tâcher de le faire sentir. […] Les uns et les autres ont compris sans doute, que les Poètes dramatiques sont en possession d’inspirer dans le cœur des Spectateurs telles passions qu’il leur plaît : et que l’objet unique des Acteurs est de donner à l’impression de ces passions toute la force et toute la vivacité dont leur art est susceptible.
IL est plus d’un Poète qui a de grandes obligations aux Comédiens, comme tout le monde fait. […] C’est avec raison que j’employe le terme peindre, puisque la plupart des Auteurs de Poètique appellent un Drame un tableau : le Poète n’est donc que le Peintre, & le Comédien prend réellement la ressemblance des objets qu’on lui indique. […] Les Poètes du nouveau Théâtre sont trop minutieux à marquer le jeu de l’Acteur. […] Je ne crois pas que ses Poètes s’opposent à ce que je veux persuader : Il me paraît qu’ils conviennent devoir beaucoup à la représentation. […] « Il faut, dit-il, écrire la Pantomime toutes les fois qu’elle fait tableau ; qu’elle donne de l’énergie ou de la clarté au discours ; qu’elle lie le Dialogue ; qu’elle caractérise ; qu’elle consiste dans un jeu délicat qui ne se devine pas ; qu’elle tient lieu de réponse ; & presque toujours au commencement des Scènes. » Les Poètes du nouveau Théâtre qui affectent d’écrire la Pantomime, ne la marquent-ils que dans les circonstances si judicieusement prescrites par M.
Voilà pourquoi nous rencontrons dans les Tragédies, des Vers qui ne paraissent que l’ouvrage du Poète. […] Il est donc nécessaire que les Poètes s’attachent à le connaître ; ils y parviendront, s’ils étudient avec soin la Nature. […] Il faut que le Poète s’oublie en fesant parler ses Personnages, & qu’il se pénètre des passions qui les agitent. […] Dancourt parmi les Poètes comiques est regardé comme celui qui possède le mieux la vivacité, le naturel, la coupe du Dialogue. […] Les Poètes de ce dernier genre s’écartent presque toujours de la Nature, parce qu’ils sont trop longs, trop raisonneurs, à l’éxemple de Corneille.
Quoique les Tragédies et les Tragi-comédies soient tenues pour fort honnêtes en comparaison des Comédies ; cela n'empêchait pas que l’impudicité et plusieurs autres habitudes très dangereuses n’y fussent décrites fort naïvement, puisque ces Pièces avaient été composées par des Poètes Païens qui faisaient gloire des mauvaises actions que les Chrétiens ont depuis condamnées. […] Les Poètes et les Comédiens diront que ces Comédies ne se jouent pas souvent, et que s’il en échappe quelques-unes, c’est pour plaire au peuple qui les demande, et que pour eux ils aimeraient mieux tirer du profit des Pièces sérieuses quand elles sont en crédit, afin de se conserver en honneur et en estime, et qu’on n’eût plus rien à leur reprocher. […] Leurs Poètes ont pensé avoir atteint au suprême degré de leur Art, d’avoir exprimé naïvement toutes les passions, et c’est où l’on trouve le plus de danger ; C’est comme les Peintres qui ayant employé tous leurs efforts à représenter des Nudités dans leurs Tableaux, sont condamnés par les personnes austères qui croient que de tels objets causent de mauvais désirs. […] Celui qui a fait imprimer un gros Livre contre ces belles Représentations, a donné plusieurs exemples pris des plus fameux Poètes du Théâtre, et des plus discrets qui selon son opinion ont des paroles trop touchantes. […] On dit qu’un grand Seigneur aimait si fort ce divertissement, qu’il voulait faire établir un Professeur pour la Poésie du Théâtre, comme il y en a pour l’Eloquence et pour les Mathématiques ; Qu’il entendait que celui-ci instruisît les Poètes qui voudraient faire des Comédies ou des Tragédies, afin qu’ils n’y missent rien qui ne fût convenable.
En louant à outrance la méthode qu’ils semblent avoir le plus généralement adoptée, j’ai cherché à montrer davantage le ridicule qu’il y a de représenter sur la scène des objets dégoûtans & trivials : Le bon goût a dû prescrire en tout tems de prêter une certaine noblesse à ces objets trop méprisables au Théâtre des honnête gens, lorsqu’ils sont dépeints dans toute leur bassesse ; c’est ce que doivent se proposer les Poètes du nouveau genre qui voudront faire agir des gens obscurs, pris dans le menu Peuple. […] Puisse mon Livre inspirer aux Poètes du nouveau Théâtre le noble dessein de ne plus faire paraître tant de Pièces informes ! […] On doit conclure encore, après avoir lu cet Ouvrage avec attention, qu’il peut être utile aux Poètes & aux Musiciens des différens Spectacles, qui de nos jours semblent trop souvent vouloir négliger les règles, en cherchant à se distinguer par des nouveautés singulières, sans songer qu’ils s’écartent alors de ce qui plaît réellement ; puisque les règles ne sont établies que d’après ce qui charme généralement les hommes éclairés.
Ce qui rend l'image des passions que les Comédies nous proposent plus dangereuse, c'est que les Poètes pour les rendre agréables sont obligés, non seulement de les représenter d'une manière fort vive, mais aussi de les dépouiller de ce qu'elles ont de plus horrible, et de les farder tellement par l'adresse de leur esprit, qu'au lieu d'attirer la haine et l'aversion des spectateurs, elles attirent au contraire leur affection; de sorte qu'une passion qui ne pourrait causer que de l'horreur, si elle était représentée telle qu'elle est, devient aimable par la manière ingénieuse dont elle est exprimée. […] Puissé-je de mes yeux voir tomber cette foudre, Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre; Voir le dernier Romain en son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » Si l'on dépouille l'image de cette passion de tout le fard que le Poète y prête, et qu'on la considère par la raison, on ne saurait rien s'imaginer de plus détestable que la furie de cette fille insensée, à qui une folle passion fait violer toutes les lois de la nature. […] On s'est servi à dessein de ces exemples, parce qu'ils sont moins dangereux à rapporter: mais il est vrai que les Poètes pratiquent cet artifice de farder les vices en des sujets beaucoup plus pernicieux que celui-là; et si l'on considère presque toutes les Comédies et tous les Romans, on n'y trouvera guère autre chose que des passions vicieuses embellies et colorées d'un certain fard, qui les rend agréables aux gens du monde.
Ce qui rend encore plus dangereuse l'image des passions que les Comédies nous proposent, c'est que les Poètes pour les rendre agréables sont obligés, non seulement de les représenter d'une manière fort vive, mais aussi de les dépouiller de ce qu'elles ont de plus horrible, et de les farder tellement par l'adresse de leur esprit, qu'au lieu d'attirer la haine et l'aversion des spectateurs, elles attirent au contraire leur affection. […] Puis-je de mes yeux voir tomber cette foudre, Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre; Voir le dernier Romain en son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » Si l'on dépouille l'image de cette passion de tout le fard que le Poète y prête; et qu'on la considère par la raison, on ne saurait s'imaginer rien de plus détestable que la furie de cette fille insensée, à qui une folle passion fait violer toutes les lois de la nature. […] Mais il est vrai que les Poètes pratiquent cet artifice de farder les vices en des sujets beaucoup plus pernicieux que celui-là.
Cratès, à l’exemple d’Epicharmus & de Phormus, Poètes Siciliens, l’élèva sur un Théâtre plus décent, & dans un ordre plus régulier. […] La malignité des Poètes, ni celle des Spectateurs ne perdit rien à cette défense ; la ressemblance des masques, des vêtemens, de l’action, designèrent si bien les Personages, qu’on les nommait en les voyant : telle fut la Comédie moyenne ; où le Poète n’ayant plus à craindre le reproche de la personalité, n’en était que plus hardi dans ses insultes ; d’autant plus sûr d’ailleurs d’être applaudi, qu’en repaissant la malice des Spectateurs, par la noirceur des portraits, il ménageait encore à leur vanité le plaisir de deviner les modèles. […] C’était sans doute pour entretenir une terreur si salutaire, que non seulement les Poètes Satyriques furent d’abord tolérés, mais gagés par les Magistrats, comme censeurs de la République. […] Il conseilla de même a Denys la lecture des Comédies de ce Poète, pour connaître les mœurs de la République d’Athènes : & c’était sans doute lui indiquer un bon délateur, un espion adroit, mais qu’on ne saurait se persuader qu’il estimât. […] Ce qui caractérise encore plus le comique Italien, est ce mélange de mœurs nationales, que la communication & la jalousie mutuelle des petits Etats d’Italie, a fait imaginer à leurs Poètes.