C’est ainsi qu’on instruiroit non un jeune Seigneur, mais un jeune Poëte qu’on y destineroit. […] Il ajoute très-sensément : Le style du Poëte seroit en général agréable, si la frivolité ne s’y faisoit trop sentir.
Point d’homme universel ni de poëte qui excelle dans tous les genres. […] Ils sont même défigurés ; & pour les mettre sur le ton de la philosophie moderne, dont ce Poëte est le chef, son poëme les fait plus méchans qu’ils n’étoient.
Il regrettait que les Vers du Poète Quinaut, eussent en pure perte, tant de délicatesse, de finesse, de douceur ; c’est l’Albane, nous répétait-il souvent, qui met tout le fini de son art & les grâces de sa touche, à peindre un plafond. […] Ce n’est pas qu’il n’y ait des gens qui s’entretiennent haut lorsqu’ils sont seuls, & qu’on ne puisse en placer l’imitation sur la Scène : le Poète Regnard, dans son Distrait, fournit des exemples du monologue le plus naturel & le mieux employé : mais dans tout autre caractère, les occasions en sont rares : il doit du moins être court, comme d’une pensée, d’une affection, vivement & concisément exprimée. […] Des Etres fantastiques, tels que les Dieux & les Magiciens, peuvent causer de l’étonnement, exciter l’admiration ou la terreur ; mais jamais ils n’intéresseront : j’imagine, que par cette raison même, la Fable & les Romans merveilleux sont plus propres que l’Histoire à fournir les sujets des Opéras : outre qu’un Poème où de véritables Héros agiraient, est trop fort de choses, il est contre l’idéalité que Cyrus, Artaxerxe, Alexandre agissent, parlent & meurent en chantant : au lieu que n’ayant que des idées extraordinaires des personnages imaginaires, nous leur supposerons plus facilement une manière de s’exprimer tout-à-fait différente de la nôtre : en outre, le Poème n’ayant par lui-même que très-peu d’intérêt relatif, il sera tel qu’il doit, être, pour que le Musicien ait sa tâche tout entière, & ne soit pas réduit à la nécessité de briller tour-à-tour avec le Poète : la Musique chez nous donnera seule le pathétique, & même l’intérêt ; c’est-à dire, que ces affections ne seront que dans la manière de s’exprimer, prêtée par le Musicien à des Etres indifférens par eux-mêmes à l’humaine nature : par ce moyen chaque langage aura sa partie distincte ; le Poète, la pensée, les situations, le tissu de l’action ; le Musicien, le mouvement & l’expression. […] Tous ces genres peuvent être cultivés pour le nouveau Théâtre : mais les Auteurs qui réussiront dans les Tragédies du premier ordre, outre les louanges qui leur seront dues comme Poètes, seront couronnés sur le Théâtre, comme bons Citoyens.
Ce spectacle est encore dans son enfance : il n’a fait aucun progrès depuis son institution, Quinault & Lulli n’ont point de successeurs, il a même perdu beaucoup en tout, poësie, musique, danse, chant, déclamation, machines, tout y est foible, par un motif assez bas, mais dominant dans toutes les troupes ; c’est que le poëte, le musicien, l’acteur sont mal payés. […] Chaque Poëte a la sienne, à peu près comme chaque Peintre. […] Des Comédiens pourroient contrarier les vues de l’Administration, lorsqu’elle auroit intérêt d’armer le ridicule contre la licence, & d’abandonner au Poëte comique des vices échappés à la sévérité des loix ?
Et pour vous faire voir que je n’outre pas la matiere, & que je ne vous impose point, ç’a tirés ce rideau & levés cette tapisserie, qui voyés-vous paroître sur le theatre, sinon les faux dieux, & les ridicules deesses de l’antiquité, c’est à dire des hommes vicieux & des femmes prostituées, qui ont étés érigés en divinités par les Gentils, ou bien on y voit paroître un illustre Payen, un Prince malheureux, ou un amant infortuné, dont le Poëte fait le Heros de la piece, qu’il resuscite par une espece de negromantie, & auquel il fait rendre plus de culte, & brûler plus d’encens qu’à tous les saints canonizés de l’Eglise, écrits dans nôtre martyrologe, & invoqués par les Fideles. […] La pompe n’est autre chose sinon un certain spectacle, ou ceremonie publique, accompagnée de joye, de jeux, de musique & de réjoüissance : voicy comme un Poëte en a parlé. […] Helas, M. l’auriez-vous jamais crû, que dans l’état present du Christianisme, & que dans des villes bien policées on eût ouvert des écoles publiques pour y enseigner le vice, & pour y corrompre les bonnes mœurs ; comme si la nature gâtée comme elle est, jusques dans son fond, n’étoit pas une assez sçavante maîtresse pour enseigner toutes sortes de vices aux enfans ; cependant c’est ce qui se pratique tous les jours dans la comedie, où l’on enseigne non seulement l’art d’aimer, qui fit bannir autrefois un Poëte de Rome, mais encore l’art de commettre le peché avec esprit, & de conduire une intrigue avec adresse ; d’où il arrive que le poison de l’amour, aussi bien que celuy du plaisir, qu’Arnobe appelle, lenocinia voluptatum , venant à couler par les yeux & par les oreilles de ce jeune homme, & de cette jeune fille, il s’insinuera si avant dans leurs ames & dans leurs cœurs, qu’ils se rendront les veritables Acteurs de la piece, qu’ils ont vû representer par les Comediens, & feront qu’on verra dans le parterre ou dans la ville la scene de ce qui s’est joüé sur le theatre.
Le Poëte & le Musicien remporterent le prix de leur art.
On y representoit trois sortes de Poëmes appellez Dramatiques, à cause que les Acteurs y parlent, & non le Poëte.
Je ne vois pas pourquoi je me gênerais à son égard ; et pour débuter, je vais l’apostropher à la manière du poète Homère, et je lui lancerai la plus grosse injure, et la mieux méritée.
Un bel esprit dramatique est un Poète affamé qui attend une portion d’une représentation pour avoir du pain, ou un libertin qui satisfait par le portrait du vice son cœur dépravé, comme un Peintre, qui peint des nudités, pour débiter sa marchandise ou repaître sa passion.
Le nouveau ton où l’on se monte, la nouvelle éducation qu’on croit du bel air de donner à la jeunesse, le débordement de danseurs, chanteurs, joueurs d’instruments, Peintres, Poètes, baigneurs, coiffeuses, etc. dont tout est plein, et qu’entraîne la comédie, et qui sont autant d’amis, de compagnons, d’exemples, de confidents, de corrupteurs ; tout cela, j’ose le dire, a changé la face de la nation.
Il attaque d’abord les Pièces des Poètes qui introduisent les Saints et les Saintes sur le Théâtre, et qui pour les rendre agréables, ont représenté la dévotion de ces Saints de Théâtre toujours un peu galante.
Cependant les Poètes comiques et tragiques se licencièrent de parler de leurs Dieux et de leurs faits, comme des plus débauchés d’entre les hommes, adultères incestueux, et Sodomites, trompeurs, ravisseurs, et quoi non ? […] Le Poète avait raison de dire,45 « qu’une femme qui portait un Casque, ne pouvait pas faire preuve de sa chasteté puisqu’elle dissimulait son sexe ». […] Aussi les Lacédémoniens commandèrent qu’on jetât hors de Sparte les livres du Poète tragique Eschylebu, comme étant inutiles, et publiés plutôt pour corrompre les mœurs des hommes, que pour servir aux arts louables : et ce n’est pas sans cause qu’on doit chasser la Tragédie, hors de tout spectacle civil. […] Ainsi y a-t-il bien de la différence, entre les livres et les Théâtres : combien qu’il serait besoin, que la plupart de ces auteurs fussent hors des mains de la jeunesse il y a longtempsej, desquels je mettrai ici le jugement de Denis Lambin Professeur du Roy à Paris74. « Parlons, dit-il, des Poètes tragiques qui sont ès mains de tous et se lisent, et apprennent.
Ils haranguent, ils preschent, ils declament : Et ne se souuiennent pas que la condamnation des Declamateurs en amour, est formelle dans ce vers d’vn homme, qui a esté tout ensemble Poëte, Amoureux & Declamateur, Quis nisi mentis inops tenera declamat amicæ ?