L'expérience en fait foi : nous en avons depuis peu vu deux de suite à Paris, et, bien que la dernière fût plus considérable que l’autre, elle n’a trouvé, parmi la grande foule du peuple, que fort peu de gens qui se soient voulu donner la peine de la regarder.
Si dès à présent on établit dans un grand Etat un Bureau pour diriger les spectacles vers les mœurs désirables de la société, si par les prix qu’elle distribuera aux Poètes qui plairont le plus et qui dirigeront le mieux leurs ouvrages vers la bonne morale, il arrivera avant trente ans que les pères et les mères les plus sages mèneront leurs enfants à la Comédie comme au meilleur Sermon, pour leur inspirer des sentiments raisonnables et vertueux, il arrivera que dans toutes les villes, de trente mille habitants il y aura aux dépens du public des théâtres et des Comédiens, afin qu’avec peu de dépense les habitants médiocrement riches puissent assister au spectacle, et l’on verra ainsi le plaisir contribuer au bon gouvernement, ce qui est le sublime de la politique ; car qu’y a-t-il de plus estimable que de mener les hommes par le chemin des plaisirs innocents et actuels, à une diminution de peines, et même à d’autres plaisirs futurs, la nation se polirait de plus en plus jusques parmi le peuple, les sentiments de vertu entreraient avec le plaisir dans les cœurs des Citoyens, et par le perfectionnement de nos mœurs, la société deviendrait tous les jours plus douce, plus tranquille et plus heureuse, et c’est le but que je m’étais proposé dans ce Mémoire.
Les Prélats apprendront de Saint Charles, comment par des pratiques de piété, ils doivent occuper saintement les peuples, & faire une utile diversion à la comédie. […] Le vin de Cahors vaut bien le théatre de Moliere ; l’hiver rassembla le peuple dramatique, que l’automne avoit dispersé : pour réparer le tems perdu, on joua tous les jours, fêtes & dimanches ; la coterie n’auroit pu fournir à un si grand travail, si elle n’eût été renforcée par une troupe de tabarins, que le bon vin de Cahors, & la grande réputation de la scéne Quercinoise attirerent, au nombre de vingt-cinq gens peu faits d’ailleurs pour amuser la bonne compagnie, qui n’avoient encore que débité de l’orviatan sur des théatres ; mais reçus avec enthousiasme, ils se sont évertués, ils ont pris, l’essor, par une noble émulation, & ont essayé des piéces régulieres ; on a dit qu’ils réussissoient, & la recette a été bonne, quoique la Ville soit déserte, misérable, chargée d’impositions, qu’elle ait souffert depuis bien des années, de grandes calamités, les bourses fermées aux pauvres, se sont ouvertes pour des charlatans, qui ne savent pas même leur métier, tant l’amour du théatre est une aveugle ivresse.
Les Grecs & les Romains, ces peuples si éclairés & si sages, ne s’accordoient ni entr’eux, ni avec eux-mêmes, sur les choses les plus familieres, les femmes & les spectacles. […] Une femme délicate se gardera bien de courir aux spectacles subalternes, où des couplets licencieux provoquent aux dépens de la pudeur les éclats de rire d’un peuple grossier.
La corruption a élevé ces lieux enchantés, les cultive, les embellit, les peuple, elle en fait le rendez-vous des libertins & des femmes d’une vertu légère. […] Ce n’est ni la robe, ni l’épée, ni le commerce, ni la littérature, ni un art mécanique ; ce n’est ni mariage, ni domesticité, ni autorité, ni dépendance ; cet état, inconnu à tous les peuples & à tous les siecles, consiste à n’avoir aucun état, à ne servir de rien, à n’être rien dans la société.
Et des Dames Chrétiennes peuvent-elles y assister, aprés ce qu’ils en ont dit, sans montrer, ou que l’on fait peü d’estime de leur autorité, ou que l’on croit, que Dieu ne les a pas établis dans son Eglise, pour estre les oracles des Peuples ?
Une grimace de piété succède à plusieurs jours de fêtes profanes : Semblables à ces peuples envoyés dans Samarieb, qui tantôt Assyriens et tantôt Israëlites, après avoir encensé les Idoles, venaient adorer le vrai Dieu.
Saint Cyprien n’était pas du goût de notre Docteur ; car il y avait déjà du temps de ce Père certains Casuistes qui favorisaient la Comédie : et ce fut même à leur occasion qu’il composa son Livre des Spectacles qu’il adresse au Peuple fidèle. Voici comme il parle à ce Peuple : « Encore que je sois certain que votre vie ne soit pas moins réglée que votre foi est pure ; cependant parce qu’on ne manque pas en ce temps-ci de gens qui par une flatterie et une indulgence indigne autorisent les vices ; et, ce qui est encore plus horrible, qui abusent même des saintes Ecritures et en corrompent les véritables sens pour justifier des pratiques criminelles, et afin de faire passer pour innocent le plaisir qu’on prend aux Spectacles, quand ce n’est, disent-ils, que pour relâcher l’esprit et en forme de divertissement, (car la discipline Ecclésiastique est énervée jusqu’à ce point, qu’on ne se contente pas aujourd’hui d’excuser les vices, mais qu’on s’efforce de les autoriser,) j’ai cru devoir, non pas vous instruire, car vous êtes suffisamment instruits, mais vous donner quelques avis pour empêcher que d’anciennes plaies, pour n’être pas bien bandées, ne rompent les cicatrices qui commencent à les couvrir. » Ne reconnaissez-vous pas, Monsieur, à ces traits les aïeux des Scolastiques et des Casuistes modernes, que notre Docteur a adoptés pour ses Maîtres ? […] Il passe donc à l’autorité des Pères qu’on lui oppose : et c’est à l’occasion d’une réponse que saint Thomas fait à un passage de saint Chrysostome qu’il s’était objecté, et où ce Père dit, « Que ce n’est pas Dieu, mais le Démon qui est auteur des jeux » ; ce qu’il confirme par cet endroit de l’Ecriture, où il est dit, « Que le Peuple s’assit pour manger et pour boire, et qu’il se leva pour jouer». […] Dans le troisième Synode de Milan, il ordonne aux Prédicateurs de reprendre avec force ceux qui suivent les Spectacles, et de ne pas cesser de représenter aux Peuples « combien ils doivent détester et avoir en exécration les jeux, les Spectacles et autres semblables badineries, qui sont des restes du Paganisme, qui sont contraires à la discipline chrétienne, et qui sont les sources de toutes les calamités publiques, dont les Chrétiens sont affligés». […] Et c’est sur cette prédiction que notre Docteur fonde le pouvoir qu’il se donne de métamorphoser un Pénitent en un homme de plaisir : c’est de cette prédiction qu’il infère, que « non seulement Dieu permet la Comédie, mais qu’il promet lui-même de la donner à son Peuple».
Chrisostome, homil : 62, au peuple d’Antioche &c. […] Alipe frappé des acclamations du peuple, ouvrit les yeux & reprit sa prémiere passion pour les Spectacles. […] Ce ne sont pas ici des conseils… Ce sont nos obligations les plus essentielles… Il s’agit d’être Chrétien, ou de ne l’être pas. » C’est ainsi, que les Evêques de Toulon, d’Arras, de Macon, & tous les Pasteurs de l’Eglise ont instruit leur peuple.
Le Peuple qui, dans le récit de ses malheurs, n’oublie jamais les auteurs vrais ou faux, qu’il en soupconne, avoit-il gardé le silence exprès ?
On ne publie point les fautes d’un homme pour les corriger, et les avis ne sont point charitables lorsqu’on les donne au public et qu’il ne les peut savoir qu’avec tout un peuple, et quelquefois même un peu plus tard.
Tous les peuples des cieux : les chœurs des Anges et des Saints sont ils des peuples ?
Ou parce que des Abbés, des Prêtres, des Evêques, s’il en faut croire le Théologien, jouent aux cartes et aux dés malgré toutes les lois Ecclésiastiques, faut- il abandonner tout un Peuple à des Spectacles où il ne peut que se corrompre et oublier ce qu’il doit à Dieu ? […] D'ou vient que le Peuple de Dieu ne l’a point connue, ou l’a laissée là contre le partage des Païens ?