Rien de plus naturel aux pièces de théâtre, que d’exciter les passions, qui y sont représentées ; car c’est là le dessein formel de ceux qui les composent, de ceux qui les récitent, de ceux qui les écoutent. […] « Combien de personnes fort chastes, dit le savant cardinal d’Aguire, qui y sentent exciter des passions, dont elles ne s’apercevaient pas auparavant et qui par là donnent insensiblement accès au déréglement. […] Monseigneur de La Motte répondit au roi « qu’à la vérité il aimait les pauvres, mais pas cependant jusqu’à la folie. » Vers 1760, Monseigneur Caisotti, évêque d’Ostie en Italie, engagea tous les curés et les prédicateurs de son diocèse à le seconder à prémunir leurs paroissiens et leurs compatriotes contre les spectacles. « C’est là, dit l’évêque de Namur en 1815, c’est là que règne seul l’ennemi de Dieu, le prince des ténèbres ; ces lieux, la vive école des passions, où les auteurs, les acteurs, les spectateurs conspirent tous à les exciter, où l’on ne les représente dans tous leurs charmes ou dans toute leur force que pour les rendre moins odieuses ; que dis-je ! […] Pères, qui tous ont condamné le théâtre. « C’est lire trop négligemment les Pères, dit cet illustre écrivain, que d’assurer qu’ils ne blâment dans les spectacles de leur temps que l’idolâtrie et les impudicités, c’est être trop sourd à la vérité que de ne pas sentir que leurs raisons portent plus loin, ils blâment dans le théâtre, l’inutilité, les passions excitées, la prodigieuse dissipation, etc. […] C’est là qu’ils entendent tout ce qui peut exciter leur curiosité, développer les germes de leurs passions et les familiariser avec le vice.
C’est pourquoy j’ay ajoûté, eû égard à nôtre foiblesse & à nôtre experience ; parce que quoyque la corruption du cœur soit commune à tous les hommes, & que le panchant soit une des suites du peché avec lequel nous naissons tous ; ce penchant neanmoins n’est pas également violent dans tous les hommes, & cette foiblesse n’est pas également à craindre dans tout âge, dans tout sexe, & dans toutes sortes d’états ; ainsi ceux à qui une funeste experience n’a que trop appris, qu’ils ne se trouvent jamais dans ces assemblées libres & enjoüées, à ces bals, qui ne sont faits que pour entretenir la galanterie, à ces balets & à ces danses, où l’on ne s’étudie qu’à exprimer par geste, la passion dont on est possedé, ceux qui écoutent avec un singulier plaisir ces airs languissans & passionnez, ces concerts de voix & d’instrumens, où tout ce que la musique a de plus animé, porte jusqu’au cœur les sentimens les plus tendres ; ceux qui sont charmez de ces comedies, où des hommes & des femmes paroissent sur un Theâtre, pour exprimer le plus naturellement & le plus vivement qu’il leur est possible, la plus dangereuse de toutes les passions ; ces personnes, dis-je, me demandent, s’il y a peché grief de voir & d’entendre ce qui excite, & ce qui allume cette passion, à quoy elles n’ont que trop de panchant ; n’est-ce pas demander s’il y a du peché à chercher l’occasion du peché, & à s’exposer au danger de le commettre ? […] Si donc, ceux qui ne ressentent déja que trop les atteintes de cette passion, cherchent encore à l’exciter par les yeux & par les oreilles, si au lieu de fuir les objets, qui peuvent rallumer un feu qui n’a jamais été bien amorti, ils les recherchent, & passent les deux ou trois heures, à voir & à entendre ce qu’il y a de plus capable de l’enflamer ; qui peut douter que ces personnes ne soient dans l’occasion prochaine du peché, & par consequent ne pechent effectivement de la rechercher ? […] non, encore une fois ; car comme la plûpart des veritables vertus, qui sont celles de l’Evangile, n’y peuvent trouver de place, & que ce seroit un Heros d’un caractere bien nouveau, d’y representer un homme patient, humble, insensible aux injures, & en un mot, un veritable Chrétien ; on a substitué de fausses vertus, pour exprimer, & pour exciter ces sentimens que le monde appelle nobles & genereux ; le point d’honneur, pour lequel on expose sa vie dans un combat singulier, la passion de dominer, & de s’élever par toutes sortes de voyes, des fourberies, des trahisons, des perfidies, des amitiez qui engagent dans le crime pour servir un amy ; on y voit enfin couronner le vice, authoriser l’injustice par d’illustres exemples, & les maximes les plus contraires à la Religion, passer pour de grandes vertus, & pour des exploits signalez, sans quoy le Theâtre languiroit ; il faut donc pour l’animer, y representer des choses conformes au goût & aux inclinations des spectateurs. […] Ne me dites point, que vôtre âge, vôtre profession & vôtre état vous mettent à couvert de ce danger ; car cela même est le plus dangereux écueïl où vous puissiez donner, de croire, contre le sentiment de tous les Saints, & contre l’experience de tous les hommes ; que vous n’avez rien à craindre des surprises d’une passion, que les Solitaires mêmes, aprés avoir blanchi dans les austeritez de la penitence, ont crû si redoutable, & qui n’ont pû trouver d’autre moyen de s’en défendre, que la fuite des occasions, & des objets capables de l’exciter. […] Que sçavez-vous si ces objets, qui ne font point maintenant d’impression sur vôtre esprit, n’y laisseront point des traces, qui s’y renouvelleront un jour, & qui exciteront ces fortes passions que vous apprehendez si peu ?
C’est pourquoy j’ay ajoûté, eû égard à nôtre foiblesse & à nôtre experience ; parce que quoyque la corruption du cœur soit commune à tous les hommes, & que le panchant soit une des suites du peché avec lequel nous naissons tous ; ce panchant neanmoins n’est pas également violent dans tous les hommes, & cette foiblesse n’est pas également à craindre dans tout âge, dans tout sexe, & dans toutes sortes d’états ; ainsi ceux à qui une funeste experience n’a que trop appris, qu’ils ne se trouvent jamais dans ces assemblées libres & enjoüées, à ces bals, qui ne sont faits que pour entretenir la galanterie, a ces balets & à ces danses, où l’on ne s’étudie qu’à exprimer par geste, la passion dont on est possedé, ceux qui écoutent avec un singulier plaisir ces airs languissans & passionnez, ces concerts de voix & d’instrumens, où tout ce que la musique a de plus animé, porte jusqu’au cœur les sentimens les plus tendres ; ceux qui sont charmez de ces comedies, où des hommes & des femmes paroissent sur un Theâtre, pour exprimer les plus naturellement & le plus vivement qu’il leur est possible, la plus dangereuse de toutes les passions ; ces personnes, dis-je, me demandent, s’il y a peché grief de voir & d’entendre ce qui excite, & ce qui allume cette passion, à quoy elles n’ont que trop de panchant ; n’est-ce pas demander s’il y a du peché à chercher l’occasion du peché, & à s’exposer au danger de le commettre ? […] Si donc, ceux qui ne ressentent déja que trop les atteintes de cette passion, cherchent encore à l’exciter par les yeux & par les oreilles, si au lieu de fuir les objets, qui peuvent rallumer un feu qui n’a jamais été bien amorti, ils les recherchent, & passent les deux ou trois heures, à voir & à entendre ce qu’il y a de plus capable de l’enflamer ; qui peut douter que ces personnes ne soient dans l’occasion prochaine du peché, & par consequent ne pechent effectivement de la rechercher ? […] non, encore une fois ; car comme la plûpart des veritables vertus, qui sont celles de l’Evangile, n’y peuvent trouver de place, & que ce seroit un Heros d’un caractere bien nouveau, d’y representer un homme patient, humble, insensible aux injures, & en un mot, un veritable Chrétien ; on a substitué de fausses vertus, pour exprimer, & pour exciter ces sentimens que le monde appelle nobles & genereux ; le point d’honneur, pour lequel on expose sa vie dans un combat singulier, la passion de dominer, & de s’élever par toutes sortes de voyes, des fourberies, des trahisons, des perfidies, des amitiez qui engagent dans le crime pour servir un amy ; on y voit enfin couronner le vice, authoriser l’injustice par d’illustres exemples, & les maximes les plus contraires à la Religion, passer pour de grandes vertus, & pour des exploits signalez, sans quoy le Theâtre languiroit ; il faut donc pour l’animer, y representer des choses conformes au goût & aux inclinations des spectateurs. […] Ne me dites point, que vôtre âge, vôtre profession & vôtre état vous mettent à couvert de ce danger ; car cela même est le plus dangereux ecueïl où vous puissiez donner, de croire contre le sentiment de tous les Saints, & contre l’experience de tous les hommes, que vous n’avez rien à craindre des surprises d’une passion, que les Solitaires mêmes, aprés avoir blanchi dans les austeritez de la penitence, ont crû si redoutable, & qui n’ont pû trouver d’autre moyen de s’en défendre, que la fuite des occasions, & des objets capables de l’exciter. […] Que sçavez-vous si ces objets, qui ne font point maintenant d’impression sur vôtre esprit, n’y laisseront point des traces, qui s’y renouvelleront un jour, & qui exciteront ces fortes passions que vous apprehendez si peu ?
Ils blâment dans les jeux et dans les théâtres l’inutilité, la prodigieuse dissipation, le trouble, la commotion de l’esprit peu convenable à un chrétien, dont le cœur est le sanctuaire de la paix ; ils y blâment les passions excitées, la vanité, la parure, les grands ornements qu’ils mettent au rang des pompes que nous avons abjurées par le baptême, le désir de voir et d’être vu, la malheureuse rencontre des yeux qui se cherchent les uns les autres, la trop grande occupation à des choses vaines, les éclats de rire qui font oublier et la présence de Dieu et le compte qu’il lui faut rendre de ses moindres actions et de ses moindres paroles ; et enfin tout le sérieux de la vie chrétienne.
Platon ne pouvait souffrir les lamentations des théâtres qui « excitaient, dit-il, et flattaient en nous cette partie faible et plaintive, qui s’épanche en gémissements et en pleurs ».
Elles n’excitent point des tragédies, ains des prières et dévotions.
« que celui, qui pique l’œil, en tire des larmes, & que celui, qui pique le cœur, y excite un sentiment de haine & de colere, qu’il verra bientôt éclater contre lui ». […] Mais ce ne fut pas cette intention des Idolatres, qui excita ici le zele de Salvien : il parla aux Chrêtiens, qui rapporterent ces spectacles à l’honneur de Jesus-Christ, bien loin qu’ils voulussent faire des sacrifices à Neptune, à Venus, ou à leurs passions.
Enfin, on s’assemble pour ce divertissement après le repas, et le mouvement du corps qui est déjà échauffé, ne peut servir qu’à exciter davantage sa chaleur, et par conséquent à la disposer aux passions les plus dangereuses. […] Et on ne doit pas excepter dans cette occasion les personnes grossières et de la campagne, à cause de leur simplicité ; parce que encore bien qu’il semble d’une part qu’elles ne pussent pas être si sujettes à cette sorte de péchés que ceux qui vivent dans les villes, et principalement ceux qui y mènent une vie oiseuse et faineante ; Il est pourtant assuré de l’autre, que leurs passions naturelles sont plus facilement émus, aussi bien que dans les animaux privés de raison, à la présence des objets qui les peuvent exciter.
» En vain lui diroit on que la réprésentation de ces passions trop amies de la corruption du cœur ne les excite qu’indirectement ; il prétend que le soutenir, c’est combattre les régles des grands maîtres. « Le premier principe, ajoûte-t-il ; sur lequel agissent les Poëtes tragiques & comiques, c’est qu’il faut intéresser le Spectateur ; & si l’Auteur ou l’Acteur d’une Tragédie ne sait pas l’émouvoir & le transporter de la passion qu’il veut exprimer, où tombe-t-il ?
Ces passions que le théâtre excite sont d’autant plus dangereuses, que le plaisir qu’elles causent n’est point mêlé de ces peines et de ces chagrins qui suivent les autres passions, et qui servent quelquefois à en corriger : car ce qu’on voit dans les autres touche assez pour faire plaisir, et ne touche pas assez pour tourmenter.
Ainsi un parricide, un inceste, exciteront bien moins d’horreur que de pitié, mais elles ne gâtent pas simplement l’esprit, elles le rendent idolâtre et tout Païen, comment cela ? […] Si le but principal de la comédie est d’exciter les passions, parce qu’elle sait que l’homme ne hait rien tant que le repos, et ne se plaît qu’à être remué, celui de la religion Chrétienne est de les calmer, les réprimer, arrêter leurs fougues et leurs saillies, tenir renfermées dans leurs cachots ces bêtes farouches qui ne sont enchaînées que par les liens invisibles de la grâce, c’est le principal exercice de la morale Chrétienne, c’est notre lutte, notre tâche, notre combat journalier, le tout de l’homme Chrétien, la grâce que Jésus-Christ nous a apportée du Ciel est une grâce militaire qui arme l’homme contre lui-même, et le met dans la nécessité de tenir ses passions sous ses pieds, s’il n’en veut bientôt devenir le jouet et le misérable esclave, « actiones carnis spiritu mortificare quotidie affligere minuere, frænare, interimere »S. […] Mais supposé qu’il n’y ait rien dans les comédies qui puisse blesser l’innocence, exciter des images dangereuses, et réveiller les passions, supposé qu’il n’y ait rien dans les ajustements, cultu meretricio Prov. 7.
Elles les excitent à la vertu, elles les précipitent dans le crime. […] Il excite l’attention du spectateur & non son estime : c’est contre de pareils scélérats que l’indignation de la vertu se souleve pour les écraser. […] L’homicide volontaire nous révolteroit ; le parricide involontaire excite notre pitié. […] Essayons s’il ne seroit pas possible de découvrir le sentiment que doit exciter en nous l’action que vous prêtez à Titus. […] Les exemples vertueux nous excitent au bien ; notre amour pour la vertu acquiert de nouvelles forces : le but de l’art n’est pas de l’embellir, car elle n’est pas susceptible d’embellissemens, mais de l’exposer dans son plus grand jour, afin qu’on la connoisse, & qu’on la distingue du fanatisme.
S’il en était autrement, il y aurait de la barbarie à engager des citoyens, à les exciter à embrasser un état qui les dévouerait à l’infamie et les exposerait à essuyer des outrages si affligeants pour leurs familles.