Cette intention ne garantit pas des mauvais effets des passions qui triomphent sur le théâtre ; c’est toujours le cœur qui prend le plus de part aux spectacles ; il en est même pour cette raison le premier juge, puisque ce n’est que relativement à l’émotion qu’on y éprouve, qu’on applaudit plus ou moins à la représentation, si on se sent plus fortement ému par le vif intérêt que l’on prend à l’action ; si on se sent transporté sur le lieu de la scène, et comme dans la situation du personnage qui nous attache le plus ; si on l’entend parler, et si on le voit agir comme on parlerait et comme on agirait soi-même, étant animé de la même passion : alors le cœur prononce que le poète et les acteurs ont bien réussi à intéresser les spectateurs. […] On sait, dit Nadal, qu’on ne peut faire réussir une pièce dramatique qu’en flattant les passions des cœurs corrompus. […] Il y a toujours de la conformité entre l’humeur d’un peuple et le genre de ses spectacles ; où les deux sexes sont frivoles, voluptueux, il faut que le théâtre enseigne et respire le plaisir, qu’il nourrisse les passions et qu’il les rende intéressantes jusque dans leurs égarements, et qu’il fasse de l’amour la faiblesse des grands cœurs. […] Mais quand par leur art ils savent donner un merveilleux relief aux leçons flatteuses qu’ils débitent, ils excitent l’admiration des spectateurs et insinuent dans leur cœur une passion vive et ardente, qui y fait des progrès d’autant plus rapides qu’elle y trouve des dispositions plus favorables. […] Or, sied-il bien à des personnes vertueuses de se montrer dans des lieux où on ne va que pour donner et recevoir des leçons publiques de libertinage ; où le cœur, exposé à tous les traits de la volupté, ne trouve de plaisir qu’à en recevoir de profondes blessures ?
C'est la même raison ; on est dans le cœur plus Païen que Catholique. […] Quel horrible tourment d'aller porter un cœur dont un autre est le maître ! […] Mon cœur accuse les cieux, contre eux il se répand en plaintes, en blasphèmes. […] Le crime plaît aux yeux et au cœur. […] De mon cœur développer les ombres : développer des ombres !
C’est un principe constant & puisé dans la nature du cœur, qu’on ne goûte de plaisir au Spectacle, qu’autant qu’il émeur, qu’il touche, & qu’il cause une espéce d’yvresse. […] Il y a donc dans le cœur des Spectateurs un Théâtre secret, où chacun est Acteur & joue sa propre passion ; & c’est ce qui donne le vif & le piquant au Spectacle ; c’est ce qui y porte avec tant d’ardeur. […] On l’a déjà dit : Ce font les plus dangéreuses, les plus amies de la corruption du cœur de l’homme. […] On les jouera donc sur le Théâtre secret de son cœur ; on éprouvera donc les atteintes du feu impur ; & cela peut-il être autrement dans le sein de la volupté ? […] Son exemple & sa doctrine nous apprennent à quoi est propre la Comédie : combien elle sert à entretenir ces secretes dispositions du cœur humain, soit qu’il ait déjà enfanté l’amour sensuel, soit que ce mauvais fruit ne soit point encore éclos.
Il a tout son effet sans être aperçu ; et, comme on n’est point instruit de ce qui est essentiel à la droiture et à l’innocence du cœur, on ne sait point aussi jusqu’où il s’affaiblit et se corromptbp. […] On se plaint de ce que, par la faute de la pièce ou des acteurs, l’esprit et le cœur sont restés immobiles ; on regrette d’en sortir avec son innocence et sa tranquillité. […] « On veut donc que l’impression de l’ambition, de la fierté, de la vengeance et de l’amour passent dans le cœur. […] C’est à quoi le cœur se prépare, mécontent s’il n’est blessé, et satisfait si ses plaies sont profondes. […] C’est ce qui arrive toujours, quand on n’en voit que l’image ; mais l’image ne peut plaire sans remuer le cœur, et ce mouvement qui l’amollit et le corrompt a d’autant plus d’effet qu’il est plus doux et qu’il avertit moins.
Il faut avouer que votre insensibilité est extrême, si ces péchés ne vous pèsent pas sur le cœur : car leur poids est si grand, dit S. […] entrez dans leurs cœurs, et voyez ces pensées, ces désirs et ces affections. […] et quelles affections prétendez-vous que ces pensées formeront dans un cœur ? […] Ainsi l’amour du monde et des créatures se glisse imperceptiblement dans le cœur de ceux qui se trouvent à un bal. […] Ce qui est défendu dans les divertissements ; c’est de les prendre avec trop d’affection, trop d’attache, et d’y mettre son cœur.
mes Freres, qu’est-ce même que l’incendie, qu’une fievre la plus ardente allume dans un corps, en comparaison des feux dont la bouillante cupidité brûle nos cœurs ? […] Le monde a-t-il rien nulle part de plus ébranlant pour le. cœur par le combat des passions qui en fait l’ame ? […] l’action d’un pur déclamateur peut davantage pour imprimer la vertu dans les cœurs que le zele saint qui nous enflamme ? […] L’auteur, d’un trait de plume, modere, arrête un héros à son gré ; mais le cœur une fois ému ne reconnoît pas si aisément des bornes. […] Assailli de tant de côtés, tantôt par adresse & tantôt par force, je défie le cœur le plus dur de ne pas se rendre à l’impression de la passion qui est représentée.
Tout y concourt à séduire l’âme et à l’amollir : le cœur conduit par les oreilles et par les yeux, s’attache à tout ce qui le charme ; la raison, suspendue par tant d’enchantements, se tait. […] Et comme ce sont des leçons flatteuses, auxquelles les acteurs donnent un merveilleux relief, quel progrès une passion vive et ardente, insinuée avec tant d’artifice, ne fait-elle pas dans un cœur où elle trouve déjà de si grandes dispositions ? […] Le démon, dit Tertullien, ne conduit plus aux Temples des idoles, mais au théâtre et au bal, où l’on voit des statues animées, des idoles vivantes, qui s’étudient par tous les charmes à séduire le cœur, et à le faire apostasier. […] Que signifie autre chose, tout ce que l’Ecriture sainte dit de l’extrême pureté du cœur, qui est comme la base de la vie chrétienne, tout ce qu’elle dit de la mortification des sens, de la légèreté de l’esprit, de la faiblesse de la chair, de la force des passions, de la malice et des ruses du tentateur, du danger de s’exposer aux moindres occasions d’être tenté ; enfin, tout ce qu’elle dit de l’attention, et de la vigilance sur les désirs, de la modération des plaisirs, des victoires sur son propre cœur, de la perversité des maximes et des joies mondaines. […] Le cœur y est-il bien gardé ?
leur règne est bien étendu : est-il de cœur qui ne leur rende un religieux hommage ? […] Celui qui sait le mieux les exprimer et les faire passer dans les cœurs, réunit tous les suffrages. […] Mais ce n'est qu'un jeu : qui prétend corrompre le cœur en lui faisant sentir un trouble agréable ? […] On ne doit point souffrir, peut-on faire naître dans son cœur la haine, la vengeance, l'orgueil, la volupté ? […] De là les transports des jeunes gens, des femmes, des cœurs sensibles de ceux qui vont à la comédie pour la première fois.
Est-ce donc pour de vains fantômes que vous avez imprimé en nos cœurs tant de différentes affections, d’estime, de crainte, de désir, de joie, de tendresse ? […] A l’image animée de ces passions, il ne manque guère de s’en élever de pareilles du fond de corruption qui est en nous, tel est l’empire d’une représentation vive sur le cœur humain, lorsqu’elle est accompagnée de discours passionnés, tout y concourt, la déclamation, le port, la geste, les ajustements, la symphonie, n’est-ce pas là jeter de l’huile sur du feu, et aplanir le chemin à un torrent ? […] Faibles, infirmes et désarmés comme vous êtes, de rechercher de gaieté de cœur une pareille tentation, et d’ouvrir tous vos sens à de cruels ennemis qui ont juré vôtre perte. […] Les Païens mêmes ont reconnu que rien n’était plus dangereux pour les bonnes mœurs que ces sortes de spectacles, ils avouent qu’ils faisaient de grands changements en leur cœur, qu’ils en retournaient non seulement plus avares, plus ambitieux, plus enclins aux plaisirs et au luxe, mais encore plus cruels, et moins hommes. […] Tertullien dans un ouvrage exprès qu’il a composé contre cet abus, entreprend de faire voir qu’il est incompatible avec la sainteté de la religion que nous professons, car il est certain dit ce docte Africain, que la recherche des plaisirs sensuels est une des passions la plus violente et la plus tyranniquec de l’homme, et qu’entre les plaisirs, celui des spectacles transporte davantage, ils font revivre les passions dans les cœurs les plus mortifiés, les animent, les fortifient, et après avoir comme extasiés ceux qui se repaissent de ces funestes divertissements, et avoir excité des mouvements d’amour, de haine, de joie, de tristesse, le cœur se ferme à ceux de la grâce plus calmes et plus modérés, et y devient impénétrable.
soupirans après une beauté ; ils ne cherchent qu’à attendrir nos cœurs par les attraits de la molesse. […] Platon chassa de sa République les Comédiens, comme les corrupteurs de l’esprit & du cœur. […] sous les apparences d’une modestie simulée, ne sont-elles pas les martyres d’un cœur de Messaline ? […] Attacher son cœur sur la scene, c’est annoncer qu’il est mal à son aise. […] Un cœur vertueux a-t-il besoin de ces horribles leçons ?
Or, il arrive quelquefois que les Auteurs au lieu de copier la nature la défigurent : et de l’autre côté que les Acteurs la font tellement grimacer que le Spectateur qui la cherche ne peut la reconnaître ; Mais lorsqu’un Auteur est parvenu à bien peindre la nature et que les Acteurs récitent la Pièce dans son véritable ton, en sorte que l’esprit séduit agréablement, prenne la fiction pour la vérité même : alors on est obligé de convenir qu’une représentation Théâtrale est un amusement supérieur à tout autre Spectacle public tel qu’il puisse être, parce qu’en satisfaisant les yeux, il intéresse le cœur et l’esprit. […] Le Spectacle du Théâtre est le seul qui embrasse et qui excite toutes les affections et toutes les passions du cœur humain ; il y a telle représentation qui inspire la joie, la tristesse, la colère, l’amour, les larmes et les rires ; et tous ces mouvements s’emparent bien souvent dans un seul jour du cœur des Spectateurs, jusqu’à leur faire sentir toutes ces différentes impressions à la fois. […] Les uns et les autres ont compris sans doute, que les Poètes dramatiques sont en possession d’inspirer dans le cœur des Spectateurs telles passions qu’il leur plaît : et que l’objet unique des Acteurs est de donner à l’impression de ces passions toute la force et toute la vivacité dont leur art est susceptible. Sans examiner s’il est utile ou dangereux d’agiter le cœur humain jusqu’à ce point, ni le risque évident que courent ceux qu’on fait subitement passer d’un état de tranquillité et de repos à celui d’inquiétude, de colère, ou de toute autre passion : sans, dis-je, examiner ces points, je me bornerai seulement à parler de la passion d’amour, que je vais comparer dans la Tragédie du Cid à toutes les autres impressions que cette même Pièce peut inspirer. […] Pour se livrer à l’envie, à la vengeance, à la colère, au soupçon, etc. il est nécessaire d’être mal né, d’avoir un mauvais caractère et souvent le cœur corrompu : pour aimer il suffit d’être homme.
On ne peut lire sans danger la peinture si vive de l’état de son cœur que S. […] que ne disent-elles pas aux yeux & au cœur, & plus énergiquement que toutes les paroles ? […] Ce n’est que pour des hérésies de cœur que nos Actrices, nouvelles Amazonnes du démon, vont par les attraits de l’indécence empoisonner tous les cœurs : Habet in castris Amazonnas, viros ad libidinem provocantes, mammâ exortâ, & bracchie nudo. […] Mais les coups qu’ils portent au cœur ne sont pas moins rapides, ni les blessures moins profondes. […] Sans doute personne ne fera d’exception pour les Actrices : chacune sa premiere admiratrice, sa premiere amante, réunit dans ses yeux & dans son cœur tous les yeux & tous les cœurs du parterre, & brûle elle seule sur son autel plus d’encens que tous les spectateurs ensemble.
L’amour est une autre passion, la plus vive, la plus universelle dans tous les cœurs, et dont chacun fait gloire, d’être possédé par excellence. […] Ce n’est pas un amour purement brutal et sensible, qui fait les grands désordres dans le monde ; c’est cet autre amour qui tient de l’esprit, qui se repaît de ses idées ; qui ne veut pour prix que des complaisances, qui se figure quelque choses de divin en son objet, et qui lui croit aussi rendre des respects fort innocents ; c’est cet amour qui met les soupirs au cœur, les larmes aux yeux, la pâleur sur le visage, qui occupe jour et nuit toutes les pensées, qui porte l’extravagance et à la fureur, et voilà l’amour que les plus chastes théâtres mettent dans les cœurs. […] Nous ne saurions plus douter que la foi Chrétienne ne soit extrêmement faible dans les cœurs, puis qu’on autorise avec tant de pompe, les passions et les désordres qu’elle condamne. […] Ne dites point des Romans, comme des théâtres, que les discours y sont honnêtes, et qu’il ne s’y rencontre aucune parole lascive ; car ces discours ne laissent pas de porter l’impureté dans le cœur ; ce sont des brûlots qui les enflamment, sous prétexte de les venir soulager. Ces personnes infâmes qui font métier de corrompre le chasteté, n’ont rien en leur bouche, ni en leurs actions, qui jette la honte sur le visage, ce ne sont que civilités, que courtoisies, que protestation de fidélité, car leur dessein principal est de gagner doucement le cœur d’où dépend tout ce qu’ils prétendent.