Ceux qui sont leur amusement de la Poésie Dramatique, savent un plus grand nombre de vers des Pièces de Corneille & de Racine, que de celles de Molière : enfin le Public préfère le rendez-vous qu’on lui donne pour le divertir en le fesant pleurer, à celui qu’on lui présente pour le divertir en le fesant pleurer, à celui qu’on lui présente pour le divertir en le fesant rire. […] Ainsi la terreur & la pitié que la peinture des évènemens Tragiques excitent dans notre âme, nous occupent plus que le rire & le mépris que les incidens des Comédies produisent en nous.
Rit. de Paris, p.108.114.
Non seulement on a voulu distraire de leurs peines ces enfants adultes ; on a voulu que ce Théâtre, où ils ne vont en apparence que pour rire ou pour pleurer, devînt pour eux, presque sans qu’ils s’en aperçussent, une école de mœurs et de vertu. […] On rit de sa mauvaise humeur, comme de celle d’un enfant bien né et de beaucoup d’esprit. […] Ce qui me paraît blâmable dans ce genre, ou plutôt dans la manière dont l’ont traité nos Poètes, est le mélange bizarre qu’ils y ont presque toujours fait du pathétique et du plaisant ; deux sentiments si tranchants et si disparates ne sont pas faits pour être voisins ; et quoiqu’il y ait dans la vie quelques circonstances bizarres où l’on rit et où l’on pleure à la fois, je demande si toutes les circonstances de la vie sont propres à être représentées sur le Théâtre, et si le sentiment trouble et mal décidé qui résulte de cet alliage des riresq avec les pleurs, est préférable au plaisir seul de pleurer, ou même au plaisir seul de rire ? […] » lui répond le valet, qui ne veut que faire rire le parterre ; j’ose inviter l’illustre Auteur de cette pièce à retrancher ces trois mots, qui ne sont là que pour défigurer un chef-d’œuvre. […] [NDE] Original : ris.
La postérité saura peut-être la fin de ce Poète comédien, qui en jouant son malade imaginaire ou son médecin par force reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d’heures après et passa des plaisanteries du théâtre parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit : « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez »Luc, VI, 25.
Je ne veux point d’autre témoin que vous-même, si vous n’allez point aux festins, aux danses et aux assemblées mondaines, vêtue pompeusement, si vous n’y allez pas, dis-je, pour vous plaire au son des violons, pour y faire bonne chère, pour vous y soûler, rire et avoir vos contentements ; si on n’y a pas des pensées inutiles, si on n’y dit pas des paroles odieuses, si on ne s’y entretient pas de railleries, de bouffonneries, de plaisanteries, de paroles sales ou à double entente.
On va, dit-on, se délasser à la farce, un spectacle raisonnable applique et fatigue l’esprit ; la farce amuse, fait rire, et n’occupe point ; oui, je conviens qu’il est des esprits qu’une chaîne régulière d’idées et de sentiments doit fatiguer.
J’ai prouvé, si je ne me trompe, que le Théâtre est pernicieux dans l’état où il est aujourd’hui : il y aurait, dit-on, de l’inconvénient à le supprimer : mettons tout en usage pour le réformer au point d’en faire un amusement aussi utile qu’agréable ; car je suis persuadé que le Théâtre serait bien moins redoutable à la vertu, et qu’il produirait même un bien réel à la société, si, en y laissant les traits enjoués et les saillies d’esprit qui peuvent exciter à rire, on en faisait une Ecole de bonnes mœurs et, pour ainsi-dire, une Chaire publique où l’on débiterait, aux personnes de tout sexe, et de tout âge, les maximes de la plus saine morale, avec gaieté et sans les effrayer par l’appareil de l’austérité, et du pédantisme.
Il s’y fait quelquefois tant de bruit qu’on n’y entendroir pas le tonnerre, & elles y disent des choses si plaisantes qu’elles font mourir de rire ; car leur vivacité n’est arrêtée par aucune bienséance ; elles savent les avantures de tout le monde, & s’il y a un bon mot à dire sur le Roi ou la Reine, elles aimeroient mieux être pendues que d’y manquer. […] Un pareil établissement feroit rire en France. […] En effet ce qui fait le plus rire dans les comédies, ce sont les traits obscènes de satyre contre les mœurs des femmes. […] elles n’y vont & ne l’aiment pas moins, s’embarrassent fort peu de ce qu’on y dit, se jouent elles-mêmes, en rient les premieres.
Ce fonds, assez ingénieux, est gâté par l’invraisemblance des caractères ; tel que celui de l’Homme ruiné ; fou, vrai fou, qui, en contant dans un grand détail des malheurs affreux qui lui sont arrivés, rit à gorge déployée. […] Panard, a dit de lui-même qu’il étoit passable coupletteur ; ce mot peu françois exprime bien du moins le mérite de ce Poëte ; il excelloit dans les couplets ; ceux qu’il a faits sur les invraisemblances reprochées à l’Opéra, sont remplis d’antithèses ingénieuses ; mais voilà tout ; ses intrigues sont foibles, sa gaité vous laisse froid, sa morale ennuie, excepté peut-être dans le Fossé du scrupule : il trouve des contrastes heureux dans les mots, il n’invente jamais de situation, il ne fait pas rire, il n’a pas de force comique. […] La porte d’entrée, à tous ces sanctuaires du plaisir, est ouverte par les ris, les amours, le dieu du vin, le dieu du jeu, le dieu de la table. […] Peu importe que vous soyez tenté encore de m’accuser de tomber dans l’hyperbole, que vous riez de l’expression trop franche ou trop énergique de mon zèle ; je pense qu’en exposant vous-même, vos enfans à périr par des accidens très-possibles, à se gâter l’esprit, le jugement & le goût, à perdre leurs mœurs, à subir toutes les peines et tous les malheurs attachés à une vie déréglée, ce seroit de votre part, monsieur, non-seulement renoncer à la qualité de guide et de pere, mais devenir leur propre corrupteur et leur assassin.
Senatoris ff. de rit nupt. […] Senatoris ff. de rit nupt.
Répondons par ordre, que veulent donc dire ces paroles de Jésus-Christ, malheur à vous qui riez ? […] Voilà ce que la passion de la comédie objecte de plus fort pour sa justification, ce que j’y ai répliqué doit vous en faire sentir la faiblesse, et conclure avec moi que le théâtre est une source de désordres dont ceux qui ont soin de leur salut doivent s’éloigner, et s’ils sont chargés de celui des autres tels que les Pères de famille, le leur interdire absolument, que ceux qui n'ayant pas connu ces dangers y ont été quelquefois par le passé, prient le Seigneur de ne se point souvenir de leur ignorance, et que tous jurent aujourd’hui un divorce éternel avec toutes ces assemblées mondaines et profanes, dites, avec le Sage, « j’ai estimé le ris une erreur, et j’ai dit à la joie pourquoi me trompes-tu »Eccli. 2.
L’on croit s’assembler au spectacle, et c’est là que chacun s’isole, c’est là qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables, pour pleurer les malheurs des morts, ou rire aux dépens des vivants ; de manière qu’on pourrait dire de ceux qui les fréquentent : N’ont-ils donc ni femmes, ni enfants, ni amis, comme répondit un barbare, à qui l’on vantait les jeux publics de Rome ? […] Il fait rire, il est vrai, et n’en devient que plus coupable, en forçant, par un charme invincible, les plus sages mêmes de se prêter à des railleries qui devraient attirer leur indignation. […] Que penser d’une pièce où le parterre applaudit à l’infidélité, au mensonge, à l’impudence de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni ?
2 mais l’auteur est si méprisable, tant par la façon de penser, que par les mœurs qu’il affecte, que je n’en ai fait que rire : en effet, peut-on s’offenser d’un écrit rempli de fiel & de passion ? […] n’ai-je pas ri moi-même des réponses flegmatiques du Contradicteur, de ses saillies naïves ? […] Il faisait jetter des Hommes par ses fenêtres, & riait aux cris des malheureux à qui le hazard sauvait la vie aux dépens d’un bras ou d’une jambe fracassée. […] Dieu sait combien le fils immortel de Sémèle, & l’aveugle amant de Psiché, rirent à l’aspect de la gauche allure des Sacrificateurs chancelans. […] La danse fut suspendue ; ce ne furent qu’embrassemens, ris, sauts, carresses.
Ils mettront leur principale étude à chanter proprement, à rire, à s’égayer sans cesse, à faire naître chaque jour des modes bizares.
Je laisse rire ceux que la moindre chose étonne, & je vais prouver en peu de mot ce que j’avance.
… Un goût, que je n’ai pu détruire, joint à des applaudissemens mérités, m’a jeté loin de moi-même… Voila la cause de ma ruine… Ursule ignore mes torts… mais je les sais ; mais le remords me ronge, me déchire… Et cependant, lorsque je promets de renoncer à ***, je la vois sur la Scène, suivie des Grâces, des Ris & des Talens, enviée, adorée, desirée, l’objet des hommages de tous les cœurs… ma résolution s’affaiblit ; le charme renaît… Non, je ne suis pas digne de vivre… Quand je vois Ursule… Ursule, & mon fils que je serais au desespoir qui me ressemblât un jour, je meurs de confusion.
[P] Parade, espèce de Farce, originairement préparée pour amuser le Peuple, & qui souvent fait rire, pour un moment, la meilleure compagnie.
Un Auteur qui n’excite que le rire de la méchanceté, a manqué son but.
La comédie, il est vrai, rend le vice ridicule ; mais elle ne le rend pas odieux : elle en fait rire, mais elle ne le fait pas pleurer.
La comédie a toujours été regardée comme le délassement le plus digne de charmer les nobles loisirs des souverains, et des grands hommes : elle est encore le divertissement des hommes d’état, des grands seigneurs, des gens polis, et l’amusement du peuple ; elle est propre à rectifier les mœurs, en employant le plaisant et le ridicule ; elle a pour but de faire rire et d’instruire le spectateur.
Augustin ne croit pas qu’un homme de bien puisse voir quelqu’un danser au son des instruments, sans en gémir, bien loin d’en rire & de s’en divertir : Aug. […] Les regards, les ris immodérés, les paroles à double sens, les querelles, les desirs de convoitise, les chansons malhonnêtes, & les libertés criminelles qu’on y prend, rendent presque toujours coupables ceux qui s’y rencontrent.
Faut-il que notre honneur se gendarme si fort, Que le feu dans les yeux & l’injure à la bouche … Pour moi de tels propos je me ris simplement, Et ne suis point du tout pour ces prudes sauvages Dont l’honneur est armé de griffes & de dents. […] Le théatre a beau rire, il ne justifiera jamais les nudités, le fard, les parures recherchées ; il perdra les ames en inspirant ce goût, s’en faisant un jeu, un honneur, un agrément nécessaire : Quiconque à son mari veut plaire seulement, Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement. […] Orgon porte à Marianne un contrat de mariage tout passé sans elle, comme si on pouvoit la marier sans qu’elle y soit : Je porte ici de quoi vous faire rire (le contrat).
Il en résulte de grands avantages ; outre l’aménité de mœurs qu’ils procurent, c’est par le Théâtre qu’une aimable Philosophie pénètre dans tous les Ordres de l’Etat ; (ceci prouve combien on doit épurer la source des amusemens publics) : l’enchantement des Représentations, & de leur brillant Spectacle, distrait les hommes d’objets desagréables ; au sein des Ris & des Jeux, ils se trouvent forcés d’oublier jusqu’à leurs calamités : par-là l’on fait aimer au Citoyen un pays où il trouve des plaisirs inconnus ailleurs. […] Le tumulte des desirs, c’est donc tout ce qu’une telle Pièce excitera dans les uns ; un rire vide, un épanouissement machinale, seront tout ce qu’elle réveillera dans les autres. […] Tels sont les Ménechmes, le Légataire, &c. ces Pièces, où l’on trouve un excellent comique, & qui peuvent servir de modèle pour l’économie théâtrale, sont néanmoins du genre le moins utile ; elles ne rendent pas assez odieux le vice qu’elles peignent ; elles ne peuvent qu’exciter le rire, & faire naître une stérile admiration.
Elle dit des riens d’un air à prétention, joue finement sur les mots, rit & pleure tout à la fois.
La Comédie dans ses écarts rappelle toujours l’idée de ce qu’elle doit-être ; on découvre toujours que son genre est de faire rire & de corriger ; au-lieu que chaque Poème de l’Opéra-Bouffon paraît, pour ainsi dire, avoir été composé pour quelque Théâtre nouveau.
Je sais que les Poètes Comiques n’ont besoin que du ridicule des hommes pour faire rire les Spectateurs ; mais si de plus ils ont la louable intention de corriger et d’instruire, alors ils auront tort de se borner à mettre le ridicule des hommes sur la Scène, ils ne feront qu’effleurer l’écorce, et n’iront pas jusqu’à la racine du mal.
Le Spectacle du Théâtre est le seul qui embrasse et qui excite toutes les affections et toutes les passions du cœur humain ; il y a telle représentation qui inspire la joie, la tristesse, la colère, l’amour, les larmes et les rires ; et tous ces mouvements s’emparent bien souvent dans un seul jour du cœur des Spectateurs, jusqu’à leur faire sentir toutes ces différentes impressions à la fois.
C’est aussi cet esprit de société, répandu en torrent, ou sans mesure ni ménagement, qui, de l’aveu ingénu du plus éloquent panégyriste de Molière, a produit l’abus de la société et de la philosophie, qui est cause que la jeunesse a perdu toute morale à quinze ans, et toute sensibilité à vingt ; qui fait aussi qu’après avoir perdu l’honneur, on peut aujourd’hui le recouvrer rentrer dans cette île, du temps de Molière escarpée et sans bords, c’est-à-dire, jouir de la considération, de tous les avantages et priviléges de la vertu Comparez les temps et jugez, dis-je, vous verrez de plus que, malgré les cent cinquante mille pièces de théâtre environ qui nous ont passé sur le corps, ou plutôt sur l’âme, depuis la restauration des lettres, pour nous perfectionner, nous nous sommes toujours détériorés de plus en plus ; vous verrez que les rares petits coins de la terre civilisée qu’on pourrait encore proposer pour exemples d’innocence et de vertus, sont précisément ceux où il n’a jamais paru ni théâtre, ni comédie, ni beaucoup des gens qu’ils perfectionnent dans les villes ; et vous en inférerez que pour mettre le comble à la dépravation, surtout aujourd’hui que les hommes corrompus sont presque partout en grande majorité, et que jouer les vices au théâtre, c’est à peu près comme si on jouait l’anglomanie en Angleterre, il ne manquerait plus que de livrer de même à la justice précipitée du public malin, qui a besoin de rire, qui ne se rassemble que pour cela, à ce tribunal confus, incohérent et enthousiaste, composé de toutes sortes de gens, qui tient ses assises dans toutes sortes de lieux, qui passe en sections du théâtre dans les salons et dans les réduits, sur les places publiques et aux coins des rues, où il délibère d’après ses passions discordantes, propres on empruntées, qui dénature on change les actes d’accusation, qui juge cent fois in idem, dont la jurisprudence est incertaine et si versatile qu’il désavoue habituellement ses jugements, lesquels, en effet, sont cassés en grande partie, et souvent, après des années de la plus cruelle exécution, quelquefois dans un autre siècle, par le public mieux éclairé, sage et impartial, dont les arrêts méritent seulement alors toute confiance et respect ; il ne manquerait plus, dis-je, que de traduire à ce tribunal les hypocrites des autres vertus dont il reste plus de lambeaux, en ajoutant aux tartufes de religion, de mœurs, de bienfaisance, etc., les tartufes de justice, d’indulgence ou de pitié, de patience ou de modération, de modestie, de grandeur d’âme, d’amour filial ; et vous n’aurez aucun doute non plus qu’une satire en comédie dirigée contre une hypocrite de tendresse maternelle, comme il y en a effectivement, sur qui, par le jeu d’un Brunet ou d’un Potier, qui représenterait la marâtre, on livrerait à la risée publique le ton, les soins empressés, les caresses, les émotions ou les tendres élans du cœur d’une mère, ne portât une atteinte funeste à la plus précieuse des vertus, et ne détruisit en peu de temps l’ouvrage du génie supérieur qui a défendu si éloquemment la cause de l’enfance et mis à la mode, en les faisant chérir, les premiers devoirs de la maternité. […] Concluez donc avec moi qu’il faut que l’envie ou le besoin de rire ait bien du pouvoir sur les hommes pour les porter si obstinément, malgré l’épreuve du contraire qui les accable, à regarder comme propre à corriger les mœurs le moyen le plus puissant de tourner toutes les vertus en ridicule, de tout corrompre ! […] Les derniers, accoutumés à rire des premiers ; à les humilier, à les avilir même dans ces assemblées plus que républicaines, où des personnes de tous les rangs, où les plus grands personnages comparaissent à leur tribunal, et sont soumis à leur jugement et à leur discipline, se sont enorgueillis ou tropaguerris nécessairement en particulier, vis-à-vis des supérieurs devenus, aussi nécessairement, moins imposants. […] Et bien loin encore que toutes ces éternelles leçons qu’ils écoutent de sang froid, comme ne les concernant pas, ou dont ils rient eux mêmes et font des applications à leur gré, les aient corrigés ; elles ne les ont pas même intimidés ; on a vu constamment ces chicaneurs déhontés, ces embrouilleurs d’affaires, ces fléaux des familles, couverts de la dépouille de la veuve et de l’orphelin, se multiplier, aller la tête levée, se présenter avec assurance, faire baisser les yeux aux honnêtes gens, parler de délicatesse et de justice plus haut que les de La Haye et les Valton.
Le Roi se mit à rire, & lui dit, vous êtes fille, il n’y a qu’à lui donner de quoi boire, & vos bréloques seront des choses très-importantes . […] Le Roi les fit relacher, & dit aux Magistrats, vous êtes des sots, je suis plus offensé que vous, mais je les pardonne de bon cœur, d’autant qu’ils m’ont fait rire, voix jusqu’aux larmes . […] Il faut toute la bonté du Prince de Bearn pour rire jusqu’aux larmes, d’une farce qu’on siffleroit au théatre de la foire. […] Là, vit on Dieu manger des pommes, rire avec sa mere, dire ses patenotres avec les Apôtres, susciter & juger les morts.
Leur sous-caissier en a joué une qui ne les fait pas rire : il a disparu, & a emporté quarante mille livres du trésor de la Troupe, & autant d’effets, qu’il a eu l’adresse, sur le crédit de la Comédie, de tirer de divers marchands. […] De tant de traits répréhensibles, nous nous bornons à l’importance que l’auteur & le journaliste donnent à la Danse, dont ils font un point capital de l’éducation physique de la jeunesse & de la vie des paysans qui cultivent la terre, avec un enthousiasme dont les transports feroient rire même le maître à danser du Bourgeois gentilhomme de Moliere. […] Il n’en a pas du moins pour les pasteurs du second ordre, qu’il traite avec le dernier mépris, d’un ton d’importance & de supériorité qui fait rire, & figureroit dans l’Année merveilleuse. […] Mais quoiqu’Abbé, il n’est ni théologien, ni ministre : il faut pardonner l’ignorance, & rire de sa présomption.
Ainsi, mes chers auditeurs, dans notre goût pour les spectacles, nous cherchons dans la tragédie l’attendrissement, le trouble, la terreur même, en un mot de vives émotions indépendamment de l’instruction, et dans la comédie, nous voulons trouver et de la gaîté franche, et un rire pur et innocent, et encore d’utiles leçons. […] Que peuvent donc avoir de coupable aux yeux de Dieu les pleurs que nous versons avec Andromaque, avec Iphigénie, et les sanglots que nous arrache le désespoir de Clytemnestre, quand sa fille, sa fille chérie, enlevée à ses embrassements, marche à l’autel pour y être sacrifiée à l’ambition de son père par la main d’un prêtre… Que peut avoir de coupable aux yeux de la divinité notre rire, à la brusquerie d’un tuteur justement trompé ; celui qu’excite le désespoir d’un avare qui se croit volé, se fouille lui-même, interroge tout ce qui l’entoure, et nous aussi spectateurs ? Et enfin, les éclats du gros rire que provoque le gros rire de la bonne Nicole ?
Elle avoit à sa Cour deux Savans distingués, Meibonius qui venoit de donner au public un traité sur la musique des anciens Grecs, & Naudé qui en avoit donné une sur la danse des Romains ; elle voulut que Meibonius chantât à la Grecque, & Naudé dansât à la Romaine selon les principes de leurs ouvrages ; ils ne savoient ni chanter ni danser, elle ne vouloit que se moquer d’eux : ainsi l’un avec la voix cassée, rauque & tremblante ; l’autre avec ses pas lourds, traînans & sans cadence, lui donnèrent la farce sur son théatre, Naudé n’en fit que rire, Meibonius s’en offensa, il sut que l’Abbé Bourdelot avoit suggéré cette idée burlesque ; il l’attend quelques jours après, lui donne des coups de bâton, & sans prendre congé de la Reine, monte à cheval & se retire. […] Ce répentir la rendoit sombre, rêveuse, mélancolique, de mauvaise humeur, brusque, capricieuse jusque dans la compagnie du Roi, de la Reine, au milieu de la plus agréable comédie après avoir ri aux éclats, elle tomboit dans une profonde rêverie d’oû l’on avoit de la peine à la tenir, même le Roi & la Reine. […] Christine forcée de descendre fait un grand discours pour excuser son abdication, pour montrer sa résolution & sa fermeté, & consoler des gens qui s’en réjouissoient, & tous le mouchoir à la main, essuyoient leurs yeux qui n’étoient point mouillés, tandis qu’ils mouroient d’envie de rire & s’épuisoient réciproquement en éloges. […] Tel étoit le goût décidé de cette Reine gothique selon l’expression de Madame de Motteville, sa vie fut une mascarade perpétuelle, toujours habillée en homme comme l’Abbé de Choisi en femme, l’Abbé des Yvetaux en berger, un juste aucorps, un chapeau, une perruque, un plumet, l’épée au côté, une chaussure d’homme, elle étoit plus propre à faire peur qu’à plaire, ou plutôt à faire rire, c’étoit un Arlequin ; la nature s’est trompée , disoit-elle, en me faisant femme ; pensée qu’elle avoit empruntée du distique fait contre le Roi d’Angleterre Jacques Ier. : error naturæ sic in utroque fuit . […] Les autres Académies des Sciences, des Inscriptions & Belles-Lettres, de Peinture n’étoient pas encore établies, elles n’eussent pas manqué d’y aller donner & recevoir de l’encens ; les Savans n’en sont point avares, ils sont les seuls qui ont paru l’admirer, personne ne l’estimoit, la Cour, le Clergé, le Militaire, la Magistrature, le Peuple étoient surpris du spectacle unique d’une Reine qui abdique sa couronne & son sexe, courant le monde habillée en homme, vit, parle, pense en homme, on va la voir par curiosité, & on en rit.
L’Auteur me fait rire, l’Académie me fait gémir. […] Mon voisin & moi nous rions du meilleur cœur du monde de nous voir sots & impertinens. […] Etoit-ce rire de bon cœur que de repousser à coups de bâton cette imitation parfaite ? […] Mais la philosophie ni l’ascendant de son esprit sur les passions n’a pu empêcher l’homme qui a le plus fait rire de succomber à la mélancolie. […] On ne l’étudie point pour se former, on ne le lit que pour s’amuser, on ne le nomme que pour rire.
Le second défend l'ivrognerie, les ris immodérés, les contes vains et ridicules, les jeux profanes et séculiers, et tout ce qui peut servir à la volupté mondaine.
Mais en cette représentation des jésuites aucuns spectateurs riaient quelquefoiscg. […] [NDE] Le texte de Gaule est accompagné d’une approbation datée du 18 octobre 1607 par Robert Berthelot, suffragant de Lyon, qui atteste « n’y avoir rient trouvé qui ne soit conforme à notre sainte foi et religion catholique : ains être digne de lumière, à fin de faire connaître les mauvais artifices dont usent d’ordinaire les mal affectés à la vérité » (ibid. […] [NDE] Comprendre : que quelque spectateur riait quelquefois.
Rousseau a-t-il pu croire, a-t-il voulu nous persuader que nous faisions semblant de rire, de pleurer, de frémir à ces spectacles ! […] Que penser d’une pièce où le parterre applaudit à l’infidélité, au mensonge, à l’impudence de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni ! […] Si quelqu’un nous attache dans cette pièce, c’est George Dandin lui-même, et on le plaint comme un bon homme, quoiqu’on en rie comme d’un sot. […] Qu’un valet se joue du vieil Euphémon ou du père du Glorieux e, je passe condamnation s’il fait rire. […] non, sans doute ; mais voilà par où le désir de faire rire aux dépens du personnage, a forcé de le dégrader contre la vérité du caractère.
« Tu quittes ce Calice adorable, et la Fontaine du Sacré Sang, pour courir aux lieux que le Diable occupe : Ce n'est pas à nous à rire des choses mauvaises avec emportement, et de nous laisser prendre aux délicatesses des Sens, et à celles qui se font voir dans les Théâtres : Cela ne convient pas à ceux qui sont appelés au Royaume éternel, et qui ne portent que des armes spirituelles ; mais seulement à ceux qui combattent sous les Enseignes du Diable ; car c'est lui qui réduit en art les ris et les Jeux, pour attirer à son service les Soldats de Jésus-Christ.
Tous ces esprits libertins qui travaillent pour vous donner du plaisir, tirent leurs sujets des actions déshonnêtes qu'ils attribuent à vos Dieux; Quand vous voyez jouer les pièces divertissantes d'un Lentulus, et d'un Hostilius, dites-moi si ce sont vos Farceurs, ou vos Dieux qui vous font rire; vous y entendez parler d'un Anubis impudique, d'une Lune de sexe masculin, et d'une Diane qui a été fouettée; On y récite le testament d'un Jupiter qui est mort; On y fait des railleries des trois Hercules affamés. […] Et y-a-t-il de parole insolente, que les Comédiens et les Farceurs ne profèrent, pour faire rire ; de sorte que ceux qui par leur inclination y prennent plaisir, en emportent chez eux de vives images empreintes dans leur esprit.
Il y a quelque scène dans je ne sai quel opéra-comique, où sous les yeux de son maître un valet parle à son portrait & lui demande grace : le maître en rit, & lui pardonne. […] Le public est malin : aulieu de plaindre le pauvre directeur, il en rit aux éclats & se moqua de lui ; il trouva ce dénouement du meilleur comique : jamais farce ne fut plus applaudie. […] Anacréon aime fort la liberté, il ne veut point de cérémonies ni d’étiquette, il est aussi familier avec la Reine qu’avec le Roi, il fait rouler tout son éloge sur ce qu’elle veut agir librement, échapper aux costume & rire impunément . […] Le Roi en rit, & la promotion ne fut pas faite.
S’il pouvait exister, il ne ferait pas rire ; il ferait horreur. […] Molière ne l’ignorait pas ; mais il fallait faire rire le Parterre. […] Mais il fallait faire rire le Parterre ; et voilà comment on avilit la vertu. […] Aussi, durant toute la Pièce, ne fait-il nulle part plus d’effet que dans cette scène : parce qu’il est là ce qu’il doit être et que, s’il fait rire le Parterre, les honnêtes gens ne rougissent pas d’avoir ri. […] La danse fut suspendue ; ce ne furent qu’embrassements, rires, santés, caresses.
O vous, qui gouvernez au grè du spectateur, Les jeux de Terpsicore & ceux de Polimnie, Les pleurs de Melpomene & les ris de Thalie, Lequel de ces plaisirs pourroit, selon mes vœux, Contribuer le plus à faire des heureux ; Tourner vers le spectacle enchanteur & magique, Où l’optique, la danse & l’art de la musique, De ces plaisirs divers ne forment qu’un plaisir. […] Ce n’est point un sermon, en sortant de bien rire. […] Pour moi, qui me ris de ces foux, Je m’abandonne sans foiblesse Aux plaisirs que m’offrent mes goûts.
Je m’étonne qu’ayant donné autant de piéces, il n’ait, comme bien d’autres, introduit quelque Suisse, dont il connoissoit si bien le jargon & le caractere, qui auroit pu faire rire un moment. […] Rien de brillant, nulle force comique que fort rarement naturellement froid ; il ne fait rire que des bouts des levres les honnêtes gens, jamais le public, comme Moliere, qui à la vérité tombe dans un excès opposé. […] Il faut être bien comédien pour faire si peu de cas du Ministere, ou tant de cas du théatre, pour faire d’un grand Prince une espece de Comédien, & une de ses fonctions Royales d’amuser & de faire rire le peuple par des comédies.
Les spectateurs en rirent qui n’en auroit pas ri ? […] Parmi nous cette décoration théatrale seroit sans conséquence, on ne feroit que rire des comédiens ; mais Pompée n’étoit pas un homme à caresser des breloques.
A l’amant chacun porte envie, Et rit des fureurs de l’époux. Il faut en rire, il faut en rire.
La joie la plus vive s'y déploie par toute sorte de ris, de chants et de danses. […] Pendant le service c'est la plus respectueuse attention : elle n'est interrompue que pour entrer dans les sentiments des Prêtres et des Prêtresses, rire ou pleurer avec eux. […] Le théâtre présente à des yeux Chrétiens un second spectacle plus ridicule que la comédie, et bien tragique pour ceux qui comptent la mort de l'âme pour quelque chose : une foule de personnes assemblées pour s'oublier et se perdre elles-mêmes, méprisant leur principe et leur fin, la raison et la vertu, pour se repaître de chimères ; détruire le langage et les sentiments de la religion, pour ne parler que celui de la passion ; au lieu de travailler à corriger leurs vices, ne faire qu'en rire, et étudier l'art de les augmenter.
Ces jetonniers, ayant su à force de fureter que le Père Caffaro s’était vanté à ses amis d’avoir eu part à la critique et que le tiers était de lui, accoururent à l’archevêché y demander justice avec un empressement qui fit rire M. l’archevêque.
Me fera-t-on croire qu’on aille rire si long-tems à des ouvrages qui ne seraient que burlesques ? […] Les uns n’ont que le dernier rang dans un Drame, & les autres en sont ordinairement les principaux personnages ; mais c’est une nouvelle découverte de l’esprit humain : on peut aussi bien rire des plaisanteries d’un savetier, que des ruses & des souplesses d’un valet intelligent.
« Un homme sans passions ne saurait intéresser personne au théâtre, et l’on a déjà remarqué qu’un Stoïcien dans la Tragédie ferait un personnage insupportable dans la Comédie, et ferait rire tout au plus. »j On a très mal remarqué ; Glaucias dans Pyrrhus, Brutus, Alphonse dans Inès, Cicéron dans le Triumvirat, Zopire dans Mahomet k, et tant d’autres à citer sont des Stoïciens ou jamais il n’en fut, et l’histoire nous trompe ; dans les Comédies tous nos Aristes, un Théodon dans Mélanide, le Héros de La Gouvernante l, ces gens-là ressemblent assurément au portrait qu’on nous fait des Stoïciens toujours amis de l’humanité et préférant l’intérêt de la vérité, de la raison, de la justice et de l’amitié, à leur intérêt propre. […] Qu’on se garde bien de mettre un tel homme sur la scène, il est bien éloigné de mériter cet honneur, c’est un Original qui n’existe pas, et qui ne mérite pas d’exister : c’est une chimère métaphysique injurieuse à la nature, c’est un monstre qu’il faudrait étouffer puisqu’incapable de bien et de mal, il serait également insensible à l’un comme à l’autre, qu’il regarderait du même œil la prospérité et le malheur d’autrui et trouverait également ridicule qu’on rît ou qu’on pleurât, par conséquent il ne serait pas plus disposé à soulager les malheureux qu’à participer aux plaisirs des gens contents. […] Les ridicules lassés de voir rire à leur dépens, les vices fatigués d’être contrariés ont pu prendre une autre forme et se cacher sous un autre déguisement : c’est l’affaire des Auteurs du siècle, d’imiter Molière et de leur arracher le nouveau masque qui les déguise. […] Les hommes étant donc nés bons comme vous dites, il s’ensuit qu’un homme bon doit leur plaire, et je me laisse facilement persuader que les applaudissements qu’ils accordent aux belles maximes de nos Tragédies, les rires qu’excitent les chagrins d’un vicieux tourmenté sur la scène comique, partent également de leur goût pour la vertu et du plaisir qu’ils ont de voir le vice dans l’embarras. […] La Comédie apprit à rire sans aigreur, Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre, Et plut innocemment dans les vers de Ménandre. » bc C'est la même chose que la Police a produit à Paris, elle a proscrit les satires atroces d’Aristophane et n’y souffre plus que la sage critique de Ménandre.
Mais d’où la Scéne rire-t-elle ses leçons ? […] Nous sommes presque tous ainsi faits : nous rions de la colere, nous redoutons la raillerie. […] D’accompagner de leurs ris, ou de leurs larmes ceux qui battent des mains ou qui pleurent ? […] Vous riez ? […] Si l’honnête homme au contraire paroissoit ridicule, insipide, bourru… Vous riez encore ?
La même Réflexion a dû aussi apprendre à tous les Poëtes que pour attirer le Peuple à un Spectacle, il faut lui procurer l’un ou l’autre de ces deux plaisirs, ou celui de pleurer beaucoup, ou celui de beaucoup rire.
L’amour voit là ses victoires, & ne fait qu’en rire, Amor guarda è ride . […] L’un rit ou chante, l’autre danse. […] Ce jargon feroit rire, s’il n’étoit dégoûtant. […] Un Prince est bien aveugle, qui suit de tels guides. 2.° J’amuse par ces jeux un peuple inquiet, dont la fidélité m’est suspecte ; ils ne pensent pas à se révolter, ils oublient leur misere tandis qu’ils s’occupent à rire.
On ne va à la comédie que pour s’amuser, on ne s’y remplit que de passions de bouffonnerie, la foule ne goûte et n’est capable de goûter que les folies qui la font rire ; elle attend la soubrette avec impatience, quand le héros parle raison sur la scène, vouloir en faire une école de bon goût, c’est une chimère. […] On rit, du Horace, d’un enfant qui fait des bulles de savon, et court à cheval sur une canne ; la décoration et le jeu de théâtre sont aussi puérils. […] Voyez une troupe de faunes et de satyres qui, le masque à la main, passe la vie à danser, rire, chanter, se moquer de tout : voilà le théâtre ; nos acteurs et nos actrices valent bien les satyres de la fable. […] Pour nous qui ne sommes pas initié dans ces mystères d’élégance, nous convenons que notre antique bonhommie, peut-être en vertugadin comme celle de nos aïeux, préfère la vertu, la raison et la vérité aux rubans, aux pompons et aux aigrettes ; la sagesse et la décence aux grands et aux petits airs ; qu’elle mérite aussi peu qu’elle le désire, une place dans la foule des jeux et des rires, et ne se laissera jamais persuader que des modèles si remuants, des maîtres si frivoles, une école si pétillante, donnent des leçons de sagesse, de politesse et de bon goût.
Lorsque les infernales Déités ouvriront les abîmes du Ténare, qu’on entende d’affreux mugissemens ; un bruit comme lorsque les vents & le bitume en flammés s’ouvrent avec violence au volcan horrible au sommet de l’Etna ; que la terre s’allume sous les pas des Furies : sur-tout de la précision ; un Dieu qui manque son coup, tombe au-dessous du dernier des mortels, & n’excite que le rire du mépris. […] Malgré ce que je viens de dire, jamais il ne faut, comme Molière l’a fait trop souvent, immoler au vice le simple ridicule : on a peine à retenir son indignation, dans cette même Piece de Georges Dandin, en voyant la manie des hautes alliances corrigée par le triomphe du crime de l’infidélité : le rire, à cette Comédie, le rire devient criminel, car il peut être un assentiment secret à la coquetterie, à l’adultère même : Molière, en la mettant au Théâtre, est d’autant plus coupable de pervertissement de mœurs, que les tableaux y sont mieux faits, les situations mieux amenées, & que les finesses d’une femme galante ainsi présentées, peuvent devenir une leçon pernicieuse à plus d’une Spectatrice. […] On bannira de notre Théâtre ces actes d’impudence, c’est un mauvais Comique, que celui qui fait rire d’une mauvaise action. […] Corrigeons encore ; & que l’homme le plus scrupuleux puisse rire sans répugnance à la nouvelle Comédie*. […] Il est dans la nature, qu’un homme, dans le cours de la même action, s’emporte une fois : il frappe alors, il intimide, il émeut, il effraye ; mais s’il recommence, on le regarde comme un brutal, on le méprise, & l’on finit par rire de sa colère*.
Quelque innocentes que ces personnes se croient, il n'y en a point qui voulût passer des divertissements du Théâtre au tribunal de celui qui a dit : « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez. » « Væ vobis qui ridetis nunc, quia lugebitis, et stebitis. » Luc c. 6. v. 25.
Que le sage fuie donc ce divertissement, qui peut le rendre criminel, et qui hasarde, s’il ne ruine sa conscience ; s’il veut des spectacles, il a les histoires Saintes et profanes ; il a tous les jours l’exemple des Saints, il a ce qui se passe dans le grand monde, où il trouve de quoi rire par indifférence, et de quoi pleurer par compassion.
Ceux qui ont eu le plaisir d’y rire ou d’y pleurer en sont la preuve. […] Le sieur Collé a plu par ce discernement, le sieu Durozoi fait rire par ce mêlange. […] La maîtresse qui étoit présente, fort irritée, vouloit le faire pendre ; Henri se mit à rire, & lui dit : La corde qu’il lui faut c’est quelques écus pour boire, & il chantera vos louanges. […] Eh bien, soit reprend Henri éclatant de rire ; tu seras Gentilhomme, & tu porteras ta dinde en pal (en broche) dans ton écusson. […] Le Roi se mit à rire, revint à sa place, & lui dit d’un air gracieux ce vers d’une vieille chanson, Tout homme saoul est aussi grand qu’un Roi .
Il alloit plaider ; la plaidoirie eut été la petite piece après la tragédie, la salle du Palais eut été plus remplie que le parterre, l’Avocat auroit fait plus rire qu’Eustache de S. […] Ces puérilités feroient rire, si elles ne faisoient pitié. […] Le Poëte auroit dû ne faire que rire de l’aventure, qui ne fait tort ni à sa gloire, ni à sa bourse ; sa piece ressemble à tant d’autres dont le fond n’est qu’une fable, & qui toutes en deviennent une par les circonstances qu’on y ajoûte. […] De tous les temps le Théatre est partagé entre les grands & les petits, les Princes & le peuple ; on ne rit pas des défauts des grands, quoique souvent très-ridicules, on rit de ses inférieurs & de ses semblables ; on plaint les malheurs d’un artisan, on loue ses vertus, souvent très-respectables ; mais on ne chausse pas pour lui le cothurne, comme on ne couvre pas un Roi de haillons, ni un paysan de la pourpre.
» Sans m’amuser à leurs risées, je prie les fidèles, de considérer, si les contredisants ont autant de sujet de se rire de moi, comme ils en donnent à Satan, de se moquer d’eux, s’étant laissé persuader, de tenir pour indifférent, voir pour bon, utile, et louable, un Exercice que les anciens Chrétiens appelaient peste des Esprits, chaire de pestilence, subversion d’honnêteté, boutique de turpitude, fêtes de Satan, Abrégé du service que rendaient les Païens à leurs faux Dieux, lesquels en temps calamiteux, ils estimaient ne pouvoir mieux apaiser, qu’en leur vouant et jouant des Comédies et Tragédies. […] Si de l’Ecriture Sainteo, elle-même nous déclare2 Tim. 3 p , qu’elle est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour rédarguerq, pour corriger, pour instruire ; non pour nous faire rire : Qu’elle doit être prêchée, méditée, pratiquée, gardée, non jouée : Qu’elle est commise aux Pasteurs, non aux Bateleurs2 Cor. 5 r : Qu’elle doit retentir ès Eglises, non aux Théâtres, à la maison de Dieu, non en la Boutique de turpitude : Qu’elle doit pénétrer jusques à la division de l’âme, et de l’esprit, des jointures, et des moellesHeb. 4 s ; c’est-a-dire, navrer mortellement les obstinés, et vivifier les croyants ; non servir d’ébat, et de passe-temps, pour pervertir plutôt les domestiques, que pour convertir les Etrangers : Bref, qu’elle doit être proférée, et ouïe avec honneur et révérence ; non profanée par gesticulations et singeries. […] Or la susdite réplique, ne procède pas tant d’un homme qui tente Dieu, comme d’un qui se moque de lui, et de sa Loi, par un tel argument : Il est permis de se déguiser pour éviter un danger ; Ergo, il l’est aussi, pour se donner du plaisir pour faire rire les autres, pour représenter un adultère, pour déguiser l’Eglise Chrétienne en un Théâtre Païen ; pour convertir le temple de Dieu en un temple d’idoles : Car ils ne peuvent ignorer, que les jeux Comiques et Tragiques, étaient partie du service que les Idolâtres rendaient à leurs idoles, en la solennité de leurs fêtes ; aussi est-ce pour cette raison, que S. […] » eu Item répondant à ceux qui criaient qu ’on les voulait empêcher de se réjouir, il dit, « Rions tant d émesurément que nous voudrons, et nous éjouissons toujours, pourvu que ce soit sans pécher : Quelle forcènerie et folie est ceci, d ’estimer que la réjouissance et ris ne soient bien parfaits, si Dieu n’y est injurié ; je dis offens é et injurié en toute extrémité ; Car ès spectacles publics, il y a une certaine apostasie, et dévoiement de la foi, et prévarication pestilente des articles et Saints Sacrements d’icelle.
On riroit au nez de celui qui seroit l’éloge de leur vertu, à moins de vouloir, comme Érasme, faire pour rire l’apologie de la folie & du vice ? […] Dans ce siècle de la licence, Où le vice heureux & fêté Brave l’honneur & la décence, Et rit avec impunité ; Où, si faussement ingénues, Et nos Phrynés & nos Laïs Étalent aux yeux de Paris Les trésors qu’elles ont acquis, Et les mœurs qu’elles ont perdues ; Où l’art de vendre & d’acheter Se traite avec tant de justesse ; Où l’on sait le prix de Lucrèce Pour peu que l’on sache compter…. […] C’est une espèce de tragicomédie qui a fait rire tout Paris.
Si ces observateurs, ne voyant pas bien que le tartufe dont il s’agit est en même temps tartufe de religion et de mœurs, que compromettre en le mettant en spectacle les vertus chrétiennes, ce fut aussi compromettre les autres vertus sociales qu’il avait besoin d’affecter aussi et qu’il affectait également, persistaient à croire que cette satire, qui ne regardait que les hypocrites de religion, n’a pu contribuer si puissamment à la démoralisation générale ; sans entreprendre de démontrer une seconde fois une vérité qui me paraît évidente, il suffirait à ma thèse de leur rappeler que la Criticomanie, comme pour consommer l’ouvrage du premier tartufe, nous en a donné plusieurs subsidiaires, et nommément un tartufe de mœurs ; personnage presque tout imaginaire, composé de différents caractères, de vices incompatibles, ou phénomène dans la société, auquel, au reste, on doit appliquer ce que j’ai dit de l’autre, fût-il même regardé comme un tableau fidèle, parce qu’il n’a été propre aussi qu’à faire triompher et rire le parti alors plus nombreux des hommes sans masques, et des femmes au courant, qui ne faisaient pas tant de façons, ainsi qu’à réchauffer leur bile et renouveler leur pouvoir, qui commençait à vieillir, de faire naître les défiances, et des soupçons injustes contre les personnes, et de travestir avec succès les meilleures actions. […] Et dans le même temps on disait contre à peu près aussi ce que disent les modernes contradicteurs, tout en rendant justice à l’art et aux talents de nos bons auteurs : que le recueil de ces ouvrages ne contient que des peintures dangereuses des passions les plus entraînantes, que des tableaux corrupteurs ; qu’on y voit l’intérêt sollicité le plus souvent en faveur du crime ; une plaisanterie perfide faisant naître le rire au lieu d’exciter l’indignation ; travestissant les vices en défauts brillants, les travers en agréments, les conventions théâtrales excluant la vraisemblance, le caprice des auteurs dénaturant les faits et les caractères ; des sentiments outrés, des mœurs postiches et des maximes bonnes pour amollir les cœurs et égarer l’imagination.
Au milieu des malheurs qui s’accumulent sur nos têtes, cette capitale offre un spectacle singulier par les contrastes ; quelques patriotes déployant dans ces cruelles circonstances l’élévation de leur ame, persistant avec une fermeté courageuse, mais stérile à parler, à agir en hommes libres, tandis que des perfides sacrifient lâchement la patrie à leur fortune, & préférent la splendeur honteuse du moment à la gloire immortelle de retarder du moins la ruine de l’état ; d’autres enfin indifférens rient de tout, & contemplant avec indifférence les événemens qui se passent sous leurs yeux ; ceux-ci se sont égayés au sujet de la puérile dispute qui s’est élevée entre deux grands au sujet des spectacles publics, il s’agit de savoir au nom duquel des deux ils doivent être donnés ou plutôt autorisés (tandis que tous les deux devroient s’y trouver déshonorés). […] On rit beaucoup, on battit des mains ; les Officiers furent bien fâchés de n’avoir pas amené de l’Artillerie pour faire quelque décharge. Le Roi qui étoit instruit de la fête, mais non de la galante contribution que ses troupes avoient levé, vint à Sarfines avec M. le Dauphin & les Officiers généraux pour se divertir, en entrant dans la salle du festin ce coup d’œil le surprit si fort qu’il s’arrêta tout court sur le seuil de la porte pour contempler ce dévôt & galant mêlange ; on lui conta toutes les opérations de cette petite campagne & les conquêtes des Officiers : il en rit beaucoup, félicita les Officiers, & applaudit à l’esprit & au goût de Madame de Maintenon, il se retira quelque temps après & amena avec lui les Dames de la Cour : Je veux , dit-il aux Officiers, vous laisser en liberté avec vos saintes hôtesses, vous n’êtes pas moins bien partagés que moi. […] Germain), à qui tout bonheur je désire, vint aussi aux Italiens bien aimés de nos citoyens ; c’étoit le beau Festin de Pierre, & qui feroit rire une pierre, &c.
Nous savons tous que des chrétiens ne doivent point passer leur vie dans les plaisirs et les divertissements, après avoir ouï les menaces que Jésus-Christ leur fait en ces termes : « Malheur à vous autres qui riez à présent ; parce que vous pleurerez amèrement » ; et ce qu’il y a dans saint Jacques, « Riches versez des larmes, poussez des soupirs et les cris dans la vue des misères qui doivent fondre sur vous ; que vos ris se convertissent en gémissements et votre joie en tristesse. […] Mes chers frères, ne perdons pas malheureusement le temps que Dieu nous donne pour faire pénitence, et pour opérer notre salut : et souvenons nous de cette terrible menace que Jésus-Christ nous fait dans l’Evangile ; « Malheur a vous autres qui riez et qui vous divertissez, parce que vous pleurerez un jour. […] Quel sujet n’aurez-vous pas d’admiration, de ris et de plaisirs, lorsque vous verrez ces Rois, qu’on vous faisait croire avoir été reçus dans le Ciel ; lors dis-je, que vous les verrez pleurants amèrement dans le fond des Enfers, au milieu des ténèbres épaisses, dont ils seront environnés, avec leur Jupiter, et ceux qui ont été leurs panégyristes.
peut-être un jour, la honte de ta famille, l’opprobre de ta Patrie… Va vivre, va remplir tes devoirs : après, reviens, si tu le veux, rire aux dépens de tes égaux. […] La vérité est, qu’il y a des Spectacles blâmables, tels que les Combats de Gladiateurs, les Pyrrhiques obscènes, & quelquefois nos Opéras ; d’indifférens, tels que les Farces, où l’on excite le rire sans blesser la pudeur ; d’utiles, comme la Tragédie, la bonne Comédie. […] Comme l’a dit monsieur Rousseau, de faire rire le Parterre. […] Le Rit Chrétien, le moins cérémonieux qui fut jamais, lorsqu’il fut devenu la Religion des Empereurs, abandonna son appareil simple, & prit, comme les autres, une pompe extérieure. […] Nicole n’en aurait été que plus ardent à condanner le Théâtre : soyons sûrs qu’il nous pardonnerait plutôt des Pièces qui n’excitent que le rire, sans intéresser le cœur, qu’une intrigue attachante, où le sentiment domine.
Ils firent plus : au lieu de faire du moins succéder la joie à la tristesse, ils crurent qu’il falloit faire rire & pleurer tout à la fois. […] Comme il étoit plus aisé de faire rire le Peuple par des jeux de mots, & par des obscénités, que par de fines plaisanteries, la Comédie ne fut qu’indécence & bouffonnerie.
Un Chrétien est révolté de voir les objets de sa vénération servir aux ris du parterre, et métamorphoser en drame au milieu de la dissolution, les mêmes traits de foi et de charité qu’on vient de lui donner dans la chaire pour le modèle et la règle de sa conduite, au milieu de ce que le culte a de plus auguste. […] Voyez cette Actrice ; elle rit, elle pleure, s’irrite, s’apaise ; tantôt les charmes de la douceur, bientôt les emportements de la colère, on la prend tour à tour pour une grande Princesse et pour une misérable soubrette ; c’est une prude qui fait des leçons de modestie, une Agnès, qu’un mot, un regard font rougir ; une coquette qui tend des pièges à tout le monde ; une effrontée qui se permet les paroles, les parures, les manières les plus licencieuses. […] » Elle ne dira pas sans rire, en jouant le rôle de la fille de Jephté, « ut plangam paululum virginitatem meam ».
Les Bouffons appréhendent-ils de faire rire aux dépens de la pudeur ?
Il semble que les Enfans soient tous nés Comédiens, tant on trouve de facilité à leur enseigner le Mimisme : en effet, cet âge est celui des Jeux & des Ris ; tout est prestige, tout est illusion dans cet âge charmant ; & tout ce qui est imitation & faux-semblanta des attraits pour lui : la Comédie, qui n’est qu’une image des mœurs par son intrigue, est aussi la peinture des actions par ses Imitemens, comme elle est celle des manières par ses Modelemens ; cet Exercice doit être par-là doublement utile à la Jeunesse, qu’il prépare à remplir réellement dans la Société, ce qu’elle a feint sur la Scène.
Sur quoi Zonare fait cette réflexion, les règles de la discipline Evangélique, bien loin de permettre aux Fidèles de s'abandonner au relâchement et à la dissolution, elles les obligent à se conduire vertueusement, et sans reproche, pour répondre à la sainteté de la Religion dont ils font profession; c'est pourquoi le Décret de ce Canon défend, et interdit tout ce qui relâche l'esprit, et dissipe son attention par un divertissement inutile qui cause le ris dissolu, et des réjouissances immodestes.
Chacun selon son sexe se représente à son imagination dans ces Spectacles ; on les approuve lors qu'on en rit, et non seulement les enfants-là qui on ne doit point faire gouter le mal, avant même qu'ils le puissent connaître ; mais aussi les vieillards, à qui il est honteux de commettre des péchés qui ne sont plus de leur âge, emportant les vices du Théâtre, s'en retournent plus corrompus en leurs maisons.
Je conviendrai encore, que si j’avais voulu soutenir le contraire, on aurait eu sujet de se moquer de moi ; ses plus grands partisans n’auraient pû s’empêcher de rire des éfforts qu’il m’aurait fallu faire, pour prouver que des défauts sont des beautés. […] Qui pourrait s’empêcher de rire en voyant qu’on fait dire à une jeune fille, qu’un amant flateur, enchanteur, a des armes sûres de leurs coups ?
Ces Ris & ces Jeux ne furent point ramenés sur le Théâtre par Térence Carthaginois, qui acheté comme Esclave par un Senateur Romain, & ensuite affranchi, sur plaire aux Grands de Rome, & si particuliérement au Fils de l’Ancien Lælius, & à Scipion le jeune, qu’on l’accusoit d’être secouru par eux dans ses compositions, plus que par son génie. […] Quelquefois ces Piéces avoient une Morale pour objet : elles n’étoient par toujours obscènes ; mais elles devoient toujours faire rire : elles devoient toujours, comme dit Horace, Risu diducere rictum Auditoris.
Si nous disions la Regina ha la febre, cette expression nous feroit rire ; mais quand nous disons, Soffre di febre assalto, cette transposition, & cette métaphore, annoblissent une maniere de parler qui cesse d’être commune & devient Poëtique. […] De pareils Vers eussent fait rire le Peuple d’Athenes : pourquoi ne nous paroissent-ils pas ridicules ?
D’abord il se moque avec raison de ce prétendu secret, comme si les Novices et les domestiques de la maison pouvaient l’ignorer, et en particulier les Comédiens qui louent les habits, et ne peuvent manquer d’en rire beaucoup, d’en parler volontiers, et de s’autoriser dans leur profession par un pareil exemple, ce qui doit scandaliser le public, déjà trop porté à mépriser les Communautés. […] Là, derrière la grille, toute la Communauté gravement assemblée au son de la cloche, voyait la comédie, et riait de bon cœur.
L’Eminence, à demi endormie, se réveille, rit de cette saillie et lui en sait bon gré, lui envoya le lendemain deux mille livres, et lui donna plusieurs pensions sur des bénéfices, revenu qui certainement ne fut jamais destiné à payer des vers galants. […] Il ne faisait qu’en rire, pourvu qu’on ne touchât pas à la Reine sa femme, pour laquelle il n’était pas traitable.
Aujourd’hui on ne pense pas de même ; on ne va au Théâtre que pour se divertir : on rit à la Comédie, et l’on pleure à la Tragédie, sans songer par quel motif le Poète a voulu faire rire ou faire pleurer ; sans examiner, par exemple, si c’est dans l’intention de corriger, ou d’instruire.
Que l’on chante, que l’on danse, Rions tous, lorsqu’il le faut, Ce n’est jamais trop-tôt Que le plaisir commence.
les distingue encore agréablement, quand il dit, « il faut prendre garde à ce que l'on voit dans le Théâtre ; Car si c'est un Mime on rira ; si c'est un Danseur de Corde on craindra pour lui ; si c'est un Comédien on applaudira. » Mais ce qui doit nous assurer de la distinction de ces Acteurs, est que l'Echafaud qui était dressé dans le Théâtre chez les Grecs, c'est-à-dire dans l'aire, la cave ou l'espace libre de ce grand lieu nommé Théâtre, était composé de deux principales parties ; La première que l'on nommait proprement la scène, et que nous appelons communément le Théâtre, était fort élevée, et c'était où les Acteurs des Poèmes Dramatiques paraissaient au-devant des toiles peintes, et des tapisseries qui en faisaient la décoration, selon la qualité de la pièce que l'on jouait dans l'espace libre nommé Proscenium ou avant-scène ; et l'autre était plus basse, nommée Orchestre, c'est-à-dire un lieu pour danser, où les Histrions faisaient leurs dansesαὕτη δὲ ἔστιν ὁ τόπος, ὁ ἐκ σανίδων τὸ ἔδαφος.
Ils veulent être remués, agités, vivement excités, à condition toutefois que ce ne soit pas en leur inspirant des remords, en faisant porter leur terreur et leur pitié sur leur propre misère, mais seulement en les attachant à de vaines fictions, où l’ombre qu’ils poursuivent puisse leur faire oublier la réalité ; où on les intéresse par le spectacle de passions et de malheurs qui ne soient ni trop loin d’eux ni trop près, et qu’ils puissent envisager sans un retour douloureux et pénible sur leur propre cœur ; à condition encore que, si on veut les forcer à rire de leurs propres faiblesses, ce soit sans ôter à leurs passions les espèces de dédommagements qui leur importent le plus sans faire souffrir leur orgueil, si ce n’est peut-être dans la peinture de quelques vices que tout le monde abhorre, et qu’on charge si bien que personne ne peut s’y reconnaître.
Le moindre effet que leur représentation produise est d’amollir le courage pour la vertu, et d’écarter les spectateurs de l’exactitude qu’ils devraient avoir dans les exercices de la piété, de remplir leur esprit de vanités frivoles, et de les livrer à des ris immodérés qui sont si contraires aux lois de la modestie.
Un gazettier raconte sans rougir, mais non pas sans rire : On a assisté au te Deum, à la messe, au sermon ; de là on est allé à la comédie.
Malheureusement les Poètes ont pris un autre chemin, qui sans contredit s’éloigne infiniment du but de la farce, et qui cependant réussit quelquefois, parce qu’ordinairement leurs Pièces sont pleines de traits de médisance sous le nom de critique ; Et par la raison que la passion d’amour la plus irrégulière plaît sur le Théâtre aux Spectateurs corrompus, de même la médisance ou la satyre y et applaudie et y fait rire, à cause de la méchanceté du cœur humain qui n’aime que trop à entendre déchirer son prochain.
Voltaire dit, qu’on s’étoit accoutumé à ce fracas ; mais qui s’accoutume, si l’amour du théatre ne l’a rendu stupide & insensé, à rire, à jouer, au milieu des bombes, & des canons, ayant la mort de tous côtés ? […] Louis XIV devoit rire des fadeurs de ses maîtresses, & de ses comédiens ; comme îl dût rire des fleurettes de Dangeau, quand il en fut instruit.
Un amateur du théatre rira de ma morale. […] On connoît un homme à le voir, dit le Sage ; la maniere de se présenter, de marcher, de rire, de s’habiller, font son portrait : In visu cognoscitur vir, & ab occursu faciei ; amictus corporis, risus dentium, ingressus hominis, anuntiant de illo. […] Une actrice qui voudroit se la donner, feroit rire le parterre, & jouer tous les siflets.
ce qui lui tenoit lieu de différens masques ; il accompagnoit ses discours de grimaces qui faisoient rire. […] On a beaucoup ri, la farce a réussi parfaitement ; le pour & contre sont bien reçus dans les Etats de Thalie ; après tout, c’est rendre justice à Arlequin, il mérite bien des jeux séculaires, il vaut bien en son genre les plus grands poëtes ; son nom est beaucoup connu ; une infinité de piece toute sur Arlequin, & il regne sur tous les Théatres de l’Europe, il faut bien du génie, de souplesse, d’adresse, de finesse pour être un parfait Arlequin ; son nom a passé en proverbe : honneur que n’ont pas reçu les plus grands maîtres. […] Les fadeurs puériles sont semées de quelque jeu de mots qui sont rire, de quelques bons airs qui plaisent, & de traits de satyre qui piquent, ç’en est tout le mérite.
L’un et l’autre se rient des Dieux et appellent Mars et Vulcain, Les deux bouffons du Ciel. […] D'Urfey avance, et se rit de la vérité de la Résurrection des morts : « Dormez, livrez-vous au sommeil, et ne vous avisez pas de rêver que jamais vous ressusciterez. […] Je n’en doute nullement ; je ne conçois pas même comment le Mécène aura pu s’empêcher de rire tout à fait à un pareil compliment. […] Cependant, vous les écoutez avec plaisir, bien loin de les entendre avec répugnance ; vous en riez bien loin de les blâmer : vous les recherchez, bien loin de les abhorrer…. […] Quels effets d’ailleurs peut avoir le secours de la divine parole pour ceux qui sont plus préparés à rire du Prédicateur qu’à pratiquer ce qu’il enseigne ?
Les actionnaires furent les chercher, & les conduisirent en pompe, à la salle de spectacle, mais non pas sans rire, & on leur donna la comédie. […] On y censure tout le monde avec impunité, même les malversations & les sottises des hommes en place ; ils ne s’en corrigent pas ; mais ne s’en fâchent pas ; & prenent le parti d’en rire comme les autres.
Les lazzis et niaiseries de ce personnage, que le peuple nommait grimpe sur l’air, faisaient rire tous les assistants, qui confondaient leurs exclamations avec le chant de la messe. […] Tant que le repas durait, il était défendu à saint Pierre et aux apôtres de parler et de rire. […] Elle est habillée en dévote, et d’une manière convenable au personnage qu’elle joue ; devant elle un jeune homme alerte, qui représente le diable, fait mille sauts et mille cabrioles, et tâche, par ses gestes bouffons, de faire rire la prétendue sainte qui, de son côté, s’efforce de conserver la gravité qui convient à son caractère et à la cérémonie ; de jeunes filles viennent ensuite, portant l’image de la sainte Vierge. […] Les uns étaient masqués, ou avec des visages barbouillés qui faisaient peur ou qui faisaient rire ; les autres en habit de femmes ou de pantomimes, tels que sont les ministres du théâtre. […] Une circulaire que l’université de Paris écrivit aux prélats et aux églises de France, en 1444, porte que dans le temps même de la célébration de l’office divin, les ecclesiastiques y paraissaient les uns avec des masques d’une figure monstrueuse, les autres en habit de femmes, de gens insensés et d’histrions ; qu’ils élisaient un évêque ou un archevêque des fous, qu’ils le revêtaient d’habits pontificaux, lui faisaient donner la bénédiction à ceux qui chantaient les leçons des matines, et au peuple ; qu’ils faisaient l’office et y assistaient en habits séculiers, qu’ils dansaient dans le chœur et y chantaient des chansons dissolues, qu’ils y mangeaient jusque sur l’autel, et proche du célébrant, qu’ils jouaient aux dés et faisaient des encensements avec la fumée de leurs vieux souliers qu’ils brûlaient, qu’ils y couraient et dansaient sans aucune honte, qu’ensuite ils se promenaient dans les villes, sur les théâtres et dans des chariots, à dessein de se faire voir ; et qu’enfin pour faire rire le peuple, ils faisaient des postures indécentes, et proféraient des paroles bouffonnes et impies.
On rit des ridicules, des foiblesses qu’on ne voit que hors de soi.
La Comedie est un divertissement, qui flatte les sens ; on y passe agréablement quelques heures, elle fait succeder la joye & les ris aux soins épineux & desagréables qu’on trouve chez lui ; & on s’y delasse de la fatigue, qui incommode dans le menage.
Mais faisons bien, Monsieur, et laissons rire.
Mais comme notre nation a toujours aimé le mot pour rire, on ne tarda pas à trouver que les mystères étaient un peu graves ; et les confrères, pour varier le spectacle, s’adjoignirent insensiblement quelques bons fils de famille ou enfants sans souci, comme il y en a dans tous les siècles, qui se chargèrent d’égayer ceux dont les saints tableaux avaient rembruni l’imagination ; de sorte qu’au seizième siècle s’introduisit presque généralement l’usage de représenter les histoires du Vieil et du Nouveau Testament avec la farce au bout, pour recréer les assistants.
Les italiens ont plus de foule, on y rit davantage : les plus sages arrangemens feroient de les supprimer tous. […] Le journal de Geneve, avril 1776, rapporte le même évenement, l’attribue au théatre ducal de Milan, l’un des plus vastes & des plus beaux de l’Europe, on ajoute la comédie donnée avant le bal On croit excuser un peu le péché, en disant qu’ Milan, selon le rit ambroisien, le carême ne commence que le premier dimanche du carême : ce qui est vrai. […] Ils s’aiment éperduement pendant cinq ans, d’un amour platonique qui n’effleure pas même la modestie : prodige qu’il exprime par un galimatias néologique qui fait rire. […] Si la fadeur des éloges gigantesques fait rire ; leur objet, dont l’irréligion a tant abusé, nous étonne & nous fait gémir.
& l’on n’y va que pour s’abandonner à des ris immoderez. […] Et si à force de se dissiper & de s’étourdir elle y dure quelque temps, du moins après la réflexion chacun y peut dire avec le Sage ; J’ay condamné le ris de folie, & j’ay dit à la joye, pourquoy vous trompez-vous si vainement ? […] Ils défendent la comedie, parce, disent-ils, que le Chrétien doit bien moins rire que pleurer.
Les acteurs & les actrices rassemblés, écoutent tout sans être apperçus, & rient de leur Concierge. […] Les siffleurs ne voulurent ni rire ni pleurer ; ce qui donna lieu à ce refrain d’un vau-de-ville entre Richard & les trois Roses, décide si tu peus, & choisis si tu l’oses ; ni l’une ni l’autre n’ont encore fait gémir la presse, & si l’auteur est sage, elles demeureront dans son porte-feuille. […] On a ri de cette chûte ; mais mal à propos.
Mais comprend-on comment on pouvoit entendre les acteurs & la musique, voir les danses & les gestes, suivre le fil de l’intrigue, le dénouement de la piéce ; car pour les graces des actrices, l’architecture savante des boucles des cheveux, la fraîcheur du rein ; il faudroit un télescope de Londres, au milieu de cette cohue, de ce cahos qui étourdit, qui fatigue, qui assomme l’esprit, l’imagination, les yeux, les oreilles, & fait rire de l’adulation ; qui y trouve un sentiment délicat, & y admire l’éclat des talens & des arts ? […] Ces plates bouffonneries peuvent faire rire quelque poliçon du College, ou quelque décroteur du Pont neuf.
Nos faiblesses, nos folies mises en action, nous font rire de nos propres égaremens.
On voit même que dans les conversations du monde poli uneparole sale ne fera pas tant rire qu’une parole enveloppée de plusieurs sens. […] Or je vous demande, puisque vous l’avez vue, où était dans l’expression le mot pour rire, si ce n’est dans le geste et dans la posture indécente de l’Acteur. […] Ou si vous voulez en juger plus favorablement, ce seront des gens qui par le caractère de leur esprit et par leur tempérament, ou par le dégoût des plaisirs ou par leur âge seront supérieurs et insensibles à certaines choses qui en toucheront d’autres : car ne voit-on pas tous les jours des personnes qui seraient bien fâchées de rire de ce qui fait rire les autres. […] Chacun selon son sexe se représente à son imagination dans ces Spectacles ; on les approuve quand on en rit, « ac se quisque pro sexu in illis imaginibus praefigurat, probantque illa dum rident ». […] Celles dont Salvien leur parle, c’est qu’ils ne se contentent pas de rire et de se divertir, si leur joie n’est mêlée avec le péché, la folie et les impuretés. « Nobis autem ridere et gaudere non sufficit, nisi cum peccato et insania gaudeamus, nisi risus noster impuritatibus misceatur.
Ajoûtez à ces belles règles une multitude d’invectives, de sarcasmes & de grossieretés contre les maîtres, les pères, les maris, de loup-garoux, d’Argus, de Turcs, de vieux foux, de dragons, d’esclaves, de verroux, de grilles, &c. qui ne sont rien moins que des traits d’esprit, jargon dont on déclare gravement qu’il ne faut que rire, que toute la jeunesse apprend par cœur & emploie à tout moment, vous aurez une analyse exacte de l’école du théatre, & des mariages à la Moliere. […] Tout le théatre de Moliere est également ennemi du mariage ; par-tout quelque infidélité dont on rit, des maris & des femmes qui s’insultent, se maudissent, se battent, dont on badine ; des enfans révoltés contre leurs parens qui s’engagent sans leur aveu, les trompent, les volent, les forcent à se rendre à leur folle passion ; des domestiques fripons, des fourbes, des hommes d’intrigue, qu’on récompense.
Mais ces affreuses ruines ne favorisent guère les jeux, les ris, les amours, dont une imagination galante est toujours occupée, & la passion à laquelle elle sacrifie tout. […] Mais ce qui fait peur à un enfant de quatre ans, fait rire des filles de dix-huit, & fait pitié au spectateur.
il n’y a point de mal, on y apprend à vivre dans le monde ; mais prenez garde qu’il n’y a rien d’innocent dans ces divertissements qui sont souvent des occasions prochaines de péché à ceux qui s’y trouvent, sans avoir mauvaise intention, parce que les comédiens d’aujourd’hui sont semblables à ceux dont parle Sénèque, qui corrompaient de son temps les mœurs, sous le beau prétexte de les reformer, et qui sous couleur de reprendre le vice, l’insinuaient adroitement et avec artifice dans les esprits des spectateurs, et qui voulant corriger les hommes en les divertissant, les perdent en les faisant rire, et meurent par cette fausse joie, comme ceux qui ont mangé de l’herbe Sardoniquec, selon la remarque des Naturalistes. […] [NDE] Il s’agit d’une herbe toxique, sans doute l’œnanthe safranée, qui pousse uniquement en Sardaigne et qui fait mourir en contractant les muscles de la bouche, d’où vient l’expression « rire sardonique ».
L’Abbé Pélegrin, dans son humble préface de l’Opéra de Jephté, a beau demander grâce au lecteur qu’il fait rire ; il assure qu’il n’a mis qu’en tremblant sur le théâtre de l’Opéra une pièce tirée de la Bible. […] Qui peut ne pas rire entendant une Comédienne dire fort dévotement à Dieu : « Pour moi que tu retiens parmi ces infidèles, Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles ; Que cette même pompe où je suis condamnée, Ce bandeau dont il faut que je paroisse ornée, Dans les jours solennels à l’orgueil dédiés, Seule et dans le secret je les foule à mes pieds ; Qu’à ces vains ornements je préfère la cendre, Et n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre. » Athalie eut d’abord le même sort, dit la Baumelle, par la même raison.
Je ne sais si l’on peut plus vivement et plus ingénieusement peindre et le mérite personnel de Roscius et la bassesse de sa profession : « Cum Roscius artifex hujusmodi sit, et solus dignus videatur qui in scena spectetur, tunc hujusmodi vir probus, ut solus dignus videatur qui eo non accedat. » Je ne puis m’empêcher de rire quand j’entends l’éloge de la comédie sur les leçons de morale qu’elle débite et les exemples de vertu qu’elle donne. […] Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’en 1588 les Comédiens Italiens, attirés par la Reine Catherine de Médicis, obtinrent des lettres patentes, et les présentèrent au Parlement pour les faire enregistrer ; mais malheureusement le Parlement alors n’avait pas envie de rire.
Le monde le plus-brillant n’a pas le goût moins dépravé, & les femmes qui rient sous l’éventail ne sont pas les plus chastes vestales. […] Tout à coup le cabinet s’ouvre, le procureur général sort, & se mit à rire de la saillie du candidat ; ses conclusions ne furent pas données. […] De tout le monde, des gens les plus distingués à la cour, à la ville, de tous les poëtes dont la veine coule pour eux à grands flots, de tous les écrivains périodiques qui embouchent pour eux la trompette, & font connoître dans tous les royaume des noms obscurs faits pour rire, Clairon, la Hus, le Kain, &c.
L’Homme ennemi du Genre Humain, Le Campagnard qui tout admire N’ont pas lû tes Ecrits en vain : Tous deux s’y sont instruits en ne pensant qu’à rire.
Tout l’étonne, mais il n’applaudit qu’à ce qui excite le rire, ou qu’à ce qui le pénétre d’attendrissement & d’horreur.
Bien loin de s’en fâcher, il faudroit en rire, (à mon avis, du moins sauf un meilleur.)
Mais aujourd’huy, comme je vous l’ay marqué tout au long dans l’Entretien du cercle, presque tout le monde aime à railler, & à rire, aux dépens des bonnes mœurs, de la pureté, & de la Religion ; c’est l’esprit empoisonné du temps, qui se répand, & se glisse par tout ; on l’aime en soy, on l’aime dans les autres, & ceux qui sçavent mieux s’en acquitter, sont les plus applaudis.
Grands Auteurs quittez la Lyre, Et cessez de travailler ; A présent on aime à rire, Le Sublime fait bâiller ; C’est le tic, tic, tic, tic, C’est le tic du Public.
L’autre plus enjoué fronderait décemment les ridicules, et ferait l’amusement de ceux qui ont besoin de rire pour se distraire des occupations sérieuses auxquelles leur état les destine.
Toutes ces choses devraient donc porter ceux qui les voient, non pas à rire, mais à pleurer.
Vous cherchez à rire, poursuit-il, et vous êtes les Disciples de Jésus-Christ, dont personne n’a jamais écrit qu’on l’ait vu rire, au lieu que nous savons qu’il a pleuré. […] Saint Thomas ensuite parlant des Jeux, examine si dans les mots pour rire ou dans quelque autre divertissement, il peut s’y rencontrer un excès qui aille au péché. […] », que tout ce qu’on fait devant être réglé par la raison, les mots pour rire et tous autres jeux, peuvent tomber dans cet excès ; parce qu’ils peuvent n’être pas conformes à la règle. […] Le rire immodéré est compté parmi la première espèce de gourmandise, lorsqu’au sortir de table, on va aux spectacles qui portent à un rire insensé et illicite. « Risus immoderatus est prima species gulæ, quando saturati de mensa evadunt ad spectacula per quæ moventur ad stultas et illicitas risiones. […] Ce qui est constant, c’est que sa mort est une Morale terrible pour tous ses Confrères, et pour tous ceux qui ne cherchent qu’à rire.
L’ennui profond d’une ame sterile perce à travers leur rire d’étiquete ; empoisonnés dans un cercle d’intrigues qui les dégradent, ils vieillissent en pirouétent. […] A quoi pensez vous, lorsque sans pudeur vous courez, riez, parlez dans nos Temples, interrompant les Fidéles dans leurs priéres, & les Prêtres dans leurs fonctions ?
Personne ne l’a lu sans rire. […] (Un petit sentier) tout cela est ridicule ; mais n’en rions pas trop, nos parures ne le sont guere moins. 3°.
Ce spectacle auroit fait rire à Paris ; on eût cru insensés ces prédicateurs singuliers, on les eût traités de fous. […] Le peuple qui entend de loin une belle voix, ne peut pas distinguer de quel gosier elle part, l’attribue à son pasteur, & admire la beauté de son organe, sa science musicale, & la finesse de ses inflexions : le clergé qui l’environne en rit.
Si je le pensois, cette cruelle catastrophe, au lieu de m’intéresser, de remuer mes entrailles, me feroit rire.
Mais aujourd’huy, comme je vous l’ay marqué tout au long dans l’Entretien du Cercle, presque tout le monde aime à railler, & à rire, aux dépens des bonnes mœurs, de la pureté, & de la Religion ; c’est l’esprit empoisonné du temps, qui se répand, & se glisse par tout ; on l’aime en soy, on l’aime dans les autres, & ceux qui sçavent mieux s’en aquitter, sont les plus aplaudis.
Notre goût déterminé pour le léger, le vif, le badin, & nos mœurs mêmes, nous empêcheront toujours d’estimer fortement la Pastorale : des peintures si douces, si tranquilles, nous causent bientôt un ennui mortel, ou nous font rire à force d’être naturelles, comme il arriva dans la Bergère des Alpes du Théâtre Italien,(12) lorsque l’on vit deux Bergers boire du laid, ou manger de la bouillie.
Et davantage le Magistrat a tellement l’œil à ces ébats que ceux qui disent ou font des actions qui offensent la pudeur ou les bonnes mœurs sont sévèrement châtiés encore que par joyeuseté il y ait toujours quelque personnage destiné à donner du plaisir et à faire rire la compagnie soit par les points et les rencontres de ses mots, soit par ses grimaces, soit par ses sottises et badineries, mais toujours sans préjudice de l’honnêteté et de la modestie.
N’auroit-il pas dû rire d’une pareille proposition ?
Voltaire s’en plaint amérement dans son Œdipe ; on me rit au nés, quand on n’y vit pas une intrigue d’amour.
Ceci est bon une fois, la vraisemblance le permet ; quand on y revient à plusieurs reprises, on risque de faire rire les Spectateurs.
Je ne sais pas comment on peut lire cet endroit sans s’empêcher de rire, mais je sais bien que l’on n’a jamais repris les inconstants avec tant d’aigreur et qu’une maîtresse abandonnée ne s’emporterait pas davantage que cet observateur, qui prend avec tant de feu le parti des belles.