Il joue supérieurement tous les rôles tragiques & comiques.
Près de là, et vis-à-vis un jeu de paume, décoré jadis des armes d’un fils de France, où je jugeai plus d’un coup dans ma jeunesse, je vis un nouveau bâtiment, pour moi du moins, qu’on me dit être les anciens grands Danseurs du Roi58 qui, sous le titre de la Gaîté, titre qui n’engage à rien, ont enterré dans le coffre d’Arlequin mort et vivant59 les farces qui les soutinrent, pour singer, dans d’extravagantes actions, étayées d’une belle décoration, qui fait souvent tout le mérite de ce qu’on veut bien appeler un ouvrage, les premiers talents de notre scène tragique.
Pour ce qui est de Lactance, il condamne les Spectacles par des raisons particulières qu’il explique en détail au Livre 6 des Institutions divines Chapitre vingtième71 « Je ne sais, dit-il, s’il se peut trouver une plus grande corruption que celle qui se rencontre dans les Comédies : car il y est fait mention des violementsb de vierges et des amours de femmes débauchées, et plus l’éloquence des Auteurs de ces fictions de crimes est forte, et plus les auditeurs en sont touchés et persuadés par la beauté du style, leur mémoire retient plus facilement ces vers d’une belle cadence ; les histoires tragiques qui y sont représentées, leur mettent devant les yeux des parricides, des incestes et d’autres crimes qui sont les sujets des Tragédies. […] La mère de cette Sainte, dit ce Père, avait un grand soin de la faire instruire, et entre autres choses elle ne lui permettait point de lire les Fables, ni les Comédies : « Car108 elle regardait, dit-il, comme une chose honteuse et tout à fait indécente, de gâter un esprit bien élevé et encore tendre par toutes ces tragiques histoires de femmes dont les Fables des Poètes sont remplies, ou par les saletés qui se trouvent dans les Comédies ».
On ne voit pas régner, dans ce nouveau tragique, Tout le faux merveilleux de la vertu stoïque. […] De même que la lecture des Romans rend l’esprit romanesque, l’assiduité au Théatre rend aussi l’ame tragique. […] « De quelque sens qu’on envisage le Théatre dans le tragique ou le comique, on voit toujours que devenant de jour en jour plus sensibles par amusement & par jeu, à l’amour, à la colere, & à toutes les autres passions, nous perdons toute force pour leur résister, quand elles nous assaillent tout de bon ; & que le Théatre animant & surmontant en nous les dispositions qu’il faudroit contenir & réprimer, il fait dominer ce qui devoit obéir ; loin de nous rendre meilleurs & plus heureux, il nous rend pires & plus malheureux encore, & nous fait payer aux dépens de nous-mêmes le soin qu’on y prend de nous plaire & de nous flatter. […] « La même cause qui donne dans nos Pieces tragiques & comiques l’ascendant aux femmes sur les hommes, le donne encore aux jeunes gens sur les vieillards ; & c’est un autre renversement des rapports naturels qui n’est pas moins repréhensible, puisque l’intérêt y est toujours pour les amans. […] Je réponds, que quand cela seroit, la plupart des actions tragiques n’étant que de pures fables, des événemens qu’on sçait être de l’invention du Poëte, ne font pas une grande impression sur les Spectateurs….
Ce qui a fourni la matiere de plusieurs tragédies, bonnes ou mauvaises, & qui traitent avec raison de tiran & de monstre, ce même Prince que leurs Préfaces appellent grand, & à qui la protection éclatante qu’il a accordé au théatre, devroit procurer quelque ménagement de la part des poëtes tragiques.
&c. c’est un amphigouri de toutes sortes d’idées tragiques, ramassées çà &c là, & entaffées sans goût & sans ordre, contre la vérité, & sans vraissemblance.
la modestie & le recueillement des gens de bien à l’Église, les nudités, l’effronterie des Actrices sur la scène, la piété des cantiques, la sainteté des Sermons, & l’orgueil du tragique, la licence du comique ; l’un est l’ouvrage de la grâce, & mène à la vie, l’autre est le chef-d’œuvre du vice, & conduit à la mort.
Le Comique et le Tragique prennent une route différente ; mais ils doivent toujours aboutir au même terme.
Je ne sache pas que les Catholiques aient usé de représailles, et vraisemblablement ils n’auraient pas mieux réussi, quoiqu’ils eussent trouvé une matière abondante dans les fureurs du Baron des Adrets, la morale licencieuse de Bèze, la polygamie du Landgrave, les bouffonneries et le mariage de Luther, les amours tragiques d’Henri VIII, dans la papauté d’Elisabeth, Papesse de l’Eglise Anglicane, bien mieux que dans la chimérique Papesse Jeanne, puisque celle-ci, fût-elle aussi réelle que Blondel la démontre fausse, elle ne l’eût été que par hasard, trompant par son déguisement, au lieu qu’Elisabeth le fut publiquement, par système, pendant tout son règne, ce qui eût bien valu le Pape de paille que l’on brûlait tous les ans à Londres en cérémonie.
L’Histoire de Judith plaira, parce que outre ce qu’il y a de tragique, cette sainte Héroïne est dépeinte comme une belle femme, elle se pare.
Je sais bien que les Phœdres, les Sémiramis, les Cléopatres, les Messalines, les Armides, les Angéliques, sans compter les Déesses Venus, Diane, Junon, Flore, &c. en un mot toutes les Héroïnes du théatre dans le tragique les Isabelles, les Eléonor, les Lucile, &c. dans le comique, pensent différemment, & que celles qui jouent leurs rôles croiroient manquer au Costume, perdre une partie de leurs graces, & rendre mal leur personnage, si elles ne prennoient les sentimens, & n’imitoient la conduite des Princesses qu’elles représentent.
Que sera ce des pieces du Sieur Arnaud, Comminges, Euphemie, Merinval, Fayel, du sombre pathétique, dont il fait un art particulier, qu’il prétend être le véritable esprit de la scene tragique ?