« Telle est la corruption du cœur de l’homme, mais telle est aussi celle du Poète, qui après avoir répandu son venin dans tout un Ouvrage d’une manière agréable, délicate et conforme à la nature et au tempérament, croit en être quitte pour faire faire quelque discours moral par un vieux Roi représenté, pour l’ordinaire, par un fort méchant Comédien, dont le rôle est désagréable, dont les vers sont secs et languissants, quelquefois même mauvais, mais tout du moins négligés ; parce que c’est dans ces endroits qu’il se délasse des efforts d’esprit qu’il vient de faire en traitant les passions. […] Mais il ne croit pas que sa vertu soit dans un degré assez haut, s’il ne fait monter sa piété vers Pompée, jusques à l’impiété et au blasphème envers les Dieux de l’antiquité ; car il la fait parler dans la première Scène du cinquième Acte aux cendres de son mari, en cette manière ; « Moi je jure des Dieux la puissance suprême, Et pour dire encore plus, je jure par vous-même ; Car vous pouvez bien plus sur ce cœur affligé, Que le respect des Dieux qui l’ont mal protégé. » Et sur la fin de la Scène quatrième du même Acte : « J’irai, n’en doute point, au partir de ces lieux, Soulever contre toi les hommes et les Dieux : Ces Dieux qui t’ont flatté, ces Dieux qui m’ont trompée, Ces Dieux qui dans Pharsale ont mal servi Pompée, Qui la foudre à la main l’ont pu voir égorger : Ils connaîtront leur crime, et le voudront venger ; Mon zèle à leur refus, aidé de sa mémoire, Te saura bien sans eux arracher la Victoire. » « Ce serait une fort méchante excuse à cette horrible impiété, de dire que Cornélie était Païenne ; car cela prouve seulement qu’elle se trompait, en attribuant la divinité à des choses qui ne la possédaient pas : mais cela n’empêche pas que supposé qu’elle leur attribuât la divinité, elle n’eût pas des sentiments effroyablement impies. […] Hédelin qu’on en croit l’Auteur, s’applique à faire voir que les Spectacles des anciens ont fait une partie de la Religion Païenne, et que la représentation des Comédies et des Tragédies était un Acte de Religion.
Après bien des réfléxions, j’ai cru découvrir que le vrai genre du Théâtre moderne était le bas & le burlesque.
Pour les Excuser, je veux croire qu’ils manquent plûtost d’habitude que de cœur, que leur defaut vient plustost de leur Ecole que de leur naturel ; & qu’enfin ils sont plus propres à la Galanterie qu’à la Guerre, parce qu’ils ont esté plus assidus à la Ruelle qu’au Camp, & qu’ils ont employé plus de temps à faire l’Amour qu’à faire leurs Exercices.
Huet 9, sous-précepteur du dauphin, crut aussi devoir payer un juste tribut d’éloge à la mémoire du père de la comédie française.
Je ne parlerai point des Scènes d’amour qui, peut-être, leur apprendront, pour la première fois et toujours trop tôt, à connaître cette passion ; car, quand même il serait vrai de dire que, tôt ou tard, il faut bien qu’ils la connaissent, (ce que je suis très éloigné de croire) il n’y aurait pas pour cela moins d’inconvénient et, si je l’ose dire, moins de cruauté à leur donner, sur une matière si délicate, des leçons prématurées et du moins infiniment dangereuses, et à leur faire courir le risque de perdre leur innocence, avant même qu’ils sachent quel est son prix, et combien cette perte est affreuse et irréparable.
C’est en suivant ces principes et en prenant ces précautions que l’on écrit et que l’on représente tous les ans dans les Collèges des Poèmes dramatiques ; et, loin de croire que ces Pièces soient capables de corrompre les mœurs des jeunes gens qui les jouent, ou de gâter l’esprit des Spectateurs, je pense, au contraire, que c’est un exercice honnête, dont les uns et les autres peuvent retirer une véritable utilité.
On crut, à la Cour, que la défense du Pape étoit une satyre de ces deux plaisirs du Roi. […] Il faut croire qu’on insera leurs noms dans les registres de l’Hôtel-de-Ville de Toulouse, pour en conserver la mémoire ; car trois siécles après, il a plu à Goudouli, poëte Toulousain, de célébrer ce grand événement dans son patois eu style de Scarron, qu’on trouve plein d’agrément dans le pays. […] Je crois que le maître à danser du Bourgeois Gentilhomme, avoit pris dans cette loi les grandes idées qu’il avoit de la danse. […] Une actrice de la comédie Italienne, eut une indigestion, on la crut morte, & on s’empressa de la couvrir d’un drap mortuaire, & d’allumer des cierges au tour d’elle ; elle en revint, mais elle fut si frappée de ce lugubre spéctacle, qu’elle mourut de frayeur ; bientôt après Montagne appelle la mort un acte à un seul personnage , & prétend que ce sont les mines & les appareils effrayans de la mort, qui font plus de peur qu’elle.
A les en croire, ils ont fait par-tout des prodiges. […] Quand on entra le matin dans sa chambre, on crut qu’elle dormoit. […] Il faut avoir des idées bien singulieres de la décence, pour le croire, & se flatter de le persuader aux gens de bien. […] Ce langage est sur-tout dangereux dans un siécle où d’un côté les impiétés sont communes, & de l’autre le luxe, bien loin de passer pour un crime, est regardé comme avantageux à l’Etat, où l’on en fait l’apologie, où l’on s’en fait une loi de décence, une sorte d’étiquette attachée à la dignité, à la fortune, à la noblesse, & où les plus moderés ne le croient qu’une faute legere.
Il y a plusieurs erreurs de fait qu’un Académicien n’auroit pas dû faire, mais qu’on a cru y avoir été mises à dessein pour dépayser les lecteurs, afin qu’ils ne pussent en connoître les Auteurs. […] On croit aujourd’hui l’amour une partie si essentielle des plaisirs publics, qu’on ne peut goûter de spectacle que cette passion criminelle n’anime toute l’action ; une jeune personne y voit, y entend tout ce qu’on trouve dans le monde le plus corrompu, & souvent davantage ; elle y voit le vice arrangé, combiné avec art, embelli des graces les plus séduisantes ; elle y voit justifier, applaudir, louer ce qu’on cache avec soin quand on succombe. […] Les habitans croient avoir droit de faire le choix, ils offrent même par accommodement d’en choisir trois, sur lesquelles le Seigneur fera son élection. […] On revient fatigué, harrassé, incommodé ; on dit qu’on s’est bien amusé, on croit s’être bien diverti.
Il croit voir l’ombre, le spectre de son amante, comme son portrait. […] L’amour étoit autrefois croit, la nudité en étoit presque couverte & dégoûtoit en vice. […] Selon l’expression de sa servante, lorsqu’on voulut lui porter les Sacremens, dont tout le monde faisoit si peu de cas, qui, ni Louis XIV, qui recompensoit tous les gens de lettres, ne pensa à lui, ni l’Académie ne songea à l’adopter, ni Boileau, qui étoit lié avec lui, & avoit vu ses ouvrages, ne le crut digne ni de ses satyres, ni de ses éloges, & lui-même fit brûler ses contes divins dont il fit une sincere pénitence. […] Moi-même ému de tes propos lassifs, Je crus sentir, plein d’une aimable yvresse, Un air plus doux & des charbons moins vifs, De tes accords, l’harmonieuse adresse, Humanisa ma sombre austerité, Et sur mon front, siege de la tristesse, On vit, dit-on, briller la volupté.
La transporter du théâtre à notre chaire, c’est, je crois, mes chers auditeurs, ennoblir, sanctifier la chaire française. […] Que peuvent donc avoir de coupable aux yeux de Dieu les pleurs que nous versons avec Andromaque, avec Iphigénie, et les sanglots que nous arrache le désespoir de Clytemnestre, quand sa fille, sa fille chérie, enlevée à ses embrassements, marche à l’autel pour y être sacrifiée à l’ambition de son père par la main d’un prêtre… Que peut avoir de coupable aux yeux de la divinité notre rire, à la brusquerie d’un tuteur justement trompé ; celui qu’excite le désespoir d’un avare qui se croit volé, se fouille lui-même, interroge tout ce qui l’entoure, et nous aussi spectateurs ? […] Les théâtres, si on veut l’en croire, ne sont que les Propylées de l’enfer. […] Nous, toutes les fois que les voix de ces hommes et de ces femmes (comme ils les appellent) viennent religieusement, spontanément s’unir à nos cantiques, nous nous en félicitons, et nous croyons qu’accompagnés de leurs chants mélodieux, ces hymnes s’élèvent vers l’Eternel comme un encens plus agréable.
Il suffit même, que les objets ne soient plus à la nature pour qu’ils plaisent : & l’art n’a pas plûtôt déployé ses soins sur le moindre, qu’on le croit embelli. […] Non assurément : on regarde l’ouvrage comme un morceau de Peinture, ou de Poësie faits pour plaire ; & quand il réussit, on se persuade avoir lieu de croire que l’Orateur est content. […] Je ne prétend point cependant exclure de ces Cotteries le sens & la raison que le Philosophe vante ; mais je crois que pour les y trouver, il faut s’y prendre de bonne heure. […] Et ce mal si célébre, ce poison si terrible, le croiroit-on, c’est l’amour : comme si de quelque façon qu’il soit manié, il pouvoit jamais avoir l’ombre de danger ; qu’on l’offre avec ses nudités : quelle est l’oreille ou l’œil qui s’y prêtera ? […] Quel rapport y a-t-il entre tous ces jeux différens que le Théâtre fournit, & les impressions subites & brusques dont on croit un cœur innocent & serein aussi-tôt susceptible.