Il confesse que les premiers Romains n’avoient pas de Spectacles, ce qu’il attribue à leur barbarie ; (p. 121) nos Peres les Germains, ajoute ce grand appréciateur des choses, nation aussi féroce, n’avoient pour Spectacles que la danse des jeunes gens sur des épées nues. […] Saint Augustin raconte2 que les Censeurs, Crassius & Valerius Messala, avoient loué aux Histrions un Théâtre que Scipion Nausica fit démolir par ordre du Sénat, qui veilloit à la conservation des bonnes mœurs : ce fut Pompée qui le rétablit. Avant cette époque, les Spectacles n’avoient point eu de consistance dans la Capitale de l’Empire romain. […] Cet Historien célébre est fort éloigné d’envisager, ainsi que le sieur de la M… l’éloignement que les Germains avoient pour toutes sortes de Spectacles, comme un effet de leur barbarie ; il attribue à cette sage abstinence l’intégrité de leurs mœurs.
Saint Augustin représente aux Romains qu’un de leurs Citoyens a été plus sage que leurs Dieux, puisqu’il a condamné des Spectacles qu’ils avoient établis pour honorer leurs Dieux. […] Les Comédiens pour être applaudis avoient des gens apostés dans l’assemblée. […] Les unes avoient un son aigu, les autres un son grave. […] César fit construire le premier sur l’idée qu’avoient donnée les deux Théâtres mouvans de Curion, dont j’ai parlé. […] Quintilien qui rend justice à Plaute & à Terence, remarque que ces deux Poëtes auroient bien plus de grace, s’ils n’avoient employé que des Vers trimetres.
Ainsi les Grecs avoient fait d’abord ce que tant d’autres Nations ont fait depuis, un mélange du sérieux & du bouffon. […] Les premiers avoient été de planches qui se montoient & se démontoient à la hâte. […] Les Comédiens prirent des masques très-difformes, afin que les personnes puissantes qu’ils avoient à craindre, ne s’imaginassent pas y trouver leur ressemblance. […] Eschyle avoit été près d’être lapidé, pour quelques vers qui avoient paru impies. […] Les Piéces du Fils de Sophocle avoient été meilleures que les autres, ce qui avoit fait soupçonner qu’il donnoit sous son nom les Ouvrages de son Pere.
Ils se trouvent dans celles qui sont les plus propres à leur porter les coups les plus mortels ; à rouvrir des plaies qui avoient été longtems à se fermer, & on demande froidement s’ils sont coupables ! […] Ce n’est plus le même homme, continue ce Pere, qu’on avoit traîné par la force : c’est un homme de même trempe que tous ceux qui faisoient la foule dans l’Amphitheâtre, & un digne compagnon de ceux qui l’y avoient mené. […] Enfin il sortit de là avec une telle ardeur pour les Spectacles, qu’il ne respiroit plus autre chose ; & non seulement il étoit prêt d’y retourner avec ceux qui l’y avoient amené, mais qu’il en étoit plus entêté qu’aucun, & qu’il y menoit les autres. » Que ne dit point un tel exemple à quiconque craint sérieusement d’offenser Dieu, & de donner la mort à son ame ?
*Les Ovations estoient decernées à ceux qui avoient soustenu une guerre ou mal fondée ou peu glorieuse, & dont les succez avoient eu de foibles obstacles & de peu considerables ennemis. […] Pour cette raison Scipion ne triompha point pour la reduction de l’Espagne, ny Marcel pour celle de Syracuse, parce qu’il n’avoient point de Caractere. […] Les presens faits au Vainqueur y avoient leur rang, & il s’est trouvé jusques à deux mille, huit cent Couronnes de divers metaux, que l’on avoit données au Triomphateur. […] Mais les sommes estoient remises entre les mains des Questeurs & de ceux qui avoient soin des Finances publiques. […] Le Soldat mesme portoit des Couronnes : & ceux qui avoient fait quelque action éclatante, en avoient & en faisoient paroître les recompenses obtenuës, ou du moins meritées.
On doit l’exemple de cet établissement à Madame la Marquise de Segur & à Monsieur Elie de Beaumond qui l’avoient imité à l’imitation de Salenci, instituée dans le sixieme siecle par saint Medard, Evêque de Noyon. […] Ils avoient vu avec un plaisir singulier la cérémonie & applaudi au triomphe de la vertu, triomphe pour eux intéressant. Ils sentoient qu’en inspirant aux filles l’émulation de la vertu, on leur préparoient des épouses vertueuses & dans la suite des enfans vertueux & c’eut été combattre leurs propres vues & l’esprit de la fête, si, comme Favard & Pesé, ils avoient admis la galanterie à leurs jeux. […] Ils se contenterent de faire entendre leurs flageolets & leurs musettes, & de chanter, les couplets que les Benedictins avoient composé. […] Les Jésuites avoient dans leur Congrégation des charges où on n’arrivoit qu’à titre de piété.
Les deux Grebans furent leurs Poëtes, & parce que les premieres Piéces avoient été appellées Mysteres, toute Piéce de Théâtre sainte ou prophane, serieuse ou bouffonne, fut appellée Mystere. […] Les Italiens avoient quitté avant nous les représentations pieuses, puisqu’on croit que la Calandra fut jouée au commencement du seiziéme siecle. […] Aux Farces de Turlupin, gros Guillaume, Guillot Gorgus, qui avoient succédé à celles du Prince des Sots, avoient succedé les Jodelets de Scarron, & des Piéces d’intrigues dans le goût Espagnol. […] Le stile ampoullé de Dryden, & le brillant de Delfino devoient écarter de l’Angleterre & de l’Italie le goût de la belle Nature ; mais enfin nos Tragédies mieux connues, forcerent ceux qui les méprisoient, à prendre une route meilleure que celle qu’ils avoient tenue jusqu’alors. […] Ne les auroit-il pas aimés comme les autres, si les Poëtes avoient su exciter une Pitié charmante ?
Eschile & Menandre n’avoient point à briguer la protection d’un comédien important, ils ne recevoient du moins leur gloire ou leur condamnation, que du peuple entier, pour lequel ils avoient travaillé. […] Sa belle ame qui étoit faite pour la pratiquer, fut si frappée de ces discours, qu’il retira ses pieces, & renonça au théatre, que l’étourderie & les passions de la jeunesse lui avoient fait d’abord trop goûter, pour s’adonner à l’étude de la sagesse ; il ne permit, non plus qu’Aristote dans sa République, aucune représentation théatrale, parce qu’il n’en est aucune qui n’excite quelque passion, colere, vengeance, ambition, amour ; l’action suit de près les discours & la représentation, on se laisse aisément gagner lorsqu’on aime de voir & d’entendre. […] Selon Plutarque, Apophtey, les Lacédémoniens avoient d’abord proscrit le théatre, & défendu les ouvrages d’Eschile, comme pernicieux ; quand ils les laisserent introduire, ils ne permirent pas aux femmes de s’y trouver ; ils perdirent bien-tôt la vertu, & leur en accorderent l’entrée. […] Lagourcée, Avocat célebre du Parlement de Paris, qui plaida devant le Roi de Dannemarc, a fait jouer à Auteuil, sur le magnifique théatre du Comte de Rohan, une tragédie de sa façon, intitulée Aurelie ; les comédiens l’avoient d’abord reçue, mais n’avoient pas voulu la jouer. […] Il est impossible que la musique la plus parfaite forme des conversations même avec les gestes de l’acteur, quoiqu’à la vérité l’un aidât à l’autre, lui donnât de l’énergie, en fit un meilleur tableau, car tous les deux sont pittoresque, il faudroit doubler l’orchestre pour faire entendre de plus loin ; aussi les Romains avoient dans leurs amphitéatres vingt & trente mille personnes, je ne sache pas qu’ils aient jamais employé la musique pour aider les pantomimes, ni qu’ils aient connu ces musiques pittoresques, telles qu’on les entend, encore moins telles qu’on les voudroit, qui même sont impossibles.
Marchant sur les traces des Grecs, qui l’avoient en si grand honneur, le regardoient comme une partie essentielle de l’administration publique, y avoient proposé une Magistrat. […] Les Romains avoient la même estime du théatre, ils reconnoissoient sa puissante influence sur les mœurs. […] Les Censeurs à Rome, pour conserver les mœurs, avoient demandé les spectacles. […] Ils n’avoient qu’à l’admirer & le favoriser. […] Un Actionnaire dont les soupirs avoient été mal reçus, manqua de respect pour une Actrice.
Les Philosophes & les Théologiens du Paganisme, dit un célèbre Auteur(b), voyant la passion que les Peuples avoient pour les Spectacles, donnerent des instructions déguisées, sous l’appas du plaisir. […] Marchons sur les traces des Grecs qui avoient en si grand honneur les Spectacles, qu’ils les regardoient comme une partie essentielle de l’administration publique. […] Les Romains avoient la même estime & la même idée du Théâtre ; ils reconnoissoient sa puissante influence sur les mœurs. […] Les Censeurs à Rome pour conserver les mœurs avoient demandé les Spectacles.
Tous les Curés qui avoient applaudi à sa conduite, l’animerent contre un ouvrage si pernicieux. […] Les Barbares qui innonderent l’Europe, n’avoient aucun goût pour la scéne. […] Ils n’étoient donc en aucun sens de femore ejus ; ils n’avoient donc aucun droit au trhône. […] Ils n’y avoient plus d’intérêt. […] Ces jeux venoient des payens, & n’avoient que des payens pour acteurs.
Ces spectacles dont ils parlent, & contre lesquels ils invectivent avec tant de zele, étoient en partie sanguinaires & cruels, & en partie infames & honteux ; en sorte que les personnes qui avoient quelque sentiment d’humanité, ou de pudeur, en avoient elles-mêmes de l’horreur. Car comme ils avoient tiré leur origine du Paganisme, ils en avoient retenu le genie. […] Il ne faut donc pas s’étonner, si les Peres de l’Eglise ont rempli leurs écrits d’invectives les plus sanglantes, & d’expressions les plus fortes & les plus capables d’en donner de l’horreur aux Chrétiens, qui couroient alors aux Theâtres avec une passion, qu’ils avoient bien de la peine à reprimer. […] Je veux dire que ces spectacles épurez de ce qu’ils avoient de plus scandaleux autrefois, ne laissent pas de faire la même impression sur un esprit déja disposé, & d’y causer les mêmes desordres, qu’on ne peut excuser de peché mortel. […] Si l’oisiveté est condamnée dans l’Evangile, & si ce fut un suffisant motif, pour obliger le Fils de Dieu à faire le procés à un serviteur inutile ; que doit-on penser de tant de personnes de l’un & de l’autre sexe, qui passent les nuits dans une sale de bal, & la plus grande partie du jour dans les assemblées du beau monde, qui se trouvent à toutes les comedies, à tous les jeux publics, & à tous les spectacles, & qui ne seroient pas contens d’eux-mêmes, s’ils n’avoient part à toutes ces sortes de divertissemens ?