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16. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre VI. Des Sçènes. » pp. 257-276

« Je tiens cette règle indispensable, dit le grand Corneille ; & il n’y a rien de si mauvaise grace qu’un Acteur qui se retire seulement parce qu’il n’a plus rien à dire. » La sortie de vos personnages sera naturelle & dans les règles, lorsqu’ils s’éloigneront pour un motif nécessaire, qui redonne un nouveau jeu à l’action, & qui tende au dénoument. […] Les Drames du grand Corneille serviront aussi d’éxcuse aux Poèmes du nouveau genre : il me suffira de prier le Lecteur de se rappeller le Cid, le chef-d’œuvre du Théâtre Français, qui eût la gloire de donner naissance au proverbe, cela est beau comme le Cid. […] M. de Voltaire a eû soin de marquer dans une note de la nouvelle Edition des Œuvres de ce grand Homme, combien de pareilles fautes blessaient la vraisemblance ; il aurait bien dû s’élever aussi contre les Scènes où paraît l’Infante, qui ne sont ni liées au sujet, ni amenées par le discours des Acteurs ; il est vrai qu’on les retranche à présent ; mais Corneille ne les a pas moins faites. […] Le grand Corneille a crû pouvoir faire une faute, que s’était permise le meilleur Tragique Grec, & de laquelle Aristote ne dit rien. […] Corneille.

17. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XI. Les Grecs ont-ils porté plus loin que nous la perfection de la Tragédie ? » pp. 316-335

Corneille qui fit d’abord des Vers sans savoir qu’il étoit Poëte, fit aussi dabord des Piéces de Théâtre sans sçavoir ce que c’étoit que Poësie Dramatique. […] Le Philosophe qui a médité sur l’Art, & le Poëte qui y a excellé, ne s’accordent pas en tout ; le Poëte plein de respect pour le Philosophe, le contredit quelquefois : & qui avoit plus le droit de contredire Aristote que Corneille ? […] Corneille avoue qu’il élargit les Regles à cause de la contrainte de leur exactitude : il est, dit-il, facile aux spéculatifs d’être severe. […] Quand Corneille contredit Aristote sur l’Unité du lieu & du tems, il est certain que l’intérêt qu’il trouve à se justifier lui-même, est cause qu’il se trompe. […] Si Corneille nous eût représenté Antiochus, obligeant sa Mere, comme le rapporte l’Histoire, à boire une coupe empoisonnée, il nous eût présenté un objet odieux : un Poëte Grec n’eût pas épargné aux Athéniens la vue d’un Fils empoisonnant sa Mere.

18. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — TROISIEME PARTIE. — Tragédies à conserver. » pp. 128-178

Quant à l’amour de Pulchérie et de Léonce, outre qu’il ne leur échappe pas la moindre expression qui fasse connaître leur passion, je trouve que c’est une espèce d’amour que ni les Anciens, ni les Modernes n’ont jamais traité avant Corneille. On voit bien des incestes de fait ou d’imagination sur la Scène ; mais Corneille a marché par une autre route : il a supposé Léonce fils de Maurice, et par conséquent frère de Pulchérie ; par là les deux Amants sont saisis de la crainte de commettre un inceste, s’ils donnaient leur consentement au mariage que le Tyran leur propose ; et cette réflexion détruit en eux jusqu’à la moindre étincelle d’une tendresse suspecte, puisqu’ils ne se regardent que comme frère et sœur. Ce trait de l’imagination de Corneille est admirable ; parce que le Spectateur est instruit qu’ils sont tous les deux dans l’erreur, et qu’ils pourraient s’aimer et s’épouser sans scrupule. […] Examinons donc si la façon dont le grand Corneille l’a traitée dans Dom Sanche d’Arragon, peut fournir une instruction réelle et solide aux Spectateurs. […] Racine connaissait trop bien l’antiquité ; il avait trop lu Sophocle et Euripide, pour tirer vanité (comme a fait Corneille) d’avoir su se passer de l’amour dans sa Thébaïde : mais il s’en serait passé sans doute, s’il l’eût osé, dans toutes ses autres Tragédies, comme dans sa première.

19. (1758) Lettre à Monsieur Rousseau sur l'effet moral des théâtres « Lettre à Monsieur Rousseau sur l'effet moral des théâtres, ou sur les moyens de purger les passions, employés par les Poètes dramatiques. » pp. 3-30

Est-ce que Corneille ignorait que la vertu fût préférable à la naissance, que les respects exigés par le pouvoir ne sont dus qu’au mérite, que les Grands, si sottement enorgueillis d’une longue suite d’illustres aïeux, en sont moins ennoblis que dégradés, s’ils cessent de leur ressembler ? […] Si vous ne leur demandez, comme je dois le croire, puisque j’écris à un Sage, que des efforts humains, je vous apprendrai, après l’avoir appris de Corneille, qui n’était pas un mauvais Philosophe, quoiqu’il fût un grand Poète, quels sont les moyens que l’art dramatique emploie pour purger les passions4. […] [NDA] Lisez le second discours de Corneille, tome 1. p. 30 et suiv. édit. de Charles Osmont en 1715. […] [NDA] Corneille, page 31. de l’édition citée ci-dessus. […] [NDA] Voici les paroles de Corneille, page 33.

20. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE IV. » pp. 68-81

Mais la foi de Corneille & de Racine n’a jamais été suspecte, on prétend même qu’ils ont eu l’un & l’autre des alternatives de piété, en travaillant pour le Théâtre : comment donc ont-ils avancé tant de maximes blasphématoires ? […] Corneille dans Pompée fait dire à Cornelie1 : O Ciel ! […] Racine n’est pas moins hardi que Corneille : il fait tenir cet étrange langage à Hemon, pour retenir Antigone qui vouloit se rendre au Temple afin d’y consulter l’Oracle1, Ils iront bien sans nous consulter les Oracles, Permettez que mon cœur en voyant vos beaux yeux, De l’état de son sort interroge ses Dieux.

21. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VII. Des Duo, Trio & Quatuor. » pp. 329-339

Corneille a eu tort d’approuver le retranchement des Chœurs. Le grand Corneille n’approuve point les chœurs. […] Les Simphonies qu’on joue actuellement dans les entre-Actes, loin de fixer l’attention sur le Drame qui occupe la Scène, ainsi que le soutient le grand Corneille, dissipent tout-à-fait le Spectateur, parce qu’elles n’ont aucun rapport avec l’action du Poème representé.

22. (1774) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre seizieme « Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. — Chapitre I. Diversités curieuses. » pp. 5-37

On lit plus volontiers Moliere que Corneille ; il y a bien plus de comédies que de tragédies, & de farces que de comédies régulieres. […] Le style de Bourdaloue & de Massillon ont-ils rien de comparable avecceluide Corneille & de Racine ? […] Corneille n’a réussi que dans le tragique. […] Corneille l’appelloit son pere & son maître. […] Corneille en fut très irrité, & ne pardonna pas à Racine cette espece de parodie.

23. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE VIII. Dans quelle Nation la Poësie Dramatique Moderne fit-elle les plus heureux progrès ? » pp. 203-230

Qu’on dise tant qu’on voudra que Corneille est plus majestueux & plus sublime, je ne m’y opposerai point, quoique je ne m’en apperçoive pas toujours. […] Notre Corneille lui-même, quand il entra dans la carriere Dramatique, la connoissoit si peu qu’il soutenoit dans la Préface de sa troisiéme Piéce, qu’une Piéce Dramatique ayant cinq Actes, on pouvoit donner à l’Action cinq jours de durée, & il n’intitula son Clitandre Tragédie, qu’à cause que dans le cours de cette Piéce, quelques Personnages se battoient & se tuoient. […] Maffei me dit qu’il étoit fâché de me voir jouer continuellement des Tragédies Françoises ; qu’elles ne valoient toutes rien, (il n’exceptoit pas même les meilleures) & que la seule Sophonisbe du Trissin valoit mieux que tout Corneille & Racine. […] Malgré l’intérêt que chacun y prenoit pour la gloire de sa Patrie, Corneille & Racine triomphoient toujours. […] Et il ajoute, l’exact Racine, & le noble Corneille nous ont appris que la France avoit quelque chose d’admirable.

24. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre second. — Chapitre prémier. De l’éxcellence du nouveau Théâtre. » pp. 68-93

Corneille a dit quelque chose en faveur de la Comédie-mêlée-d’Ariettes. […] Corneille, le grand Corneille a prophétisé la naissance du Spectacle moderne, a prévu combien il charmerait la France. […] Osera-t-on disputer à Corneille le mérite d’un genre dont il fait l’éloge ? […] Il fait perdre insensiblement le goût que nous avions pour les Pièces de Corneille & de Molière ; les Comédiens ne s’en appercoivent que trop.

25. (1836) De l’influence de la scène « De l’influence de la scène sur les mœurs en France » pp. 3-21

Corneille parut à l’aurore du siècle de Louis XIV, et son influence créa des poètes, des orateurs et des héros. […] Aux accents impératifs du devoir dont Corneille avait rempli la scène, le Sophocle moderne fit succéder la voix touchante du sentiment ; intéressant le spectateur au combat incertain où l’amour et la vertu s’engagent. […] Les héros de Racine sont plus aimables que ceux de Corneille, mais ils étonnent moins ; leurs discours sont plus classiques, mais ils ont moins de verve et d’autorité. […] Entre l’école de civilisation fondée par les Grecs, rétablie et conservée par Corneille, Racine, Molière, et notre nouvelle école, la France eut aussi son Euripide. […] J’appelle influence expansive ce qui développe le germe d’une passion ou d’un goût ; et il est incontestable que les sujets dramatiques actuels, par eux-mêmes et les formes qu’on leur donne, substituent l’horreur à la terreur qui suffisait autrefois pour émouvoir profondément : la conséquence de cette innovation s’aperçoit par la préférence que le public accorde aux nouvelles compositions sur nos premiers chefs-d’œuvre : si quelquefois encore on représente au Théâtre Français une tragédie de Corneille ou de Racine, la salle est toujours vide, ce qui pourrait faire craindre que la licence de la scène ne se glissât un jour dans les mœurs et qu’on ne sifflât pas toujours sur la place publique ce qu’on tolère aujourd’hui au théâtre.

26. (1772) Réflexions sur le théâtre, vol 9 « Réflexions sur le théâtre, vol 9 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE NEUVIEME. — CHAPITRE III. L’Esprit de Moliere. » pp. 72-106

Celles de Corneille réunies feroient un assez bon traité : il avoit de l’étude & des connoissances. […] Moliere a eu une vogue plus grande, plus soutenue que Corneille, qui lui étoit très-supérieur. […] Corneille montroit des Héros, Moliere donnoit des complices. […] Corneille ne dût rien à la faveur. […] Corneille, Quinaut, Destouches, Hardy, &c. ont écrit plus que lui.

27. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre IV.  » pp. 97-128

Le nombre la variété, la beauté de ses pieces, en sont le plus grand ornement ; & quoique dans un genre different de Corneille & de Racine, il peut se mesurer avec eux. […] On dit le Grand Corneille, pour le distinguer de son frere, comme si l’on disoit le premier Corneille, & on ne dit pas le Grand Virgile, le Grand Homere, le Grand Ciceron, qui sont plus grands que lui. […] Bossuet, Fénélon, Bourdaloue, sans avoir aucun titre, seront toujours plus estimés que le Grand Corneille, le Grand Rousseau, &c. […] Madlle. fit travailler Racine & Corneille sur sur le même sujet, Berenice. […] Le théatre est l’organe des passions, il jouoit son rôle : le grave Corneille, le devot Racine, ne s’en faisoient aucun scrupule.

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