Après avoir retracé l’état des comédiens chez les anciens, M. d’Hénin considère successivement leur existence aux trois âges de l’art dramatique ; sous la première et la second race de nos rois, il voit les bateleurs ou histrions qui avaient succédé à ces acteurs du cirque, flétris chez les Romains, mériter, par leurs jeux obscènes et leurs farces grossières, les censures de l’Eglise et les châtiments du bras séculier. […] Et toutefois il y a là une grave erreur ; car si l’on suit avec attention l’histoire dramatique des siècles postérieurs, il devient évident que c’est par une fâcheuse méprise qu’on a cru voir le berceau de nos comédiens modernes parmi ces troupes d’histrions anathématisés dès les premiers âges de l’ère chrétienne ; qu’on ne peut, sans mauvaise foi, les regarder comme les successeurs de ces derniers, et qu’il serait tout au plus permis de considérer comme tels ces acteurs en plein air, dont les parades précèdent dignement la représentation en cire de la Chaste Suzanne ou du Jugement de Salomon.
Le Grand-Duc à Florence s’est aussi déclaré pour la liberté dramatique. […] Le théatre fût-il un remede & l’art dramatique un art utile, ce qui est bien éloigné de la vérité, ce seroit toujours une folie de s’empoisonner pour user d’un antidote. […] Il y avoit de très-grands titres : encyclopédiste, philosophe, poëte galant & dramatique, enthousiaste de Voltaire, qui pouvoit le lui disputer ? […] Les poëtes dramatiques sont les vrais, les seuls philosophes, Moliere le meilleur de tous. […] Tout homme est suspect dans les éloges qu’il se donne, les poëtes le sont plus que d’autres, les dramatiques le sont souverainement.
Le nouveau Théâtre change souvent les règles dramatiques.
C’est elle du moins elle seule qui décidera des récompenses éternelles ; tous les succès dramatiques y ont peu de droit, en sont une exclusion. […] Ce mauvais goût gâte les pieces, il fait gémir la vertu ; les prix dramatiques sont l’ouvrage de l’Académie françoise, qui, en couronnant l’éloge de Moliere, a prostitué ses lauriers, un siecle après sa mort, à celui qu’elle avoit méprisé pendant sa vie ; jugement qui porte atteinte aux bonnes mœurs en donnant lieu d’en estimer le corrupteur & tous ceux qui se piquent de l’imiter. […] Aussi y regna-t-il la plus grande modestie, vertu tout à fait étrangeres aux coulisses & inconnues aux Poëtes dramatiques.
Cet astre en effet a plus d’influence qu’on ne croit dans le pays de Romancie & sur les peuples dramatiques. […] Il faut qu’un Poëte dramatique soit naturellement menteur ; il ne sauroit enfanter tant de mensonges, s’il n’en avoit le germe dans son cœur ; il ne sauroit leur prêter ces couleurs de vérité, s’il n’étoit plein de duplicité. […] Qu’est-ce qu’un Auteur dramatique ?
Dans les anciens tournois les Chevaliers allaient prendre l’ordre, la devise, les couleurs de leurs maîtresses, et après le combat venaient mettre les lauriers à leurs pieds, et recevoir le prix de leur victoire : c’est à une Actrice que s’offrent aujourd’hui les hommages et secrets et publics, et depuis que le Maréchal de Saxe s’est paré d’une couronne présentée, non par une Amazone, par une Princesse, par une Duchesse, mais par une … par une … par une Actrice, tout le monde dramatique a retenti et tout le monde militaire a applaudi à cette espèce de triomphe de l’Actrice, plutôt que du Héros, si différent de ceux des Scipion, des Paul-Emile, des Pompée, qu’on ne vit jamais, passant du Capitole au théâtre, faire flétrir leurs lauriers, en les laissant toucher à des mains infâmes. […] » Craignez ces hideux Espagnols, ces féroces Gaulois ; ils n’ont pas de théâtre, mais ils ont des armes : « Horrida vitanda est Hispania, Gallicus axis, arma supersunt. » Craignez même ces grossiers paysans, qui travaillent la terre, et qui ont la bonté de nourrir une ville fainéante qui ne s’occupe que de spectacles : « Parce messoribus illis qui saturant urbem circo scenâque vacantem. » Je ne parle ici que d’après les principes de l’art dramatique. […] Tout le monde sait que c’est là ce qui peuple nos théâtres ; voilà l’objet du culte, des sacrifices, des désirs, des fêtes du monde dramatique.
Voilà l’objet de toutes les pièces dramatiques ; et c’est ce qui en rend même la lecture souvent pernicieuse.
Qu’on parcoure l’Histoire des Nations ; dans leur prémière grossièreté, elles méconnaissent le genre dramatique ; leur ignorance se dissipe-t-elle ? […] En France on élève jusques aux nues, on chérit, on révère ceux qui composent les Piéces dramatiques ; & l’on suit, l’on dégrade ceux qui les récitent.
A toutes les raisons données à l’appui de mon opinion, je puis en ajouter encore une plus décisive ; celle que toutes les vertus qui ont été mises notamment sous la sauvegarde et protection de l’art dramatique, ont été les plus persécutées, et ont le plus perdu ; je n’en vois pas une clairement qui y ait gagné, et je vois très-bien, au contraire, que les plus ingénieusement défendues, que les mieux prêchées ou vengées sur la scène, sont les plus généralement abandonnées dans le monde ; je vois qu’on n’a fait qu’aiguiser les traits de toutes les passions contre elles, ou contre ceux qui les pratiquaient. […] Mais le plus grand, le meilleur moyen de réformation serait que les auteurs dramatiques, qui ont l’air depuis Molière à ces poltrons qui poursuivent des ennemis en fuite, ou cachés, et n’osent attaquer ceux qui font volte-face, fussent bien convaincus, enfin, qu’au lieu de harceler sans cessé directement ou indirectement les deux premières écoles, ils feraient beaucoup mieux de déployer leur talent et concerter leurs efforts avec ceux du reste de ces écoles, contre la dernière, jusqu’à ce qu’ils soient parvenus, sinon à la détruire, à l’affaiblir, ou la décrier au point que ses disciples, poursuivis, désarçonnés à leur tour et abandonnés surtout de leurs hommes marquants, qui leur servent d’autorité et de point de ralliement (ce qui doit être aujourd’hui un résultat de l’exemple seul de notre vertueux roi), soient forcés enfin, contre l’ordinaire, de chercher une retraite, d’aller se cacher dans la seconde école, d’où il sera ensuite d’autant plus raisonnable d’espérer pouvoir les diriger vers la première, qu’il n’y aura plus à choisir alors entre se réformer et se livrer à de plus grands excès. […] Les observations et les objections les plus fortes que l’on pourra me faire encore, et que je pressens en partie, relativement aux entraves que je crois nécessaire d’apporter aux leçons satiriques du théâtre, ne me feront pas départir de mon jugement sur les dangers de leur vague et l’arbitraire de leurs applications ; au contraire, ces observations m’excitent à aller plus loin pour les rendre nulles, à faire connaître le fond de ma pensée, sans mitiger, c’est-à-dire à conclure, en dernier résultat, de tout ce que j’ai exposé, que les attaques dramatiques individuelles, soumises à quelques conditions de rigueur, surtout à celles de la gravité du sujet et de la vérité de la censure, seraient souvent préférables aux généralités contre telle profession ou corporation, qui ont fait tant de mal sans éviter l’inconvénient des personnalités, et le rendant même plus grand. […] Quel plus digne emploi des écrivains dramatiques ou autres peuvent-ils faire de leur temps et de leurs talents ? […] Afin de parvenir au but éloigné, aussi difficile à atteindre qu’il est désirable, j’en conviens, d’accorder leurs moyens respectifs d’instruction et de réforme, de coordonner leurs principes et réglements, leurs systèmes ou méthodes, et les mettre assez en harmonie pour qu’à l’avenir les écoles complémentaires du théâtre tendent véritablement au complément, à la perfection et au maintien de l’éducation précédente des autres écoles, ou du moins pour qu’elles n’en détruisent plus l’effet par un second apprentissage de la vie tout-à-fait opposé au premier ; pour parvenir, dis-je, à ce but désirable, sine quo non mores, il sera nécessaire alors que l’élite des auteurs et artistes dramatiques, que ces hommes distingués, recommandables par leurs mœurs autant que par leurs talents, et par leur influence ou ascendant sur leur société soient adjoints au conseil d’administration générale de l’instruction publique, et prennent part à ses délibérations, dont ils seront chargés de transmettre les résultats aux conseils également combinés des écoles des départements, avec lesquels ils entretiendront une correspondance habituelle.
Pons ne fut pas toujours monté sur le ton dramatique ; c’étoit d’abord une Abbaye de Bénédictins, fondée dans un désert par dévotion, au dixieme siécle, à l’honneur du St. […] On ne doute pas que cette décision ex cathedra ne soit ratifiée par l’Evêque, & ne devienne un dogme dramatique. […] Une piéce dramatique demandée par une Dame, qui pouvoit s’occuper plus utilement ; accordée galamment par la troupe des comédiens, & brutalement réfusée par le parterre, a cruellement ensanglanté la scéne des sifflets & des bayonnetes, des pistolets, des fusils ; des acteurs & des grenadiers ; des instruments de musique, & des danses brillantes, des décharges à bâle sur les spectateurs, plus de trente morts sur la place, un plus grand nombre de blessés, la plupart morts de leurs blessure.
Beaucoup d’Auteurs Dramatiques s’élevèrent jadis contre cette règle si sensée. […] Faute de quelques jeunes Poètes dramatiques. On apperçoit dans la plus-part de nos Tragédies nouvelles mises au Théâtre par de jeunes Auteurs, une faute assez considérable, qu’il me semble qu’on doit particulièrement relever, afin qu’on l’évite avec soin : on la voit principalement dans les Ouvrages de ceux qui sont le prémier pas dans la carrière dramatique.
L'art dramatique n'est que l'art de ramasser, de combiner, d'inventer, de lier des folies, et l'art de l'Acteur celui de les peindre, et le plaisir du spectateur de les voir, de les goûter, de s'en amuser, ou l'art d'embellir, de dire et de faire agréablement des extravagances. […] On n'a qu'à ouvrir le premier dramatique qui tombera sous la main, voilà de l'obscénité à chaque page. […] L'évidence d'une expérience journalière a fait passer tous les termes de l'art dramatique dans le langage ordinaire, pour exprimer de la manière la plus énergique la facilité, le ridicule, la folie, l'indécence, la dérision, le mépris, que les termes les plus forts peindraient moins vivement.
Dans l’origine du Théatre Grec, les Sentences rares qu’Eschyle & Sophocle mettoient dans la bouche des personnages, étoient tellement liées au sujet ou au caractère de ces Acteurs, qu’elles sembloient des parties mêmes de l’édifice Dramatique.
Ceux qui savent apprécier l’heureux accord des talens Littéraires & des sentimens de sagesse & de retenue que la Religion & la vraie philosophie inspirent, verront avec plaisir cet illustre Ecrivain, autrefois néanmoins si injustement outragé, traiter avec autant de goût & de lumière, que d’aisance & de précision, les Principes de l’art dramatique, & les resserrer dans les justes bornes de la décence & de l’utilité.
[H] Décorations : ornemens d’un Théâtre qui servent à représenter le lieu où l’on suppose que se passe l’action Dramatique.
Enfin, Monsieur, je vous soutiens, quoiqu’en dise le Père Massillon, que le Poème dramatique est une Poésie indifférente de soi-même, et qui n’est mauvaise que par le mauvais usage qu’on en fait.
Certainement nos Dramatiques regardent la vertu comme leur grande ennemie : ils en ont donné des marques non équivoques en l’attaquant avec un acharnement incroyable ; et (ce que je ne puis avouer sans une extrême douleur) avec un succès aussi qui passe l’imagination.
Pour lutter avec plus d’avantage contre le tourbillon de ces esprits légers pour qui le langagea de la religion est trop sublime, nous avons emprunté des armes, non seulement aux saints Pères et aux saints Docteurs de l’Eglise, mais encore aux incrédules des deux derniers siècles et aux auteurs dramatiques eux-mêmes.
Ces divisions, qui par les différentes espèces développent les diverses branches de l'art dramatique, nous paraissent propres à en dévoiler le dangereux crime.
Ce goût dramatique est moins dangereux que le goût François. […] Il est d’abord singulier qu’on veuille mettre une différence entre les anciennes & les nouvelles pieces de théatre, tandis que tous nos dramatiques se piquent & se font un devoir & un mérite d’imiter les anciens. […] A l’exception de Plaute & d’Aristophane, qui sont trop libres, qui ne le sont pas plus que Moliere, qui le sont moins que Poisson, Dancourt, Vadé, le théatre de la Foire, tous les dramatiques Grecs & Latins sont autant & plus décens que les nôtres, & moins séduisans, moins galans, moins dangereux que Racine. […] L’art de faire des poëmes dramatiques, l’art de les déclamer, n’est point infame ; mais ceux qui font métier de l’exercer, le furent toûjours par leur libertinage scandaleux & notoire.
Moliere jouissoit même de toute la gloire dramatique. […] L’Académie Françoise ne voulut jamais recevoir ce réformateur, quoiqu’il le méritât par son esprit, & son génie autant que Racine, Campistron, Marivaux, Voltaire, Quinaut, Marmontel, & tous les Poëtes dramatiques qu’elle a reçus avant & après lui. […] Corneille & Racine auroient moins surpris, quoiqu’un dramatique ne puisse décement être offert à l’admiration publique par un arbitre aussi respectable. […] Il est un de ces génies heureux destinés par la providence dont ils paroissent l’ouvrage chéri (un Poëte dramatique ouvrage chéri de la providence !
C’est une Epître en Vers François, qui fut adressée au grand Racine, après son renoncement à la carriere dramatique. […] Voilà l’objet de toutes les Pieces dramatiques. […] Les progrès que nous avons faits dans l’art dramatique, doivent les faire oublier. […] Il n’est pas question ici de l’Art dramatique considéré en lui-même. […] On ne voit plus réussir que des Romans sous le nom de Pieces dramatiques.
L’art de l’Auteur dramatique ne se borne cependant pas, comme celui du Comédien, à faire un beau tableau, à l’animer, à le bien colorier, à le rendre agréable, frappant, achevé. […] Je pense qu’il n’est point d’Auteur dramatique qui n’ait senti, que pour atteindre au naturel, au vrai, par la Représentation, il y aurait encore beaucoup de choses à desirer dans nos meilleures Pièces. […] N’anoblissons pas le métier d’Histrion, car il ne saurait l’être, s’il est un métier : rendons plutôt à l’Art dramatique l’ingénuité, la dignité qu’il eut autrefois chez les Grecs, & par intervalle chez les Romains eux-mêmes. […] Aucune Pièce nouvelle ne pourra desormais être représentée en Province, qu’elle n’ait été approuvée par le Tribunal Dramatique de la Capitale. […] Rousseau le prétend, les bons effets des Représentations dramatiques seraient infaillibles sur le Théâtre réformé.
Les poètes dramatiques savent mieux que d’autres débiter leur orviétan. […] On vient de réimprimer à Paris le Théatre de campagne, par l’auteur des Proverbes dramatiques, en quatre gros volumes contenant vingt-huit pieces que le Mercure a données la plupart en détail, avec éloge en faveur des sociétés de province qui aiment ces amusemens innocens si utiles à la jeunesse , dit-on, selon le jargon ordinaire. […] Cyrano de Bergerac, auteur dramatique, avoit eu querelle avec le comédien Montfleuri ; &, de son autorité, lui avoit défendu de monter sur le théatre. […] Les trois théatres se sont plaint de cet avorton dramatique qui leur enleve leurs pratiques. […] Il est naturel que la vanité, commune à tous les hommes, soit plus exaltée dans une tête dramatique : la plupart des gens de théatre ont un besoin pressant du succès, leur fortune, leur vie en dépend ; la scène leur donne du pain.
S’il étoit possible que les Auteurs fissent une entiére abstraction des connoissances qu’ils ont du Théatre, & de l’art Dramatique ; leurs arrêts mériteroient plus de confiance. […] Tant que l’art Dramatique n’a été connu que par les génies qui le professoient, on rendit justice à leurs beaux Ouvrages.
Il paraît bien que j’use de mon privilège, dès que j’ose vous soutenir, contre votre sentiment, que le Poème Dramatique n’est pas une Poésie indifférente de soi-même, et qu’elle est mauvaise, même indépendamment du mauvais usage qu’on en peut faire. […] En tout cas, le Père Massillonf ne m’abandonne pas, puisqu’il est d’avis contraire au vôtre, à l’égard du Poème Dramatique ; j’ose glisser mon sentiment à la faveur du sien.
Rien n’est moins fondé que l’opinion de ceux qui prétendent que l’art dramatique, Ficta voluptatis causâ, a pour objet primitif & essentiel l’utilité morale.
Cette Partie de Chasse de Henri IV, disent les Affiches Janvier 1776, n’est qu’un tableau dramatique de la popularité de ce Prince. […] Le respect doit l’emporter sur ce goût dépravé du peuple dramatique, qui veut par-tout trouver l’image & l’aliment de la dépravation : l’acteur & le poëte se rendroient également vils & scandaleux. […] Qu’il seroit à plaindre s’il n’avoit eu d’autres historiens que des poëtes dramatiques ! […] est un proverbe dramatique, à trompeur, trompeur & demi ; petite farce de cinq ou six scènes & autant d’acteurs. […] Les poëtes dramatiques, qui tiennent peu de compte de la morale évangélique, ont beau en faire un mérite, ils n’en excluent pas moins du bonheur éternel.
Rien ne plaît, s’il n’à l’air, le nom, le goût dramatique. […] Voltaire s’est mis à la tête des Auteurs Dramatiques d’Histoire. […] C’est à peu-près le défaut de tous nos dramatiques. […] L’Auteur n’est pas de l’avis des saints Peres, des Synodes Protestans, de tous les gens de bien, de Boileau, de Fagan, de Ricoboni, & du plus grand nombre des Dramatiques, qui ne veulent point qu’on profane l’Ecriture en la mettant sur le théatre. […] Tel est l’enthousiasme dramatique ; un Poëte, plein de son sujet, s’imagine que tout en est, tout en a été, tout en sera aussi occupé que lui & tient dans l’univers la même place que dans son imagination.
Nous avons des Ouvrages dramatiques, foibles de sentiment & de versification, qui se soutiennent avec succès au Théatre par ce seul intérêt de sujet & de situation, comme Ariane, Pénélope, Inès. […] Une différence bien réelle, & que tout Auteur dramatique ne sauroit marquer avec trop de soin, c’est celle des mœurs. […] Arnaud des amours d’Hippolyte & d’Aricie dans la Tragédie de Phedre, dont, à cela près, ce Théologien rigide se déclara publiquement l’approbateur, avouant même que des ouvrages dramatiques de cette nature n’avoient rien que de louable, & pouvoient devenir utiles. […] Je connois quelqu’un qui avoit dans son porte-feuille des Essais Dramatiques sans amour, avant que Mérope eût brillé sur la Scène Françoise. […] On y a ressuscité, je ne sais pourquoi, toutes les vieilles Pièces de Mairet, de Gombaud, de Boisrobert, qui ne sont que des Elégies dialoguées, & des conversations dramatiques.
Le Poète Dramatique aura la liberté de faire agir tout ensemble jusques à quatre Acteurs : l’attention de ceux qui sont au Spectacle peut bien les suivre sans trop se fatiguer.
« Je veux bien, dit d’Aubignac, qu’en cet endroit, saint Thomas parle des histrions au sens des derniers siècles, et qu’il comprenne sous ce nom les acteurs des poèmes dramatiques ; Car, si l’on n’entendait par ce terme que les Mimes et les Farceurs, son autorité serait encore plus avantageuse aux autres, que l’on ne pourrait pas condamner contre la résolution de ce grand Théologien, qui serait favorable à ceux-là même que les Grecs méprisaient, que les Romains tenaient infâmes, et que jamais on ne leur doit comparer. »
Elles suffisent sans doute pour déterminer tout Chrétien docile à la voix de la Religion ; et quiconque ne l’est pas, se trouve également sans excuse, au tribunal de la Raison : il a contre lui les Philosophes, les Protestants, les Auteurs dramatiques, les Comédiens eux-mêmes, Corneille, Racine, Boileau, Lefranc, La Mothe, Riccoboni, Gresset, Bayle, Jean-Jacques Rousseau, et tant d’autres : qu’il écoute leurs témoignages ; ils ne sont pas suspects25. […] C’est peu d’y étaler ces exemples, qui instruisent à pécher, et qui ont été détestés des païens mêmes ; on en fait aujourd’hui des conseils et même des préceptes ; et, loin de songer à rendre utiles les divertissements publics, on affecte de les rendre criminels. » Le Franc, Auteur dramatique, s’exprime ainsi dans sa Lettre à Louis Racine : « On s’efforce de réduire en problème théologique cette question : si c’est un péché d’aller à la Comédie. […] Les noms sacrés et vénérables dont on abuse pour justifier la composition des Ouvrages dramatiques et le danger des Spectacles, les textes prétendus favorables, les anecdotes fabriquées, les sophismes des autres et les miens, tout cela n’était que du bruit, et un bruit bien faible, contre ce sentiment impérieux qui réclamait dans mon cœur. […] On ne voit plus réussir que des romans, sous le nom de pièces dramatiques. […] Ce cri part d’un homme, fort connaisseur dans le genre dramatique, grand admirateur de Racine, de Molière, et des autres coryphées de la Scène, d’un homme qui jamais ne passa, parmi les partisants du monde, ou de la prétendue philosophie, pour l’émissaire des Prêtres, ou de ceux que nos incrédules appellent, avec aussi peu d’esprit que de justesse, Enthousiastes, Fanatiques, Etres superstitieux, Ésprits faibles. etc. etc. etc.
N’est-il pas juste que les grands artistes qui touchent de si près à l’héroïsme & à la divinité partage la gloire dramatique ? […] Il a paru presqu’en même-temps un Recueil d’Anecdotes dramatiques, où l’on trouve par ordre alphabétique, la vie, les exploits de tous les héros du Théatre, les pieces bonnes ou mauvaises, imprimées ou manuscrites, jouées ou non jouées. […] Ce pot-pourri seroit un petit mal, si les mœurs n’en souffroient ; mais le goût dépravé du peuple dramatique n’a choisi & n’extrait de ces différens poëmes, que les endroits les plus galans & les plus tendres, pour ne faire qu’un tissu soutenu de dépravation, sans un moment de diversion & de relâche. […] Moliere est le premier des Dramatiques (il falloit ajouter Comiques : Corneille & Racine le valent bien), en ce qu’il est original & naïf. […] Il conserve parmi les Dramatiques la physionomie que Lafontaine a parmi les Fabulistes.
Que Dryden, Poëte Dramatique Anglois, se soit déclaré l’ennemi de notre Poësie Dramatique ; que Gravina qui avoit fait cinq Tragédies, qu’il trouvoit bonnes, n’ait point admiré les nôtres, & que M. […] Riccoboni n’est pas plus favorable à sa Nation, lorsque dans son Histoire des Théâtres, il dit : Tout ce que les Italiens ont fait de mieux en 250 ans en fait d’Ouvrages Dramatiques, ne peut être comparé à ce que la France a produit en 70 ans, & parmi le grand nombre de Tragédies Françoises, qui traduites en Italien ont été si bien reçues en Italie, il y en a beaucoup qui n’ont été représentées qu’une fois ou deux à Paris, c’est-à-dire, que ce que nous rejettons peut encore être bien reçu en Italie. […] Notre Corneille lui-même, quand il entra dans la carriere Dramatique, la connoissoit si peu qu’il soutenoit dans la Préface de sa troisiéme Piéce, qu’une Piéce Dramatique ayant cinq Actes, on pouvoit donner à l’Action cinq jours de durée, & il n’intitula son Clitandre Tragédie, qu’à cause que dans le cours de cette Piéce, quelques Personnages se battoient & se tuoient.
Il étalait ses grâces, déployait sa belle voix, se chargeait des plus indécentes parures, et après avoir fait son apprentissage, il revint à Rome pour y recevoir les plus brillantes couronnes dramatiques. […] Je parle de ces deux dramatiques, parce que ce sont les plus judicieux et les plus décents. […] L’ivresse du plaisir, le transport de l’admiration, l’éclat des applaudissements, éblouit, aveugle, fait tourner la tête la plus noble : la souveraine félicité est au théâtre, le souverain honneur dans le mérite dramatique.
Dans ce point de vûe, quels sont les objets qui ont dû se présenter les premiers à leur imagination, dans le genre dramatique ? […] Le goût pour les ouvrages dramatiques, n’éclata à Rome, qu’après les guerres de Carthage, au milieu des délices de la paix.
Le peu d’étendue de la Scène Théâtrale moderne, a mis des entraves aux productions Dramatiques. […] Ce qui était autrefois l’objet des premiers Magistrats ; ce qui fesait la gloire d’un Archonte Grec, & d’un Edile Romain, j’entens de présider à des Pièces Dramatiques avec l’Assemblée de tous les Ordres de l’Etat, n’est plus que l’occupation lucrative de quelques Citoyens oisifs.
L’art dramatique est né chez les Grecs de la folie et de l’ivresse que Bacchus inspirait. […] On soutint, qu’eu égard aux progrès de l’art dramatique, il n’y avait rien à craindre pour les mœurs.
En prouvant le peu de solidité de ce fondement, nous avons fait voir de quel préjudice il étoit au Poëme dramatique.
Comment parvenir à faire écouter avec plaisir les personnages d’un Poème dramatique, s’ils n’éxpriment avec art leurs pensées ?
Et pourquoi le Poëte Dramatique n’y puiseroit-il pas quelquefois sans les profaner ? […] La Muse Dramatique est plus libre sans être infidelle, & par-là elle devient plus utile. […] Ecrivains François, Tragiques & Comiques, est-ce-là l’idée que vous avez de l’Art Dramatique ? […] Vous entreprenez la plûpart un Poëme Dramatique comme un ouvrage ingenieux, mais peu utile, si ce n’est peut-être pour vôtre interêt. […] La diversité soit d’ordonnance, soit de coloris dans les divers Tableaux Dramatiques fut-elle mieux traitée ?
Gresset renonça à travailler au théâtre dans le temps même que ses talents si enviés de Voltaire lui promettaient un nouveau genre de célébrité dans la carrière dramatique. Dorat, grand amateur du théâtre, nous dit dans ses réflexions sur l’art dramatique, qu’on va aux spectacles pour y retrouver ses penchants et ses vices. « Si les pièces présentent quelquefois des leçons de vertu, dit M. […] Ainsi conciles, synodes, évêques, théologiens, littérateurs profanes, auteurs dramatiques, écrivains illustres, hommes du monde, lois ecclésiastiques et civiles, autorité sacrée et profane, tout condamne le théâtre, tout parle de ses fruits amers pour la Religion, pour la société et la famille. En présence de cette nuée de témoignages irréfragables, qui osera dorénavant élever la voix en faveur du théâtre, fut-ce même sous le vain prétexte de favoriser la littérature par l’art dramatique ?
Ciceron pense de même, il n’approuve ni les poëmes dramatiques, ni les spectacles de son tems, qui n’étoient pas pires que les nôtres. […] Ce n’est pas pour acquerir de la gloire qu’il s’est engagé dans la carriere théatrale ; ce n’est pas par intérêt, ce n’est pas par libertinage : le metier d’auteur dramatique, tout glorieux, tout lucratif, tout licencieux qu’il est n’a d’attrait pour la grande ame du Prince, Marmontel, qu’autant qu’il lui procure la facilité d’être utile à l’humanité ; (la Réligion & la vertu sont autre chose) il desire de rendre ses semblables meilleurs ; (le théatre y réussit mieux que la Réligion & la vertu) mettez dans l’alambic un gascon, un poëte, un déiste, en voilà le résultat. […] Linguet crut pouvoir hazarder une nouvelle traduction du théatre Espagnol, il a mérité de réussir, sa traduction est bien faite, & il traite judicieusement plusieurs questions dramatiques ; il y a quelques pieces fort longues, (c’est le goût des Castillans) prises de Lopez de Vega, de Calderon, de Guillaume Castro & de quelques autres moins célebres : Lopez de Vega est comme Hardi parmi nous, qui composa huit cents pieces de théatre, il en a donné plus de deux mille ; on appelle ses œuvres, par une fanfaronnade de Castille, l’Océan Dramatique, & il est impossible qu’un si grand nombre de poëmes soient bons ; mais ils sont meilleurs que ceux de notre Hardi.
De même que le Mécanicien ne paroît que dans ses ouvrages, de même aussi le poëte dramatique seroit presque dans l’oubli, sans le secours du Comédien. […] Le Poëme dramatique meut lui même ses propres ressorts.
De la Pastorale Dramatique. M on dèssein n’est de traiter dans ce Chapitre que de la Pastorale Dramatique, c’est-à-dire des Pièces dans lesquelles agissent des Bergers.
Et c'est pour cela que les Pères de l'ancienne Eglise n'ont pas seulement condamné les Théâtres des Païens par cette société qui rendait les Spectateurs complices d'une Idolâtrie si contraire et si pernicieuse à la foi du Christianisme, mais aussi par l'impudence des Acteurs, par les choses honteuses qui s'y représentaient, et par les discours malhonnêtes qui s'y récitaient ; et comme l'innocence des mœurs est de tous les temps, et qu'elle nous doit être aussi précieuse qu'aux Docteurs des premiers siècles, j'estime qu'il est à propos pour lever le scrupule que cette considération pourrait jeter dans les âmes touchées des sentiments de la piété de montrer ici deux choses : La première, qu'elle était parmi les Romains cette débauche effrénée des Jeux de la Scène, qui se trouva même par les Lois digne d'un châtiment plus sévère qu'une simple censure : Et la seconde, que la représentation des Poèmes Dramatiques fut toujours exempte de leur peine, comme elle n'était pas coupable de pareille turpitude. […] Aussi étaient-ils beaucoup moins que les Mimes, comme tous Histrions étaient moins que les Représentateursa des Poèmes Dramatiques.
Les Poèmes Dramatiques modernes, sont presque tous mal écrits. Mais au lieu d’écrire avec élégance, la plus part des Poètes Dramatiques sont ou durs ou forcés, ou remplis de clinquans ; telle Pièce qui réussit de nos jours, serait en bute aux sifflets sans son stile doucereux & maniéré. […] D’ailleurs, le Poète qui veut s’illustrer par des succès immortels, doit travailler avec soin ses Vers Dramatiques, ainsi que je l’ai déjà dit.
Par un Passage de Platon, dans le second Livre des Loix, par les Vases Etrusques sur lesquels on voit des cothurnes & des masques, & par Varron qui nomme un Poëte qui avoit fait des Tragédies Toscanes ; on juge que les Spectacles Dramatiques furent très-anciens dans l’Italie : mais les Romains peu curieux des amusemens de l’Esprit, les ignorerent pendant plusieurs Siécles. […] Leurs Piéces qui n’avoient aucune forme Dramatique, étant composées de Chants, de Danses, & de Vers de toute sorte de mesures, furent nommées Satyres, du mot Latin Satura qui veut dire un mélange de plusieurs choses. […] Cette danse très-ancienne, connue du tems d’Eschyle, approuvée de Socrate, & unie aux Représentations Dramatiques chez les Grecs, fut longtems sage, & n’étoit que l’imitation de l’Action représentée.
D’abord, on ne peut se refuser à reconnaître que les ouvrages dramatiques ne renferment un grand nombre de sentiments profanes, impurs et irréligieux, sentiments d’autant plus dangereux qu’ils sont revêtus des noms les plus doux et embellis par une action intéressante et le développement des caractères les plus attachants. […] Nous engageons tous ceux qui ont des doutes sur les représentations dramatiques et sur le danger qu’il peut y avoir à s’y livrer, enfin nous engageons tous ceux qui parcourent ces lignes, à accorder à cet important sujet toute l’attention et toutes les réflexions que son importance exige. […] Il est surtout un argument spécieux contre lequel ils doivent se tenir en garde : on leur dira qu’on peut profiter à l’école du théâtre, et y puiser des principes de religion et de morale ; on leur parlera encore du mérite littéraire et de la connaissance du cœur humain qu’on trouve dans plusieurs de ces œuvres dramatiques, comme si ces avantages devaient compenser les blessures profondes et souvent mortelles que font ces représentations dangereuses, à l’innocence, à la pureté et à la religion ; pour nous, convaincus que la corruption s’appelle toujours la corruption, et que ce serait acheter trop chèrement les plaisirs d’une composition savante, ainsi que l’élégance et le goût littéraire, que de l’acheter au prix de notre innocence, prenons la résolution ferme et invariable de combattre le mal, de quelque masque qu’il se couvre, de quelques formes attrayantes qu’il se revête.
La Comédie, à parler régulièrement, est un Poème Dramatique qui représente une action commune et plaisante, dont la fin est gaie, qui d’une manière ingénieuse, corrige les défauts des hommes ; et divertit par la peinture naïve qu’elle fait de leurs différents caractères. […] » Ce mot pris dans un sens général, signifie toute sorte de Poème dramatique, soit Comédie Pastorale ou Tragédie. De sorte qu’on appelle Comédien, celui qui monte sur un théâtre et qui par le Rôle, dont il s’est chargé, aide aux autres à y représenter publiquement quelque Pièce dramatique, afin de divertir le peuple, et de gagner par là de quoi subsister.
Et quia repraesentationes quae fiunt hodie de rebus spiritualibus miscentur cum multis joculationibus et trufis et larvis, ideo non congruit cas in ecclesiis fieri, nec per clericos… Sed cum histriones utuntur indifferenter tali exercitio ad repraesentandum etiam turpia, vel vituperandum et irridendum personas spirituales, vel sacramenta et divinum cultum, vel miscentur ibi superstitiones vel periculum vitae, ut tendere arcum super funem et hujusmodi, illicita est ars et eam oportet dimittere. » — D’où il suit que, dans la pensée de saint Antonin, histrionatus ars est bien l’équivalent de ludus scenicus, d’art dramatique, puisqu’il s’agit de repaesentationes, et comme, pour en parler, il s’autorise de saint Thomas, c’est donc qu’à son avis, celui-ci, par histrions, entendait aussi les comédiens.
Il en est de méme du Poëme Dramatique, & il ne produit ses grands effets que sur le Theâtre par l’agrément que luy donne le Comedien. […] L’arbre du Poëme Dramatique. […] L’Arbre du Poëme Dramatique. […] Le Poëme Dramatique est la tige de l’arbre. […] Peu de gens sont capables de bien goûter vn Poëme Dramatique dans le cabinet, & le Poëte en a peu de gloire, si le Comedien ne le recite en public.
Ils ont une difficulté à vaincre que n’avaient pas les Tragiques Grecs, & que n’éprouvent point les Auteurs modernes des grands Poèmes Dramatiques ; leurs Héros étant pour ainsi dire sous nos yeux, nous pouvons comparer la copie à l’original, nous en sentirions bientôt les défauts.
Ce fait authentique est consigné dans les gazettes du temps, et il est cité à la page 163 du supplément de la grande Biographie dramatique, 1 volume in-16 ; Paris, 1825, à la librairie française et étrangère, Palais-Royal, Galerie de Bois, n° 233.
C’est en suivant ces principes et en prenant ces précautions que l’on écrit et que l’on représente tous les ans dans les Collèges des Poèmes dramatiques ; et, loin de croire que ces Pièces soient capables de corrompre les mœurs des jeunes gens qui les jouent, ou de gâter l’esprit des Spectateurs, je pense, au contraire, que c’est un exercice honnête, dont les uns et les autres peuvent retirer une véritable utilité.
Enfin touchée de l’humble supplication des quarante, reconnoissante de la réception d’un nombre infini d’Auteurs Dramatiques, la noble & savante troupe des François écoutant sa générosté & sa gratitude, résolut d’entériner la requête, & d’accorder les grandes entrées à l’Académie. […] Le Directeur de quartier y répondit, & fit le plus grand éloge de l’art Dramatique, des Auteurs, des Acteurs, & fit beaucoup valoir la grace qu’on faisoit à la compagnie. […] Il prétendoit avoir tiré plus de lumiere pour l’art Dramatique, des mou vemens & des gestes des Acteurs, que de toutes les lectures, soit en voyant leur accord avec le discours qu’il se rappelloit, comme s’il eût entendu, soit en étant dérouté par la maladresse des Comédiens. […] Le public est plus sévere ; il est vrai, les trois quarts des drames seroient arrêtés, mais il est plus équitable pour les bons que ne sont les Comédiens, je les estime fort, dit-il, je n’ai point à m’en plaindre, mais ce sont des paresseux ; la lice dramatique est presque fermée par le nombre des Athletes qui s’y présentent ; & par la lenteur de ceux qui sont faits pour les seconder, une foule de pieces vieillissent dans leurs archives, en attendant le moment de leur commodité.
Brumoy avoit donné un Ouvrage célèbre sur le Théatre des Grecs, plein d’esprit & d’érudition, qui suppose une étude profonde & un goût extrême pour l’art dramatique. […] Les articles 29 & 35 des statuts de l’Université portent expressément : Afin d’ôter aux Ecoliers l’occasion de se détourner de leurs études, ou de se porter ou mal, que tous les Comédiens soient chasses du quartier de l’Université, & rélégués au-delà du Pont ; que les Principaux & Modérateurs des Colléges prennent bien garde qu’on ne représente ni tragédie, ni comédie, ni fable, ni satyre, ni autres jeux, en Latin ou en François, ces exercices dramatiques étant très-dangereux pour les mœurs. […] Les premiers Poëtes dramatiques, dit-il, n’étoient pas regardés à Athènes, & ne se regardoient pas eux-mêmes comme des gens stériles, uniquement faits pour amuser le public ; c’étoit une espèce de Magistrats, de Censeurs, chargés de conserver les bonnes mœurs par la représentation théatrale, de calmer les passions par la terreur & la pitié, & de corriger des moindres défauts par le ridicule (c’est beaucoup donner à ce peuple, le plus corrompu & le plus frivole). […] Leurs successeurs, sans avoir leurs talens, n’ont que trop imité leurs foiblesses, & de toutes les loix dramatiques ils ne savent observer que celle qu’ils se sont prescrite de mettre l’amour par-tout, contre l’ordonnance & l’unité de l’action, la vérité & la vrai-semblance.
Les rois soucieux de la gloire ont mis à honneur la protection qu’ils ont accordée aux lettres et surtout aux œuvres dramatiques. […] Ce ne sont donc plus que les représentations dramatiques qu’y va chercher cette multitude d’amateurs de tout âge, et de toute condition. […] …… Et les interprètes de nos poètes dramatiques, les malheureux comédiens en un mot ! […] Parce que le Théâtre Français est le plus parfait de tous les théâtres, et que c’est aux chefs-d’œuvre de nos poètes dramatiques que nous devons la propagation de notre langue dans tout l’univers.
L’imagination, également remplie de carnage, dont on vient de voir le tableau, rend le spectateur cruel, féroce, rebelle, indépendant ; il verrait de sang froid les séditions et les meurtres, il y prendrait part, et malheur à l’autorité souveraine, si jamais des calamités publiques la rendaient faible ou douteuse ; elle trouverait dans le peuple dramatique des ennemis secrètement armés contre elle par leur goût. […] Jusqu’ici on n’osait point dédier au Roi des pièces dramatiques. […] Cet ouvrage doit-il ce prodigieux succès à son mérite dramatique ? […] Le tyrannicide est préconisé dans ses pièces dramatiques, et embelli des grâces de la poésie et des traits de l’héroïsme. […] Qui l’ignore, pour peu qu’il ait fréquenté le théâtre ou lu les Auteurs dramatiques ?
Cet Ecrivain, assez médiocre, suit en cela l’usage de tous les dramatiques : Auteurs & Acteurs, la bourse & le plaisir sont leur belle gloire. […] Rien n’approche des cabales, des intrigues, des persécutions, des dégoûts auxquels sont sans cesse exposés les Auteurs dramatiques. […] La Mothe, Campistron, Voltaire, tous nos dramatiques, dégagés du clinquant, se réduiroient à bien peu de chose.
C’est l’objet de l’art dramatique, & je tire mes preuves de la nature même des productions de cet art. […] Tout Auteur dramatique n’est-il pas obligé d’établir les caracteres qu’il fait agir, non-seulement pour soulager l’attention des spectateurs, mais même pour les guider dans leurs jugemens ? […] Pour affirmer que l’art Dramatique ne peut s’allier avec les mœurs, il faudroit avoir prouvé que la morale du Theatre est différente de celle du monde, ce que vous n’avez pas fait, ni pû faire. […] Le but de l’art Dramatique est de former les hommes à la vertu, & de perfectionner les mœurs. […] Interrogez la nature, elle vous devoilera ses mysteres : l’art Dramatique nous exhorte à ne pas les profaner par des excès pernicieux ; il couvre cette passion du voile de la décence.
Nos Dramatiques mettent des obscénités dans la bouche même du sexe : les personnages et les pièces que je me suis contenté de nommer en sont des preuves sensibles ; et s’il en était besoin, ces preuves pourraient être multipliées presque à l’infini ; car les Comédies chez nous sont rarement innocentes de ces désordres ; les Tragédies mêmes n’en sont pas toujours nettes. […] Nos Dramatiques n’y font point tant de façon : ils sèment leurs Comédies de sottises toutes crues sans égard ni à l’assemblée, ni à la qualité, ni au sexe. […] Dryden dans sa Poésie Dramatique semble en vouloir à cette conduite de Térence. […] En effet, le Théâtre avait alors un frein, il redoutait les Censeurs publics ; et l’office de celui qui présidait au Chorus était établi pour arrêter la licence des Dramatiques. […] Afin de réunir ensemble tous les Dramatiques Latins ; Sénèque est chaste dans son langage, et laisse ordinairement l’amour à quartier.
Si dans une même discussion, j’ai cru devoir renfermer ce qui appartient spécialement à l’artiste dramatique et à l’orateur ou chrétien ou profane, ce n’est pas évidemment que j’aie pensé qu’on pût jamais établir aucun parallèle entre eux. […] Les auteurs concourent à l’envi, pour l’utilité publique, à donner une nouvelle énergie et un nouveau coloris à cette passion dangereuse ; et depuis Molière et Corneille, on ne voit plus réussir au théâtre que des romans sous le nom de pièces dramatiques. […] Devons-nous être surpris si, plus d’une fois, Corneille s’est repenti d’avoir consacré ses talents à la scène ; si Racine a pleuré ses succès ; si Gresset, abandonnant solennellement le théâtre, a dit : « L’histoire de l’art dramatique est beaucoup plus la liste des fautes célèbres et des regrets tardifs, que celle des succès sans honte et de la gloire sans remords » ; si, dans ces derniers temps, La Harpe, cet estimable et judicieux littérateur, a manifesté sur le bord de la tombe un regret amer d’avoir, dans ses productions dramatiques, consacré ses veilles au triomphe de la philosophie ; si, enfin, le célèbre Riccoboni, cet ancien acteur du théâtre Italien, dont il avait longtemps fait la fortune, a voté avec tant d’ardeur pour la réforme du théâtre dans le traité qu’il a publié en 1743, où il s’exprime avec cette énergie si remarquable dans un homme de son état. […] Pour remplacer, d’ailleurs, ces pièces équivoques ou licencieuses, que le bon goût et l’honnêteté réprouvent, n’avons-nous pas un grand nombre d’ouvrages excellents, mais que nos artistes dramatiques négligent avec un dédain si peu mérité ? […] NDE Le roman a donné lieu à plusieurs adaptations dramatiques.
Votre Conseil fertile en expédiens, imagine une alliance essentielle entre votre troupe & les Auteurs dramatiques : ceux-ci, dit-il, sont honorés dans l’état, ils remplissent les premieres places dans les différentes Académies, cependant ce sont leurs ouvrages qui sont dans la bouche des Comédiens ; pourquoi donc un sort si différent des uns aux autres ?
Rousseau est enfin revenu du délire dramatique où il avoit brillé, & auroit pu se faire un grand nom.
LES Poèmes Dramatiques sont plus dangereux que tous les autres Ouvrages de Poésie ; parce qu’on les représente sur les Théâtres publics.
Au surplus, parmi les gens de Lettres il y en a qui sont, plus que tous les autres, en droit de me critiquer sur ce point : ce sont les Auteurs dramatiques.
Avant tout ce fracas dramatique, les Colleges & Universités ne risquoient gueres, de s’aller corrompre au théatre. […] Un Auteur dramatique ressemble à celui qui parcourroit la vie des Courtisannes ou l’histoire des voleurs, & ramasseroit quelque bonne parole, quelque trait de vertu qu’il trouveroit épars dans ce bourbier, à peu près comme une poule va bequetant, & ramassant les grains qu’elle trouve dans le fumier, & de ce recueil concluroit que la société de ces voleurs & de ces courtisannes est utile, un très-bon sermon, & qu’on a tort de les condamner. […] Cet Auteur croit pourtant qu’on peut permettre aux jeunes-gens la lecture des comédies & des tragédies, qu’on doit même les leur faire lire, que le Précepteur doit les lire avec eux, leur en faire sentir la beauté, l’utilité, les mettre au fait de la pratique du théatre, & leur en expliquer toutes les parties, & les regles de l’art dramatique, quoiqu’il veuille qu’on les éloigne des spectacles. […] Autre idée qu’on n’a pu avancer que dans quelques momens de distraction : La lecture des comédies, la connoissance de l’art dramatique éloignera des spectacles les jeunes-gens.
Point d’histoire plus remplie d’évenemens dramatiques ; c’est un spectacle perpétuel, sur-tout depuis que, devenus maîtres de la moitié de l’Empire Romain, ils étoient au comble de la gloire, des délices & de l’opulence, & pouvoient sans crainte se livrer à leur goût. […] Qu’à la bonne heure le Mercure, qui chaque mois, au préjudice des bonnes mœurs, va ramassant avec le plus grand soin, comme autant de pierres précieuses, toutes les folies de galanterie du royaume, très-souvent licencieuses, toujours indignes de l’impression ; qu’à la bonne heure ce messager des dieux, payé par les actrices, donne plusieurs articles aux spectacles : mais qu’un livre destiné à conserver à la postérité le souvenir de ce qui s’est passé d’important pendant le regne d’un grand Roi, s’amuse des frivolités dramatiques, & veuille occuper ses lecteurs, comme d’un objet digne d’eux, des jeux pernicieux, que le gouvernement ne tolere qu’à regret, pour éviter, dit-on, de plus grand maux, c’est ce que la Religion & la vertu ne pardonne point à l’auteur, dans un écrit qui n’est pas fait pour elles, & où toutes ces folies sont aussi parasites que dangereuses. […] Un auteur dramatique a un cercle de partisans auquel les actrices donnent le ton, où il est applaudi avec transport. […] tout dansoit, c’étoit des fêtes toutes dramatiques.
Il l’a senti ; & même son traducteur, amateur du Théatre comme lui, pour excuser sa hardiesse à prendre dans la Bible le sujet d’un poëme épique, avance dans la préface que toutes les Nations & toutes les Communions catholiques & protestantes, ont également permis les représentations des pieces dramatiques tirées de la Bible . […] Cœur tendres, amant malheureux, courtisan pauvre, érudit crédule, italien superstitieux, plume facile ; des malheurs, ses amours, son siecle, sa réputation, sa dévotion, son libertinage, routes ces choses réunies dans sa personne, ont fait un ouvrage plein de beautés & de défauts, plus dramatique qu’épique, qui n’est qu’une longue comédie, faite uniquement pour le Théatre. […] Zeno ne fit non-plus aucune Histoire de l’Empire ; mais, après onze ans de travaux dramatiques, qui forment huit gros volumes d’Opéras, il vint comme l’Arioste finir sa vie à Venise, pays de liberté, où il fit un Journal, & recueillir des Anecdotes.
Louis Riccoboni, natif de Modène, fils & père de Comédien, & successivement mari de deux Comédiennes, est un phénomène dans le monde dramatique. […] De tous les genres de poësie la dramatique est celle qui demande le plus de génie & de talent, de sagesse & de dignité, sans quoi l’on se rend méprisable & pernicieux. […] J’ai préféré Corneille & Racine, ces deux chefs de la poësie dramatique.
On peut même se demander si la note infamante : quibus Ecclesiae inquinatur honestas et sanctitas s’applique aux représentations dramatiques, et ne doit pas plutôt se restreindre aux puerilia caeteraque ludiera.
En second lieu, cette Comédie pèche contre les mœurs : elle aboutit à une mauvaise fin ; le vice y est récompensé contre la règle fondamentale de la poésie Dramatique. […] Ces règles sont établies pour cacher la fiction, pour faire qu’une Pièce Dramatique paraisse une action au naturel, et lui donner l’air de la réalité. […] De tous ces différents témoignages il résultera que la Poésie Dramatique a été communément regardée comme la Mère du vice, la corruption de la Jeunesse, et la source des maux du pays où elle est tolérée. […] Lors donc que la poésie Dramatique commence à devenir hardie et licencieuse, on ne saurait trop tôt lui mettre un frein. […] J’ai toujours cru que ce n’était pas le but de la poésie dramatique d’appuyer les faux préjugés, et les mauvaises coutumes ; de fomenter les caprices et les erreurs des hommes.
On y representoit trois sortes de Poëmes appellez Dramatiques, à cause que les Acteurs y parlent, & non le Poëte. […] Ie n’ay point icy parlé des Chœurs, parce que c’estoient des accessoires si formels, si iustes & si unis au corps du sujet principal ; qu’il m’eust falu faire un Chapitre exprez du Poëme dramatique, pour m’aquiter pleinement de ce qu’il en faut dire.
[NDE] Nicolo Barbieri (1576-1641), acteur et auteur dramatique italien, créateur de personnages de la Commedia dell’arte (Beltrame, Scapino). […] [NDE] Giovan Battisti Andreini (1576 ou 1579-1654), acteur de la Commedia dell’Arte, est également un auteur dramatique prolifique.
Le Poëte même Dramatique se sent peu de génie pour exprimer cette tranquillité de l’ame, tout le but de son art n’allant qu’à plaire au commun des hommes. […] Car de même qu’un homme qui dans une République appuyeroit le parti des méchans & les rendroit les plus forts, & qui au contraire opprimeroit le parti des gens de bien, perdroit entiérement cette République : ainsi le Poëte Dramatique introduit dans l’Ame un très-pernicieux gouvernement, par le soin qu’il prend de flatter ce qui est en elle d’insensé, ne se connoissant ni à ce qui est grand ni à ce qui est petit, mais jugeant au hazard de toutes choses, & tantôt se faisant de la même chose de grandes idées & tantôt de petites, & n’approchant jamais de la vérité. […] Le Poëte Dramatique qui travaille à dissiper cet ennui, ne peut y réussir ou que par l’imitation d’une Action plaisante qui force ses Spectateurs à rire, c’est l’objet de la Comédie, ou que par l’imitation d’une Action triste, qui les touche assez vivement pour les faire pleurer, c’est l’objet de la Tragédie. […] & que les événemens des siécles passés ne puissent être traités par la Poësie, dans la forme Dramatique, comme dans l’Epique. La forme Dramatique donne, dira-t-on, une trop grande vivacité aux Passions.
En un mot, chaque genre de Poésie Dramatique avait des masques particuliers, à l’aide desquels l’Acteur paraissait aussi conforme qu’il le voulait au caractère qu’il devait soutenir.
., où son opinion est si clairement exprimée dans ce peu de mots : « Et hæc sunt scenicorum tolerabiliora ludorum, comœdiæ scilicet et tragœdiæ » ; oubliant aussi que saint Thomas d’Aquin, à l’exemple du grand saint, avait considéré l’art dramatique, qu’il appelle histrionatus ars, comme nécessaire et indispensable à la société : « Necessarius ad conversationem vitæ humanæ »(art. 3, in resp. ad 3, quæst. 168) , et enfin ignorant peut-être, ce que nous ne voudrions pas admettre, que saint Antonin lui-même, appuyé de l’autorité de saint Thomas, dit dans suæ Summæ, tit. 8, cap.
Les jeux publics étaient chez eux des actes de religion que leur superstition leur rendait aussi nécessaires que la sainteté de notre morale nous les fait regarder comme dangereux ; car pour les pièces dramatiques qui n’étaient que de pur amusement, elles furent toujours, comme remarque Tertullien, blâmées par les Censeurs et par le Sénat.
Si, par quelque intrigue, les pieces de ce genre prennoient faveur, nos dramatiques n’auroient plus qu’à fouiller dans les greffes des parlemens, pour trouver une foule de sujets de cette force, & même encore plus piquans : c’est une mine abondante que nous leur offrons à exploiter. […] Scarron rapporte une pareille aventure dans son Roman comique, embellie à sa façon dans un style burlesque : car, quoique ce soit un écrivain original dans son ridicule, il n’a pas d’invention, non-plus que la plupart des auteurs dramatiques : ils ne sont qu’habiller les faits, l’étoffe non-plus qu’au tailleur ne leur appartient pas. […] La cinquantaine dramatique de Voltaire & l’inauguration de sa statue, petite piece qui paroit en 1773, mêlée de chant & d’arrieres, n’a pas été représentée, parce qu’il est fort douteux si c’est une satyre ou un éloge, une éruption du volcan de l’enthousiasme, ou une parodie dictée par la malignité. […] Son goût pour l’art dramatique, qu’il paroît fort aimer, ne lui permet pas de faire généreusement le sacrifice de la scène à la vertu, il cherche des distinctions frivoles pour lui ménager quelques momens. […] Le plus grand mérite auprès de ces sages maîtres de la langue, est le talent de l’art dramatique.
Ce nom est risible, Philinte, Araminte, Ergaste, Valere, &c. sont des noms de personnages de comédie, imaginés par des poëtes dramatiques, dont Abaillard n’eut jamais l’idée. […] Poinsinet dans sa traduction du Plutus d’Aristophane, s’en déclare l’apologiste, d’après le sieur Diderot, dans le traité de l’art dramatique, ils la croient très-utiles aux mœurs, parce qu’elle previendroit le crime ou corrigeroit le coupable, par le ridicule. […] Le vin de Cahors vaut bien le théatre de Moliere ; l’hiver rassembla le peuple dramatique, que l’automne avoit dispersé : pour réparer le tems perdu, on joua tous les jours, fêtes & dimanches ; la coterie n’auroit pu fournir à un si grand travail, si elle n’eût été renforcée par une troupe de tabarins, que le bon vin de Cahors, & la grande réputation de la scéne Quercinoise attirerent, au nombre de vingt-cinq gens peu faits d’ailleurs pour amuser la bonne compagnie, qui n’avoient encore que débité de l’orviatan sur des théatres ; mais reçus avec enthousiasme, ils se sont évertués, ils ont pris, l’essor, par une noble émulation, & ont essayé des piéces régulieres ; on a dit qu’ils réussissoient, & la recette a été bonne, quoique la Ville soit déserte, misérable, chargée d’impositions, qu’elle ait souffert depuis bien des années, de grandes calamités, les bourses fermées aux pauvres, se sont ouvertes pour des charlatans, qui ne savent pas même leur métier, tant l’amour du théatre est une aveugle ivresse.
Il y ajoute M. de Fenelon, dont il croit pouvoir tirer parti, parce que dans sa Lettre à l’Académie il propose ses vues sur la perfection de la poësie dramatique. […] Il veut à toutes forces donner une origine sacrée au théatre : La poësie dramatique a pris sa source dans la religion ; les Philosophes, les Théologiens voyant le goût des peuples pour les spectacles, en donnèrent des règles : voilà sa premiere origine. […] Tous le peuple dramatique en fut choqué, & cria contre le Prélat.
Car enfin, depuis qu’on a mis les Poëtes à la tête des gens de Lettres, & les Auteurs dramatiques à la tête des Poëtes, qu’en est-il résulté ? […] Quand cet habile Rhéteur donnoit ce conseil, il n’avoit probablement pas en vue les Auteurs Dramatiques, qui sont esclaves nés de leurs Spectateurs.
Supposons que les Acteurs, Actrices, Auteurs, amateurs, en un mot, le Sénat dramatique, par une révolution subite, soit revêtu de l’autorité souveraine, & forme une République ; que cette République veuille se faire un corps de législation selon l’esprit regnant de la scene, je dis que ces nouveaux Licurgues, ces nouveaux Solons, ces nouveaux Numas ne feront que ce qu’a fait Fréderic. […] Qu’un nouveau Tribonien fasse de même, qu’il compose un Code, un Digeste, des Institutes dramatiques, qu’il compile dans Moliere, Regnard, Poisson, Montfleuri, &c. toutes les sentences, les décisions, les maximes sur le mariage de ces grands Jurisconsultes, comme on a compilé celles de Papinien, d’Ulpien, de Paul, il n’en résultera sur ces articles que le Code Fréderic.
Ce que nous disons du Théatre, des Auteurs & des Comédiens, ne peut être attribué qu’à l’intérêt que nous prenons à l’Art Dramatique.
Si l’Histoire nous parle de quelques Poétes dramatiques après eux, aucun n’a acquis assez de célébrité pour consoler la Grèce de la perte de ces deux grands hommes.
C’est qu’ils se laissoient emporter à la fougue de leur imagination, c’est qu’un Auteur dramatique sacrifie tout & la raison & la probité & la foi, à la satisfaction d’éclore une prétendue belle pensée.
Les paroles de cet aimable Philosophe, apprendront à tous les Auteurs dramatiques dans quels cas ils doivent désigner le jeu de l’Acteur.
A fin de terminer ce cinquième Livre par quelque chose d’utile, je vais hazarder des réfléxions sur les divers sentimens qu’éprouvent les Spectateurs d’un Poème dramatique ; je vais tâcher de découvrir les causes de l’intérêt qu’ils prennent aux aventures fabuleuses représentées sur la Scène, & au plaisir qu’ils ressentent à une Tragédie, quoiqu’elle les pénètre de la plus vive douleur, & qu’elle leur fasse souvent répandue des larmes.
D’ailleurs, la plus-part des Savans qui ont écrit sur les règles théâtrales, l’ont conseillé au Poète Dramatique.
Votre présence au théâtre est un sujet de scandale pour les auteurs dramatiques, qui, pour flatter la corruption de votre cœur, composent licencieusement et chargent la scène d’intrigues amoureuses et d’impiétés révoltantes.
Les premiers Poètes dramatiques modernes prirent le Théâtre de Plaute et de Térence pour modèle ; et, parce que les Courtisanes, et surtout les Esclaves, n’étaient pas dans nos mœurs, et qu’ils s’imaginèrent peut-être que, sans les intrigues d’amour, le Théâtre serait insipide, comme j’ai dit autre part ;4 on chercha un exemple plus général de corruption dans les Latins, et malheureusement on le trouva.
D’où il conclut dans le quatrième Chapitre, Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des Anciens Pères de l’Eglise. […] D’où il infère dans le neuvième Chapitre, que les Acteurs des Poèmes Dramatiques n’étaient point infâmes parmi les Romains, mais seulement les Histrions, et les Bateleurs. […] Et c’est en vain que l’Auteur de la Dissertation fait un si long discours de l’impudence des Jeux Scéniques dans le V Chapitre : Des Poèmes Dramatiques représentés aux Jeux Scéniques, dans le VI. De la distinction des Acteurs des Poèmes Dramatiques, et des Histrions, et Bateleurs des Jeux Scéniques dans le VII. […] Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des anciens Pères de l’Eglise.
Si on avait pris cette précaution, on n’aurait point vu les Abbés de Pure, Boyer, Bois-Robert, d’Aubignac, Pélegrin, se déshonorer par leurs pièces dramatiques, lesquelles même par une nouvelle indécence étaient souvent plus libres que les autres. […] Le goût a si bien gagné dans le Clergé, que la plupart des ouvrages sur le dramatique ont été composés par des Ecclésiastiques ou des Religieux, et presque tous Jésuites ou ex-Jésuites.
Cet Ecrivain qui n’étoit pas sans mérite ; mais Poëte dramatique assez médiocre, s’avisa de donner au public son théatre, qu’on a depuis sa mort porté à trois volumes. […] Les éloges que les poëtes dramatiques se donnent à eux-mêmes ou à leurs confreres, ne sont pas des décisions de la Sorbonne. […] Fidele aux leçons, aux exemples de son pere, à qui la pénitence métita devant Dieu des graces bien supérieures à la réputation dramatique la plus brillante.
Preuve certaine, que le vice n’était pas alors l’objet des Muses, et qu’Horace jugeait que le but de la Poésie Dramatique est d’instruire. […] Car si le plaisir doit faire le fondement de la Comédie, il faudra bien à quelque prix que ce soit obtenir cette fin : dès là qu’un expédient, quelque illicite qu’il soit d’ailleurs y pourra contribuer, on ne le rejettera jamais : on étalera les plus scandaleuses expressions : on profanera les choses les plus saintes, on convertira en amusements dramatiques le plus graves objets de la Religion : comme si le mauvais penchant des Spectateurs devait être flatté par-dessus tout, leur folie entretenue, et leur Athéisme favorisé. […] Mais, ne peut-il pas être que cette conduite de nos Dramatiques ne soit qu’une conséquence de leur paresse ?
L’Histoire et le Gouvernement des Monarchies peuvent-ils produire des plans assez sublimes : c’est aux seules Républiques à qui cet honneur est réservé, c’est à Rome, à Athènes, à Lacédémone, à Lucques, à San Marin, à Genève surtout, à qui il est exclusivement accordé d’avoir des Héros ; c’est dans une Ville célèbre comme cette dernière qu’une Politique sublime prépare des événements Dramatiques. […] Mais assurément vous ne trouverez personne qui adopte l’une ou l’autre, puisqu’il y a eu de tout temps et qu’il est encore des femmes vertueuses et distinguées par le génie, la science et les talents : on n’a donc pas eu tort de mettre en scène des Cénie, des Constance, des Zaïre, des Electre, des Tullie, des Nanine, et tant « d’objets célestes » à qui les femmes sont bien plus près de ressembler que les hommes aux Héros que nos Dramatiques leur proposent pour modèles. […] Néricault, dit Destouches, Œuvres dramatiques, Paris, Prault père, Tome VII, 1758, p. 9-30.
En effet, on vit depuis le vrai genre Dramatique déchoir insensiblement, & bientôt il fut presqu’absolument oublié.
Le Poème dramatique destiné aux pièces de théâtre, du mot grec δρᾶμα, qui signifie action, et qui avait été dans une si haute estime chez les Grecs et les Romains, ne parut que fort tard en France ; la fin du règne de Charles V. en vit pour ainsi dire naître les faibles commencements sous le nom de Chant Royal.
Le but des auteurs et des acteurs dramatiques est d’exciter toutes les passions, de rendre aimables et de faire aimer les plus criminelles. […] Nous instruisons un moment : mais nous avons longtemps séduit, et, quelque forte que soit la leçon de morale que puisse présenter la catastrophe qui termine la pièce, le remède est trop faible et vient trop tard. » On sait que les auteurs dramatiques attribuent à leur art la gloire d’avoir triomphé de la barbarie, et d’avoir adouci les mœurs publiques : Garnier, dans son ouvrage intitulé De l’Education civile, est bien éloigné d’en convenirae.
Enfin, c’est un ouvrage parfait qui mérite d’être à la tête de tous les Poèmes dramatiques que l’on peut conserver pour le Théâtre. […] Il arrive presque toujours, dans les Ouvrages dramatiques d’aujourd’hui, que les désordres de cette passion sont récompensés ou conduisent à une fin heureuse : dans Andromaque, au contraire, ils sont punis avec toute la sévérité qu’ils méritent.
Les unes sont, ainsi que l’autre, fondées sur la nature du Poëme dramatique.
D’ailleurs, ils connaissent trop bien l’Antiquité pour ne pas savoir que les Grecs n’ont presque point placé cette passion dans leurs Poèmes dramatiques ; et que, lorsqu’ils en ont fait usage, ce n’a été que pour en inspirer de l’horreur, ou pour en tirer quelque sujet d’instruction ; comme on voit dans Phèdre et dans Andromaque.
Voilà, à ce que je crois, la correction et l’instruction que l’on doit chercher dans une fable dramatique.
Voltaire, tout poëte dramatique qu’il est, est encore plus partisan du Déisme, que du théatre ; mais dira-t-on, Voltaire se joue de tout, il dit au hasard le pour & le contre ; ses erreurs sont innombrables, ce qu’il dit sur le théatre n’est pas d’un plus grand poids que le reste. […] Vingt de nos dramatiques valent mieux qu’Aristophane ; mais il étoit sans réligion, sans mœurs & sans décence. […] Il est vrai qu’alors les ouvrages dramatiques étoient grossiers en Europe ; à peine même cet art étoit-il connu.
Nos Dramatiques traitent les gens d’Eglise d’une manière bien étrange ! […] Telle était donc la conduite des anciens Dramatiques : les Prêtres paraissaient rarement dans leurs Poèmes ; et quand cela arrivait, c’était pour quelque affaire d’importance : on les considérait toujours comme des personnes de marque : ils se comportaient toujours d’une manière qui répondait à leur dignité, sans se démentir en quoi que ce fût ; loin de se dégrader par des bassesses ou par des infamies. […] Au reste, il vaudrait toujours mieux qu’on retranchât tout Prêtre de la poésie Dramatique : cette suppression ne pourrait que contribuer beaucoup à conserver l’honneur qui est dû aux dehors mêmes de la piété.
On n’y voit plus réussir que des Romans, sous le nom de Pieces dramatiques. […] J’aurois dû reconnoître dès-lors, comme je le reconnois & le vois aujourd’hui sans nuage & sans enthousiasme, qu’on ne parviendra jamais à justifier la composition des Ouvrages dramatiques & la fréquentation des spectacles….
Un nommé Thespis, apparemment le plus fou de tous & le plus entreprenant, ne voulant pas que le monde fût privé de cet utile & noble spectacle, s’avisa de faire un théatre ambulant dans un tombereau, de promener de village en village, & de porter dans Athènes ses pieces dramatiques : Dicitur & plaustris vexisse poemata Thesois. […] Aucune nation n’a si bien réussi dans l’art dramatique, aucune n’a composé tant de pieces, & de tant d’espèces ; & quoique le très-grand nombre soient mauvaises, aucune nation n’en a composé tant de bonnes, & de si bonnes.
Nos entre-Actes sont quelquefois vraisemblables : mais il n’est pas vraisemblable, que dans toute Action Dramatique, il soit nécessaire que les Acteurs disparoissent tous de concert, regulierement quatre fois. […] Il suffit qu’une Action Dramatique ait une étendue convenable à sa nature.
« Plus nous avançons, dit l’Auteur du Comédien, dans l’examen de l’art de représenter les Ouvrages dramatiques, plus on reconnoit combien l’esprit de discussion & d’analyse est nécessaire aux Acteurs.
Aristote dit : Que le seul but du Poëme Dramatique est de plaire au spectateur.
N ous comprenons dans ce mot tout ce qui est Dramatique, & qui se represente sur la Scene, soit Tragique, soit Comique, soit Satyrique.
En deux mots il faut proscrire l’Art Dramatique, ou maintenir les Acteurs dans le crédit & la considération qui leur sont dus : car enfin l’un ne peut aller sans l’autre, ou plûtôt on doit absolument les confondre : l’Art Dramatique est le chef-d’œuvre de l’esprit humain, & il n’a point assûrément d’égal parmi les beaux Arts. […] Il n’y a que l’Art Dramatique qui joigne le privilége insigne de tout rendre à une expression pitoresque en tout genre ; c’est avec le geste, les paroles, le ton & les mouvemens qu’il appartient de tout peindre ; c’est avec cela que les touches acquierent de la fermeté, les couleurs du langage, & le tableau du coloris. Mais il est aisé de voir que c’est ici la partie de la représentation : & qu’est-ce que l’Art Dramatique sans elle ?
Il est vrai qu’où l’on voit des statues de Momus, de Bacchus, de Vénus, des Satyres, Faunes, Driades, &c. on pourroit on voir des Poëtes dramatiques. […] Tout cela réduit à sa juste valeur signifie qu’on a acheté plusieurs exemplaires des ouvrages de ces Auteurs, qui ont été imprimés en Hollande & en Angleterre ; que quelques Auteurs dramatiques étrangers les ont traduits & pillés, & mis à leur goût ; que quelques Acteurs, danseurs, chanteurs Italiens se sont donnés au théatre de Paris ; que des étrangers qui viennent à Paris, vont au spectacle, car assurément pas un seul n’a fait un voyage exprès pour Corneille, Racine, Moliere. Mais le microscope dramatique grossit terriblement les objets.
Ce fut alors que l’on commença à voir les chefs-d’œuvres dramatiques qui ont illustré leurs auteurs. […] Un opéra est un poëme qui doit tenir le milieu entre notre scène dramatique & la pantomime(a). […] C’est ici le lieu de réfuter l’Auteur Dramatique, qui a le plus fortement écrit contre le Théâtre, je veux dire, M.
Au reste un serment mis en œuvre n’est pas une médiocre ressource pour quantité de nos Dramatiques : c’est ce qui remplit le vide de la pensée, ce qui renfle une expression plate, ce qui donne de l’harmonie et de la rondeur à la période ; ce qui apprécie enfin l’éloquence et le mérite de ceux qui se signalent en l’art de jurer. […] » Telles sont les actions de grâces que rendent à Dieu nos Dramatiques ; telle est la nature de leur piété, qu’une passion brutale en est la matière. […] Si cette imagination n’était pas susceptible des agréments de la poésie Dramatique, il fallait que l’auteur en fît un petit sacrifice au bon sens, selon la règle d’Horace.
L’humilité & la patience des Saints ne sauroit compatir avec les verus des Héros dramatiques. […] Son sort a été plus heureux en province ; les Entrepreneurs des spectacles, en relation avec toute la nation dramatique, ne douterent pas qu’il ne fût très-bien accueilli & très-lucratif, puisqu’il méritoit l’improbation des Censeurs.
Je m’étonne que le corps de la comédie Françoise, & après lui les Italiens, les théatres de province, les théatres de société, & le corps des Maîtres à danser, ne se soient aussi décorés du nom d’Académie dramatique, Académie de Thalie, de Terpsichore, &c. […] En 1758 on établit un prix dramatique, à l’imitation des prix académiques, pour la piece de théatre que le public auroit jugé la meilleure.