Y a-t-il un moment dans toute la vie, qu’elle exempte de la pratique de la vertu, qu’elle dispense de l’obligation de plaire à Dieu ? […] Ainsi auraient répondu avec confiance ces premiers Chrétiens, à qui on n’avait rien à reprocher, si ce n’est qu’ils ne paraissaient jamais dans le cirque, qu’ils fuyaient le théâtre, et les spectacles publics ; qu’on ne les voyait, ni couronnés de fleurs, ni vêtus de pourpre ; qu’une modestie inaltérable régnait dans tous les états ; qu’ils ne connaissaient point dans les âges, de saisons de plaisirs ; que leurs divertissements toujours honnêtes et toujours purs, étaient autant de leçons de vertus et de bienséance, et qu’en tout temps ils étaient Chrétiens. […] Quelle vertu intrépide au milieu de tant d’ennemis ? […] La raillerie en matière de Religion n’ébranle jamais un cœur droit et sincère, elle ne fait peur qu’à ceux que la vertu a déjà effrayés. […] On aura eu raison alors de traiter de divertissements païens les réjouissances du carnaval ; alors ces Ministres de l’Evangile, sincères et peu flatteurs, auront été les sages, on rendra justice alors à la vertu de ceux qui avaient pris le bon parti, en s’interdisant toutes ces fêtes peu chrétiennes.
jamais la vertu ne fut plus près du crime. […] A-t-on remarqué que ces deux amans, dès l’instant qu’ils se reconnoissent, commencent & ne cessent plus de se tutoyer, même après leur conversion, même en présence de la Comtesse & des Religieuses, même en s’exhortant à la vertu ? […] Malgré la force & la beauté de l’expression, la religion, la vertu, la décence frémissent des innombrables blasphêmes répandus dans le Paradis perdu de Milton ; mais enfin ce font des démons qui parlent, c’est leur rôle. […] Tout n’est donc qu’hypocrisie, jusque dans le sanctuaire ; la passion est invincible, dix ans de vertu ne la modèrent pas. […] Ces vœux eussent-ils été nuls d’abord, ils seroient ratifiés par dix ans de vertus : paroles qu’on répette comme un éloge, & qui font leur crime.
Jouir agréablement de son existence est le but que le Sage se propose, en suivant la vertu : il fait que le desordre & le crime n’enfantent que la douleur : si c’était-là la doctrine d’Epicure, tout honnête-homme est Epicurien. […] Je ne crois pas que nous ayions pas plus de vertu que les Anciens ; mais nous rougissons du vice qu’ils affichaient, nous voulons qu’il se cache… Serait-ce par un rafinement de sybarisme ? […] Il paraît que nous ignorons encore tous les usages de notre Théâtre, & que nous ne connaissons pas toute l’utilité qu’on en peut tirer, pour exciter l’émulation, donner aux recompenses de la Vertu un champ digne d’elles, au châtiment des fautes publiques un tribunal redoutable. […] Mais, avec quel avantage n’établit-on pas l’utilité morale de nos Spectacles, s’il est certain, que le but de la plupart des Pièces modernes, est de nous peindre la Vertu toujours aimable, & de rendre le vice toujours odieux ? […] On n’ignore pas d’ailleurs, que durant longtems les Spectacles se sont alliés chez les Romains, avec l’austérité de la vertu.
Saint Grégoire le grand, Evêque de Neocésarée en la Province de Pont, surnommé Thaumaturgepour l’excellence de ses vertus, en une opuscule de la foi de l’Eglise, blâme l’Empereur Decius, de s’adonner aux jeux scéniques. […] Mais quant au regard des Comédiens qui n’ont point de Compétiteurs ni de personnes pour corriger la liberté de leurs pièces, ils représentent sans considération d’offenser la vertu de leurs Auditeurs ; A quoi je réplique ; qu’il n’y a point de ville bien policée, où leurs Comédies ne passent par la coupelleq des Magistrats, et où il ne leur soit défendu de n’exposer aucun sujet sur le Théâtre, qui puisse choquer l’honneur de Dieu, le service du Roi, et la réputation du prochain (Dictionnaire de l’Académie, 1694). […] Quant aux crimes dont il les blâme sans cause, il devrait s’informer mieux de l’état de leur vie, pour en juger avec plus d’équité, et retenir ce torrent d’injures dont il grossit journellement ses prédications, s’il avait été aussi soigneux d’écouter la Comédie pour en connaître la fonction, qu’il a été prompt à la condamner, il aurait vu qu’elle ne produit rien qui puisse blesser la vertu des assistants, ni jeter de mauvaises semences en leurs âmes. […] Qu’il considère combien la Calomnie est préjudiciable à la réputation des hommes, et comme elle opprime la vertu des plus justes actions, que sa rigueur a troublé les plus grands des siècles passés, qu’elle a décoché ses traits contre les plus vertueux, qu’elle a été le fusil de la division des choses, qu’elle a ruiné l’harmonie de l’amitié des hommes, qu’elle a pris l’innocence à partie, qu’elle a essayé de corrompre toute la terre, bref qu’elle n’a rien exempté du joug de son pouvoir, puisque Dieu même a subi la force de sa tyrannie ; par le blasphème des Juifs, qui l’appelaient séducteur, corrupteur des lois, ennemi de l’Etat, un séditieux, un larron, et autres impiétés opposées diamétralement à l’éclat de ses belles vertus. […] Je dirai de plus, qu’il n’y a point d’impostures que sa langue n’ait trouvé dans l’égout de son papier journalier, pour essayer de ruiner la réputation de ceux qui la professent, et comme la médisance est la plus belle partie de son âme, ses injures sont aussi le plus riche ornement de son esprit, et pour dire en un mot de tous les vices d’un Calomniateur, ce Religieux en fait la grandeur de sa vertu et la force de sa Rhétorique.
Tout, dans cette excellente pièce, contribue au triomphe de la vertu ; mais elle n’est pas la seule dans ce genre, & celles que je vous ai citées plus haut en font la preuve. […] L’amour, cet ennemi redoutable, à qui vous avez déclaré la guerre, y joue presque toujours le rôle principal ; mais ou il est innocent, comme dans Mithridate, Iphigénie, Inès, Didon, Pénélope, Héraclius, & tant d’autres, & pour lors il n’est point à craindre ; ou il est criminel, comme l’amour de Varus, pour Marianne ; de Phèdre, pour Hyppolite ; d’Œdipe, pour Jocaste ; alors, loin d’être peint avec ce coloris qui fait chérir la vertu, il paroît dans toute sa noirceur : Varus le déteste & en triomphe : Phèdre succombe après avoir longtemps combattu ; mais, loin de se glorifier de sa défaite, elle trouve le poison trop lent pour se délivrer d’une vie qu’elle a souillée par les plus noirs forfaits : enfin, Œdipe se prive pour jamais du jour, dès qu’il trouve une mère dans une épouse tendrement aimée. […] Si vous craignez de voir un homme furieux, si vous fuyez l’aspect du jaloux, si vous redoutez les tristes effets de la haine, retirez-vous de la scène du monde où vous êtes sans cesse exposé à voir de pareils objets ; c’est au théâtre, à la vérité, qu’on vous en présente le spectacle le plus accompli ; mais c’est aussi là que vous voyez vos foiblesses au grand jour ; l’esprit apperçoit les défauts du cœur ; & la connoissance des vices est le germe des vertus. […] Mais, non ; soyez tranquille ; le livre d’un honnête homme, où ses sentimens sont gravés, ne peut blesser la plus rigide vertu.
Ils savaient trop, que qui veut plaire, le veut à quelque prix que ce soit : de deux sortes de pièces de théâtre, dont les unes sont graves, mais passionnées, et les autres simplement plaisantes ou même bouffonnes, il n’y en a point qu’on ait trouvé dignes des chrétiens, et on a cru qu’il serait plus court de les rejeter tout à fait, que de se travailler vainement à les réduire contre leur nature aux règles sévères de la vertu. […] Les païens dont la vertu était imparfaite, grossière, mondaine, superficielle, pouvaient l’insinuer par le théâtre : mais il n’a ni l’autorité, ni la dignité, ni l’efficace qu’il faut pour inspirer les vertus convenables à des chrétiens : Dieu renvoie les Rois à sa loi, pour y apprendre leurs devoirs : « Qu'ils la lisent tous les jours de leur vie »Deut. […] « Qu'ils s’endorment entre ses bras, et qu’ils s’entretiennent avec elle en s’éveillant » comme un Salomon : pour les instructions du théâtre, la touche en est trop légère, et il n’y a rien de moins sérieux, puisque l’homme y fait à la fois un jeu de ses vices et un amusement de la vertu.
Ce sont les préjugés, l’inconséquence des hommes, & quelquefois les mœurs de ceux qui exercent cette profession estimable qui l’avilissent : mais si le Comédien est honnête, l’Actrice sage, réservée, ils sont des Citoyens utiles, ils peuvent atteindre à la véritable vertu ? […] Tout est pour nous : nos attraits reçoivent une valeur inapréciable, non de nos vertus, de nos talens, qu’on ne saurait connaître… mais… le dirai-je ?
le savait-il, qu’il jugeait la vertu, s’immolant pour un coupable ! […] Après avoir donné les marques d’un attachement si pur, enveloppée dans ta vertu, tu dois voir avec indifférence les jugemens du vulgaire, & jusqu’à l’ingratitude de l’époux.
La question qu’il propose dans l’article second est à savoir s’il y a des choses « plaisantes, joyeuses : ludicra, jocosa » : qu’on puisse admettre dans la vie humaine ; « tant en actions qu’en paroles, dictis seu factis » : en d’autres termes, s’il y a des jeux, des divertissements, des récréations innocentes : et il assure qu’il y en a, et même quelque vertu à bien user de ces jeux, ce qui n’est point révoqué en doute : et dans cet article il n’y a pas un seul mot de la comédie : mais il y parle en général des jeux nécessaires à la récréation de l’esprit, qu’il rapporte à une vertu qu’Aristote a nommée eutrapelia De mor. 4. 14.
Quel rôle joueraient sur le théâtre les vertus chrétiennes, comme le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté et la pénitence ? […] Comme elles font valoir la force au détriment de la raison, le courage au détriment de la prudence, l’homme le plus fougueux, le plus impétueux et le plus violent y paraîtra aimable, et plaira davantage par sa fureur, par sa haine et par sa rage, que celui qui n’a que la vertu pour briller.
Formées à l’école d’un Dieu, qui dit, Je suis là voie, la vérité, la vie ; ne répondez que par un oui ou par un non, tout ce qui est au-delà vient d’un mauvais principe, comment ces vertus pourront-elles ne débiter que des mensonges, n’offrir que des illusions, ne se montrer que sous le masque ? […] Il pouvoit ajoûter, parce que les fables des uns & des autres portent des coups mortels à la religion & aux mœurs, l’hérétique ouvertement par un parti formé, & un systême réfléchi de doctrine, le Comédien sourdement par l’insinuation du plaisir, le ridicule apparent de la vertu, l’exemple réel du vice. […] C’est un Caméléon, un Protée, qui prend toute sorte de couleurs, de formes, de passions, de vices, de vertus. […] Dans la seconde piece une maîtresse, dont il est indigne, va le chercher, & s’abaisse pour lui à des avances très-indécentes (autre leçon de vertu), & son rival, qu’il a trompé, la lui cède lâchement. […] Que de graves apologistes, Marmontel, Boursault, Fagan, Laval, &c. ces vénérables Pères de l’Église, viennent nous dire d’après Arlequin, la comédie corrige les mœurs, castigat ridendo mores, le vice y est toûjours puni, c’est une école excellente de vertu, &c. nous les prierons d’enchasser ces belles tirades dans la comédie du Menteur, dont elles pourront alonger les scènes, & de compter pour quelque chose Aristote, Horace, Plaute, Térence, dont le grand Corneille emploie l’autorité, & ce père du théatre lui-même, qui les valent bien, ne fût-ce que pour la droiture & la sincérité.