L'amour est présentement la passion qu'il y faut traiter le plus à fond ; et quelque belle que soit une pièce de Théâtre, si l'amour n'y est conduit d'une manière délicate, tendre et passionnée, elle n'aura d'autre succès que celui de dégoûter les spectateurs, et de ruiner les Comédiens. […] Quoiqu'on veuille dire que le théâtre ne souffre plus rien que de chaste, et que les passions y sont traitées de la manière du monde la plus honnête, je soutiens qu'il n'en est pas moins contraire à la religion Chrétienne. […] Mais en vérité y a-t-il personne de tous ceux qui sont les plus zélés défenseurs d'une si mauvaise cause qui voulût que sa femme, ou sa fille, fût honnête comme Chimène, et comme toutes les plus vertueuses Princesses du théâtre. […] Il ne faut qu'un peu de bonne foi pour tomber d'accord de ce que je dis; aussi Dieu n'a pas choisi le théâtre pour y faire éclater la gloire de ses Martyrs. […] Mais comme dit le grand Evêque que je viens de citer : « Pour changer leurs mœurs et régler leur raison, Les Chrétiens ont l'Eglise, et non pas le théâtre. » L'amour n'est pas le seul défaut de la Comédie, la vengeance et l'ambition n'y sont pas traitées d'une manière moins dangereuse.
J’ai vu depuis peu de jours, Monsieur, votre Lettre imprimée sur la Comédie : elle annonce vos regrets au sujet des Pièces de Théâtre que vous avez données au public, et de vos bagatelles rimées, dont la plupart ont fait l’admiration de nos meilleurs esprits, et les délices des connaisseurs. […] Je ne dirai rien de vos Pièces de Théâtre, ni du Méchant c, dont l’illusion trop séduisante me fit l’Apologiste dans son temps. […] Je finis, Monsieur, en vous réitérant ma satisfaction de votre Lettre, malgré toutes les censures privées et publiques : ente autre, celle d’un Ecrivain fort connu et de beaucoup d’esprit, qui s’est adressé une Lettre d’un Poète Anglais, auteur de plusieurs Poésies dramatiques qu’il abjure entre les mains d’un Ministre Anglican, savant Docteur, et également habile médecin, puisqu’il le guérit sur le champ de tous ses scrupules, en lui apprenant que ses Pièces de Théâtre sont à peine connues, et qu’elles tomberont bientôt dans un entier oubli. […] Vous nous assurez que jamais le Théâtre n’aura l’approbation de l’Eglise.
Mais accordons qu’on ne cherche au Théâtre que l’union conjugale. […] « Aussi que les mariages des Théâtres sont sensuels, & qu’ils paroissent scandaleux aux vrais Chrétiens !
Les mœurs qu’on voit au nouveau Théâtre sont différentes de celles des autres Spectacles. Notre Théâtre n’a point à craindre le reproche que le Père Brumoy fait à la Comédie.
N’est-ce pas un concert bien entendu entre l’esprit de la scène et celui des lois, qu’on aille applaudir au théâtre ce même Cid qu’on irait voir pendre à la Grève, si la force des lois ne se trouvait pas inférieure à celle des vices qu’elles réprimentao ? […] Les théâtres, qui ne cessent de le répéter, contribuent beaucoup à fortifier cette impression ; l’esprit s’y abandonne sans réserve, et sent avec plaisir les mouvements qu’ils inspirent, et le dispose à en ressentir de semblables dans l’occasion.
A la vue de ces ennemis elles prennent la fuite, et vont se cacher dans une retraite, où elles sont assiégées par les vices, qui les tirent de là, et les mènent enchaînées sur le Théâtre. Cette Scène et ce Théâtre ne peut être, par exemple, dans le Diocèse de Grenoble où votre Héros n’a nulle autorité, ni dans celui de Lavaur qu’il a quitté ; et le bon sens veut que ce ne puisse être que le Diocèse d’Aix, où paraissent, selon vous, tous les vices sur la Scène. […] Voilà cependant par où votre Hercule a commencé à terrasser les vices, l’erreur, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie, qui avaient vaincu, l’innocence, la paix et la vérité, et les menaient enchaînées sur le Théâtre du Diocèse d’Aix.
En effet, « le théâtre lyrique n’offre à l’âme que l’ivresse des vains plaisirs et les charmes de la séduction. C’est là que la volupté entre par tous les sens, que tous les arts concourent à l’embellir, que la poésie ne rime presque jamais que l’amour et ses douceurs ; que la musique fait entendre les accents des passions les plus vives ; que la danse retrace aux yeux ou rappelle à l’esprit les images qu’un cœur chaste redoute le plus ; que la peinture ajoute à l’enchantement par ses décorations et ses prestiges ; qu’une espèce de magie nous transporte dans les pays des fées, à Paphos, à Cythère, et nous fait éprouver insensiblement toute la contagion de l’air impur qu’on y respire ; c’est là que tout nous dit de céder sans résistance aux attraits du penchant ; c’est là que l’âme amollie par degrés perd toute sa force et son courage ; qu’on languit, qu’on soupire, qu’un feu secret s’allume et menace du plus terrible embrasement ; que des larmes coulent pour le vice, qu’on oublie ses vertus, et que, privé de toute réflexion, réduit à la faculté de sentir, lié par de honteuses chaînes, mais qui paraissent des chaînes de fleurs, on ne sait pas même s’indigner de sa faiblesseau. » Aussi Riccoboni, auteur et comédien tout à la fois, après être convenu que, dès la première année qu’il monta sur le théâtre, il ne cessa de l’envisager du mauvais côté, déclare qu’après une épreuve de cinquante années, il ne pouvait s’empêcher d’avouer que rien ne serait plus utile que la suppression entière de tous les spectacles. Le théâtre, selon lui, était dans ses commencements le triomphe du libertinage et de l’impiété, et il est, depuis sa correction, l’école des mauvaises mœurs et de la corruption.
Notre cher et bien aimé ***, Nous ayant fait remontrer qu’il désirerait faire imprimer et donner au Public un ouvrage de sa composition, intitulé, la Critique du Théâtre Anglais comparé au Théâtre d’Athènes ; de Rome et de France ; et l’Opinion des Auteurs tant profanes que sacrés touchant les Spectacles : de l’Anglais de M.
« Non seulement les romans et les pièces de théâtre éloignent l’âme de tous les actes de religion et de piété, mais encore ils tendent, en quelque manière, à nous inspirer une profonde aversion pour toutes les actions ordinaires et sérieuses. […] « Et qu’on ne s’imagine pas que, de ce que l’on ne va pas au spectacle pour former ses sentiments, mais bien pour se divertir, il s’ensuive que les maximes coupables dont les pièces de théâtre abondent ne peuvent être funestes ; ces maximes ne manquent pas de faire impression, bien que nous ne nous en apercevions pas. […] Or, on ne peut nier que cette opinion ne soit accréditée en grande partie par les pièces de théâtre, qui sont pleines de ces maximes funestes. […] » *** Clarke, dans son Essai sur l’étude, dit, en parlant du théâtre et des romans : « Parce que j’en ai vu, je les juge généralement écrits avec peu de décence et de manière à préconiser la vanité et le vice plutôt qu’à les discréditer. […] « Si ce moyen était mis en usage avec bonne foi et candeur, si l’on s’appliquait à faire sur son propre cœur cette fidèle épreuve, si l’on s’accoutumait à se livrer à cet examen consciencieux, avouons-le, nos salles de spectacles, et ces salons brillants qui offrent à la beauté un théâtre plus choisi, mais non moins dangereux, ne verraient pas, chaque soir, une affluence jusqu’alors inouïe dans les annales du plaisir.
Racine mécontent de Port-Royal, qui l’avoit condamné, écrivit deux lettres pleines d’esprit & de sarcasmes, plutôt pour se vanger que pour justifier son théâtre. […] Ne joue-t-on pas au théâtre toutes sortes de personnages ? […] Tous les anciens casuistes qu’on pourroit regarder comme relâchés sur l’article du spectacle, n’ont fait & ne pouvoient faire autre chose ; leur indulgence prétendue n’a aucune application au vrai théâtre dont on n’avoit aucune idée, ni aucun modele. […] Le pourroit-on-même aujourd’hui, l’a-t-on jamais fait ni pour ni contre dans tout ce qu’on a écrit sur le théâtre. […] La ville de Geneve n’a jamais souffert le théâtre, malgré la licence du calvinisme dont elle est le centre ; elle a conservé une pureté, une simplicité de mœurs qu’on n’a vu ni ne verra jamais dans les Villes où la Comédie est soufferte.
Dans les temps modernes, les théâtres se sont relevés avec la civilisation et l’ont suivie dans sa marche. […] De nos jours, les théâtres se sont multipliés et suffisent à peine à la foule qui les assiège. […] La transporter du théâtre à notre chaire, c’est, je crois, mes chers auditeurs, ennoblir, sanctifier la chaire française. […] Les théâtres, si on veut l’en croire, ne sont que les Propylées de l’enfer. […] Parce que le Théâtre Français est le plus parfait de tous les théâtres, et que c’est aux chefs-d’œuvre de nos poètes dramatiques que nous devons la propagation de notre langue dans tout l’univers.