Toutes ces passions ne plaisent qu’autant qu’elles sont senties, et que le sentiment en a été plus vif et plus profond. […] Elle est flattée par tout ce qui flatte ses passions ; elle veut sentir ce qu’elle aime, et elle aime ce qu’elle veut sentir. […] Car on ne se défie point de l’amour ni de l’ambition, quand on n’en fait que sentir les mouvements sans en éprouver les inquiétudes. […] Ceux même qui sont les plus passionnés pour les spectacles en sentent bien le vide et le faux, s’ils ont de l’esprit ; comme ceux qui aiment le monde en connaissent bien l’injustice et la malignité, s’ils profitent de l’expérience : mais le cœur des uns et des autres n’en est que plus corrompu d’aimer ce qu’ils sentent bien n’être pas aimable ni digne d’être aimé. […] Il y a un certain ordre, dans la dispensation même des ténèbres, inconnu aux pécheurs ; et c’est ce qui doit faire trembler ceux qui croient que tout le danger de la comédie n’est que d’un certain côté, et qu’ils ont tout évité, si à cet égard ils ne se sentent pas affaiblis.
Vous sentez donc qu’il y a des femmes qu’on ne peut trop chérir ? […] Vous accusez les femmes de ne rien savoir et de ne rien sentir. […] On sent que cette société ne peut que lui être fatale. […] Ne sentez-vous pas vos maux adoucis par ma présence ? […] Vous êtes cet homme-là, votre réputation a passé jusqu’à moi ; j’ai adoré vos vertus : j’ai senti, j’ai cru sentir du moins que je vous appartenais déja ; faudra-t-il que je me sois abusée ?
La satisfaction de vos besoins et les connaissances utiles vous offraient toujours des plaisirs sans mélange : vous vous contentiez de croire ce que vous sentiez : Et sans vous embarrasser dans ce que vous ne compreniez pas, vous n’interrompiez point le cours naturel de vos esprits, vous ne les rassembliez point inutilement dans votre cerveau, au détriment du reste de vos organes : par l’exercice que vous faisiez, vous les aidiez au contraire à circuler par tout votre corps : vivant tranquilles, vous viviez en santé, vous étiez gais et vigoureux. […] La vérité n’est point pour nous dans les objets extérieurs ; elle réside intérieurement dans chacun : rien n’est plus certain que ce que nous sentons, et notre sentiment est la chose la plus constante, qui existe véritablement pour nous dans l’Univers. […] Je serais fou de ne pas croire vrai ce que je sens, par quelque organe que ce soit : mais je serais extravagant si je décidais que tout ce qui me paraîtrait être mes semblables, dût sentir comme moi, et si je voulais les y obliger : c’est cependant la prétention de tous ces dogmatistes qui nous inondent de leurs rêveries. […] qu’on veuille nous persuader aujourd’hui, par un discours captieux, que les Spectacles sont l’école du vice, que les vertus même qu’on y présente mènent au crime, devons-nous le croire par préférence à ce que nous sentons ? […] Leibnitz a bien senti cette difficulté ; c’est elle qui lui a fait embrasser le système des Monades, et réduire tout ce que nous éprouvons par les sens, à des phénomènes, c’est-à-dire, à des apparences.
Mais, dit-on, quel mal y a-t-il à sentir des bonnes odeurs ? […] L’excès est inévitable, l’habitude y accoutume si bien qu’on ne les sent plus ; un plaisir d’abord agréable n’est plus un plaisir, dit Madame de Scuderi, converser. […] Qu’on juge combien doit sentir mauvais la conduite, la réputation des gens de théatre qui sentent si bon, capitis odor, vitæ fœtor. […] Les abeilles sur les fleurs, les moutons dans les prairies cherchent les fleurs odoriférantes, non pour les sentir, mais pour s’en nourrir ou en tirer le suc. […] Celui qui sent toujours bon ; sent mauvais ; ce jeu de mots renferme une vérité très-commune : non benè olet qui benè semper olet .
Elles ne donnent pas toujours de l’amour, mais elles préparent à en sentir : elles ne choisissent peut-être pas dans le moment la personne qu’on doit aimer, mais elles forcent à faire ce choix. […] On est tout entier à ce qu’on voit, à ce qu’on sent. […] On se sent attendrir, on verse des pleurs en dépit de soi, on oublie tout, on oublie sa raison et son propre cœur. […] Voilà ceux qui ne sentent pas les effets et les dangers du spectacle : car sent-on l’impétuosité d’un torrent quand on se laisse aller à son cours ? […] « Fussent-elles vertueuses, pourrait-on croire qu’elles peignissent si bien les passions, si elles n’étaient point habituées à les sentir ?
Il ne faut pas s'imaginer que ces méchantes maximes dont les Comédies sont pleines ne nuisent point; parce qu'on n'y va pas pour former ses sentiments, mais pour se divertir: car elles ne laissent pas de faire leurs impressions sans qu'on s'en aperçoive ; et un Gentilhomme sentira plus vivement un affront, et se portera plus facilement à s'en venger par la voie criminelle qui était ordinaire en France, lorsqu'il aura ouï réciter ces Vers: « Mourir sans tirer ma raison : Rechercher un trépas si mortel à ma gloire ; Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison; N'écoutons plus ce penser suborneur. » Et la raison en est que les passions ne s'excitent pas seulement par les objets, mais aussi par les fausses opinions dont l'esprit est prévenu. […] Si l'on ne parlait jamais de ceux qui se battent en duel, que comme des gens insensés et ridicules, comme ils le sont en effet ; si l'on ne représentait jamais ce fantôme d'honneur qui est leur idole, que comme une chimère et une folie ; si l'on avait soin de ne former jamais d'image de la vengeance que comme d'une action basse et pleine de lâcheté; les mouvements que sentirait une personne offensée seraient infiniment plus lents. […] Or on ne peut nier que les Comédies, qui sont toutes pleines de ces mauvaises maximes, ne contribuent beaucoup à fortifier cette impression; parce que l'esprit y étant transporté et tout hors de soi, au lieu de corriger ces sentiments s'y abandonne sans résistance, et met son plaisir à sentir les mouvements qu'ils inspirent, ce qui le dispose à en produire de semblables dans l'occasion.
: ce sont ces miseres mêmes, qu’on aime à y voir & à y sentir. […] Il sent dans son ame je ne sçai quoi de plus noble, de plus sublime : il croit être transporté dans une région supérieure. […] Il ne s’est pas trompé non plus lorsqu’il a remarqué que l’homme se plaît naturellement à l’imitation, soit qu’il imite lui-même, soit qu’il ne fasse que sentir l’effet de l’imitation faite par un autre. […] Le plaisir que nous sentons à satisfaire ce désir s’useroit bien-tôt, & il y auroit peu de personnes qui voulussent revoir plusieurs fois la même piece, ou tout autre Ouvrage, puisqu’elles n’auroient plus rien de nouveau à y apprendre ; il n’y a personne d’ailleurs qui ne sente en soi-même quelque chose de plus que ce plaisir d’apprendre, quand il ne chercheroit dans une Tragédie ou autre Poëme, que la justesse & la vérité de l’Imitation. […] Mais il faut une certaine force d’esprit, & encore plus de persévérance dans une application pénible, pour sentir cette espece de volupté purement spirituelle que les premiers cachent aux yeux du vulgaire.
Quelle école, en ces lieux, pour la faible jeunesse, Que celle, où l’on enseigne à sentir la tendresse ? […] De sa gloire invisible on sent la majesté ; On y craint sa justice, on chérit sa bonté. Mon âme, qui se sent de sa grandeur première, Vole vers cet objet, s’y livre toute entière ; Et goûtant, à longs traits, l’aimable vérité, Conçoit pour tout le reste une illustre fierté. […] Des poèmes si beaux, chaque fois qu’on les joue, Exercent sur nos cœurs les droits de Bourdaloue : Celui qui de son Dieu tendait à s’éloigner, S’y sent, par le plaisir, doucement ramener.
Je suis persuadé que le Lecteur m’a prévenu, & qu’il a senti quel était le genre de musique qui méritait la préférence. […] Ne pourrait-on pas dire qu’ils ne la célèbrent avec tant de soin que parce qu’ils sentent qu’elle ne saurait se passer de leurs suffrages, & qu’ils empêchent par ce moyen le Public d’ouvrir les yeux ? […] Pour être en état de sentir les beautés, la fraîcheur & le coloris d’un tableau de Rubens, il ne faut point être Peintre ; il suffit d’avoir la vue juste.
Il serait à souhaiter que les Auteurs qui consacrent leurs veilles au nouveau Spectacle, ainsi que ceux qui travaillent pour l’Opéra-Sérieux, fussent à la fois Poètes & Musiciens ; ils composeraient avec plus d’art les paroles qu’ils destinent pour le chant ; ils sentiraient d’abord si elles se prêteront à la modulation, si elles ont la douceur ou la force nécessaire. […] Il est aisé de sentir qu’un Compositeur laisse échapper bien des choses que le Poète-Musicien aurait saisi avec plus d’adresse. […] Il est pourtant nécessaire que le Musicien soit instruit, pour être en état de sentir ce qu’éxigent telle pensée, telle situation ; & pour peindre avec de vives couleurs ce que le Poète ne fait souvent qu’indiquer.
L'Acteur ne cherche qu'à les émouvoir, et le spectateur à les sentir. […] Pour peindre parfaitement les passions, l'Auteur doit commencer par les sentir, se passionner, se transporter, qu'il soit pour le moment Alexandre, Brutus, Bérénice, Tartuffe, Scapin, etc. furieux, ambitieux, fier, cruel, tendre, jusqu'à ne pas se sentir lui-même. […] Mais ce n'est qu'un jeu : qui prétend corrompre le cœur en lui faisant sentir un trouble agréable ? […] Et n'est-ce pas l'infaillible effet de la séduction, de ne le sentir, ni le pouvoir, ni le vouloir ? […] C'est sentir tout ce qu'exprime l'Acteur, c’est-à-dire tout ce que sentirait le personnage qu'il représente.