Il faut qu’un Poëte dramatique soit naturellement menteur ; il ne sauroit enfanter tant de mensonges, s’il n’en avoit le germe dans son cœur ; il ne sauroit leur prêter ces couleurs de vérité, s’il n’étoit plein de duplicité. […] On voit plusieurs pieces sur le même sujet, César, Alexandre, Iphigénie, Mérope, &c. elles sont toutes différentes, les faits sont par-tout défigurés, selon la fantaisie du Poëte ; il n’y en a pas une où l’en suive fidellement l’histoire.
on ne règle pas après coup les mouvements du cœur sur les préceptes de la raison ; on n’attend pas les événements pour savoir quelle impression on doit recevoir des situations qui les amènent : car, si les poètes sont les maîtres des passions qu’ils traitent, ils ne le sont pas des passions qu’ils ont émues. […] Mais Corneille, Racine, Molière, Voltaire et tous les poètes modernes ne se sont occupés dans leurs drames qu’à exciter l’amour.
Est-ce l’artifice avec lequel le Poète y a su déguiser la vérité, en y mêlant des fictions fabuleuses, et des incidents assez heureusement imaginés Chap. […] Augustin a dit, sur ce qu’on l’avait exercé en sa jeunesse à réciter les fables des Poètes, « qu’il y a plusieurs manières différentes de sacrifier aux Anges rebelles » ; et que si les comédies de notre temps ne se représentent pas en l’honneur d’un Mars, d’un Jupiter, et d’un Neptune, elles sont pourtant uniquement consacrées à l’amour profane, au plaisir de ceux qui les regardent, et à l’avarice et à la cupidité de ceux qui les représentent.
Quoique toute Poësie soit une imitation, nous donnons particuliérement le nom d’Imitative à la Dramatique, parce que le Poëte cessant de nous parler ou de raconter, disparoît & met à sa place des Personnages qui parlent & qui agissent.
plus habiles d’entre les Trouveours, qui étaient les Poètes de ce temps, et les chefs de cette troupe moururent ; d’autres leur succédèrent, mais fort incapables.
L’homme est entièrement perverti depuis le péché, les mauvais exemples lui plaisent plus que les bons, parce qu’ils sont plus conformes à son humeur ; quand on lui représente sur le Théâtre le Vice avec ses laideurs et la Vertu avec ses beautés, il a bien plus d’inclination pour celui-là que pour celle-ci : Et comme les Poètes ne sont pas exempts de ce désordre qui n’épargne aucune personne, ils expriment beaucoup mieux les passions violentes que les modérées, les injustes que les raisonnables, et les criminelles que les innocentes : Si bien que contre leur intention même ils favorisent le péché qu’ils veulent détruire, et ils lui prêtent des armes pour combattre la Vertu qu’ils veulent défendre.
5 ; quæ manus obscenas depinxit prima tabellas, & posuit chartâ turpia vita domo, illa puellarum ingenuos corrupit ocellos nequitiæque suæ noluit esse rudes ; un autre poëte, picta est ô juvenis quam cernis virgo, sed acres hisce oculis flammas ejaculatur amor. […] On colore ce goût de libertinage, du prétexte de montrer l’habileté de l’artiste dans les carnations & les formes du corps humain, comme dans la licence des paroles, ce n’est, dit-on, que l’esprit, les talens, la gaieté du Poëte qu’on admire. L’amateur, le spectateur, l’artiste n’ont que des yeux savans, un cœur peintre, un esprit poëte : élevés au-dessus des sens, la nature ne leur à point donné des passions ; leur chair ne se révolte jamais ; ce ne sont point des hommes, c’est un pur amour Platonique, qui ne voit, ne goûte dans les femmes que l’ouvrage du Créateur. […] Le même esprit qui préside au choix du sujet, dirige la plume du poëte, l’action de l’acteur, le pinceau de l’artiste, la toilette de la figurante, les pas de la danseuse, l’archet du musicien.
Aucun Poëte moderne ne s’est moins écarté que M.
« L’Opéra, dit-il, est un assemblage bisare de Musique, où le Poète & le Musicien se gênent l’un & l’autre… L’Opéra occupe plus les yeux que l’esprit… les Opéras sont des sotises magnifiques, chargées de Musique, de machines, de décorations, mais toujours une sotise. » Le Lecteur est maintenant en état d’entendre ce que signifie Opéra-Bouffon.
Il n’y a de nouveau que le nom de Flore, car ce n’est qu’un recueil de recettes qu’on trouve dans un grand nombre de livres, on a cru piquer la curiosité & donner la vogue, par un long titre : il a mis pour Epigraphe des vers de Boileau, dont le choix n’est pas heureux ; ce poëte dit, en parlant de l’Idille, Art. poët. […] Ce poëte prétend que bien loin de donner quelques nouvelles graces, c’est au contraire acheter bien cherement la perte de ses agrémens naturels : Naturæque decus mercato perdere cultu, nec sinere in propriis, membra nitere modis. […] Le poëte nous dit seulement que c’étoit une espece de glu qu’on répandoit sur tout le visage, en sorte que quand son mari vouloit la toucher il s’engluoit comme un oiseau pris au piege ; viscansur labra mariti .
Il faut donc aussi qu’en comparant un Poëte à Appollon, un Guerrier à Mars, une Femme à Venus, on approuve l’idolatrie. […] Mettre un Poëte dans ce point de vue (& il y en a presque toujours quelqu’un qui s’y met) quel plaisir pour lui de se voir orné de toutes ces couronnes, sans voir celles des autres ! Mais ce Poëte n’approche ni d’une actrice sur le théatre, ni d’une jolie femme à sa toilette, ou dans un cercle, où elle étale en sortant de son laboratoire les couleurs, les graces qu’elle vient d’y manufacturer, ni même d’un joli homme dans son cabriolet.