Ce soupçon néanmoins qui auroit dû le retenir, s’il aimoit sa Religion, ne l’empêche point de franchir le pas : c’est une difficulté qu’il élude, désesperant de la résoudre, & bravant les remords que sa conscience ne manque pas de lui faire sentir, il s’obstine à l’apologie des représentations théâtrales, courant volontiers le risque de prêter sa plume au relâchement, à la corruption des mœurs, à des passions avec lesquelles le Christianisme est tout-à-fait inconciliable. […] L’opposition dont on accuse les Poëmes dramatiques, aux regles de la foi, ne l’embarrasse point ; c’est une imputation qu’il ne daigne pas approfondir, parce qu’il fait peu de cas de nos saintes maximes, parce qu’il manque de Religion, ou du moins sa religion est vaine. […] Il ne manque à ces principes, Mademoiselle, qu’un petit détail ; on ne doit pas le refuser à votre instruction ; mais de peur que vous ne soyez excédée, je renvoye cet article à l’ordinaire prochain.
Malgré la nécessité de réformer le Théâtre, il paraît presque impossible, aujourd’hui, d’en bannir les femmes, sans détruire absolument les Spectacles que l’on regarde comme nécessaires, par la raison spécieuse des désordres qui sont plus fréquents, lorsque les Fainéants et les Libertins manquent de quelques amusements publics qui les dissipent, ou qui les occupent. […] Si une fois le Théâtre était amené à ce point de perfection, qui ne manquerait pas à la fin de réunir tous les suffrages, l’inconvénient même des femmes, ou cesserait entièrement, ou serait considérablement diminué ; les bonnes mœurs, qui règneraient dans toutes les Pièces, n’instruiraient pas moins les Actrices que les Spectateurs ; et d’ailleurs on pourrait encore conserver les femmes, en prenant les précautions que l’on trouvera dans la Méthode de la Réformation, que je donnerai à la suite de ce Traité.
J’avoue que, dans leurs Tragédies, les Grecs ne l’ont montré que par ses fureurs et ses emportements ; et, par là, cette passion n’a jamais manqué d’inspirer aux Spectateurs une horreur capable de les corriger. […] Les quatre sortes de sentiments que je viens d’indiquer sont tels que, s’ils étaient mis sur la Scène avec tout l’appareil propre à en faire valoir l’intérêt, ils ne pourraient manquer de remplir l’objet que l’on doit se proposer, qui est de corriger et d’instruire ; mais on ne saurait disconvenir que la passion de l’amour, ainsi qu’on a coutume de nous la représenter, ne produise des effets tout contraires. […] Il y a près de deux mille ans, que les Comédies Atellanes ont porté cette dépravation à Rome : les Comiques Latins, qui nous restent, nous l’ont transmise : et, depuis que le Théâtre moderne subsiste, les intrigues d’amour ont toujours fait le fond des Comédies, Sans parler de l’utile, qui doit toujours marcher à côté de l’agréable, (et qui se trouve rarement dans une action, où il ne s’agit que d’amour et de mariage) nous voyons que l’agréable même y manque.
Les Personnages ordinaires des Parades d’aujourd’hui, sont le bon-homme Cassandre, Père, Tuteur, ou Amant suranné d’Isabelle ; le vrai caractère de la charmante Isabelle, est d’être également faible, fausse & précieuse (une vraie Servante de Cabaret) : celui du beau Léandre son Amant, est d’allier le ton grivois d’un Soldat, à la fatuité d’un petit-maître manqué : un Pierrot, quelquefois un Arlequin, & un Moucheur de chandelle, achèvent de remplir tous les Rôles de la Parade, dont le vrai ton est toujours le plus bas-comique. […] Pourra-t-on croire un jour que dans le siècle le plus ressemblant à celui d’Auguste, dans la fête la plus solennelle, le manque de goût, l’ignorance & la malignité aient fait admettre & représenter une Parade de l’espèce de celles que nous venons de définir ?
5. « Dans la perte du temps ; on se plaint qu'on en manque pour ses exercices du Christianisme,Le Père Cheminais Jésuite dans un Sermon sur la Conception de la sainte Vierge. […] Dieu fera voir au Jugement qu'on pouvait ce jour-là donner du pain à vingt personnes qui en ont manqué.
D’un autre côté, Fatime est Chrétienne, & il n’est pas dans les mœurs Turques, de confier des enfans qu’ils ne manquent jamais de faire élever dans leur Religion, à des Esclaves Chrétiens. […] Il est vrai qu’Orosmane dit : En tout tems, en tous lieux, sans manquer de respect, Chacun peut désormais jouir de mon aspect. […] Ce Prince, scrupuleux observateur de la foi qu’il avoit donnée, relève encore ce mérite, par une acction digne du plus généreux Monarque, pour manquer à sa parole par caprice, & sans autre motif que sa volonté ! […] En tout tems, en tous lieux, sans manquer de respect, Chacun peut, chaque jour, jouir de mon aspect.
Cependant ces applications manquent de justesse. […] Le Poëte n’avoit pas eu d’autre dessein : il eût manqué son but, si on eût pû ne pas les faire. […] ce grand maître, ce modelle parfait, ce génie supérieur, cet homme unique, manquer à l’honnêteté publique ! […] Ces folies ne pouvoient manquer d’être applaudies & récompensées. Tout ce qui flatte le vice, ne manque jamais de partisans.
Une expression ménagée, et un peu de retenue dans la posture agit plus sûrement, et l’Acteur ou l’Actrice par ses manières délicates, et sous ses apparences de pudeur ne manque point de porter le coup mortel. […] Car il est accommodant, et il ne manque à sa Théologie que les maximes de l’Evangile. […] Gens de tout âge, de toute condition, de toute profession hommes et femmes de mille différents caractères ont paru : ce qu’on appelle « Comédie » a commencé, et personne n’a manqué d’attribuer à son voisin ce qui convenait le mieux à lui-même. […] Il demande ou qu’on cesse de condamner la Comédie, ou qu’on la laisse passer avec ces choses pour lesquelles on ne manque pas d’indulgence. […] On les écoute ces interprètes, ils prononcent sans distinguer l’Etat d’avec l’Eglise, que la Comédie n’est pas un mal ; et ce qui ne manque jamais d’arriver entre gens de profession opposée, un Cavalier qui survient ne veut pas qu’elle soit permise.
D’abord si l’on observe sans prévention le moyen dont l’auteur se sert pour réprimer l’avarice et l’usure, on voit avec peine qu’il met en spectacle, devant les enfants comme devant leurs parents, le fils d’un avare qui manque de respect à son père, qui l’insulte cent fois, tâche de lui attirer le mépris et la risée publique, le vole, le goguenarde et se rit de sa malédiction, de manière à mériter l’approbation des spectateurs ; on voit que la fille même manque à son père et s’en moque avec autant de succès dans cette pièce. Que doit-il résulter de ce scandale inouï pour les jeunes spectateurs, ou pour les enfants qui, d’instinct, d’après le mouvement de leur cœur, et d’après leur éducation, doivent regarder comme de droit naturel le devoir d’aimer leurs parents, et le précepte de les respecter comme indispensable, absolu et tel que leur propre intérêt et la honte d’y manquer devraient du moins empêcher des enfants d’aller jusqu’à outrager ainsi l’auteur de leurs jours ? […] Et, de plus, les enfants ne pouvaient manquer d’étendre les conséquences et les applications de ces nouvelles vues. […] Réduits à l’alternative ou de manquer de tout, ou d’anticiper sur votre héritage par ressources ruineuses, ils dissiperont en usure ce qu’en usure vous accumulez. […] Le changement de maîtresses, si conforme à la passion qui les fait rechercher, n’ayant pas de frein, est devenue une mode, ou un régime ; elles passaient de l’un à l’autre ; à tout âge, avec de l’argent, on était sûr de ne pas en manquer ; il s’était même établi des courtiers des deux sexes qui en procuraient, qui en faisaient commerce !
En effet le vice n’est pas dangereux parce qu’il est ridicule, mais parce qu’il entraîne après lui des suites funestes : par exemple, l’ivrognerie n’est pas un vice dangereux, parce qu’il met celui qui en est dominé dans un état d’extravagance qui lui attire les regards de tous les passans ; parce qu’il lui fait dire cent choses déraisonnables qui le font prendre pour un insensé ; mais bien parce qu’un ivrogne va dépenser au cabaret l’argent qui seroit mieux employé au soutien de sa famille ; mais bien parce qu’un ivrogne pour contenter sa malheureuse passion, laisse manquer de pain à sa femme & à ses enfans ; parce qu’il perd le goût du travail, & tombe lui-même dans la misere inséparable de la fainéantise ; mais bien parce qu’un homme dans l’état d’ivresse perd le sentiment de sa propre conservation, & qu’étant privé de raison, il n’a plus de frein qui puisse s’opposer à ses mauvais penchans. […] Si la réponse à ma question est telle que je la suppose, j’aurai donc raison d’en conclure, que le portrait d’un avare qui tombe moins sur le fond du vice, que sur les manieres du vicieux, autrement dites le ridicule, est un portrait manqué & qui n’atteint pas le but de la Comédie, qui est de corriger les hommes. […] Je dis plus, une Comédie qui a beaucoup fait rire les Spectateurs a manqué son effet ; car c’est une preuve que l’Auteur aura pris du vice tout ce qu’il renfermoit de ridicule, & qu’il s’en sera tellement occupé, que les Spectateurs n’auront rien trouvé d’odieux ou de révoltant dans ce vice dont on vouloit cependant les corriger.
5 …………… …………… …………… …………… De tant de modes d’oppression anciens et nouveaux, de ce pouvoir effréné, toujours menaçant, de lui ôter sa place, c’est-à-dire, son pain et celui de ses enfants, il résulte incontestablement, ainsi que je viens de le dire, qu’un employé manque tout-à-fait de la sécurité la plus essentielle au bien-être ; il en résulte que, libre de droit, il est de fait l’esclave d’un homme, même sans vertu, devant lequel il doit trembler et se courber, d’un homme qui, placé fortuitement entre lui et les autorités légales de son pays, en arrête l’action à son égard, l’empêche d’en ressentir les bienfaisantes influences, et rend illusoire par conséquent la jouissance de ses droits. […] Tous ceux, dit-il, de qui le pain d’autrui dépend, ces supérieurs de toute espèce sont d’autres pères de votre création ; achevez donc votre ouvrage ; rendez-les propres à leur destinée ; assurez aussi à leurs enfants ce qu’ils leur doivent ; comme la nature, en formant les siens, a imprimé dans le fond de leurs cœurs des lois auxquelles ils ne peuvent résister sans remords ; ainsi, en formant les vôtres, imposez-leur des devoirs auxquels ils ne puissent manquer sans châtiment.