Eh bien, je crains sort que ce vice qu’on peut dire sans imprudence, être assez général aujourd’hui, ne fût un de ceux contre lesquels un Auteur comique échoueroit, parce qu’il se trouve trop de personnes qui n’ont point envie de s’en corriger. […] Malheur aux hommes si une pareille Comédie tombe par la cabale des gens corrompus, qui craignent de se voir démasqués. […] Mais cette défense du Gouvernement lui est préjudiciable ; car en dérobant les grands à la censure publique, elle leur fait entendre qu’ils peuvent être vicieux impunément ; & il est malheureusement trop vrai que lorsqu’on peut commettre un crime sans rien craindre, on le commet presque toujours. […] Je ne crois pas qu’on me fasse un crime de la liberté que je demande pour la Comédie ; car qu’ont a craindre de la satire ceux qui font leur devoir, & de quelle utilité sont pour l’état ceux qui ne le font pas ?
Il est aussi évident que celui qui craint, ou qui a sujet de craindre raisonnablement, que les autres ne tombent dans quelque péché mortel, à son occasion, ou à cause de la danse, pèche encore lui-même mortellement, s’il se trouve à la danse, ou s’il la procure.
Mais laissons ces petites choses : voici des supplices, des tourments, des Croix, non plus à adorer, mais à souffrir, des feux que vous craignez et que vous prédisez aux autres. […] Ainsi il semble que vous craigniez même les Dieux que vous ne croyez point.
L’amour, cet ennemi redoutable, à qui vous avez déclaré la guerre, y joue presque toujours le rôle principal ; mais ou il est innocent, comme dans Mithridate, Iphigénie, Inès, Didon, Pénélope, Héraclius, & tant d’autres, & pour lors il n’est point à craindre ; ou il est criminel, comme l’amour de Varus, pour Marianne ; de Phèdre, pour Hyppolite ; d’Œdipe, pour Jocaste ; alors, loin d’être peint avec ce coloris qui fait chérir la vertu, il paroît dans toute sa noirceur : Varus le déteste & en triomphe : Phèdre succombe après avoir longtemps combattu ; mais, loin de se glorifier de sa défaite, elle trouve le poison trop lent pour se délivrer d’une vie qu’elle a souillée par les plus noirs forfaits : enfin, Œdipe se prive pour jamais du jour, dès qu’il trouve une mère dans une épouse tendrement aimée. […] Si cet homme est capable de réflexions, s’il fait un juste parallele de sa situation & de celle d’Oreste, ne craindra-t-il pas le même sort que lui ? […] Si vous craignez de voir un homme furieux, si vous fuyez l’aspect du jaloux, si vous redoutez les tristes effets de la haine, retirez-vous de la scène du monde où vous êtes sans cesse exposé à voir de pareils objets ; c’est au théâtre, à la vérité, qu’on vous en présente le spectacle le plus accompli ; mais c’est aussi là que vous voyez vos foiblesses au grand jour ; l’esprit apperçoit les défauts du cœur ; & la connoissance des vices est le germe des vertus. Vous voyez donc, Monsieur, que Melpomène n’est pas si à craindre que vous vous l’imaginez.
Mais si notre goût corrompu ne peut plus s’accommoder des choses simples, et qu’il faille réveiller les hommes gâtés par quelques objets d’un mouvement plus extraordinaire ; en laissant à d’autres la discussion du particulier qui n’est point de ce sujet, je ne craindrai point de prononcer qu’en tout cas, il faudrait prouver des relâchements plus modestes, des divertissements moins emportés. […] Quand il venait à considérer que ces personnages qu’on représentait sur les théâtres étaient la plupart ou bas ou même vicieux, il y trouvait encore plus de mal et plus de péril pour les comédiens, et il craignait que « l’imitation ne les amenât insensiblement à la chose même » Ibid.
Ne craint-on point de la dégrader, en la faisant présider à une espèce de débauche publique ? […] Eh Monsieur, songez donc au luxe que vous craignez tant ; songez que la modestie que vous exigez ne s’accorde pas avec une parure excessive. […] Vous voulez que les pères et mères aient à leur tête un Seigneur Commis, et que tous ensembles composent un Aréopage pour juger de la modestie et de la danse des jeunes gens ; mais ne craignez-vous pas la prédilection des pères et mères pour leurs enfants ? […] Ils ont toujours vu, jusqu’à présent, dans un ivrogne un homme dégoûtant et ridicule, à qui l’on doit craindre de donner sa confiance. […] Tel qui aurait craint de se faire une affaire parce qu’il est prudent ou timide naturellement, devient hardi et querelleur quand il a la tête échauffée par le vin, qui le tire de son assiette ordinaire.
On sait que la justice, et la modération du souverain pontife actuel, et de plusieurs de ses augustes prédécesseurs éloigne pour longtemps, de semblables catastrophes ; mais enfin puisque l’expérience nous a démontré qu’elles avaient eu lieu, dans un temps, la prudence doit nous commander de craindre de les voir renaître, à une autre époque. On jugera par le dénombrement de l’ancien clergé de France, qui va suivre, combien la cour de Rome avait de zélés serviteurs dans le royaume, avant la révolution, et combien l’autorité de nos princes devait être entravée, lorsque le clergé formait et soutenait d’autres prétentions ; puissant par le nombre, puissant par les richesses de ses revenus, et plus puissant encore par l’influence de ses fonctions, le clergé à lui seul pouvait singulièrement contrarier la volonté du prince, lors même qu’elle se dirigeait vers le bien-être de ses sujets ; aujourd’hui à la vérité, tout est diminué dans le clergé, le nombre, les richesses, et même l’influence de l’opinion ; il faut encore ajouter que les lois constitutionnelles rendent au prince et à son gouvernement une suprématie d’autorité, qui n’en reconnaît ou n’en craint pas d’autre dans l’Etat, mais encore ce clergé s’élève actuellement à environ 50.000 individus, qui jouissent de plus de 30.000.000 fr. de revenus, et ces individus pourraient un jour, si on leur permettait de dériver de la ligne tracée par nos lois, chercher à ressaisir une autorité qu’ils n’ont perdue qu’à regret.
D’ailleurs, les folies dont il nous guérit, ou qu’il nous fait craindre d’étaler au grand jour, sont plus importantes que l’on ne croit. […] Lorsqu’on invente un genre de spectacle qui n’a rien de semblable à ceux qui sont reçus, on ne doit craindre aucune opposition. […] Suivons l’exemple des Grecs & des Romains ; ils ne craignaient pas de trop multiplier les Spectacles ; ils allaient applaudir tour-à-tour la Tragédie, la Comédie & les Mimes. […] Il est aisé de concevoir, qu’alors les Comédiens ne se laisseraient point séduire par le bruit flatteur des applaudissemens ; ils craindraient toujours de voir triompher leurs rivaux ; cette noble émulation ferait croître & agrandir leurs talens ; ils feraient leurs efforts pour attirer les Auteurs, qui n’éprouveraient plus tant de petites mortifications, & qui seraient encouragés par l’espoir de parcourir deux vastes champs de gloire.
Le but de toute l’Ecriture est d’établir qu’il faut renoncer à soi-même, mépriser les richesses, n’aimer et ne craindre que Dieu : « Ecoutons la fin de toute parole, dit l’Ecclésiastique, Craignez Dieu, observez ses Commandements, c’est là tout l’homme. […] On vit tout ce peuple triomphant, craint et respecté de tous ses ennemis, lorsqu’il est fidèle à Dieu : abattu et sévèrement châtié, lorsqu’il oublie la Loi : soutenu miraculeusement, lorsqu’il semble qu’il n’y a plus de ressource, comme au temps de Judith et d’Esther. […] Est-ce sans fondement que je dis qu’ils ne craignent point d’altérer l’Ecriture, pour y faire entrer la galanterie ? […] Enfin un quatrième inconvénient qui dit nous faire craindre beaucoup plus d’altération, que nous n’en saurions prévoir, c’est que ceux qui travaillent pour le Théâtre, sont incapables de manier l’Ecriture. […] » Où en sommes-nous, Messieurs, si l’on croit que tout cela peut être joint à présent, et si on ne craint pas de laisser prendre ce que nous avons de plus saint, à ceux qui font profession de divertir le monde.
Il aurait dû l’en faire tomber, si j’aspirais à l’honneur de bien écrire ; mais j’ose en rechercher un autre, dans lequel je ne crains la concurrence de personne. […] « On ne souffre point de Comédie à Genève : ce n’est pas qu’on y désapprouve les spectacles en eux-mêmes ; mais on craint, dit-on, le goût de parure, de dissipation et de libertinage que les troupes de Comédiens répandent parmi la jeunesse. […] Ajoutons que cette troupe deviendrait bientôt la meilleure de l’Europe ; plusieurs personnes, pleines de goût et de dispositions pour le théâtre, et qui craignent de se déshonorer parmi nous en s’y livrant, accourraient à Genève, pour cultiver non seulement sans honte, mais même avec estime un talent si agréable et si peu commun.
Le Spectateur, étonné d’un Tableau aussi vaste, ne sait où ses yeux doivent s’arrêter ; il le parcourt d’un œil inquiet : lorsqu’il croit avoir trouvé l’objet sur lequel il peut se fixer, le discours d’un nouvel Acteur lui fait craindre de s’être mépris, son attention détournée à chaque instant, se lasse enfin ; & ne se fatigue plus à écouter un si grand nombre d’interlocuteurs. […] Il craint peu de brouiller les images en les rendant confuses.