Auguste les laissa se débattre, se ridiculiser, se déchirer mutuellement ; il aida même en leur accordant les privilèges des citoyens, entr’autres de les soustraire à la juridiction des Magistrats, pour les soumettre immédiatement à la sienne, comme en France on a soustrait les Comédiens aux Magistrats municipaux, pour les soumettre à un inspecteur particulier. […] On les souffrit jusqu’à Domitien ; mais le danseur Paris ayant eu l’audace de souiller le lit de l’Empereur, ce Prince répudia sa femme, fit massacrer son amant & un autre danseur, dont il craignoit un pareil affront, & chassa encore tous les Comédiens : Uxorem Domitiam Histrionis amore deperditam repudiavit, &c. […] Les Comédiens François se sont plaints que ce nouveau spectacle faisoit déserter leur théatre, & leur faisoit grand tort.
Concile de Milan1, exhorte vivement les Magistrats à chasser les Comédiens, comme gens perdus, qui ne sont faits que pour perdre les autres ; il ordonne aux Prédicateurs de son Diocèse de parler avec beaucoup de zéle contre les Spectacles qui sont les appas du démon, qui tirent leur origine des mœurs corrompues des Payens, & ne souillent que trop celles des Chrétiens en ce malheureux siécle.
Si l’adultere leve le masque aujourd’hui avec tant d’effronterie, ce monstre qui causoit tant d’horreur à nos peres, n’en cherchons pas la cause ailleurs que dans la doctrine de ce Comédien, malheureusement trop célébre.
Quant à leurs disciples et sectateurs ils réputent à miracle que les jésuites et comédiens n’ont été foudroyés et abimés, et disent que c’est une marque visible de la perfection de ceste nouvelle secte.
Une telle Comédie pourrait être le miroir de la vie humaine, en présentant aux vicieux, dans le Jeu des Comédiens, une image si naturelle de leurs désordres, qu’elle serait capable de les en faire rougir et de les porter à s’en corriger.
Ceux qui fréquentent les spectacles, les comédiens eux-mêmes, les condamnent au fond du cœur, & approuvent ceux qui n’y vont pas.
Voilà les spectateurs à qui les poètes et les comédiens doivent plaire, et qu’ils se proposent d’amuser : est-il donc surprenant que les premiers composent licencieusement, et que les seconds y conforment leur jeu ?
Par un sentiment naturel, par un penchant irrésistible, nous voyons tous les jours des méchants applaudir à de belles actions ; je puis extraire d’un ouvrage très indécent une maxime qui n’en est pas moins admirable pour n’être pas dans sa place, la voici : « Tel est l’avantage de la Vertu que le Vice même lui rend hommage. »y Si le spectacle est capable de faire applaudir la Vertu, il est donc capable de la faire aimer, ce n’est sûrement pas dans le moment où des méchants applaudissent dans le parterre à des maximes admirables qu’ils sont disposés à mal faire, c’est lorsque rendus à eux-mêmes au sein du vice et de l’oisiveté, ils n’entendent plus la voix de la sagesse et de la raison dans la bouche des Orateurs sacrés, des Philosophes ou des Comédiens. […] Cette pièce ne paraît pas avoir eu un succès bien complet, si l’on en juge par la négligence des Comédiens de Paris à la représenter, mais elle n’en est pas moins propre à prouver que les Auteurs Dramatiques d’aucune nation ne ménagent pas tant les mœurs de leur siècle et de leur pays que vous voulez vous le persuader. […] Les Comédiens seraient exposés aujourd’hui à toute la rigueur de la Police, s’ils s’avisaient d’employer les mêmes moyens pour mortifier quelqu’un. Voilà Monsieur ce que les lois ont corrigé sur la scène : elles y peuvent donc quelque chose, puisqu’en ne permettant qu’à la Vertu d’y paraître, elles en ont banni le Vice ; puisqu’en n’y souffrant qu’une critique générale des mœurs, elles mettent les particuliers à couvert de la satire des Auteurs et de la malice des Comédiens.
Tous les jeunes gens, il est vrai, sont naturellement Comédiens, ils aiment tous les spectacles ; mais il y a une infinité de degrés & de nuances qu’on peut démêler, & qui sont le germe des défauts dont la vie sera souillée, lorsque livré à lui même, il pourra écouter sans obstacle toutes ses inclinations. […] Le meilleur comédien doit dans le monde se défaire de ses allures comme de son habit, & jouer un rôle tout différent. […] Tous les honnêtes gens de Rome s’en plaignirent : Nous n’avons que trop de spectacles qui corrompent les mœurs , disoient-ils, on augmente le mal, en faisant faire à des enfans de qualité ce qui ne se faisoit que par des esclaves, & qui ne convient qu’a des Comédiens : Abolitos paulatim patrios mores funditus everti per ascitam lasciviam, ut quod usquam corrumpere queat, in urbe visatur degeneretque juventus, gimnasia, & otia, & turpes amores exercendos numquam honesto loco natum ad theatrales artes degeneravisse.
Il y a en effet quelque aventure pareille avec une troupe de comédiens qui représentoient les maures, & qu’il chargea vigoureusement : mais malheureusement il y fut bien battu.
Cet auteur étoit Comédien ; il mourut sur le Théatre. […] Avertissons cependant les Comédiens que l’Eglise ne les proscrit pas parce qu’ils représentent des Pieces dramatiques ; mais parce qu’ils en représentent de dangereuses pour les mœurs ; ce qui avilit leur métier aux yeux des hommes, & le rend criminel aux yeux de la Religion. Que la face des spectacles change ; que le Théatre devienne une Ecole de vertu ; la profession de Comédien n’aura plus les caractères qui la dégradent. […] Les Comédiens sensés approuveront eux-mêmes un projet de réforme & de réglement qui ne tend qu’à rendre estimable & honnête devant les hommes, innocente ou du moins tolérable aux yeux de l’Eglise, une Profession qui n’est rien de tout cela.