La République en réprima la licence ; mais la Comédie, en se corrigeant, n’abandonna pas son premier motif : sans nommer les particuliers, elle se contenta de les désigner avec le masque et avec les habits. […] Malgré cette décadence de la bonne Comédie Latine, Plaute et Térence n’abandonnèrent pas le principal but de la Comédie, qui est celui de corriger en critiquant : mais, comme ces deux Poètes sentaient que, pour parvenir à corriger, il fallait plaire ; ils crurent devoir retenir quelque chose de l’Atellane ; et, sur ce principe, ils critiquèrent les vices qui dominaient dans leur pays d’une manière trop favorable à la licence. […] Il est donc vrai que l’on peut appeller le Théâtre moderne, dans son commencement, le triomphe du libertinage et de l’impiété, et depuis sa correction, l’Ecole des mauvaises mœurs et de la corruption ; d’où l’on peut conclure que le motif des Grecs, de critiquer pour corriger les mœurs, adopté et suivi par les Latins, a été entièrement abandonné par les modernes.
Racine ajoute ensuite : « Tout s’y doit ressentir de cette tristesse majestueuse qui fait le plaisir de la Tragédie. » C’est encore cette majesté que je ne trouve pas dans la tristesse de Bérénice ; car, en écoutant les plaintes qui lui échappent, loin d’y reconnaître la douleur d’une Reine, je n’ai cru entendre qu’une jeune fille abandonnée de son Amant. […] Je pousserai donc mes réflexions plus loin et je dirai, que la haine, la vengeance, la dissimulation, l’avidité de l’or, et toutes les passions humaines ne me paraissent pas dignes du Cothurne, et qu’il faut les abandonner à la Comédie ; les hommes n’ont attaché la grandeur d’âme qu’à l’ambition, et les autres passions ils les ont caractérisées de faiblesses ; il n’y a donc que l’ambition qui convienne à la majesté tragique : et si nous voulons y associer l’amour, que ce soit (je le répète encore) dans le fort et le grand de la passion, comme Phèdre et Andromaque, et non pas dans le faible, comme Bérénice, Rodogune et tant d’autres Héroïnes des Tragédies modernes. […] C’est donc après un nouvel examen que j’abandonne cet ouvrage, quelque admirable qu’il me paraisse d’ailleurs, et que j’en fais le sacrifice à la juste délicatesse des bonnes mœurs, qui courraient, à mon avis, trop de risque si on en permettait la représentation. […] Je n’aurais pas même parlé de cette Tragédie, si Venceslas ne subsistait encore sur le Théâtre, pendant que les autres ouvrages de Rotrou sont abandonnés, et si de temps on n’en donnait la représentation : c’est apparemment par reconnaissance pour un ouvrage qui est du nombre de ceux dont la bonne Tragédie Française a reçu le ton, mais qu’elle a bien perfectionné depuis, surtout du côté des mœurs.
Personne ne se jette dans le Camp ni dans le parti des Ennemis sans avoir abandonné ses Armes et les Enseignes sous lesquelles il combattait. […] se réjouissant de voir le Cirque et le Théâtre abandonné par les Chrétiens, et les Eglises plus fréquentées que par le passé. […] « Quand je pense que vous oubliez notre Doctrine et nos Enseignements au premier souffle de Satan, que vous avez abandonné la révérence du Carême, pour vous laisser prendre aux filets du Diable, et que vous courez à ces Jeux de Chevaux ou Cavalcade de Satan, j'en suis triste et même irrité. […] Si quelqu'un donc assiste à ces cérémonies, et se trouve en ces assemblées de Religion, il abandonne le culte du vrai Dieu, et se met du parti des faux Dieux, dont il célèbre les Fêtes. » Mais après le témoignage de Salvien ce célèbre Évêque de Marseille, il ne peut rester aucun douteSalvien. l. 6. de provid.
Je fais cas des règles sans en être l’esclave : je suis l’admirateur de la nature ; et toutes les fois que les règles s’en éloignent il m’en coûte peu pour les abandonner. […] J’ai pensé moi-même comme les autres, pendant un temps ; et, dans la crainte qu’on ne m’accusât de présomption en combattant l’opinion générale, j’ai soutenu les règles tant que j’ai pu ; comme on en peut juger, surtout par mon examen sur Œdipe : mais, en pénétrant plus avant, je me suis senti forcé de les abandonner ; et je me suis dit à moi-même que si mon sentiment était fondé sur la vérité, je ne devais point craindre de parler.
La séparation du plaisir d'avec le péché est une chimère, surtout quand on s'y abandonne, qu'on est déjà à demi vaincu, qu'on l'a goûté cent fois. […] Croyez-vous que le parterre de Rome ait été beaucoup plus attendri par cette lamentable invocation, que nous ne le fûmes en 1733, lorsqu'une jolie Actrice, pressée par de pareilles douleurs, fut obligée d'abandonner la scène pour implorer Lucine à son tour ? […] mérite-t-on d'en obtenir la grâce quand on s'abandonne volontairement aux attraits du plaisir ? […] » Bien des gens m'abandonneront le théâtre Anglais et demanderont grâce pour le Français. […] abandonné à lui-même, au dégoût, à l'ennui, aux combats, aux remords, quel dégoût du bien, quelle vivacité pour le mal !
On doit considérer que la Comédie est une tentation recherchée de gaieté de cœur, ce qui éloigne bien plus la grâce de Dieu, et le porte davantage à nous abandonner à notre propre corruption, que celles où l'on tombe sans les prévoir.
On doit considérer que la Comédie est une tentation recherchée de gaieté de cœur; ce qui éloigne bien plus la grâce de Dieu, et le porte davantage à nous abandonner à notre propre corruption que celles où l'on tombe sans les prévoir.
Cependant, il abandonne finalement cette idée.
Salvien dit qu' « aller aux spectacles c'est en quelque sorte abandonner sa Foi, et abjurer le Christianisme. […] Rien n'est moins propre à produire cet effet que les récits passionnés, et les airs tendres, qui ne font tant de plaisir, que parce qu'en les entendant, l'âme s'abandonne à l'attrait des sens.
D’ailleurs ce serait donner un grand avantage aux libertins, qui pourraient tourner en ridicule, à la Comédie, les mêmes choses qu’ils reçoivent dans les Temples avec une apparente soumission, et par le respect du lieu où elles sont dites, et par la révérence des personnes qui les disentc Mais posons que nos Docteurs abandonnent toutes les matières saintes à la liberté du Théâtre, faisons en sorte que les moins dévots les écoutent avec toute la docilité que peuvent avoir les personnes les plus soumises : il est certain que de la doctrine la plus sainte, des actions les plus Chrétiennes, et des vérités les plus utiles, on fera les Tragédies du monde qui plairont le moins. […] Telle était l’envie de se lamenter, qu’on exposait bien moins de vertus que de malheurs ; de peur qu’une âme élevée à l’admiration des Héros, ne fût moins propre à s’abandonner à la pitié pour un misérable : et afin de mieux imprimer les sentiments de crainte et d’affliction aux Spectateurs, il y avait toujours sur le Théâtre des Chœurs d’Enfants, de Vierges, de Vieillards, qui fournissaient à chaque événement, ou leurs frayeurs, ou leurs larmes. […] Tel peut s’abandonner lâchement à l’insulte d’un ennemi peu redoutable, qui défendra ce qu’il aime jusqu’à la mort contre les attaques du plus vaillant.
La religion & les mœurs ne peuvent espérer de rétablir leur empire qu’autant que l’autorité souveraine le supprimeroit, ou que la satiété & l’inconstance le feroient abandonner : heureuse révolution, dont on ne sauroit se flatter ; le Théatre & le vice sont trop liés, ils ont trop besoin l’un de l’autre.