J’ai même trouvé que quelques Pièces de Molière, trop libres, & d’autres Comédies, où il est question d’amour, pouvaient être très-utiles aux mères-de-famille ; j’approuverais fort celles qui les iraient voir représenter, dans le dessein d’étudier le cœur humain, quoiqu’elles ne voulussent pas y conduire leurs filles ; elles pourraient en tirer des lumières sûres, pour les guider dans la manière de se conduire avec ces Jeunes-personnes. […] Il ne devrait pas y avoir un tableau, dans les Drames imitatifs des mœurs actuelles, qui ne présentât une instruction solide : l’Auteur doit non-seulement exprimer aux yeux, nos coutumes & leurs abus, chacun avec le vernis qui caractérise l’assentiment ou l’improbation ; mais encore sonder le cœur humain, pour y découvrir la source de nos défauts, & du déclinement d’usage viciés, mais légitimes à leur naissance : c’est en dévoîlant les secrets ressorts de ce sphynx impénétrable, en mettant à nud ses tortueux détours, ses abîmes de noblesse & de grandeur, de bassesse ou de turpitude, qu’il éclairera son siècle sur les mœurs : la peinture du bien ou du mal, quoi qu’en dise Riccoboni, est également utile sur le Théâtre ; le chef-d’œuvre de Molière, sera toujours la Pièce où cet excellent Dramatique a fait le tableau de l’hypocrisie. […] Aussi, reconnaît-on aujourd’hui, que Molière, en corrigeant la Cour, infecta des vices qu’il lui reprochait, tout le reste de la France. […] Dans la Comédie, dont les mœurs ont avec les nôtres un rapport plus immédiat, & dont les personnages ressemblent mieux à des hommes ; tout est mauvais & pernicieux ; tout tire à conséquence pour les Spectateurs ; & le plaisir même du Comique étant fondé sur un vice du cœur humain, c’est une suite de ce principe, que plus la Comédie est agréable & parfaite, plus son effet est funeste aux mœurs… Molière est le plus parfait Auteur comique… mais qui peut disconvenir que ses Pièces ne soient une école de mauvaises mœurs ? […] Je n’excuserai pas Molière ni ses imitateurs ; toutes les criminations que monsieur Rousseau entasse contr’eux ne sont que trop fondées, & l’examen sévère qu’il fait de quelques-unes de leurs Pièces, est dicté par la raison : mais que de Comédies où sa critique n’eût trouvé rien à reprendre !
Mais Corneille, Racine, Molière, Voltaire et tous les poètes modernes ne se sont occupés dans leurs drames qu’à exciter l’amour.
C’est le Bourgeois, le Marchand, le Financier, le Procureur gentilhomme, environné de maîtres, comme celui de Molière, qui bien loin de corriger personne de ce ridicule, qu’il a si bien joué, n’a servi qu’à le répandre.
On ne peut pas être plus contraire à ce que vous avancez, Monsieur, sur le même Molière dans votre Dissertation.
Véritablement quelques personnes s’étaient avisées de dire que Molière avait plus corrigé de défauts à la Cour et à la Ville lui seul, que tous les Prédicateurs ensemble : mais comme a dit fort judicieusement l’Auteur de la République des Lettres Avril. 1684. p. 201.
Et dans le fond il est vrai que dans toutes les pièces monastiques les vers, les acteurs, les décorations, les habits, ne sont divertissants que par le ridicule ; ce qui a donné lieu à un couplet de chanson fort connu : « Nous jouons des comédies Dans l’enclos de nos maisons, Et même des tragédies Mieux que Molière et Baron.
Dans le fond un Comédien, fût-il Molière ou Baron, n’est pas fait pour traiter avec un Pape sur l’affaire des investitures.
Dans les fêtes nous chantons des cantiques, nous écoutons la divine parole, nous faisons des prières, nous approchons des sacrements ; aux spectacles on chante des chansons licencieuses, on prêche la morale lubrique de Quinault, les impiétés de Molière, on rend hommage aux anciennes et aux nouvelles Déesses, à Vénus et aux représentantes.
A cela Bossuet répond, car l’objection n’est pas nouvelle : « Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière ».
Un moment : je fais ce que je dis, & je ne prétens pas, comme tu pourrais le croire, faire rendre les chefs-d’œuvre de Molière, de Corneille, de Racine, &c.
Je l’admire dans la critique qu’il fait du Misantrope, chef-d’œuvre de Molière, (c’est une justice que je suis obligé de lui rendre) personne ne le peut mieux que lui ; il puise dans son sein les raisons qu’il avance pour convaincre. « Tout véritable Misantrope (dit-il) est un monstre, s’il pouvait exister, il ne ferait pas rire, il ne ferait qu’horreur. » C’est une vérité incontestable, je le crois aisément, Molière s’est trompé, mais je ne prends point le change, c’est de lui qu’il parle, il est ce monstre « des Spectacles & des mœurs (dit notre Critique forcené) voilà qui formerait un Spectacle à voir, d’autant plus que ce serait la première fois. » Persifflage pitoyable & digne de l’Auteur, comme s’il n’était pas des Comédiens honnêtes gens : lui-même avoue avoir été étroitement uni avec un. […] Cessons de placer au rang des grands Hommes les Corneille, les Racine, les Molière, les Voltaire, ou diffamons-les, puisqu’ils sont de nos jours l’ornement, l’ame de nos Théâtres.