Ses livres eurent cours dans la nouveauté ; personne aujourd’hui ne les lit : c’est un style boursoufflé, entortillé, affecté, hyperbolique, toujours monté sur des échasses par des exagérations ridicules ; précieux, il court après l’esprit ; stérile, il ne fait que rajeunir de vieilles pensées, & répérer les mêmes en tournant la phrase : on ne peut en soutenir la lecture fastidieuse. […] Dans la vérité, les meilleurs poëtes écrivent mal ; Moliere n’a qu’une conversation bourgeoise, souvent de harangere ; Quinault ne donne que des fadeurs de galanterie : ou le loue de ce qu’il sait choisir des mots mélodieux propres a la musique qu’il répete à tout moment ; Crébillon est dur, enflé, sombre, hideux, à quelques vers près, saillans & sublimes, Corneille n’a que du verbiage ; demandez-le aux commentateurs ; Racine & Voltaire sont les deux qui soutiennent mieux l’élégance, la décence, la correction du style : je ne parle pas de la religion ni de la vertu. […] A quatre ans dans les classes, il étonnoit ses maîtres, effaçoit tous ses condisciples ; à sept ans il composa le poëme de Renaud, prélude de la Jérusalem délivrée ; a dix-sept ans il avoit fait les trois cours de Philosophie, de Théologie & de Droit civil & canon, & en soutint avec applaudissement les theses générales ; savoit le grec & le latin aussi-bien que sa langue naturelle.
D’ailleurs, est-il jamais permis de s’exposer à l’occasion de péché mortel, de soutenir les comédiens, de scandaliser le prochain, pour trouver compagnie ou pour la musique ? […] Comment peut-on soutenir, sans péché, des pièces, où la vertu et la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours excusée et toujours plaisante, et la pudeur toujours offensée, ou toujours en danger d’être violée par les derniers attentats, par les expressions les plus impudentes, à qui l’on ne donne que les enveloppes les plus minces.
Je continuë donc de parler de ceux que la seule passion du plaisir a inventez, qui sont les mêmes qui deviennent criminels à l’égard de certaines personnes, & qui ne sont jamais sans danger à l’égard des autres, tels que sont les bals, comedies, balets, & les autres de cette nature, qui sont en usage dans ce siecle, & qui sont presque l’unique occupation des gens de qualité en ce temps de divertissement ; & je soutiens encore une fois, qu’ils sont dangereux à l’égard de tout le monde ; c’est à dire que s’ils ne font pas une occasion prochaine de peché à l’égard de tous, le danger est toûjours assez grand, pour porter tous ceux qui craignent l’offense de Dieu, à les fuir ; vû que d’ailleurs il est bien rare que la bienseance, ou leur devoir leur impose une espece d’obligation d’y assister. […] Ainsi comme l’on tient un livre pour dangereux, lorsqu’à la faveur de quelques sentimens Orthodoxes, qui y sont bien touchez & répandus çà & là, on en fait couler d’autres qui sont impies ou suspects ; parce qu’on juge avec raison, que c’est un serpent caché sous des fleurs, & que le venin, sans cet artifice, en seroit sans effet ; pourquoy n’en diroit on pas le même de ces Tragedies, où le profane est confondu avec le sacré, & où les maximes les plus opposées au Christianisme sont mises en la bouche de ces Chrétiens de Theâtre, qui soutiennent si mal le personnage qu’ils representent ?
Le carnaval duroit jusqu’au premier lundi de carême, il falut soutenir un procès devant le Pape, & la plus grande persécution devant le Roi d’Espagne. […] Il faut être chargé par état, & par ordre du Souverain, d’examiner, des milliers d’articles, depuis deux siécles, & avoir un zèle ou une malice infatigable pour soutenir ces innombrables & fastidieuses discussions.
Mais une circonstance à laquelle ne s’attend pas un homme qui a de la religion, de la vertu, & même du bon sens ; c’est que, dans ce vaisseau richement chargé, où l’on avoit embarqué des présens magnifiques pour quelque Nabab des Indes, & plusieurs compagnies de soldats, pour la garnison de Ponticheri, on avoit eu la précaution d’embarquer aussi une provision de femmes de bonne volonté, pour le service des passagers, des soldats & des matelots, & notamment une troupe de comédiens & de comédiennes, pour les divertir sur la route, & soutenir le théatre françois de la Compagnie des Indes, répandre sur les bords du Gange les grands noms de Moliere, Corneille, Racine, Crebillon, où ils étoient parfaitement inconnus, quoique leur gloire immortelle, disent nos oracles, ait rempli tout l’univers. […] Une Compagnie si dépravée peut-elle se soutenir dans l’Inde ?
Une femme Professeur, comme il y en a deux en Italie, est un prodige : embarrassées par modestie, déconcertées par timidité, elles ne peuvent soutenir les regards d’un auditoire, & ne sont pas faites pour paroître en public. […] La voilà cette mâle & fiere Actrice, qui s’avance avec fermeté, qui déclame avec force, qui soutient sans sourciller, les plus longues, les plus vives scènes, quelquefois les plus galantes, & répond avec la plus galante légèreté en femme instruite & expérimentée, aux yeux d’une foule de spectateurs ; elle chante les airs les plus difficiles, elle exécute les plus hautes danses, seule & en compagnie ; qui voltige, qui cabriole, qui fait des entrechats comme la Camargo ?
Je n’ai point pénétré dans le Conseil de la Seigneurie, mais il n’est pas douteux que ces folies ne fassent rouler dans la ville un argent immense, & que le peuple de Venise ne soit, par la dissolution de ses mœurs & la frivolité de ses amusemens, hors d’état de soutenir une révolte sérieuse. […] décoration passagère dont on est rarement dupe, où il entre souvent plus de légèreté que de malice ; au lieu que les autres concertés à loisir, soutenus à dessein, difficiles à discerner, plus difficiles à éviter dans les pieges qu’ils tendent, ne produisent que les fruits amers de la tromperie & du vice, qui ne les mettent en œuvre que pour remplir leurs coupables desseins.
Je continuë donc de parler de ceux que la seule passion du plaisir a inventez, qui sont les mêmes qui deviennent criminels à l’égard de certaines personnes, & qui ne sont jamais sans danger à l’égard des autres, tels que sont les bals, comedies, balets, & les autres de cette nature, qui sont en usage dans ce siecle, & qui font presque l’unique occupation des gens de qualité en ce tems de divertissement ; & je soutiens encore une fois, qu’ils sont dangereux à l’égard de tout le monde ; c’est-a-dire que s’ils ne sont pas une occupation prochaine de peché à l’égard de tous, le danger est toûjours assez grand, pour porter tous ceux qui craignoit l’offense de Dieu, à les fuir ; vû que d’ailleurs il est bien rare que la bienseance, ou leur devoir leur impose une espece d’obligation d’y assister. […] Ainsi comme l’on tient un livre pour dangereux, lorsqu’à la faveur de quelques sentimens Orthodoxes, qui y sont bien touchez & répandus çà & là, on en fait couler d’autres qui sont impies ou suspects ; parce qu’on juge avec raison, que c’est un serpent caché sous des fleurs, & que le venin, sans cet artifice, en seroit sans effet ; pourquoy n’en diroit on pas le même de ces Tragedies, où le profane est confondu avec le sacré, & où les maximes les plus opposées au Christianisme sont mises en la bouche de ces Chrétiens de Theâtre, qui soutiennent si mal le personnage qu’ils representent ?
Ma foi, me dis-je, soutenons la gageure, je viens de bien déjeuner ; un petit verre, ce sera de l’extra… mais va pour le petit verre, je me serai contenté à bon marché. […] Près de là, et vis-à-vis un jeu de paume, décoré jadis des armes d’un fils de France, où je jugeai plus d’un coup dans ma jeunesse, je vis un nouveau bâtiment, pour moi du moins, qu’on me dit être les anciens grands Danseurs du Roi58 qui, sous le titre de la Gaîté, titre qui n’engage à rien, ont enterré dans le coffre d’Arlequin mort et vivant59 les farces qui les soutinrent, pour singer, dans d’extravagantes actions, étayées d’une belle décoration, qui fait souvent tout le mérite de ce qu’on veut bien appeler un ouvrage, les premiers talents de notre scène tragique.
Aussi à peine en avons-nous qui se soutiennent quelques jours sur le Théatre.