Si on ne va pas au sermon, c’est qu’on va au spectacle, & qu’on y perd le goût des exercices de religion. […] Il en est qu’on recherche volontairement ; Dieu nous y abandonne, on s’y perd. […] Les Actrices ne sont pas les seules qui perdent la jeunesse, ni les Courtisannes non plus ; il faut donc les fréquenter ? […] Pourquoi perdre un instant qui nous est donné pour croire & adorer, &c.
Après avoir passé beaucoup de tems de ma vie à lire des Poëtes, tems employé souvent avec ennui, tems quelquefois agréablement perdu, mais toujours perdu ; j’ai conservé une telle affection pour deux Poëtes, que je ne puis les relire, sans y trouver quelques beautés nouvelles. […] Il fait réflexion que s’il ne se vange pas, il perdra également sa Maîtresse, puisqu’elle le méprisera : cette réflexion le détermine, Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur, Puisqu’après tout il faut perdre Chimene.
Je laisse là ces Critiques qui trouvent à redire à sa voix et à ses gestes, et qui disent qu’il n’y a rien de naturel en lui, que ses postures sont contraintes, et qu’à force d’étudier ses grimaces, il fait toujours la même chose ; car il faut avoir plus d’indulgence pour des gens qui prennent peine à divertir le public, et c’est une espèce d’injustice d’exiger d’un homme plus qu’il ne peut, et de lui demander des agréments que la Nature ne lui a pas accordés : outre qu’il y a des choses qui ne veulent pas être vues souvent, et il est nécessaire que le temps en fasse perdre la mémoire ; afin qu’elles puissent plaire une seconde fois : Mais quand cela serait vrai, l’on ne pourrait dénier que Molière n’eût bien de l’adresse ou du bonheur de débiter avec tant de succès sa fausse monnaie, et de duper tout Paris avec de mauvaises Pièces. […] Si le dessein de la Comédie est de corriger les hommes en les divertissant, le dessein de Molière est de les perdre en les faisant rire ; de même que ces Serpents, dont les piqûres mortelles répandent une fausse joie sur le visage de ceux qui en sont atteints. […] Molière devrait rentrer en lui-même, et considérer qu’il est très dangereux de se jouer à Dieu, que l’impiété ne demeure jamais impunie, et que si elle échappe quelquefois aux feux de la Terre, elle ne peut éviter ceux du Ciel ; qu’un abîme attire un autre abîme, et que les Foudres de la Justice divine ne ressemblent pas à ceux du Théâtre : ou pour le moins s’il a perdu tout respect pour le Ciel (ce que pieusement je ne veux pas croire) il ne soit pas abusé de la bonté d’un grand Prince, ni de la piété d’une Reine si Religieuse, à qui il est à charge, et dont il fait gloire de choquer les sentimentsq. […] Il ne faut qu’un homme de bien, quand il a la puissance, pour sauver un Royaume ; et il ne faut qu’un Athée quand il a la malice pour le ruiner et pour le perdre.
Tantôt ils accusent les Magistrats, blâment les Pasteurs, les méconnaissent pour ne les reconnaître pas : et ainsi que les fourmis qui se travaillent de monter et descendre le long des arbres, sans savoir qui les pousse, recourent en tout, et surtout imitant les vautours qui ne s’attachent qu’à la charogne, ils ne font comme les abeilles qui se paissent des plus belles fleurs : leurs sens impurs ne voient qu’impureté, et leurs âmes ensevelies dans les ténèbres de leur présomption ne jouit que d’une fausse lumière, où ils se perdent, et leurs heures, et leur peines : et comme les compagnons d’Ulysse mangent les bœufs du Soleil. […] Mais ainsi que le diamant ne se peut polir que par son sablon même, pour combattre l’aimant, diminuer sa puissance, et lui faire démordre le fer : N’est-ce pas à cette perle des esprits qui ne peut perdre son lustre, de raffiner comme le rubis ce discours au fleuve de son éloquence. Pardonnez à l’insuffisance de mon esprit, belle âme, qui en la comparaison de chose incomparable, n’avez semblable que vous : La similitude des pierres précieuses vous offense, elles ont leur être en la terre, et votre origine est au ciel, si ce n’est de celles d’Egypte qui naissent au plus haut de l’Ether : Vous en avez le feu et l’éclair étincelant, et moi pour vous honorer j’en tiens la constance, qui m’a fait entreprendre cette matière qui est une pierre de prix : Voyez que dans ma main elle sera brute en la terre, sans être en œuvre ; donnez-lui sa vraie feuille, la chaleur et le teint selon l’aspect de votre Soleil : affinez son lustre pour la faire étinceler sans nuage, cendre, noirceur, paille, filandre, poudre qui puisse permettre à la lime de mordre ou d’altérer qu’elle ne perde sa couleur qu’en votre flamme, pour se changer, comme le mauvais Saphir en un bon diamant : Et au lieu que j’en fais une Charite sans grâce, relevez-le de celles que vous tenez qui vous font esclaver, dominer et triompher des âmes plus parfaites, pour ne parer vos trophées de dépouilles éteintes en ce combat qui est plus glorieux que ceux de Jupiter, d’Apollon, de Palémon, et d’Archémore : aussi en avez-vous un prix plus excellent que l’olivier, le pommier, l’ache, et le pin : car vous en rapportez les couronnes immortelles qui n’étaient dues qu’aux immortels : et décochant par paroles les sagettes des Muses, comme un second Anthée vous reprenez nouvelles forces, non pas en touchant la terre, mais en vous élevant au ciel, où vos propos nous ravissent, non sur les ailes d’or d’Euripide, mais sur les célestes de Platon, qui portent nos désirs jusques au lieu où la vertu fait sa demeure, nous rassasie du délicieux miel de Python, du nectar de Calliope, purifie nos oreilles, éclaire les yeux de notre esprit humecte nos âmes d’une rosée dont la douceur éteint toute amertume, et ne nous laisse que le regret de voir beaucoup d’hommes mal nésk, qui pour entendre la mélodie Phrygienne ne sont pas atteints d’une divine fureur : mais comme le Temple des Euménides en Athènes rendait frénétique celui qui n’y apportait le respect qui était dû, le vôtre a eu la même propriété : et ainsi que Lycaon fut changé en loup, vous les avez fait transformer en bêtes hurlantes.
Les pères et mères perdent leurs enfants en les conduisant ou en leur permettant d’aller aux spectacles. 105 Chap.
Est-ce ainsi qu’on nous rend suspecte une passion qui perd tant de gens bien nés ? […] Voilà donc encore une différence au désavantage de nos Comédiens et une moitié de l’année perdue pour eux. […] Tout est-il perdu sans cela ? […] Quel exemple pour une ville qui n’a pas encore perdu la sienne ! […] Des jours ainsi perdus feront mieux valoir tous les autres.
Dacier & bien d’autres prétendent que nous perdons beaucoup en supprimant les chœurs des anciens, que le spectacle en est moins vraisemblable, moins frappant, moins riche en idées, en sentimens. C’est ce que je n’examine point : mais il est certain qu’on perd du côté des mœurs, si, comme le veut Horace, il étoit le défenseur, le panégyriste, & comme l’apôtre de la vertu.
« A quel dessein y voit-on voler tant de jeunes gens des deux sexes, les uns presque perdus par l’indulgence cruelle des pères, les autres déjà instruites par une mère dans l’art funeste de trop plaire ; tant de jeunes gens qui suivent les drapeaux de la volupté, tant de personnes que l’avarice ou l’ambition ont trop malheureusement unies ? […] Le vieux Sertorius voudra séduire une jeune femme éperdument amoureuse de son mari ; voilà les mœurs de la tragédie chez Corneille, le plus grave et le plus sublime de nos poètesak. » Les pièces de cet auteur n’auraient certainement pas plu aux spectateurs, si elles ne leur avaient donné agréablement des « leçons de galanterie, de fourberie, de vengeance, d’ambition ; si elles ne leur avaient appris à conduire habilement une intrigue, à éluder la scrupuleuse vigilance des parents, à surprendre par mille ruses la bonne foi, à ne tendre jamais à faux des pièges à l’innocence, à se défaire avec adresse d’un concurrent, à se venger à coup sûr d’un ennemi, à élever sa fortune sur les débris de celle d’autruial . » En effet, le spectacle perdrait son agrément, s’il n’était un assemblage vif et séduisant de tout ce qui peut plaire, s’il ne tendait à enchanter l’esprit et les sens par mille charmes, et à attendrir le cœur par tout ce que les passions ont de plus fin et de plus insinuant.
Les sujets liés par le serment d’obéissance et de fidélité, ne pouvant porter d’avis sur sa conduite, dont ils ignorent le principe parce qu’ils ne sont point au fait des affaires, qu’ils en ont perdu le fil, ne pourraient raisonner qu’en aveugles, ils ne peuvent donc donner aucun avis ni faire aucun reproche. […] Ils en deviendraient à la vérité plus sociables et plus polis, mais il en résulterait en même temps qu’ils le seraient trop vis-à-vis de leur Ministère et qu’ils perdraient cette fermeté si redoutable aux Chefs de leur Gouvernement, et si utile à la conservation des privilèges de la Nation : néanmoins si le penchant d’un Peuple est absolument vicieux on doit l’attaquer sans ménagement, c’est servir le Prince et le Peuple ; si le mauvais goût prévaut, on doit s’efforcer de le détruire, et c’est ce que Molière a fait. […] Les ridicules, les défauts des mœurs qu’il a corrigés ne subsistant plus, il ne serait pas étonnant qu’on fût moins frappé de ses tableaux puisque les originaux en sont perdus. […] Dans les pièces du Théâtre Français et du Théâtre Italien, que nous appelons Farces, la charge peut être regardée comme l’abus de l’esprit, et aux dépens du sens commun, et l’on ne perdrait pas beaucoup à la privation de ce genre de spectacle burlesque : dans les pièces régulières, la charge est la multiplication des traits dont l’Auteur compose le portrait du sujet qu’il veut peindre : cette charge est le chef-d’œuvre de l’art et du génie. […] Le Théâtre perdit son antique fureur.
Après avoir dit les raisons d’un égarement qui fut général, je ferai voir que nous avons repris les premiers, & montré aux autres le bon chemin, & que la majesté que l’Amour a longtems fait perdre à la Tragédie, lui a été rendue par Athalie, Piéce conforme à tous les Principes d’Aristote, comme je le prouverai.