tout Paris ne voit dans l’Opéra-Bouffon que des bagatelles faites pour le divertir un instant ; il n’y court avec transport qu’afin de s’en réjouir & de les oublier aussitôt ! […] L’Allemagne en fait ses délices, peu s’en faut que l’on y sois tenté d’oublier, ainsi qu’en France, tous les autres Spectacles. […] Il se ressentira toujours de son origine, malgré le soin qu’il se donne pour la faire oublier.
Les prêtres qui, en invoquant les saints canons, veulent déshonorer la profession de comédien que les lois autorisent, assurément font preuve d’ignorance, ainsi que je l’ai démontré ; mais ils devraient du moins ne pas oublier eux-mêmes, ce qui leur est propre et obligatoire dans ces canons, et je le leur ai rappelé dans le livre des Comédiens et du Clergé aux pages 344 et 347. […] Il oublie que les Pygmées ne savaient faire la guerre qu’à des grues, et qu’un jour, réunis en corps d’armée, ils osèrent attaquer Hercule seul et endormi. […] Il sera difficile d’oublier la conduite de ces prêtres orgueilleux, qui, sous prétexte de vaines préséances, se retirèrent fièrement, en refusant d’accompagner le corps de l’illustre souverain jusqu’à Saint-Denis.
Ces grands politiques oublient-ils que ces intervalles de délassement, indépendamment du grand objet de la religion et de l’instruction des peuples, sont nécessaires à la santé du corps, qu’un travail continuel accable ; à la vigueur de l’esprit, que la continuité des occupations rend triste et sauvage : à la douceur de la société, dont ces moments de liberté et de plaisir resserrent les liens ; au travail lui-même, dont on se lasserait et se dégoûterait bientôt ? […] « C’est par là que Molière illustrant ses écrits, Peut-être de son art eût emporté le prix ; Si moins ami du peuple en ses doctes peintures, Il n’eût point fait souvent grimacer les figures, Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin, Et sans honte à Térence allié Tabarin. » M’écouterait-on, si je représentais que l’esprit d’irréligion, si funeste à tout le monde, et si commun au théâtre, se répand plus facilement dans le peuple, moins en garde contre la séduction, moins en état d’en repousser les traits et d’en démêler les pièges, lui dont la piété moins éclairée et plus simple confond aisément les objets, tient beaucoup plus à l’extérieur, et par conséquent peut être ébranlée à la moindre secousse, surtout quand on lui arraché les appuis nécessaires de l’instruction et des exercices de religion, en substituant le spectacle aux offices, et lui faisant oublier dans ses bouffonneries le peu qu’il sait de catéchisme, qu’on l’éblouit par le faste du spectacle, qu’on l’amollit par les attraits des Actrices, qu’on le dissipe par la science du langage ? […] Les amateurs du théâtre sont la plupart dans le même goût : d’un million de gens qui le fréquentent, la moitié renonce au lien conjugal ; le plaisir, l’amusement les absorbe ; la frivolité, la dissipation le leur fait oublier ; les railleries sur le mariage les dégoûtent ; le luxe, la dépense les ruinent ; les sentiments qu’on inspire aux femmes, les alarment : les Actrices fournissent un supplément si facile et si doux, sans être chargé des soins embarrassants d’une famille !
Ces ecclésiastiques sont bien nés sujets du roi, et soumis comme les autres à la loi commune, mais il ne faut pas oublier qu’ils tiennent aussi à un autre chef suprême, au souverain pontife, qui, par la nature de sa dignité, l’éclat de ses fonctions de vicaire de Jésus-Christ sur la terre, prétend à une supériorité directe sur les rois.
Mais laissons dans ce moment les Peuples qui n’ont point oublié la dignité de l’homme. […] Tâchons de ne rien oublier qui puisse augmenter l’évidence, & convaincre mes lecteurs. […] On n’a rien oublié sans doute pour les rendre aussi souples, aussi rampans que le reste des Sujets. […] Mais si, quand il faut de puissans remèdes, on nous donne des palliatifs ; si l’on veut ménager encore les prétentions arbitraires, & cet empire de l’habitude, cette autorité des anciens usages ; si l’on se contente de remplacer un Gouvernement absurde par un Gouvernement supportable ; si l’on ne fait que perfectionner le mal, pour me servir de l’expression du vertueux Turgot ; si, quand il faut établir une grande constitution politique, on s’occupe de quelques détails seulement ; si l’on oublie un instant que les loix doivent également protéger tous les Ordres de Citoyens, que toute acception de personne ou d’état, est une chose monstrueuse en législation, que tout ce qui ne gêne point l’ordre public doit être permis aux Citoyens, & que par une conséquence nécessaire, il doit être permis de publier ses pensées, en tout ce qui ne gêne point l’ordre public, de quelque manière, sous quelque forme que ce soit, par la voie de l’Impression, sur le Théâtre, dans la Chaire & dans les Tribunaux ; si l’on néglige cette portion importante de la liberté individuelle ; la France ne pourra point se vanter d’avoir une bonne constitution : les ames fières & généreuses, que le sort a fait naître en nos climats, envieront encore la liberté Angloise que nous devions surpasser : nous perdrons, peut-être pour des siècles, l’occasion si belle qui se présente à nous, de fonder une puissance publique ; & les Philosophes François, écrasés, comme autrefois, sous la foule des tyrans, seront contraints de sacrifier aux préjugés, ou de quitter le pays qui les a vu naître pour aller chercher une Patrie ; car il n’y a point de Patrie sans liberté. […] Mais je ne concevrai jamais comment dans les ouvrages qui ont pour objet la correction des mœurs & la peinture de la société, l’on peut raisonnablement oublier certaines professions, ou traiter ces professions privilégiées avec des ménagemens qu’on n’a point pour les autres.
Car il y a des choses que la Loy des commandemens estouffe dãs le silence, & qui neãtmoins seruent souuent d’instruction bien qu’elles soient défenduës, & d’autres qui semblent oubliées, bien qu’elles soient escrites. La raison doit suppleer au defaut des preceptes, elle nous doit tousiours conduire, & elle dicte assez ce que la sainte Escriture pouroit oublier. […] Au dessus de nous & plus bas que le Ciel il verra l’air auec ses regions, qui eschauffe & vegete la terre, qui a vn soin particulier de sa nourriture & de ses productions, qui se resserrant luy ouure ses canaux & fait creuer les nüées pour luy donner la pluye quand elle en a de besoin, & qui vne autre fois se dilate, se rarefie, & r’appelle sa premiere serenité pour luy donner le beau-temps, & ne rien oublier de ce qui peut estre à son soulagement.
Saint Jean n’a rien oublié, lorsqu’il a dit : « N’aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde : celui qui aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui ; car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie : laquelle concupiscence n’est point de Dieu, mais du monde13. » Si la concupiscence n’est pas de Dieu, les représentations théâtrales, qui en étalent tous les attraits, ne sont pas de lui, mais du monde.
Il seroit donc nécessaire que le Poëte oubliât son pays, & se dépouillât de lui-même pour peindre dans le vrai : Mais ceci souffre de grandes difficultés. […] Corneille, dans le commencement de Rodogune, a peint cette Princesse avec un dévouement pour le bien de l’Etat, qui lui fait oublier ses ressentimens propres, & sacrifier ses intérêts au traité de paix conclu entre le Roi des Parthes son frere & Cléopatre.
Ils plaignent les Poëtes, oublient l’Acteur, sont peu frappés du spectacle, & finissent souvent par s’en dégoûter. […] Un bruit terrible les arrête plusieurs minutes : ils oublient l’esprit de leur rôle : ils sortent de l’état où ils s’étoient mis avant d’arriver : ils n’y rentrent qu’avec effort, & souvent aux dépens de la vérité & de l’illusion.
Les Premiers Romains qui étaient si grands politiques eurent de la peine à les souffrir, et ils ne se seront peut-être pas oubliés à les décrier ou à les châtier ? […] J’ai oublié à vous demander si d’aller à la Comédie était péché mortel ou véniel ?