Elle eut bien plus de sujet d’exercer sa patience à l’égard des jeux périlleux, qui ne cessèrent qu’au siècle passé après avoir duré cinq cents ans. […] Tout le monde sait que c’étaient des jeux en forme de combats militaires, où on n’avait pas dessein de se blesser. […] Les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Grecs, tous empruntèrent cet usage des Français ou du moins les lois et les règles que les Français en avaient prescrites ; et quoique partout7 on n’eût d’abord dessein que d’en faire un jeu ; très souvent le feu de l’action, et la jalousie des combattants changeaient le jeu en un vrai combat, d’où plusieurs sortaient blessés. […] » Mais l’Eglise eut beau excommunier pendant près de cinq cents ans ceux qui s’exerçaient à ces jeux meurtriers, ils ne cessèrent, que lorsqu’en 1568. […] Quoique jusques ici l’Eglise ait vainement exhorté un grand nombre de ses enfants, à renoncer aux Jeux de Théâtre, les Prédicateurs et les Théologiens, ne doivent pas cesser de prêcher et d’écrire contre ce désordre.
Ils ont dit que le spectacle contre lequel ils ont exercé leur zèle, était des jeux fort indécents, appelés Majuma, qui ne subsistant plus, laissent leurs traits sans application. Cette défaite pèche en tout. 1.° Ces jeux étaient eux-mêmes un des fruits du théâtre, qui en avaient inspiré le goût et donné l’idée : tout retomberait sur lui. 2.° Ces jeux ne furent jamais des pièces de théâtre, mais c’est s’aveugler volontairement de ne pas reconnaître le théâtre dans leur proscription. […] Suidas fait venir ce mot du mois de Mai, aux premiers jours duquel il dit qu’on les célébrait, à la place des jeux de Flore (ludi Florales) que le christianisme a fait abolir. […] La fortune de ces jeux a éprouvé bien des révolutions. […] Chrysostome, ces jeux furent abolis sans retour.
Cirques et les Amphithéâtres, dont on montre encore aujourd’hui les débris dans les principales Villes de France, qui ont été les premières sous la domination des Romains, ne laissent aucun lieu de douter, qu’après leurs conquêtes des Gaules, ils y établirent tous les jeux, et tous les spectacles qui étaient en usage à Rome. La décadence de l’Empire, au commencement du cinquième siècle, attira celle de ces mêmes jeux, et les ensevelit, pour ainsi dire, sous les ruines des lieux où ils avaient été autrefois représentés. […] Nos premiers Rois tout occupés à conserver, ou à étendre leurs conquêtes, et à s’affermir sur leur nouveau Trône, plus souvent à la tête de leurs Armées que dans leurs Palais, négligèrent longtemps les jeux et les plaisirs, qui ne sont ordinairement que les fruits d’une heureuse et parfaite tranquillité. […] autorisa cette disposition par une Ordonnance de la même année ; elle est fondée sur ce motif, que pour se conserver l’âme pure de tous vices, il fallait éviter de voir ou d’entendre les insolences de ces jeux sales et honteux des Histrions. […] Tous les jeux de ceux-ci consistaient en gesticulations, tours de passe-passe, par eux, ou par des singes qu’ils portaient, ou en quelques mauvais récits du plus bas burlesque.
Enfin tout ce que nous offre le Théâtre est à portée : l’objet, le jeu, l’intérêt, la marche, le dénouement. […] Le jeu dans nos usages, l’expression dans nos mœurs. […] Enfin on peut dire que le ressort le plus précieux des Piéces, c’est le jeu des Acteurs. […] Une intelligence souveraine pour animer son jeu. 3°. […] Le goût particulier vous fait du jeu un besoin, l’intérêt une loi, la passion une nécessité.
Il signifie toutefois par tout également un Jeu, & un Spectacle representé sur Chariots. […] Par de-là la representation il y doit avoir un Jeu particulier, à quoy tout cet appareil appartienne naturellement, & si precisement que la fin, la suite & la liaison des choses soient apparceües, d’abord & sans effort d’esprit. Car s’il est d’inutiles Machines, qui soient ou embarrassantes ou superfluës ; qui n’aident qu’à la representation, & non pas au Jeu ; qui ne servent que de nombre ; qui ne facent qu’alonger les files, ou que grossir la troupe : Le tout n’est qu’une phantaisie de Violon, & qu’une extravagance de Poëte, & n’est non plus un Carosel qu’une Mascarade, & tient aussi peu de l’un & de l’autre, que la Guitare du Luth, & qu’un Cheval d’un Dromadere. Vn parfait Carosel comprend un dessein amoureux & guerrier, & fait porter ses Troupes, marcher ses Chars, & eslever ses Machines, avec une continuelle relation à son Jeu & à son dessein.
Cette illusion est d’autant moins facile à produire, sur les Théâtres modernes, qu’ils sont peu propres à en imposer, & que l’on ne s’y rend guère que comme à un jeu auquel on sait qu’on ne prendra nulle part. […] Le Théâtre est un lieu de prestige, où le jeu du meilleur Acteur, dénué des accessoires, ne pourroit jamais forcer le spectateur, qui sait qu’il va voir une fiction, à croire que c’est une action véritable. […] Ces efforts donneront à son jeu un air contraint & emphatique, qui, dans le moment où il est essentiel de commencer l’illusion, choquera toutes les vraisemblances, & ne montrera qu’un Acteur embarrassé de lui-même. […] Comment dans cet état opéreroient-ils cet ensemble, qui naît d’une correspondance, d’une liaison exactes du jeu & de l’action de tous ceux qui sont sur la Scène ? […] Il vaudroit mieux, pour les connoisseurs délicats, qu’il continuât son jeu, ils ne perdroient que quelques mots, & ces mouvemens de terreur, qu’on vient d’exciter en eux, ne seroient point réfroidis.
Les désordres causés par ces sortes de Jeux, furent représentés au Parlement de Paris d’une manière très vive et très forte en 1541 par le Procureur du Roi.« Pendant lesdits jeux, dit-il, parlant du Mystere de la Passion, et des Actes des Apostres), le commun peuple dès huit à neuf heures du matin ès jours de Fêtes délaissait sa Messe Paroissiale, Sermon et Vêpres pour aller èsdits jeux garder sa place, et y être jusqu’à cinq heures du soir ; eutd cessé les Prédications, car n’eussent eu les Prédicateurs qui les eût écoutés. Et retournant desdits jeux, se moquaient hautement et publiquement par les rues desdits jeux et des joueurs, contrefaisant quelque langage impropre qu’ils avaient ouïs desdits jeux ou autre chose mal faite, criant par dérision que le Saint Esprit n’avait point voulu descendre, et par d’autres moqueries. Et le plus souvent les Prêtres des Paroisses pour avoir leur passe-temps d’aller èsdits jeux, ont délaissé dire Vêpres les jours de Fête, ou les ont dites tout seuls dès l’heure de midi, heure non accoutumée : et même les Chantres ou Chapelains de la Sainte-Chapelle de ce Palais tant que lesdits jeux ont duré (il avait dit auparavant qu’on les avait fait durer l’espace de six ou sept mois), ont dit Vêpres les jours de Fêtes à l’heure de midi, et encore les disaient en poste et à la légère pour aller ès dits jeux, etc.
La raison qu’il en apporte, ajoute-t-il, est que l’homme fatigué par des actions sérieuses, a besoin d’un agréable repos qu’il ne trouve que dans les jeux...» […] Il faut observer d’abord que saint Thomas dans sa Somme, n’a pas traité la matière des jeux et des farces en Théologien ; c’est-à-dire, en ne raisonnant que sur des principes révélés et pris de la Tradition ou de l’Ecriture, dont il ne dit pas un mot : mais il a parlé des jeux et des farces en Philosophe, en raisonnant sur les principes d’une morale toute naturelle, et sur le témoignage de quelques Philosophes anciens qu’il allègue, et qui ont reconnu dans les Jeux une espèce de vertu, peu recommandée néanmoins dans les Conciles et chez les Pères. […] Car saint Thomas explique saint Chrysostome, « des personnes qui usent des jeux avec excès, et qui ne se proposent point d’autre fin que le plaisir du jeu » : et lui veut qu’on l’entende de l’excès des jeux mêmes, et de l’horreur qui accompagnait autrefois les Spectacles ; ce qui n’est pas tout à fait la même chose. […] Quant aux Exercices des Collèges, c’est une autre affaire ; j’en dirai un mot un peu plus bas, où notre Docteur les remet encore en jeu. […] Ce temps effectivement est assez raisonnable pour se divertir à des jeux innocents.
Ce qui est plein de profanation de l’Ecriture Sainte, d’ordures et de dissolutions, de blasphèmes et invocations des Dieux Païens, ne doit être toléré en l’Eglise Chrétienne : La matière des Jeux Comiques et Tragiques est telle : Ils ne doivent donc être tolérés en l’Eglise Chrétienne. […] Le service que le Diable a ordonné aux Païens ne doit avoir lieu entre les Chrétiens : Or il appert par les histoires, tant Ecclésiastiques que profanes, que le Diable a ordonné les Jeux Comiques et Tragiques comme partie de son service : Ils ne doivent donc avoir lieu entre les Chrétiens. […] Ce que les Païens suivaient anciennement pour honorer et apaiser le Diable ne se peut maintenant faire entre les Chrétiens sans déshonorer et offenser Dieu : Or les Jeux Comiques et Tragiques se jouaient anciennement pour ladite fin : Ils ne peuvent donc être joués aujourd’hui sans ledit inconvénient.
Toutefois sans débattre d’avantage du mot, et laissant arrière les divers motifs de ces « drôles » comédiensn, représentons quelques traits de leur jeu et de ce qui s’en ensuivit. […] Au dessous était l’enfer, où se voyaient quelques diables et Lucifer leur maître, accoutrés selon le dessein des jésuites : la fin du jeu était de contrefaire un jugement dernier, puis le salut des uns, et la damnation des autres. […] Le premier jour du jeu, qui fut le septième d’août, fut employé principalement à loger le papeq et ses adhérents au paradis de bois des jésuites, suivant la sentence prononcée par leur nouveau Dieu. […] [NDE] Echafaud: ouvrage de charpenterie élevé en forme d’amphithéâtre pour y placer des spectateurs et pour le jeu des acteurs (voir Furetière 1690). […] D’où le jeu équivoque « sur le mot » dont parle l’auteur.