/ 432
3. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre V. De la Musique ancienne & moderne, & des chœurs. De la Musique récitative & à plusieurs parties. » pp. 80-93

Ces imaginations consommées par un feu si actif, ont besoin de repos & de nouvelles forces. Elles trouvent l’un & l’autre dans la musique, qui donnant un cours moins vif aux esprits, répare leur force épuisée. […] La multitude des voix, le bruit confus de tant d’instrumens, auroient empêché qu’on entendît les paroles ; & la musique n’étoit chez eux qu’un moyen de leur donner plus de force ou plus de douceur. […] Ils savoient exprimer le bruit des flots, le sifflement des vents, le craquement des dents des animaux. » Quelle force, quel merveilleux, une pareille musique ne répandoit-elle pas sur toutes les parties de la Tragédie ? […] Une pareille Tragédie ressembleroit à une oraison d’une seule période ; & Ciceron dit, qu’il n’y a point d’Orateur qui voulût en faire une, encore qu’il eût assez de force de poulmons pour la réciter.

4. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre VIII. Les spectacles favorisent les duels. » pp. 93-95

Telle est la force de certains préjugés, qui, tout opposés qu’ils sont à la raison, se soutiennent toujours, et que les rois, armés de toute la force publique, ne peuvent détruire, parce que l’opinion, reine du monde, n’est point soumise au pouvoir des rois qui en sont eux-mêmes esclaves. N’est-ce pas un concert bien entendu entre l’esprit de la scène et celui des lois, qu’on aille applaudir au théâtre ce même Cid qu’on irait voir pendre à la Grève, si la force des lois ne se trouvait pas inférieure à celle des vices qu’elles réprimentao ? 

5. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre VII. De la Diction. De la Poësie dans la Tragédie. » pp. 122-130

La diction de la plûpart de nos Poëmes est trop séche, trop languissante, sans force, sans images, sans embonpoint, sans carnation. […] La Poësie ranime en quelque sorte les grands hommes ; cette belle magicienne, par le prestige & les enchantemens, nous force à voir & à croire des choses passées, ou qui ne sont que vraisemblables. […] Négliger la force, la pompe ou la douceur de l’expression, c’est vouloir allumer un grand feu, en le couvrant de glace ; c’est priver la Scène du plus puissant moyen de fixer l’attention & de gagner le cœur par les sens. […] Il est visible que ces vices viennent du peu de force des Athlétes.

6. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre XIII. S’il est nécessaire qu’une Pièce de Théâtre plaise autant à la lecture qu’à la représentation. » pp. 359-363

Mais on répondra qu’il faut avoir la force & le courage de les vaincre, une chose a d’autant plus de mérite qu’elle offre plus de difficultés à surmonter. […] Mettez ensemble deux hommes également malheureux, dont l’un sache s’éxprimer avec élégance ; on s’intéressera plutôt à celui qui touche, qui ébranle l’ame par la force de ses discours, qu’à celui qui s’éxprime grossièrement ou sans délicatesse. […] Ecoutons ce fameux Philosophe, « La Tragédie ne laisse pas de conserver toute sa force sans représentation & sans Acteurs62… Peu importe à une Pièce que l’Acteur manque de bien jouer son role63… de plus, la Tragédie fait son éffet seule & sans tous ces mouvemens64. » On conçoit qu’Aristote veut dire, qu’une Pièce doit se soutenir par les choses qu’elle contient, par la manière dont son stile expose & développe les sentimens, les passions des Personnages : ce qu’il adresse à la Tragédie se rapporte également à toutes les espèces de Drames quelconque.

7. (1754) Considerations sur l’art du théâtre. D*** à M. Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Geneve « Considérations sur l’art du Théâtre. » pp. 5-82

Catilina n’est-il pas encore peint avec plus de force dans Saluste ? […] Les hommes destinés par la Providence aux fatigues d’un travail assidu & pénible, ont besoin de renouveller leurs forces dans le repos : le plaisir est la récompense de leurs peines : le délassement leur est aussi nécessaire que la nourriture : un travail continu épuiseroit autant leurs forces que la privation des alimens. […] Il n’en est aucune qui n’entre dans la composition de leurs ouvrages, animées par le feu du génie elles acquierent cette force d’expression qui nous entraîne & nous subjugue. […] Tout artiste n’étoit peut-être pas affecté des passions, qu’il a représentées, avant que de s’occuper à les peindre ; mais dans le moment qu’il les fait agir, il n’y a que le sentiment qui puisse donner de la force à son expression. […] C’est à cette flexibilité des ames qui sentent avec force & rapidité, qu’on doit l’excellence des arts.

8. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XIV. La fréquentation des spectacles ne peut se concilier avec la vie et les sentiments d’un véritable chrétien. » pp. 118-132

« Or, pour savoir si cette idée peut s’allier avec celles des spectacles, il suffit d’examiner ce que c’est que le spectacle ; il suffit de remarquer, avec Tertullien, que c’est une assemblée d’hommes mercenaires, qui, ayant pour but de divertir les autres, abusent des dons du Seigneur, pour y réussir, excitent en eux-mêmes les passions autant qu’ils le peuvent, pour les exprimer avec plus de force : il suffit de penser, avec saint Augustin, que c’est une déclamation indécente d’une pièce profane, où le vice est toujours excusé, où le plaisir est toujours justifié, où la pudeur est toujours offensée, dont les expressions cachent le plus souvent des obscénités, dont les maximes tendent toujours au vice et à la corruption, dont les sentiments ne respirent que langueur et mollesse, et où tout cela est animé par des airs qui, étant assortis à la corruption du cœur, ne sont propres qu’à l’entretenir et à la fortifier : il suffit de comprendre que c’est un tableau vivant des crimes passés, où on en diminue l’horreur par la manière de les peindre : il suffit de considérer, avec tous les saints docteurs, que le théâtre est un amas d’objets séduisants, d’immodesties criantes, de regards indécents, de discours impies, animés toutefois par des décorations pompeuses, par des habits somptueux, par des voix insinuantes, par des sons efféminés, par des enchantements diaboliques. […] « Or, avec des inclinations si déréglées que les nôtres, quel peut être l’effet des spectacles, si ce n’est de les réaliser en nous et de leur donner une nouvelle force ? […] « Pour bien comprendre ce que nous venons d’avancer, il ne faut que considérer quelles impressions font sur l’âme les images les moins animées par elles-mêmes, et quel est le sentiment naturel qui accompagne la lecture d’un événement profane, la vue d’une peinture immodeste ou d’une statue indécente : si ces objets, tout inanimés qu’ils sont, se retracent naturellement à l’esprit, si on ne peut même en sentir toute la beauté et toute la force sans entrer dans la pensée de l’auteur ou dans l’idée du peintre, quelle impression ne font pas les spectacles, où ce ne sont pas des personnages morts ou des figures muettes qui agissent, mais des personnages animés, qui parlent aux oreilles, qui, trouvant dans les cœurs une sensibilité qui répond aux mouvements qu’ils ont tâché d’y produire, jettent toute une assemblée dans la langueur et la font brûler des flammes les plus impures ! […] N’admire-t-on pas un auteur, qui, employant toute la force de son génie à représenter quelque grande passion, sait vous amener insensiblement et par degrés jusqu’à exciter en vous cette passion qu’il a voulu dépeindre ? […] Ses amis lui proposèrent un jour d’aller avec eux à l’amphithéâtre ; il résista à leur invitation et à leurs pressantes sollicitations : ils l’y entraînèrent de force.

9. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE VI. Euphemie. » pp. 129-148

Les passions concentrées dans le silence de la retraite, dit la Préface, ont une véhémence, une force auxquelles sont incapables d’atteindre la langueur & la délicatesse d’un monde dissipé. […] Si Euphemie a moins de beautés, d’élévation & de force, elle n’a guère moins de choses répréhensibles sur la religion & les mœurs, qui doivent la faire proscrire d’un théatre chrétien. […] cette répétition a de la grace, de la force ; mais si souvent, elle est fastidieuse. […] Malgré la force & la beauté de l’expression, la religion, la vertu, la décence frémissent des innombrables blasphêmes répandus dans le Paradis perdu de Milton ; mais enfin ce font des démons qui parlent, c’est leur rôle. […] A force de grossir les traits, on passe la nature : Qui variare cupit rem prodigialiter unam delphinum silvis appingit fluctibus agnum.

10. (1768) Des Grands dans la Capitale [Des Causes du bonheur public] « Des Grands dans la Capitale. » pp. 354-367

Ici leurs vertus & leurs vices ont plus de liberté & de force. […] A sa vue, le crime sent des remords ; & peut-être cet Apostolat, sur-tout dans l’état actuel de nos mœurs, a-t-il plus de force que les exemples & les exhortations même du sanctuaire. […] Il arrache par la force de sa parole & par l’autorité de son rang, les vices les plus cachés dans le fond de ces ames dures ; accablées sous le poids des crimes, elles sont soulagées dans l’excès de leurs maux. […] Enfin toutes les vertus sur le Théâtre aux prises avec les revers, les dangers, les passions, verroient éclater leur force, & applaudir à leur triomphe ; ainsi ces vertus seroient portées au plus haut degré de considération, de gloire, j’ajouterois presque d’enthousiasme.

11. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre VII. Les spectacles favorisent les suicides. » pp. 90-92

La plupart des pièces tragiques sont pleines de cette sorte de fureur, qu’on nomme force d’esprit, mais qui n’est au fond qu’une faiblesse occasionnée par un chagrin qu’on n’a pas le courage de surmonter. Comme elles font valoir la force au détriment de la raison, le courage au détriment de la prudence, l’homme le plus fougueux, le plus impétueux et le plus violent y paraîtra aimable, et plaira davantage par sa fureur, par sa haine et par sa rage, que celui qui n’a que la vertu pour briller.

12. (1824) Un mot à M. l’abbé Girardon, vicaire-général, archidiacre, à l’occasion de la lettre à M. l’abbé Desmares sur les bals et les spectacles, ou Réplique à la réponse d’un laïc, par un catholique pp. -16

Vous ajoutez qu’il faut « ou quitter la partie, ou employer une force de logique telle qu’une retorque raisonnable devienne impossible. » Sans vous chicaner sur le mot retorque qui n’est pas français (vous avez cru apparemment qu’on disait la retorque comme on dit la remorque, et, après tout, un barbarisme n’est point un péché mortel, mais il fallait dire rétorsion), je vous prie de me permettre de ne point abandonner la partie, quelque grande que soit la force de votre logique ; et tout-à-l’heure nos lecteurs décideront entre vous et moi. […] Si nous en croyons un chanoine de Paris, l’abbé Bergier (dans un ouvrage imprimé en 1788 avec approbation et privilège du Roi), lorsque David fit transporter l’arche sainte de la maison d’Obédedom dans sa ville, il dansait de toutes ses forces devant le Seigneur. […] On élude une tyrannie insupportable que la nature et la raison désavouent…. » Je crois, M. le Laïc, qu’il serait difficile d’ajouter à la force de ce passage. […] Est-ce ma faute à moi, si vous n’avez point employé une force de logique telle que la réplique fût impossible ?

/ 432